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Enluminures Calligraphiemarc.rugani2024-12-20T09:55:08+01:00
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Night club
La nuit tropicale était chaude. Ils étaient allongés sur le lit pas encore défait, éclairés par le halo d’une lampe posée sur un bureau au fond de la chambre. Il suivit de ses lèvres la courbe de sa joue. Sa bouche descendit vers son cou, s’arrêta un moment au creux d’une salière, musarda vers l’autre puis escalada la pente arrondie d’un sein pour en attraper, avec les incisives et la pointe de la langue, le bout dressé. Ses doigts coururent légers sur ses tempes et sur ses paupières fermées où ils paressèrent. Ils frôlèrent ses oreilles, glissèrent sur son cou puis chaque main s’attribuant le sien, firent deux coupes à ses seins. Sa bouche abandonna l’aréole, chemina dans le vallon de sa gorge et descendit lentement dans un glissement arrêté par le petit creux du nombril que sa langue ne put se retenir d’explorer. Son visage descendit encore, lentement, freiné par sa bouche appuyée sur le ventre arrondi. Comme pour s’étirer, Cynthia tendit les bras ; ses doigts rencontrèrent ses cheveux courts qu’elle peigna ; ses mains passèrent de la nuque aux épaules de Zacharie qu’elle emprisonna de ses ongles et plaqua contre ses cuisses.
Tampa, Floride.
La nuit, Tampa appartient à la Mafia qui y a implanté un nombre record de boites de strip-tease. C’était dans cette ville que Zacharie devait passer la nuit. Arrivé à Miami quelques jours avant, il avait loué une voiture pour faire le tour de l’Etat et se rendre compte par lui-même de ce qu’étaient les terrains qu’il allait acheter. On était en plein boom de l’immobilier et il ne fallait pas traîner : prendre des options sur les parcelles, les voir aussi vite que possible et abandonner ou confirmer l’option selon ce qu’il trouvait sur place. Pour l’instant, il avait été plutôt chanceux ; à Fort Lauderdale, Cocoa Beach, Daytona il n’avait du renoncer qu’à un seul lot, vraiment trop mal situé. Il était arrivé à Tampa très tard dans la soirée après une longue route pendant laquelle il avait calculé et recalculé les bénéfices qu’il pourrait retirer en construisant les villas et en les revendant à ses clients de Montréal. La nuit tombait quand il s’arrêta dès l’entrée de la ville, loin du quartier chaud. Sur le parking du motel, Zach réalisa qu’il était affamé. Il donna l’empreinte de sa carte Amex, déposa rapidement ses affaires dans sa chambre, et se rendit à pied vers les restaurants qui bordaient la grand route. Les néons annonçaient : Steak house, Seven Seas Lobster, Sea food, Tex Mex….  Il opta pour le restaurant de fruits de mer et choisit son menu. Des clams, un homard fraîchement pêché, une Coor’s, à ce prix là, ça aurait été stupide de ne pas s’accorder ce petit plaisir. Il connaissait la réputation de Tampa et n’avait aucune envie de finir la soirée dans une des ces boîtes à strip-tease qui, ce jour de semaine, serait probablement lugubre. Sa table était près de la fenêtre ; passant entre les enseignes lumineuses des restaurants, des hôtels et des centres commerciaux, il voyait les feux rouges des voitures qui prenaient de la vitesse pour sortir de la ville. Elles semblaient glisser dans un silence absolu ; aucun bruit ne filtrait à travers les fenêtres bien fermées pour empêcher la chaleur de rentrer et permettre à la clim. de réfrigérer la salle de restaurant. Une enseigne bleue et blanche en forme de guitare Stratocaster attira son attention : House of Rock and Roll. Il n’y avait pas de vitrine, ça n’était donc ni une boutique de disques, ni un magasin d’instrument de musique. Une boîte sans doute ? Pourquoi ne pas y aller faire un tour ? Zacharie termina son café et paya l’addition à la serveuse qui lui confirma que c’était bien un club où l’on dansait jusqu’à trois ou quatre heures du matin. Il ne lui fallut que quelques minutes de marche dans la tiédeur. Devant l’entrée, un videur noir, avec le physique massif de l’emploi jeta un regard de bas en haut à son costume de lin écru et décida de lui ouvrir toute grande la porte. Les tables basses étaient occupées, il s’installa au bar et prit une Coor’s. La musique était bonne ; ça n’était pas de la soupe disco mais des morceaux rock ou blues qui donnaient envie de bouger. On était dans le Sud; ZZ Top, Eagles, Johnny Lee Hooker, Georgia Satellites étaient en haut de la playlist du DJ. La musique l’empêcha vite de tenir en place, il battit la mesure d’abord avec ses mains sur le bar, puis avec tout son corps, comme l’aurait fait un black. Il reconnut tout de suite les premières mesures de guitare des frères Gibbons. « La Grange », c’était irrésistible ; d’un geste, Zach enleva sa veste, l’envoya sur le fauteuil le plus proche et partit rejoindre les danseurs. Sur la piste, il enchaîna avec un autre morceau, puis quand le rythme ralentit trop pour continuer à danser seul, il revint au bar.
Elle ramassa sa veste qui était tombée par terre et lui tendit.
« Quand tu as enlevé ta veste pour aller danser, on aurait dit la transformation de Clark Kent en Superman ! »
Elle était assise à une table proche du bar. Devant elle, un seul verre ; elle n’était donc pas accompagnée. Son regard était chaleureux, il s’assit et lui proposa un drink. Elle accepta et appela le barman par son prénom pour qu’il vienne prendre la commande de Zach. Ils burent en parlant de musique rock. Elle était mince, blonde, avec une coiffure un peu désuète, celle des poupées Barbie dans les années 60. Ses cils étaient longs, son rouge à lèvre pâle, ses yeux enjoués. Quand le tempo des morceaux choisis par le DJ se réveilla, il voulut l’emmener sur la piste de danse, elle résista avec un grand sourire. Ils parlèrent et parlèrent encore, chaque morceau devenant le prétexte à un jeu : il fallait trouver le nom du groupe et le titre. Quand ils étaient à égalité, c’est l’année qui devait les départager. Après un moment, le jeu avait changé de nature. Il consistait, pour gagner, à affirmer avec le plus grand sérieux et la plus totale mauvaise foi ce qu’ils ignoraient. Lorsque Zacharie marquait un point, elle se penchait vers lui, son sourire devenait un éclat de rire et elle frôlait sa joue de ses boucles blondes. L’un et l’autre continuèrent à inventer des variantes jusqu’à ce que vienne une ambiance plus calme pour les clients maintenant moins nombreux.
Elle s’appelait Cynthia. C’est elle qui lui prit la main en même temps qu’elle le regardait droit dans les yeux. Il lui plaisait, elle lui montrait, exactement comme l’aurait fait un homme. Zach n’avait pas encore vécu ce genre de situation ; jusqu’ici l’initiative était venue de lui ou bien il réalisait que la fille avait quelque chose à vendre et il s’en allait. La situation l’intrigua et il dut le reconnaître, l’excita. Cynthia se rapprocha de lui, il entoura ses épaules et approcha son visage. Elle lui offrit un baiser rapide, les lèvres closes, les yeux rieurs et lui caressa la joue du bout de ses doigts.
« Zacharie, je t’emmène chez moi ? »
Etait-ce vraiment une question ? En tout cas, elle n’avait pas évoqué un dernier verre ou un autre prétexte. L’invite était, on ne peut plus explicite. Et pourquoi dire non ? Cynthia lui plaisait, même si sa fierté de mâle était un peu bousculée et qu’il était lucide : elle l’avait choisi, elle l’avait… ? ? Il avait du mal à trouver le mot juste. Dragué, ça ne convenait justement pas pour une femme, en tout cas pas pour elle ; séduit, c’était trop désuet.
Au diable les définitions ! Il se leva en lui tendant sa main.
Cynthia le retint et le fit se rasseoir, lui faisant de son index posé sur ses lèvres le signe de se taire ou comme, elle l’aurait fait pour un enfant, de rester sage.
Elle fit un signe pour attirer l’attention du barman.
« Jim ! amène-là »
Jim se pencha sous le bar souleva quelque chose que Zacharie ne voyait pas et s’approcha. C’était un objet fait de tubes métalliques chromés. Jim le déplia.
La chaise roulante était juste à côté du siège de Cynthia. Avec des tractions de bras, elle se rapprocha et attrapant les accoudoirs, elle se souleva d’un coup, ses jambes inertes suivant ses hanches comme des sacs de chiffon.
« J’ai un van spécial. Il est équipé pour monter ma chaise sans que je fasse d’effort et pour que je puisse conduire. Viens ! Je te ramènerai où tu veux demain matin »
Mon gros menteur
-Joël, tu mens !
-Qu’est-ce que tu dis, maman ! Non, je ne mens pas !
-Joël tu mens !
-Mais non maman !
-Joël, je te dis que tu mens !
-Mais maman, puisque je te dis que non !
-Tu mens, je le sais ! Et je le vois ! Parfaitement, je le vois ! Ton nez qui bouge ! Ton nez qui s’allonge ! Oui, il bouge et il s’allonge ! Comme celui de Pinocchio quand il mentait à Geppetto ! Toi, c’est pareil ! Tous ceux qui mentent ont leur nez qui bouge et qui s’allonge ! Tu ne peux pas cacher ton mensonge ! Tu le porte sur ta figure !
-Maman, mon nez ne bouge pas car je ne mens pas !
-Si, tu mens, je le sais !
-Maman, je te jure !
-Oh, non ! Joël ! Surtout ne jure pas ! Je t’en prie ! N’invoque pas le Ciel, n’invoque pas les puissances supérieures pour me convaincre! Car sois-en sûr, elles sont toutes de mon côté ! Et depuis longtemps ! Tu sais ce que dit la Bible sur le mensonge ? Non ? Je m’en doutais ! Eh bien écoute :
« Les lèvres menteuses sont une abomination devant le Seigneur » ! Oui, une abomination ! Parfaitement ! Mais la Bible dit aussi : « Dieu hait les menteurs » ! et pire encore : « La place des menteurs est dans l’étang de soufre et de feu » ! Oui, dans l’étang de soufre et de feu !
Non, Joël, surtout ne jure pas !
Et le prophète Mahomet ? Sais-tu ce que dit le prophète sur le mensonge ? Non ? Je m’en doutais aussi ! Mais qu’est-ce qu’ils vous apprennent donc au lycée ?
-Ecoute, maman, justement ce matin, en philo, le prof nous a donné un travail à réaliser sur la vérité, à partir de quatre phrases célèbres assez proches à commenter et développer :
« Il ne faut pas montrer la vérité nue, mais en chemise »
« La vérité est une dame que l’on replonge dans son puits après l’en avoir tirée »
« Ne talonnez pas trop la vérité de crainte qu’elle ne vous casse les dents »
et la dernière :
« Si j’avais la main pleine de vérités, je me garderais bien de l’ouvrir »
Alors, tu vois !
 -Oh, je t’en prie, Joël, pas d’ironie avec moi ! Et surtout ne cherche pas d’excuses ou de bonnes raisons à ton mensonge !
Je te parlais de Mahomet, et bien voilà ce qu’il disait, Mahomet, sur le mensonge qui est pour les musulmans-tu ne le sais pas et je te l’apprends- un kabâ’ir, un grand péché : « la malédiction de Dieu tombe sur les menteurs » ! Oui, la malédiction de Dieu !
Et veux-tu savoir ce que disait Jésus ?
Et Confucius ? Bouddha ? La Thora ?
-Oh, maman, arrête !
-Non, je ne m’arrêterai pas ! Je ne veux pas que tu mentes ! Et je veux te convaincre de ne pas mentir !
-Bon, maman, d’accord ! Tu as gagné ! J’avoue ! J’ai pensé- avec d’autres !- que la vérité n’était pas toujours bonne à dire, alors oui, j’ai menti ! Voilà, tu es contente ?
-Oui !
Oui et oui !
Je n’aime pas que tu me mentes ! J’ai horreur du mensonge ! Et comme tu vois, je ne suis pas la seule dans ce cas, il y a des précédents célèbres!
Bon, allez, on en parle plus !
Viens mon grand, on s’embrasse
Je t’aime, tu sais…Je t’aime fort…mon gros menteur !
Un jour pas comme les autres
Le réveil sonne. Tu es seul dans ton lit. Aucun amour n’est venu cette nuit froisser tes draps fleuris.
Tu tends ta main sur l’oreiller, tu fais comme si. Tu rêves un bref instant à des bras protecteurs, à des
caresses enjôleuses. Tu as trente-cinq ans à peine.
Tu te lèves.
Tu enfiles ta robe de chambre aux reflets contrastés. Elle laisse deviner tes cuisses musclées, tes
jolies fesses rondes qui séduisent tant tes amants.
Tu déjeunes sans te hâter. Tu as le temps. Tu savoures avec gourmandise ce moment de la journée
où tu oublies qui tu es.
Le miroir te rassure. L’ovale de ton visage est parfait, le nez ni trop long ni trop court, tes yeux en
amande d’un vert aux mille éclats dorés sont ravageurs et tu le sais.
Tu approches ton visage pour mieux le voir encore. Aucun point noir ni petite rougeur ne viennent
trahir ta peau bien lisse. Tu en prends soin comme peu de femmes le font : esthéticienne deux fois
par semaine au moins. Tu aimes la perfection. Tu verses l’eau micellaire sur une boule de coton
rose, tu en aimes l’odeur de foin, elle te rappelle tes vacances à la ferme quand tu étais enfant. Pour
rien au monde tu t’en passerais. Puis tu appliques la crème et le fond de teint, couverture
indispensable et trompeuse sur ton visage.
Tu passes encore un grand moment à allonger et recourber tes cils puis tu viens caresser avec le
bâton de rouge tes lèvres pour les rendre pulpeuses.
Puis tu t’habilles avec soin. Tu prends le temps de choisir les couleurs, jamais de pantalon et surtout
de jolis talons aiguille malgré ton mètre quatre-vingt. Tu coiffes de tes longs doigts fins aux ongles
nacrés, tes cheveux en une géométrie trompeuse. Tu as de la chance, ta chevelure est épaisse et se
pose sur tes épaules en grosses boucles blondes comme au temps de ton enfance quand on t’appelait
Rémi.
Tu jettes un dernier coup d’oeil dans le miroir du salon. Tu es prête, tu peux sortir mais l’angoisse
t’envahit, le doute aussi. Tu as peur de la foule et de son regard impitoyable. Des milliers d’yeux te
croisent sans te voir, des centaines te dévisagent c’est sûr, quelques-uns s’étonnent, se retournent sur
ton passage. Ceux-là devinent que tu mens et ça te fait mal. Et tu marches ainsi à travers les rues de
Montparnasse. Tu marches d’un pas mal assuré, tes pieds trop serrés sur des talons trop hauts. Ta
longue silhouette se détache parmi le flot des passants. Tu as les larmes au coin des yeux.
Chaque pas que tu fais est un mensonge que tu voudrais enterrer, ensevelir sous la terre, sous le
goudron. Mais le mensonge te permet de vivre ou plutôt de survivre depuis si longtemps.
Tu respires un grand coup car aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres. Dans ton sac à main
de cuir rouge est enfermée une petite enveloppe dans laquelle est noté ton rendez-vous, un rendezvous
réparateur, un rendez-vous qui fera de toi un autre. Une Autre.
Tu presses le pas. Tu ne veux pas être en retard. Tu attends ce rendez-vous depuis si longtemps, bien
avant que ta voix ressemble à celle de ton père.
Bientôt, tu n’auras plus à mentir. Plus de souffrances, plus de cachotteries. Tu sens en toi des petits
éclats de lumière, de bonheur.
Dans quelques heures, tu vas naître enfin.
Les mots et les songes.
Blotti dans son lit il rêve sur le chemin des paradis improbables. La substance du monde n’est pas toujours très réelle. Il voit, il imagine au loin, le monde, les gens, ces gens qui sont et qui font le monde, et tous on y danse prit dans sa ronde.
On songe, on rêve à d’autres mondes, au paradis. On se dit que ça ne peut pas être ici, qu’il faut des amis. On croyait à l’utopie, mais on nous a menti, tout est faux.
On a ouvert des livres, découvrant des mondes, libérant des songes. Des promesses jamais tenues, des chemins ténus vers la lune, des substituts de réalité qui ne peuvent que s’effondrer, des évasions toujours ratées, des espoirs à décevoir. Le monde finit toujours par nous rattraper, et quelque soit le songe il ment !
Le vide est mensonge, le plein est mensonge. Nous ne sommes rien et nous sommes tout. Nous ne sommes rien de plus que les autres. Brèves rencontres et les sourires glanés, ramassés dans les filets pourris de la vérité. Illusion d’exister. On s’assoupit en toute innocence, on risque de trébucher. On a bien peu à offrir, pour illuminer les rêves, l’avenir, nourrir la vie. On se ment à soi même, pour continuer coûte que coûte. On se trompe de route, on vacille dans le vent du doute.
Les autres qui trompent et qui mentent sont loin, on ne les connaît pas. Ils dirigent le monde, influencent nos vies, guident nos envies et sélectionnent les mots que nos lèvres esquissent. Les brumes de notre conscience ressemblent à celles des matins. Les mots eux-mêmes ne sont pas les choses que l’on décrit, mais l’image du monde qui se reflète dans nos yeux vides. Les mots mentent, mais à dire les mensonges, ils les clouent sur le passé glacé, les libèrent dans des souffles d’air qui les emporteront loin dans le ciel où les nuages passent et s’effacent. Ils sont pourtant l’unique arme contre l’oubli, la dernière litanie pour lutter contre la disparition et la mort. L’ultime réceptacle de la conscience fulgurante, immense, irréductible, qui trouve refuge dans ces sons, ces gribouillis. Et pour décrire la vérité du fond de notre vie, on doit mentir un peu, forcer le trait, sinon qui nous entendrait. On croit livrer son âme, offrir son coeur, on fait naître les drames, fleurir les erreurs. Les mots masquent ce que les gestes tentent, franchir la frontière des corps, combler l’attente. Nous sommes devenus des beau parleurs, d’infatigables jacasseurs. Nous exilant à jamais de la simplicité primitive de la nature. J’ai faim, tu tues, nous mangeons, ils vivent. Cette évidence masquée par les discours qui nous emprisonnent dans les ronces folles des délires enfiévrés. Pourtant parfois la vie est encore plus étrange que les mensonges.
Cette vie fragile, futile est notre bien le plus précieux que l’on essaye d’apprivoiser par des mots menteurs, des rêves qui nous éloignent de la chaleur du présent. Chaque seconde est un présent fragile, cadeau inespéré, qui attend qu’on l’abrite sous nos vêtements, serré contre notre coeur, qu’on le réchauffe à notre peau, contre les bourrasques de la vie, les tempêtes et les cris. Les songes nous emportent. L’espoir nous porte, vers demain à petits pas. Alors les rêves même si ça ne remplit pas le ventre, c’est déjà ça. C’est mieux que rien.
Le monde songe. Le songe ment. La réalité attend, alors on s’y plonge, sans mots arrogants, à petits pas hésitants. Le bourdonnement du sang envahit les tempes et le front brulants. Dans la lumière des mots nous attraperons les rêves pour déchirer les ténèbres, briser les malédictions funèbres, dire malgré tous les mensonges, nos rires, nos rêves, nos vies et nos songes.
Sur le lit il s’est envolé dans les songes et les mensonges. Le bras encore garroté, la seringue a roulé sur le plancher. Le revendeur lui a donné une mauvaise camelote, le fourgue l’a floué. A la fin, on se fait tous berner.
www.happyfamily.com
Je m’appelle Coline. Enfin non, en vrai je m’appelle Virginie mais Virginie ça sonne un peu
trop années 1980. Alors que Coline, pour une fille qui écrit un blog, ça claque.
Voilà cinq ans que j’ai lancé mon blog de maman : www.happyfamily.com. Sur la page de
présentation de mon site, j’ai mis que j’étais « une trentenaire rock’n roll, hyperactive et
maman de trois adorables fripouilles ».
Les fripouilles, ce sont Pablo, Lila et Emile. A eux, ce sont leurs vrais prénoms, des prénoms
bobos comme j’aime. Chaque jour, je les mitraille et poste des photos d’eux. De préférence
avec des habits différents à chaque fois. Des habits chinés ou de petites marques 100 %
françaises, dont je n’oublie jamais de mettre le lien en fin d’article ; parfois aussi ce sont des
marques qui m’offrent leurs habits.
Il y a plusieurs rubriques sur mon blog. La plus importante, c’est la DIY. Do It Yourself.
Dans la blogosphère des mamans parfaites, cette rubrique est incontournable et doit être
renouvelée très souvent. On y trouve plein d’exemples de choses faites main : des robes
cousues avec deux chutes de tissus, des petites maisons en papier home made pour le
calendrier de l’avent, une recette de petits sablés… Il faut toujours donner l’impression que
c’est très facile à réaliser et que ça vous a pris un quart d’heure, entre deux tétées du petit
dernier et les devoirs du grand.
Dans le post d’hier, j’ai mis des photos de Pablo léchant une cuillère pleine de chocolat dans
la cuisine et une d’Emile, accroché à mon sein. Et des photos de Lila aussi, parce qu’elle est si
jolie. Je lui choisis toujours de belles robes, un peu chères. Et je la mets en scène : jouant à la
poupée dans sa chambre, pensive à côté de la fenêtre, lovée contre moi pour un câlin. Parfois
je me dis que ça va se voir que c’est mon enfant préféré.
Mes nombreux lecteurs me disent souvent en commentaires que ma vie est merveilleuse, que
mes enfants sont beaux et que mon blog est une bulle de douceur et poésie. Je ne leur réponds
jamais. Je n’aime pas trop ça. J’aurais un peu peur de me dévoiler trop si je commençais à
répondre à chacun. Et puis en vrai je ne fais pas ce blog pour communiquer avec les autres, je
veux juste leur montrer ma vie.
Je supprime même parfois quelques commentaires qui me gênent ou sont un peu
désagréables. Comme celui de Queen Charlotte l’autre fois qui trouvait que mon blog était un
peu lisse, et presque trop beau pour être vrai.
C’est sûr que je ne montre que le côté rose de ma vie sur ce blog. Je n’y raconte que des
choses gaies, des fous rires, des anecdotes tendres auprès de mes enfants. J’ai même créé une
rubrique, « 7 bonheurs par semaine », que j’écris tous les dimanches et qui raconte un joli
moment par jour. Par exemple : lundi, un bon chocolat chaud ; mardi, un dîner en tête à tête
avec mon amoureux ; mercredi, Lila qui vient me réveiller avec un bisou…
Parfois j’avoue je triche un peu et j’invente des choses, parce que rien de beau ne m’est
arrivé. Et puis je ne peux pas tout dire sur ce blog. Je ne peux pas dire que certains jours mes
enfants m’énervent, que notre appartement ne ressemble pas toujours à un extrait de Elle
déco, qu’il y a des soirs où je rentre fatiguée du travail et que j’ai juste une envie : les coucher
tous les trois, qu’ils se taisent et que je me vautre devant la télé.
Je sais que ce blog est un peu un mensonge. Qu’il montre ma vie rêvée. Que je suis souvent
impudique à exposer ainsi mes enfants sur la Toile, que je me mens et que je mens à toutes les
mamans qui me lisent en leur faisant croire que ma vie est plus belle que la leur, que je suis
une meilleure maman qu’elles, que ma vie est toujours une fête. Je ne peux pas leur raconter
mes fêlures, mes peurs, mes casseroles du passé. Ça n’est pas ce qu’elles viennent chercher
sur mon blog, et ça n’est pas ce que j’ai envie de leur montrer de moi.
D’ailleurs parfois je me surprends à regarder mon blog comme si c’était celui de quelqu’un
d’autre. Un autre qui me ressemble, mais en mieux. Pas le blog de Virginie, mais celui de
Coline, la maman parfaite.
Et puis maintenant que j’ai 6 000 fans Facebook et 1 200 personnes qui chaque jour likent
mes photos sur Instagram, je suis piégée. Je ne peux pas les décevoir. J’ai besoin d’eux. Sans
eux, je ne sais pas si je trouverais ma vie si belle et riche. Et puis quel intérêt si personne ne
peut admirer mes enfants et me dire à quel point je les ai réussis ?
J’ai tellement besoin qu’on me le dise, chaque jour, que je suis une bonne maman et que je
réussis ma vie.
Prolonger le songe
Madeleine rassembla les brouillards de sa nuit, les brouillards
de ses jours.
C’était l’anniversaire aujourd’hui !
Il ne fallait pas tarder. Elle se leva, frissonna en entrant dans
la vaste cuisine.
Pourquoi François n’avait-il donc pas mis en route la lourde
cuisinière en fonte, ni préparé le café ? Trop impatient de partir à
la pêche avec Paul, il aura oublié. Elle extirpa des bûches dans la
réserve, alluma le feu. Pendant que le café à la chicorée passait, elle
inspecta la pièce.
Tout était-il en ordre pour ce jour
différent ?
Les tomates épépinées la veille dégorgeaient leur eau sur la
paillasse blanche de l’évier. Le gâteau au chocolat retourné sur sa
grille semblait moelleux à souhait.
De l’éphéméride accrochée au mur, elle arracha la page de la
veille.
25 Septembre aujourd’hui, une citation de Robert Mallet :
« Quand le bonheur n’est plus rien qu’un mensonge, on veut
dormir la vie et prolonger le songe ? »
Elle la lut distraitement mais reçut un coup de poignard au
coeur.
Elle n’aurait pas dû lire ces lettres trouvées dans un tiroir
secret, adressées
Poste restante à François par des inconnues.
Ne pas penser.
Le carillon de merisier au lourd balancier de laiton s’était
arrêté. Elle ouvrit la porte vitrée, tourna la clé dorée.
Remonter le temps.
Elle hésita devant le grand miroir mural, effleura son reflet de
petite femme aux cheveux gris illuminés par une étonnante mèche
blanche, posa les yeux sur la photo encadrée de noir encastrée dans
le cadre.
Deux hommes souriants se tenant par l’épaule, des cannes à
la pêche à la main.
Son mari, son fils, ses deux amours qui ne vieilliraient jamais.
François, si fier de son élégante moustache et Paul qui avait
hérité des yeux bleus de son père.
Se permettre quelques instants de répit.
Assise, dos au fourneau qui ronronnait, elle but son café ses
deux mains enserrant son bol de faïence.
Tout était léger avec François. Représentant en vins de
Bourgogne il parcourait la France. Au début de leur mariage, elle
l’accompagnait avec de grands bonheurs au coeur et les rires de
leur jeunesse.
Trouver des bougies pour le gâteau.
Elle fouilla les tiroirs du petit placard blanc ont s’exhalaient
des parfums de chocolat, de vanille et de fleur d’oranger.
Cueillir du persil pour les tomates farcies.
Elle enfila ses sabots de bois, sur ses chaussons. La rosée du
matin lui effleura les chevilles.
La planche de bois creusée au centre par les oscillations du
hachoir aux deux poignées de buis avait gardé une teinte verdâtre.
Odeur, couleur du vert persil
tacheté d’ail blanc.
Les balancements du carillon rythmèrent les balancements du
hachoir.
On frappa à la porte.
Maria, ronde et joviale se souciait de sa voisine solitaire que
son mari aidait pour le jardin.
« Bonjour madame Madeleine ! Mais… Vous attendez du
monde ? »
« C’est l’anniversaire aujourd’hui. J’ai préparé un bon repas,
les plats qu’ils aiment. »
« Mais c’est celui de l’accident, de la noyade… »
« Vous mentez ! Ce ne sont que les racontars du village. La
Saône ne sera pas en crue aujourd’hui. Le ponton sera solide. Ils
rentreront affamés de la pêche.
Vous pourriez m’apporter des bougies ? »
Maria penaude battit en retraite sans oser dire qu’il aurait
mieux valu des cierges.
Madeleine haussa les épaules.
Farcir les tomates. Mettre le
couvert.
Sur la table ronde recouverte d’une toile cirée fleurie, elle
disposa trois assiettes, trois verres, trois serviettes en nylon.
Paul était né. François lui avait laissé le soin de leur fils, de la
maison, du jardin.
Il s’absentait de plus en plus souvent.
Elle n’avait rien voulu entendre de ce que susurraient les
perfides commères du village sur la jolie boulangère.
Descendre à la cave chercher du
vin.
Elle remonta une bonne bouteille de vieux Bourgogne.
Tout était prêt pour leur retour.
Elle troqua son tablier de cuisine contre celui plus léger de
l’après-midi.
Elle s’assit sur sa chaise à sa place habituelle, dos au
fourneau.
Ils rentreront pour el souper, heureux, boueux.
Ils riront de leur maigre butin : une ablette et deux gougeons.
Son François aura la moustache humide de bruine. Paul
s’ébrouera de joie.
Tout sera parfait, comme leur amour, leur couple.
Que du bonheur…
Madeleine ramassa quelques miettes de pain imaginaires sur
la toile cirée.
Elle posa ses mains croisées dans le creux de son tablier.
Le carillon égrena ses heures.
Le temps n’avait pas plus de saveur que d’importance.
Elle seule détenait sa vérité.
Le monde extérieur n’était que mensonge.
La maladie du mensonge
Se mentir à soi-même, dire que tout va bien alors que tout va mal, voici l’histoire de
ma vie.
Mars 2010, moi, Joseph Garner, suis interné en psychiatrie. Cinq jours plus tard, me
voici affublé du diagnostic de bipolaire de tipe I avec états mixtes. Bien longue expression
pour dire que je perds les pédales. Trop haut, trop bas, les deux en même temps, tout un
charabia que je ne comprends pas mais qui me définit. Le traitement est à vie me dit-on.
Thymorégulateurs, anxiolytiques, antipsychotiques… mais surtout pas d’antidépresseurs.
J’étais plein de vie, j’aimais la musique, la danse, jouer du piano sans partition, lire, écrire.
Ecrire encore et encore. J’aimais les jolies filles, leur faire la cour, les allonger dans mon lit
trop petit pour deux. Je fumais avec des amis en refaisant le monde sous le ciel étoilé. Mais il
paraît que, tout ça, c’était « trop ».
Depuis les médicaments, mon existence a changé. Il paraît que c’est pour m’aider à
trouver l’équilibre dans cette nouvelle vie qui s’offre à moi. Comprenez par-là que sans
médicament, je risque de me suicider avant mon quarantième anniversaire, et que c’est donc
une chance que d’espérer vivre au-delà. Alors je m’adapte. Je prends mes cachets le matin, le
midi parfois, et le soir. J’avale en tout onze cachets par jours, mais je m’y suis fait. Je vois
mon psychiatre tous les quinze jours, ma psychothérapeute toutes les semaines.
On m’a dit qu’il fallait que j’aie une hygiène de vie impeccable, couchers et levers
réguliers, nourriture saine, rythme horaire immuable, bref, une vie plate sans excès pour éviter
de perdre à nouveau les pédales. Alors j’ai fait ce qu’on me demandait. J’ai trouvé une
gentille fiancée, nous nous sommes mariés, nous avons eu des enfants dont elle s’est occupée
plus que moi. Ma vie était parfaite, la vie rêvée de beaucoup de personnes. Je travaillais à mitemps
en qualité de chargé de communication dans une association culturelle. On ne me
demandait pas de dessiner, simplement de « créer » des supports de communications selon
certains modèles déjà existants, en utilisant les images d’internet non copyrightées. Mes
activités extérieures me direz-vous ? Je faisait du judo une fois par semaine, avec interdiction
de compétition car cela pouvait être « trop ».
Les week-ends nous allions voir mes parents ou mes beaux-parents, ou le reste de la
famille, et sans cesse ces mêmes questions de leur part : « Comment vas-tu en ce moment ?
Tu gères ? Et tes médicaments, ils ne te cassent pas trop ? »
Non, tout va bien, ne vous inquiétez pas, je suis calme, reposé, je « gère » comme vous
dites, je n’oublie aucun de mes petits cachets, la vie est belle, mais plate. Ces deux derniers
mots, je ne les prononce bien sûr pas devant eux, seul mon psychiatre est au courant. Ce
psychiatre qui m’a diagnostiqué il y a quinze ans maintenant, en clinique. J’ai désormais 40
ans. Et mon psychiatre m’annonce qu’il prend sa retraite. Il n’a personne à me conseiller, à
moi de chercher, mais vite, pour qu’il transmette mon dossier. Alors je cherche, et je trouve.
Dr. Gouyanour, d’origine indienne. Il a bien reçu mon dossier et accepte de reprendre le suivi.
J’ai peur de me lancer à l’eau, de lui dire tout ce que je ressens, cette oppression
permanente et cet ennui quotidien. L’envie de rien, l’impossibilité de créer quoi que ce soit,
l’anéantissement de l’écriture. Tout cela n’est a priori pas marqué dans mon dossier puisqu’il
fait l’étonné quand enfin je me livre. Quand j’ai fini de tout déballer, de lui dire que ma vie
d’avant était bien mieux et que non, je ne veux pas entendre parler de cette chance de vivre
une vie dite « normale », il se fait un silence royal. Je ne sais pas s’il ne m’a pas écouté ou s’il
réfléchit. La réponse dans une minute. Le voilà qui s’installe dans son fauteuil, pose les mains
sur les accoudoirs, prend une grande inspiration, et allume en moi une lumière par ces
quelques mots : « Et si vous n’étiez pas bipolaire ? Je veux dire, la vie telle que vous me la
décrivez n’est pas une vraie vie, vous n’avez pas d’exaltation, pas de remous, pas de fossés ni
d’écueils. Et votre vie d’avant ne semblait pas plus dépravée que ça, qu’est-ce qui a fait que
vous avez « perdu les pédales », comme il est écrit dans votre dossier ? Et quel en était
l’objet ? »
Me voici estomaqué. J’ai beau réfléchir, je ne me rappelle plus ce qui m’a fait perdre
les pédales ni l’objet de ce plomb qui a sauté dans ma tête. J’ai beau creuser, je ne me
souviens pas de passage à l’acte, ni d’idées morbides dangereuses pour moi, ni de
comportement à risque. Certes, le soir où j’ai atterri aux urgences psychiatriques de l’hôpital,
j’avais un peu trop fumé suite à une soirée sensé fêter mon retour au célibat. Qu’ais-je pu dire
ou faire pour en arriver là ? Je n’ai plus de contact avec mes amis de l’époque et serait bien
incapable de les retrouver pour leur poser la question. Seuls mes parents me soutiennent que
si, j’avais perdu les pédales. Comment, pourquoi, quand, impossible de leur faire dire.
Avec le soutien de mon nouveau psychiatre, je décide d’arrêter les médicaments. Petit
à petit, les doses diminuent. Petit à petit, je sens en moi une poussée de chaleur et de créativité
revenir. Je réalise soudain que la femme que je me suis choisit est parfaite, elle s’adapte, elle
chantonne, elle revit elle aussi. Les enfants le sentent et viennent me demander de jouer avec
eux. Les seuls à faire la tête, ce sont mes parents. Je redécouvre la vie, mes sens, l’air frais sur
mes joues, je pleure à nouveau alors que j’en étais devenu incapable. Je me sens enfin libre,

libre de vivre ma vie sans mensonge….

A 10h sur le banc
Toc Toc Tic Tic Toc Tic Tic
J’aime le staccato changeant de ma canne tout au long du chemin, sa façon de dire bonjour aux choses qu’elle rencontre, une pierre, une margelle de trottoir, un pavé, ou l’asphalte de la rue.
Comme si, musicienne, elle jouait avec elles une partition, guirlandes de notes blanches et noires
Tic Toc Toc Tic Tac Tac
Ma fille m’a dit au téléphone hier : « Papa, on se donne rendez-vous demain dans le parc, sur le banc près du lac » « A 10h » « Ca te va ? »
Ma fille veut que je sorte, me faire prendre de l’exercice, le grand air, que je me frotte au monde et l’entende, me voir quitter le nid douillet de la maison
Ma fille m’aime et pense à moi tous les jours. J’ai dit oui. Et me voilà en route
Tic Tic Tic Toc Toc Tic
Le chant de ma canne est toujours mélodieux : c’est une cantatrice de talent !  Mais c’est aussi une grande amie, une aide, je ne sors jamais sans elle
« Bonjour Monsieur Perrin » « Bonjour Adrien »
« Bonjour Monsieur Perrin » « Bonjour Lucille »
« Bonjour Monsieur Perrin…. bonjour Monsieur Perrin » « Bonjour les enfants »
Les enfants du quartier me connaissent tous, pas un que je n’ai vu grandir ; nous nous aimons bien et leurs jeux, leurs ébats, leur merveilleuse jeunesse me procurent un bonheur sans pareil
Tac Tac Tic Tic Tac
Le parc n’est pas très loin ; ma fille me fixe toujours des rendez-vous raisonnables : une 1/2heure de marche, 3/4 d’heure maximum, au long d’un circuit sans notable difficulté
Mais qui me demande quand même effort et attention
Car les obstacles imprévus ne manquent jamais : une branche traîtresse d’un arbre mort, une grosse pierre déplacée par la pluie roulant sous la semelle, un trou inattendu
Tic Tic Toc
« Bonjour Monsieur Perrin »
C’est ma voisine « Bonjour Madame Dubois » « Comment vont les enfants ? »
Et tout d’un coup : boum ! C’est moi qui ne vais plus ! Un moment d’inattention, la chaussure qui butte sur la margelle du trottoir, et me voilà dans une pirouette par terre !
« Oh, Monsieur Perrin, vous vous êtes fait mal ? »
Madame Dubois se précipite, les enfants accourent
« Ce n’est rien, merci »
Madame Dubois m’aide à me relever et m’époussète « Vous êtes sûr ? Vous ne voulez pas vous appuyer sur mon bras ? Je peux vous accompagner un peu si vous voulez »
« Non ? Vraiment ? tenez, votre canne, que vous avez laissé tomber » «Il y a un peu de boue dessus, mais je n’ai rien pour l’enlever, je suis vraiment désolée »
« Toute blanche, elle était belle, elle le sera un peu moins maintenant ! »
 « Oh ! c’est sans importance, merci »
Tic Tic Tac Tac Tic
Une petite chute ; sans bobo ; une de plus, sans doute pas la dernière !
Ma canne blanche, moins blanche maintenant, un peu boueuse, chante à nouveau sur le chemin ; qu’a-t-elle à faire de quelques traces de boue ? Est-ce illusion, mais son chant me semble plus enjoué ; serait-ce de retrouver ma fille bientôt ?
Ensemble, sur le banc, nous parlerons de tout et de rien. Nous serons bien nous deux.
Allons, plus vite, pas trop tout de même : dans ma nuit ma canne blanche éclaire si peu
Tic Tic Toc Tac Tac
L’arbre
Yann était, semble- t-il, le dernier de ces justes qui ont toujours cru en l’Homme. Il y a déjà longtemps, ils venaient souvent lui rendre visite dans sa modeste demeure. Cravatés, costumés, ils envahissaient son petit territoire avec micros et caméras. Ensuite, précipitamment, ils repartaient, pensifs, en méditant les conseils et sa perception du monde qu il leur avait généreusement donnés, laissant derrière eux quelques parfums douteux d’après rasage, de tabac et de café. Puis tout rentrait dans l’ordre. Alors Yann s’asseyait sous l’arbre centenaire qui somnolait doucement près de son potager et ils regardaient, tous les deux, le jour s’éteindre.
Le soleil incendiait au loin la forêt et déversait ses laves rougeoyantes sur la campagne pendant que la nuit courait déjà dans les chemins creux et derrière les haies.
Yann aimait intensément ces bouleversements, ces moments où tout bascule, où tout est effrayant. Il frémissait à l’heure bleue, il tremblait parfois pendant cet instant infinitésimal mais grandiose où le temps s’arrête lorsque la Terre se tait. Il avait alors le sentiment de boire les quelques gouttes de vie qui sourdaient de l’éternité. L’arbre près de lui le rassurait: il en avait vu bien d’autres. Pour rien au monde, Yann n’aurait raté ces instants.
Aux gens de la grande citée, il leur apprenait simplement la société humaniste, il leur racontait la sobriété heureuse. Se comprenaient-ils vraiment ? Parlaient-ils le même langage ?
Leurs visites se sont peu à peu espacées et puis Yann comprit un jour qu’ils ne reviendraient pas car des choses plus préoccupantes les retiendraient dorénavant dans d’autres lieux. Un journaliste bavard, peut-être plus éclairé, mais inquiet, lui avait dit que probablement les dernières gouttes d’or noir étaient en train de sortir de terre. L’humanité auraient-elle épuisé enfin le sang de la Terre, le sang du passé lointain des forêts inconnues et vierges?
Subitement la campagne alentour se fit bruyante. Pas le chant des oiseaux, ni celui des insectes, non plus la musique du vent dans les branches ou les feuillages. C’était le bruit des arbres qui tombaient et craquaient, le bruit des machines qui coupaient et portaient ensuite les corps démembrés plus loin, là-bas.
Comme libéré de tout lien avec la terre, le ciel disparut peu à peu. Les environs baignaient à présent dans une clarté laiteuse, un peu moite. Cette même clarté qui, parait-il, noie les sous-sols des grandes citées.
Yann pris alors l’arbre dans ses bras et serra très fort. Il sentit sur sa joue les lèvres verticales de l’écorce profonde et tiède. Dans l’air immobile, les feuilles frémirent.
– Aurais tu peur toi aussi, mon ami ?
Ce soir-là, la nuit ne vint pas, ce fut leur dernier rendez-vous à la marge du monde.
LE  COMPAGNON  DU  SILENCE
                        Un samedi, les deux amis s’étaient assis dans le parc. Le plus âgé songeait à ses    vingts ans. Il revoyait Yvonne tournoyer dans sa jolie robe à  pois.
Que faisait-il encore ici-bas ? C’est vrai quoi, elle lui manquait. Il le disait à l’autre, lui confiait                  tout, Yvonne, leur mariage et le si beau banquet. Jamais convives n’avaient si bien mangé !            Du saumon ! c’était si rare à l’époque… et le vin ! Ça oui, on avait bu du bon vin et même on            avait fini au Monbazillac ! Ah, c’était une belle noce, on en avait parlé dans tout le pays. Et            puis, on avait  ri et dansé. Je m’souviens même d’mon copain Marcel, qui avait trop bu et s’était      trompé d’maison. Comme il arrivait pas à l’ouvrir, il a cogné et le propriétaire est sorti            furieux. Il a fait valser Marcel d’un bon coup de pied ou j’pense ! Fallait voir l’Marcel nous            raconter ça !
Rien qu’en y pensant, les yeux de Léon brillaient. Son compagnon, lui, hochait la tête, prenant soin            de ne pas l’interrompre. Parfois ils marchaient. Leurs gestes alors s’ajustaient, se copiaient,      s’égalaient et toujours Léon parlait.
Une giboulée soudaine s’abattit sur eux. Ils rentrèrent trempés.  Au matin, Léon toussait.
Deux jours plus tard le médecin déclara une mauvaise pneumonie. Le vendredi, il y eut un léger            mieux grâce au soleil qui tapait à la fenêtre qu’on ouvrit. L’air chaud l’apaisa. Il dit à  son ami :
–   Milou,  rendez-vous  à  17 heures, dans  trois jours, devant  ma maison… n’oublies pas !
Léon mourut le lendemain, paisible. L’enterrement fut fixé le lundi, à 17 heures, comme            prévu. Quand on sortit Léon de la maison, Milou le fidèle était là. On se rendit à pied au            cimetière.Il suivit le cercueil comme s’il faisait corps avec lui. Quand la bièredescenditdans            la tombe, il s’était senti glisser avec elle. Heureusement le soleil se cacha… A ce moment-là            seulement Milou recula et partit.
Les jours d’après, dans le village, les langues se délièrent et le secret, que complaisamment            on taisait, éclata. Léon parlait à son ombre… cette ombre qu’il avait prise pour compagnon.            Dans sa solitude, elle était comme un frère siamois, à qui il pouvait tout dire.
Aujourd’hui au cimetière, les visiteurs croient souvent apercevoir ce compagnon du silence.            A certaines heures du jour, l’ombre s’allonge près du caveau de Léon. Parfois, elle est assise            et l’on peut entendre, en prêtant l’oreille, des murmures sourdre entre les pierres.

Marie-Thérèse Chatard     Suresnes, début mars 2014  .

L’amour à toute volée
Marie aime Denis.
Denis aime Marie.
C’est ainsi !
Il n’y a rien à y faire !
Non, rien !
Et d’ailleurs, pourquoi y faire quelque chose ? Pourquoi aller contre l’amour, l’empêcher ? Non, il faut au contraire tout laisser faire !
 L’amour ne se commande pas, ni se décide.
Et comme aux amoureux du monde, il s’est imposé à Marie et à Denis, à peine ils se sont vus.
Est-ce d’être nés le même jour, dans la verte Normandie- souvent blanche l’hiver comme cet hiver- dans le même village et le même logis ? Est-ce d’avoir grandi ensemble, élevés par les mêmes mains attentionnées et tendres, habillés de neuf par le même amour ? Et d’avoir respiré les mêmes odeurs de la campagne voisine, les mêmes parfums, l’iode des vents forts de la Manche qui ont soufflé jusques à eux, ouï les mêmes bruits, les meuglements des vaches dans les prés et les étables, les mêmes chants des oiseaux, d’avoir ressenti les mêmes timides rayons hivernaux du soleil ?
Ils ont tout partagé.
Ils sont proches comme frère et sœur- plus : comme jumeaux- ils sont deux et ne font qu’un, malgré leurs différences, Marie plus grande et ronde, Denis plus fluet, la voix grave de Marie, celle plus haute de Denis. Qu’importe, quand on s’aime !
Et puis, il y eut ce grand voyage ensemble vers Paris, avec les copains et les copines : Gabriel, Anne-Geneviève, Marcel, Etienne, Benoît-Joseph, Maurice et Jean-Marie ; oh ! quelle aventure ! et quels souvenirs inoubliables ! Tout le long du trajet, la foule s’est pressée enthousiaste pour les voir, les applaudir, un succès inimaginable.
Quel tonnerre ce sera à Paris !
C’est que Marie, Denis et leurs camarades, tous artistes, sont renommés : dix belles voix avec celle d’Emmanuel que toute la capitale impatiente attend d’entendre, fin mars à Notre Dame même ! Oui, à Notre Dame ! Bientôt !
Chacun et chacune du groupe en tremble à l’avance !
Hélas ! à leur arrivée à Paris, ils n’ont pas su pourquoi, Marie a été séparée de Denis et des autres et logée avec Emmanuel ; non loin, certes, à peine cinquante mètres- ils peuvent s’entendre chanter  et répéter- mais séparés tout de même !
Et avec papy Emmanuel !
Non pas qu’Emmanuel soit désagréable, bien au contraire! Est-ce l’effet de son grand âge, il est charmant et plein d’attention. Que ne ferait-il pour Marie ? Seul depuis très longtemps, la présence de Marie a soudainement  illuminé sa vie !
Et puis il a une voix très belle, très grave, en Fa dièse 2 disent les spécialistes, ce qui est rare.
Mais c’est un papy ! Un charmant papy, certes, mais un papy quand même !
Et voilà Marie séparée de Denis, et de tous ses jeunes amis et de sa copine ; plus de bavardages sur tout et rien avec Anne-Geneviève, plus de francs rires avec Jean-Marie, le plus gai de la bande !
Et Denis son amour si loin!
« Denis, où es-tu ? Oh ! tu me manques tant !»
Marie est triste.
Emmanuel l’a su, dès ses tout premiers chants: les chants de Marie étaient justes, en Sol dièse 2 comme ils devaient être chantés, mais ils ne chantaient rien, n’évoquaient rien, ils étaient vides, creux, sans éclat ni résonnance, assourdis comme par un voile.
Emmanuel a su le cœur de Marie fendu d’un immense chagrin.
« Oh ! Marie, qu’as-tu? Pourquoi tant de tristesse? » Ces questions, Emmanuel n’a pas pu les poser, n’a pas osé : ils se connaissaient depuis quelques jours seulement, et tant d’années les séparaient ! Quelle qu’en était la cause, il se savait impuissant : tout ce qu’il dirait à Marie pour la consoler ne servirait à rien.
« Que pourrais-je faire pour toi, Marie?»
Non loin, Denis est triste comme Marie.
Et rien n’y peut changer.
Ni  l’agréable compagnie de Gabriel, d’Anne-Geneviève, Marcel, Etienne, Benoît-Joseph, Maurice et Jean-Marie ; pourtant quelle chambrée de bonne humeur, unie par la joie de chanter! et que de joyeux moments depuis leur arrivée !
 Ni leur installation superbe : l’Ile de la Cité, les quais, la Seine, la capitale sont à leur pied, en un panorama qui coupe le souffle ! Attention, il faut en garder pour le concert !
Denis et Marie auraient dû être heureux ; et ce concert être une fête merveilleuse pour les deux amoureux.
Hélas !
Et quand le chant de Marie lui parvient, si triste, le cœur de Denis se brise à chaque note.
« Oh ! Ciel, pourquoi te montres-tu si dur sans raison? »
Avec ses amis, Denis chante sans joie ; son Do dièse 3 est fade comme le chant de Marie, et détonne dans leur concert joyeux.
« Que pourrions-nous faire ? » se sont-ils demandés, car s’aimant tendrement, quand l’un d’eux est malheureux ils en sont tous affectés.
« Avant le concert, ensemble avec Denis, il faut que nous chantions pour Marie ! », « pour lui dire que Denis l’aime, que nous l’aimons », « pour lui dire que nous sommes avec elle, que nous pensons à elle, qu’il pense à lui » ; « et Denis doit pouvoir chanter en soliste, pour que son chant soutenu par les nôtres souffle fort son amour à Marie ».
Ils se sont mis à travailler, Denis plus que les autres ; discrètement, presque en silence, pour que Marie ait la surprise.
Le concert était prévu samedi ; ce fut vendredi à midi, dans un ciel tout bleu, que Denis poussa son chant pour Marie :
« Marie je t’aime ! Marie, je t’aime !», à toute volée, en un Do dièse 3 magnifique, joyeux, confiant, plein d’espérance ;
Ce fut vendredi à midi que Gabriel, Anne-Geneviève, Marcel, Etienne, Benoît-Joseph, Maurice et Jean-Marie poussèrent avec Denis leur chant pour Marie :
« Marie, nous t’aimons ! Marie, nous t’aimons !», à toute volée, en La et Si dièse 2, et en Ré, Mi, Fa, Sol et La dièse 3, percutants, flamboyants, d’une sonorité merveilleuse.
Il ne fallut que quelques notes à Emmanuel pour comprendre ; aussitôt, dans un grand mouvement d’enthousiasme, il s’unit à eux en lançant à son tour son Fa dièse 2 très grave et magique dans le ciel de Paris,  chantant « Marie, moi aussi je t’aime ! Aie confiance ! Denis t’aime, nous t’aimons tous ! »
Alors, Marie, émue, sortit peu à peu d’elle-même ; elle se mit à chanter- à fredonner plutôt-doucement d’abord puis, peu à peu transportée et emportée par le message d’amour de ses amis, bientôt à pleine volée, y mettant toute sa force et son cœur, de sa belle voix basse : « Moi aussi je t’aime » « Moi aussi je vous aime ».
Ce fut un concert inattendu magnifique !
Les Parisiens et les touristes nombreux en ce midi sur le parvis de Notre Dame s’arrêtèrent, écoutèrent, puis levèrent la tête.
Et de la foule s’éleva alors un grand cri : « Ce sont les cloches, ce sont les cloches ! » « Ecoutez, écoutez : c’est Emmanuel le bourdon, là, avec sa grosse voix ! » « Ecoutez, écoutez, c’est Marie, oui, Marie ! et là c’est Gabriel, là Anne-Geneviève, Denis, Marcel, et puis là Etienne, Benoît-Joseph, Maurice et Jean-Marie ! »
Et le fils- qui se souvenait de l’histoire de Quasimodo le sonneur de cloches de Notre Dame et d’Esméralda- d’interpeller le père : « Regarde, papa, là dans la tour sud, le gros bourdon qui sonne ! Boum, boum, boum, tu entends, papa, comme c’est beau ? »
Et la fille d’interpeller la mère, battant des mains de joie : « Regarde, maman, là dans la tour nord, c’est la cloche Denis, comme elle sonne clair ! »
Et les vieux couples, émus, pleuraient d’émotion sur les bancs !
De la foule en liesse, ravie, éblouie, s’éleva bientôt un autre cri « Ce sont les nouvelles cloches de Notre Dame, venues de Normandie, pour nous ! »
Et Marie chantait « Je t’aime, je t’aime » à toute volée, et Denis chantait  « Je t’aime, je t’aime » à toute volée, et toutes les cloches et les bourdons chantaient en même temps, lançant au ciel le même cri d’amour.
Et la foule, qui sentait qu’il se passait quelque chose de beau, écoutait, émerveillée : « Ce sont les nouvelles cloches de Notre Dame ! Qu’elles sonnent bien ! »
La joie est communicative : elle descendit des tours sur la foule massée ; spontanément des farandoles se formèrent, des grandes, des petites, qui se mirent à tourner, tourner….au rythme des cloches de Notre Dame. Les badauds et les touristes, main dans la main, dansaient, comme dans les villages au temps passé les jours de fête, au son des cloches, au dessous d’un ciel tout bleu ! Quelques chants, quelques rengaines s’élevèrent de ci, de là, puis le chant s’installa, toute la foule chanta.
Jamais on n’avait vu pareille fête !
Au point que journalistes et caméras, alertés, arrivèrent bientôt: « Quel cinéma sur le parvis aujourd’hui ! Que se passe-t-il ? Pourquoi toutes ces danses et ces chants ? »
 Les images feraient le gros titre du journal  de 20h !
La fête dura longtemps.
Car longtemps dans le ciel de Paris, haut dans les tours de Notre Dame, en chœur avec le bourdon Emmanuel et toutes les cloches, à toute volée, Marie et Denis se dirent : « Je t’aime »
FIÈVRES
   
Rares sont ceux qui peuvent prétendre se souvenir du premier film qu’il leur ait été donné de voir. Je suis de ceux-là, non pas que le film en question figure au panthéon des chefs-d’œuvre, il s’en faut de beaucoup, mais les circonstances de sa projection l’ont rendu inoubliable même, et surtout, si je ne devais jamais en connaître le dénouement.
En ce temps-là, au lendemain de la drôle de guerre, il n’y avait pas de salle de cinéma dans le bourg, et encore moins de télévisions, aussi guettions-nous avec impatience l’arrivée, deux fois par an, des « TOURNÉES FIATLUX » qui venaient installer leur écran dans le pré communal. Cinéma de plein air où chacun était prié d’apporter son siège pour plus de confort. S’il pleuvait ? Eh bien, la séance était reportée à l’automne ou au printemps, c’est selon.
Pour moi, âgé de sept/huit ans, c’était  une « première » et j’implorai le ciel pour qu’il restât serein. Le jour venu, l’azur était au rendez-vous et, la nuit tombée,  des milliers d’étoiles promettaient  une soirée paisible. Voire…
La vedette du film, intitulé « FIÈVRES », était un enfant du pays, un certain Tino Rossi ce qui aurait suffi, si besoin était, pour assurer une assistance fournie. De fait, tout le village vint au rendez-vous, la « salle » sagement divisée en deux parties distinctes : d’un côté la tribu des Alfonsini, le doyen Sauveur à sa tête, et de l’autre le clan des Scagliola, sous la férule de Joseph le patriarche. Les « neutres » se répartissant au gré de leur arrivée dans un camp ou dans l’autre. Les deux familles régnantes  prenaient un malin plaisir, depuis des décennies, à nous jouer la saga des Montaigu et des Capulet sans que l’on sache vraiment l’origine de cette inimitié. Comme leurs demeures respectives se faisaient face, juste séparées par le pré communal, les occasions de conflit ne manquaient pas. Pourtant ces soirs-là, c’était la trêve, implicite mais généralement respectée.
La première bobine put se dérouler sans incidents bien qu’un vent suret descendu des montagnes et malmenant la toile servant d’écran modifiât la silhouette du séduisant Tino, tantôt obèse, tantôt maigre à faire peur, ce qui ne semblait pas décourager l’héroïne séduite par les roucoulades de l’acteur.
Roucoulades qui furent soudainement parasitées par des braiments aussi tonitruants qu’intempestifs. C’était Dagobert, l’âne d’Alfonsini, qui s’épanchait, les naseaux titillés par les effluves d’une congénère voisine que le printemps mettait dans de bonnes dispositions.  Tino / Dagobert, la lutte était inégale au niveau des décibels. Des murmures réprobateurs s’élevèrent, dominés par la voix mâle de Joseph qui proféra, rigolard :
—  Sauveur, tais-toi !
Tous les Alfonsini réagirent à l’affront et l’on vit, sous l’obscure clarté qui tombait des étoiles, des poings se dresser cependant que les Scagliola se tordaient de rire. L’hilarité retomba quelques instants plus tard lorsqu’un des rejetons de Sauveur revint s’asseoir en posant, bien en vue sur ses genoux, le fusil de chasse que tout Corse de souche se doit de posséder. Cela sentait la poudre, d’autant plus que Dagobert, fort de son bon droit, vociférait de plus belle. Son contre-ut final coïncida avec la détonation qui secoua l’assistance. Quelqu’un ( mais qui ? ) venait de tuer, que dis-je, d’assassiner l’âne d’Alfonsini. Des armes, sorties d’on ne sait où, passèrent de main en main et des torrents d’imprécations déferlèrent sur l’assemblée. Je demeure persuadé que seule la présence des enfants des deux clans empêcha que la séance ne tournât au carnage. Un coup de feu vengeur partit en direction de l’écran et le malheureux Tino qui passait par là, en gros plan, se retrouva avec le visage grêlé d’une multitude de petits trous. Chacun voulant avoir le dernier mot, ce fut une véritable salve qui acheva notre gloire nationale et la toile qui la supportait. Monsieur Fiatlux, quant à lui, ne se préoccupant que de la sauvegarde de son projecteur, s’était promptement engouffré dans sa camionnette et attendait que l’orage  passe.
Donc, comme il fallait se résoudre à ne jamais connaître la fin de cette pas-sionnante romance, le bon peuple, le doigt sur la détente, regagna ses pénates où il se barricada.
Le lendemain, la maréchaussée avisée par la rumeur se présenta pour mener l’enquête. Les investigations ne débouchèrent sur rien car il s’avéra que personne n’avait assisté à la séance de cinéma. Le brigadier, qui pour être gendarme n’était pas dénué d’humour, conclut dans son rapport que Dagobert avait dû se suicider par dépit amoureux.
L’atmosphère dans la localité se ressentit longuement de  cet épisode, d’autant plus que Sauveur, qui avait racheté un âne, s’avisa de le baptiser du prénom de l’ennemi juré. Va donc pour Joseph, ce qui permettait aux Alfonsini  lorsqu’ils passaient devant la ferme Scagliola de bastonner leur bourricot  en s’exclamant :
—  Joseph, maudite carne, je vais t’apprendre à vivre, feignant !…
Et autres amabilités du même tonneau.
Les Scagliola ripostèrent en appelant leur chien de garde Sauveur et en le rouant de coups au passage de l’âne d’Alfonsini tout en proclamant que « Ce gueulard de Sauveur n’était qu’un sale bâtard ». Bref, on baignait dans le consensus.
 Cela aurait pu durer longtemps encore si le curé n’était intervenu pour faire cesser cette mascarade en arguant que d’affubler des animaux de noms chrétiens relevait de l’hérésie et que les comptes risquaient de se régler un peu plus tard, « là-haut ».
Bien des années se sont écoulées depuis ces événements. Certes, les rapports  entre humanoïdes ont gagné en sérénité depuis  que les répétitives émissions quotidiennes de télévision ont fait oublier les semestrielles « TOURNÉES FIATLUX », cloîtrant chaque famille dans son petit univers; cependant nous sommes quelques anciens à regretter les « Fièvres » d’antan. Des 4X4 arrogants ont remplacé les Dagobert sentimentaux de jadis mais se sont des monstres sans âme  que ne sauraient émouvoir les premières senteurs descendant du maquis et, pour tout vous dire, je crois que l’on s’ennuie un peu dans notre village. Il paraît même, mais je n’ose le croire, qu’un Alfonsini épouserait prochainement une Scagliola. Quelle époque !…
Le gyrus cingulaire
Antoine était un garçon qui ne rêvait pas. Ses réveils avaient l’éclat blanc et nacré des coquillages vides. Derrière ses paupières closes, rien ne germait dans l’argile sèche de ses nuits. Pas un souffle de vent sous les étoiles de son firmament.
Emeline était une fillette qui rêvait plus qu’elle ne vivait. Ses réveils mettaient fin chaque matin à la dernière séance de la nuit. Sur la face cachée de ses paupières étaient projetés les films les plus fous, des histoires de princesses à la chevelure vermeil, de voyages au-dessus des nuages, de montgolfières bariolés et d’animaux ailés. Devant son bol de céréales, elle fredonnait l’air entêtant du générique de fin du rêve qui venait de s’achever.
Dans la cour de récréation, Emeline s’asseyait chaque jour sur le banc à l’ombre du tilleul, et racontait le film de la nuit à un parterre de bermudas trop larges et d’oreilles grandes ouvertes. Antoine se tenait à l’écart, mais ne perdait aucune miette des belles histoires d’Emeline. Il aurait tant aimé lui aussi, sous son édredon, remonter les torrents, se balancer de liane en liane, vaincre monstres et dragons, dévorer des pièces montées gargantuesques, mais aucune séance n’avait jamais lieu sous ses étoiles à lui. Sous son crâne, sa salle de cinéma était close, il n’y avait ni bobine, ni projectionniste pour les faire vivre derrière ses paupières fermées. Tout le monde rêvait, sauf lui. Même les adultes avaient leurs séances nocturnes, Antoine avait pu s’en rendre compte en allant observer, une nuit, son père qui dormait sur le dos : de sa bouche grand ouverte lui était parvenu le même vrombissement que celui produit par le projecteur, lorsqu’ils allaient voir un film au cinéma du centre-ville, le dimanche après-midi. Mais où se procurer les fameuses bobines ?
A l’école, un jeudi matin, la maîtresse avait écrit en haut du tableau « Leçon de sciences naturelles », puis avait affiché au-dessous un poster effrayant. En son centre, une tête coupée comme une pastèque, dans laquelle on pouvait voir un mystérieux chewing-gum grisâtre qui semblait déjà tout mâchouillé. « Voilà votre cerveau, mes enfants », avait annoncé fièrement la maîtresse en pointant le chewing-gum. Tous les enfants, sidérés, palpaient sans un mot leur crâne lisse et rond sous leur tignasse blonde. C’est ce jour-là qu’Antoine remarqua, au centre du cerveau, une curieuse forme arrondie qui semblait enroulée sur elle-même. Lorsque la cloche sonna, il sortit du tumulte et s’approcha de l’affiche. Le drôle d’objet qu’il avait repéré était désigné par la légende comme le « gyrus cingulaire ». Un nom incompréhensible qui n’avait pas beaucoup d’importance pour Antoine, puisqu’il avait reconnu là la preuve qu’il cherchait. Tout le monde avait donc une petite bobine au centre de la tête, mais lui n’avait pas de projectionniste pour rêver comme les autres. Il aurait tant donné pour héberger, lui aussi, un petit artisan dans son crâne d’enfant.
La nuit même, il se leva sans bruit et s’introduisit dans la chambre de ses parents. Son père était endormi et l’on pouvait entendre le bourdonnement irrégulier d’un film qu’on projette. Antoine s’approcha de la bouche béante de son père, espérant y voir le petit projectionniste s’affairer sur sa machine. Mais il n’y vit qu’une luette molle et flasque battre le palais paternel. C’était pourtant par-là que le petit être devait passer pour rejoindre son poste, à la nuit tombée, et faire tourner la bobine du gyrus cingulaire. Au petit matin, il devait donc sortir également par cet orifice, pour aller se cacher en attendant la nuit suivante. Antoine s’assit à côté du lit et entreprit de guetter la sortie du petit projectionniste, jusqu’au matin s’il le fallait. Il ne quittait pas des yeux cette grande bouche qui s’ouvrait et se fermait sous la moustache brune de son père. Au matin, les parents d’Antoine furent fort surpris de le voir endormi à côté de leur lit.
Fort de l’expérience de la veille et conforté dans sa certitude d’avoir découvert le secret de ces rêves dont il était privé, Antoine se posta, le lendemain, bien en face d’Emeline lorsqu’elle s’assit pour conter, comme chaque matin, les histoires de sa nuit. Son gyrus cingulaire devait être exceptionnel et son projectionniste avait un talent fou. Emeline avait des lèvres fines et vermillon, une bouche large et bien découpée, qui se tordait en tous sens lorsqu’elle racontait ses séances nocturnes. Elle avait cette faculté peu commune de pouvoir sourire en parlant, et son visage semblait aussi élastique que le chewing-gum du tableau. Il y avait largement la place entre les commissures de ses lèvres pour qu’un petit être puisse y pénétrer discrètement, le soir venu, et lancer la machine à rêves. Antoine resta pendu à ses lèvres d’Emeline, les yeux rivés sur cette bouche qui se tordait dans toutes les directions, baigné dans ce flot de paroles qui se vidaient de leur sens en franchissant ses tympans. Ce jour-là, le rêve d’Emeline n’aurait pas enchanté les critiques, le scénario était bancal, les rebondissements rares et attendus, les seconds rôles plutôt médiocres. Son public en culottes courtes se dispersa peu à peu, et Antoine se retrouva seul à observer les lèvres d’Emeline s’agiter en tous sens. Quand le silence se fit, le regard du petit Antoine se déporta un peu plus haut sur le visage d’Emeline, jusqu’à ses grands yeux vert pastèque : il s’y baigna un instant, puis fut sorti de ses rêveries par la douce voix d’Emeline : « Merci de m’avoir écoutée jusqu’au bout », lui dit-elle avec deux feux de joie sur les joues. Les matins suivants, Antoine fut convié à des séances privées : Emeline s’était assise tout au fond de la cour sous le paulownia fleuri, et lui susurrait à l’oreille les scénarii farfelus de ses projections nocturnes. Il devint, au fil des semaines, son seul spectateur, le cinéphile fidèle qui l’écoutait sans bruit, ne perdant pas un mot des récits de sa nuit.
Un vendredi après-midi, sous ce même paulownia, Antoine nagea plus longtemps que de coutume dans l’iris d’Emeline. La jeune fille s’était tue, sa bouche en fleur était close. Mais soudain elle bourgeonna, et Antoine la vit grossir, grossir, et s’approcher de la sienne jusqu’à ce que leurs lèvres se touchent. Ce contact tiède et lumineux ne dura qu’un instant, mais laissa Antoine tout chose, perdu derrière ses paupières closes. Cette nuit-là, il rêva pour la première fois, et compris qu’entre quatre lèvres, l’espace est bien suffisant pour laisser passer en toute discrétion l’artisan des plus belles projections.
Jardin secret 
–Samedi 30 mars
Pas de cours ce matin.
Je ne suis pas seul à être content ! Mais pour quelles raisons mon prof sèche ses cours ? Des réponses m’effleurent l’esprit- une, puis deux, puis trois- sans se poser, et filent comme l’oiseau dans le vent : mes neurones ne veulent pas savoir, « circulez, sans intérêt !» Car ce qui leur importe, c’est cette belle matinée de farniente, à ne rien faire, qui les attend!
J’ai trainé au lit, comme papa-maman, sauf Pierre- mon frère aîné- qui n’a pas eu ma chance : les siens sont tous présents : pas de grippe, pas de déprime, pas de fausses excuses, prêts à délivrer la bonne parole à leurs élèves!
Il est en 3ème– moi en 6ème, dans le même collège.
J’en profite pour actualiser mon journal, tranquillement, et sans crainte d’être surpris.
Car mon frère m’épie, me surveille : il a deviné que je fais quelque chose que je lui cache, que je veux garder pour moi, sans vouloir partager, et ce mystère l’énerve.
Comme une piqûre de moustique, mon secret l’irrite, le gratte, le démange, il veut savoir ; alors il me guette, allant même jusqu’à fouiller dans mes affaires- oh, avec ruse et habileté, pour ne pas être découvert- mais je connais trop bien ma chambre et l’agencement de mes placards pour ne pas m’en apercevoir.
Donc ce matin est jour de veine: je peux écrire tout à mon aise.
Papa-maman connaissent peut-être mon secret, mais ils ne cherchent pas à savoir plus : heureux que leur fiston gribouille, et respectueux de ses mystères ; et puis, Balzac a commencé ainsi, alors ??
Le petit serait-il un nouvel Hugo en herbe, un jeune Zola couchant sur le papier ses premières pages?? Les parents sont ainsi : heureux que leurs oisillons essayent leurs ailes !
Mon frère m’aime bien, mais je suis son cadet ; à l’affection se mêle sans doute une pointe de jalousie, le dernier semblant toujours à l’aîné le chouchou de la famille.
Et puis surtout il est dans l’âge dit « ingrat », l’âge « bête » ; en 3ème, rien ne va plus : il y a les filles, les poils qui poussent, l’acné, la crise d’ado, quoi !
Et comme le sont pour lui ses profs et les parents, je suis une de ses cibles ! Alors il me cherche ! Et il cherche !
Et il me le montre ! Je le vois bien à son sourire moqueur, son œil narquois, façon de dire : «  je sais bien que tu caches quelque chose » et « je vais bien finir par trouver ».
Oh, il ne me dit rien, mais son attitude vaut cent discours.
 Quand il me regarde ainsi, je me sens mal ; je me recroqueville dans mon coin, je m’absorbe dans ma lecture ou mon travail, je me fais silencieux, tout petit, je m’efforce d’être invisible ; je ne veux lui donner aucun signe qui le conforte dans son idée, ni lui montrer la panique qui m’habite.
Car je ne veux pas qu’il trouve mon journal, qu’il le lise.
Non pas qu’il contienne des choses honteuses, à cacher et à taire, mais ce qui est écrit ne regarde que moi. Mes petites choses au quotidien, mes évènements, mes pensées, mes sentiments, mon vécu au fil des jours.
Je suis en 5ème, et dans ma classe il y a une fille- Isabelle- qui me plait bien. En suis-je un peu amoureux? Elle n’en sait rien, mais elle s’en doute peut-être car mon regard la cherche souvent, surtout à son insu; je ne lui ai dit que des bonjours-bonsoirs, et des banalités de collégiens ; en classe, ou dans la cour du collège, mes copains comptent plus que les filles, et je n’ai pas osé aller davantage vers elle. Il faut dire qu’elle ne m’a pas cherché non plus !
Mais si mon frère découvre mon journal, je le connais, il va le divulguer, battant tambour, en faire ses choux-gras auprès de papa-maman, en parler au déjeuner, au diner, le matin, le midi, le soir, sans cesse, en riant, en se moquant, lançant mille piques à mon intention, et aussi auprès de ses copains et de ses copines ; il est possible même qu’il vende la mèche à Isabelle : « Tu sais, mon frère Philippe, qui est dans ta classe, eh bien il est amoureux de toi »
Et il ajoutera- c’est certain- histoire de bien marquer le coup: « Et grave ! »
Oh, la honte ! Non, je n’ose pas imaginer qu’une telle chose puisse arriver !
Non pas que mon frère Pierre soit méchant, me veuille du mal, non il m’aime bien- et d’ailleurs nous nous entendons bien- mais il le ferait par bêtise, parce que c’est de son âge d’agir ainsi.
Je ne me prends pas pour un saint, mais ses histoires- et il en a avec des copines, je le sais- ne m’intéressent pas plus que çà, et je ne vais pas cafarder sur son compte.
Cet après-midi j’irai au foot jouer mon match avec l’équipe minime, une rencontre difficile contre les premiers de la poule.
Mais avant de quitter la maison, il faut absolument que je change la cachette de mon journal ; car je suis sûr que Pierre va profiter de mon absence pour mettre à nouveau son nez partout chez moi, sortir sa loupe de Sherlock Holmes pour saisir l’objet du délit fraternel !
Pas facile de trouver un endroit sûr, ma chambre est petite, je n’habite pas un vieux manoir plein de mystères, et les coins secrets qui y abondent tels que murs creux, cavités dissimulées, faux plafond ou lames de parquet disjointes où je pourrais glisser mes écritures n’existent pas ici. Et Pierre n’est pas né de la dernière pluie, un cahier glissé dans une pile de chemises ou de pulls, il sait trouver !
Oh, voilà, eurêka ! Sous le lavabo, tout contre le siphon ! Bien comme cachette, non ?
Pierre n’aura sans doute pas l’idée de regarder à cet endroit, et si par infortune il l’a j’espère qu’il hésitera à vérifier : il sait bien que si papa-maman le surprennent là, il ne pourra répondre-comme il l’a fait à plusieurs reprises- qu’il veut m’emprunter un crayon ou une gomme : il n’y a pas de gomme ni de crayon sous le lavabo !
«Philippe, à table ! » C’est maman qui m’appelle pour déjeuner; je vais donc arrêter mon journal, je le reprendrai plus tard.
–Dimanche 1er avril
Ma cachette est bonne
Comme je le pressentais, Pierre est venu dans ma chambre hier pendant que j’étais au stade ; mes chemises, mes chaussettes ont bougé, mes cahiers, mes livres ont été déplacés.
A table le soir, je l’ai senti contrarié, grognon.
Il s’est accroché avec papa, avec maman ; il m’a lancé une pique à propos de mon match : « Alors, Zidane, combien de buts aujourd’hui ? »
Lui, il fait du basket ; alors forcément ma passion pour le foot est en première ligne de sa mauvaise humeur.
Aujourd’hui dimanche, déjeuner en famille
Puis sortie, toujours en famille, à Paris
Pour une fois, Pierre est content, il ne râle pas, ne ronchonne pas, c’est mon grand frère sympa ; ensemble, nous passons un bon après-midi.
–Mercredi 4 avril
C’est mon anniversaire  dimanche prochain. Encore quatre jours à attendre, comme c’est long ! Car mon cadeau est ce que je désire par-dessus tout: un ordinateur !
Il y en a un déjà dans la maison, qui sert à tout le monde- sauf à Pierre qui a le sien- et dont j’use quand j’ai envie d’explorer le Net ou pour mes cours pour des recherches à faire.
Mais je ne m’en sers pas pour écrire mon journal.
Avec le mien prochain c’est ce que je vais faire ; et même en toute priorité! Pages écrites et celles à venir : toutes sur mon disque dur ! Avec un code d’accès secret si compliqué et un classement tel qu’il sera impossible à Pierre de le trouver, si jamais il ose venir taper sur mon clavier !
Oh, vite dimanche ! Vite !
–Vendredi 7 avril
Isabelle m’a jeté un drôle de regard cet après-midi, et m’a souri ; j’en ai été tout retourné ; je lui ai rendu son sourire ; c’était en math, pendant le dernier cours.
Me sourira-t-elle une nouvelle fois demain ?
Pierre a encore fouillé ma chambre
Je suis vraiment inquiet. Vivement dimanche !
–Samedi 8 avril
C’est la veille de mon anni.
Demain mon bel ordi !
Comme tous les samedis, je vais aller au foot ; mais un pressentiment désagréable freine mon enthousiasme ; je traine des pieds pour préparer mon sac.
–Dimanche 9 avril, lundi 10 avril, mardi 11 avril : pages blanches
–Mercredi 12 avril
J’arrive à nouveau à écrire mon journal.
Pendant trois jours j’en ai été incapable.
Comme d’ailleurs je n’ai pas pu aller au collège lundi et mardi: si bloqué, si noué de l’intérieur que je pouvais à peine m’exprimer, ni davantage écrire.
Aujourd’hui je vais mieux.
C’est ce qui s’est passé samedi qui a été la cause de tout.
Quand, mon match terminé, je suis rentré, j’ai aperçu Pierre qui se tenait près de la porte, appuyé contre le mur, les mains derrière le dos.
M’attendait-il ? Sans doute, car à peine me vit-il que toute sa physionomie changea: un grand sourire, une joie intense dans le regard! Quel accueil ! Tout ça pour moi? Je n’étais pas habitué à une telle fête !
Pourquoi Pierre paraissait si content de me voir ? En le voyant ainsi si satisfait, j’ai su aussitôt qu’il se passait ou allait se passer quelque chose de déplaisant, mais quoi ? Une angoisse diffuse m’a alors saisi.
Et pressentant un danger, inquiet, j’ai ralenti mon pas.
Pierre, lui, sans changer d’attitude, toujours immobile contre le mur, m’a laissé approcher.
Comme un chat qui voit la souris venir.
C’est alors qu’à deux pas de lui, vif comme un prestidigitateur qui fait son tour, il a ressorti sa main de son dos: « Et hop ! Regardez Mesdames, regardez Messieurs ! » Puis, hilare, il a exhibé mon journal, le brandissant et l’agitant comme un drapeau, le passant et le repassant dessous mon nez, en trompetant joyeusement : « Je l’ai trouvé ! Je l’ai trouvé ! »
Et il a recommencé, recommencé !
Oh, comme j’ai eu mal !
A l’intérieur de moi, je ne sais où : âme ?esprit ?cœur ? tous ensemble sans doute se sont déchirés ; si brutalement, si profondément !
Ma douleur a été immense, je n’avais jamais eu mal aussi intensément : j’ai hurlé !
Mon cri a fusé de tout mon être souffrant avec une violence si grande et une telle force que Pierre a été stupéfié, suspendant instantanément le va-et-vient de sa main.
Et je me suis jeté sur mon frère comme une furie ! Hurlant, criant, poussant des grognements, pleurant ! De tout mon corps, de tous mes muscles, de toute mon énergie bandée je me suis jeté sur lui !
Et je l’ai griffé ! Autant que j’ai pu ! De mes deux mains tendues crochées comme des griffes!
Et je l’ai mordu jusqu’au sang ! De toutes mes dents, canines et incisives comme des couteaux ! Avec des grognements venus du plus profond de moi!
J’avais des larmes plein les yeux, je ne distinguais plus rien, sauf mon frère dans un brouillard d’eau ; j’étais comme fou, et roulant ensemble à terre, empoignés tous les deux, j’ai continué à le griffer et à le mordre de toutes mes forces, hurlant de toute mon âme blessée !
Papa-maman sont sortis sur le seuil, inquiets de mes cris.
Pierre a reçu une grande claque, ponctuée d’un virulent : « Imbécile ! » ; la marque sur sa joue a duré plusieurs jours, comme ses multiples griffures.
Moi j’ai pleuré longtemps, longtemps, j’étais inconsolable.
Depuis, Pierre ne m’a plus embêté ; il n’a parlé à personne de mon journal, ni à ses copains-copines, pas davantage à Isabelle ; la claque de papa n’y est pour rien : Pierre m’aime bien et s’en voulait beaucoup du mal qu’il m’avait fait et regrettait ; hier, il est venu près de moi : « Excuse-moi, petit frère, j’ai été con ! »
Malgré les excuses de Pierre, malgré les consolations de papa-maman et ces trois jours passés, j’ai mal encore. Ma blessure a été si profonde.
C’est que mes histoires ne regardent que moi, ce sont mes histoires, elles sont à moi, mes secrets sont mes secrets, ils sont à moi : à personne d’autre.
Le jardin de monsieur Victor
  – Encore de vieux livres, ramassés dans les poubelles, à ce que je vois, monsieur Victor ?
  – Je ne peux m’en empêcher ! Chacun ses manies !
  – Vous devez en posséder des milliers ?
  – Vous savez, on ne possède pas les livres. Ce sont eux, qui bien souvent nous possèdent.
  – La solitude ne vous pèse pas ?
  – Pas du tout ! Je ne suis jamais seul ! J’ai mes livres ! Je m’occupe ! Je cultive mon jardin !
  – Vous êtes alors un familier de Voltaire ?
  – J’aurais bien aimé ! Un grand admirateur, assurément !
  – Mon cher bibliophile, je vous souhaite de belles lectures. A une prochaine fois !
  – A la prochaine ! N’oubliez pas ! Si certains de vos livres ne vous intéressent plus ? Pensez à moi !
  Monsieur Victor se dirigea vers l’entrée. La façade était quelconque.
Une maison comme tant d’autres dans ce quartier paisible.
  Le seuil franchi, cette impression fondait comme neige au soleil.
Cette demeure s’avérait unique. Impossible d’en trouver une, similaire ! Même ressemblante !
Des murs et des murs de livres !
Monsieur Victor avait savamment orchestré son affaire.
Comme certains égaient leurs murs de papiers à tapisserie, lui, avait quadrillé toutes les parois de son habitation, de rayonnages,  réglés aux dimensions exactes des différents ouvrages.
Pas le moindre pan de cloison, nu.
Des milliers et des milliers de volumes dont il connaissait, de chacun, la place exacte.
  Des romans bien sûr, en écrasante majorité. Mais aussi des essais, des nouvelles.
Des écrits philosophiques côtoyaient goulûment des manuels de cuisine, des ouvrages d’art cherchaient leur nord auprès de précis de géographie, des bandes dessinées tutoyaient des encyclopédies. L’hôte ayant horreur des étiquettes, que l’on colle par commodité, sur le front des auteurs, avait obéi au rangement par format.
Ainsi la barbe fournie de Léon Tolstoï venait chatouiller le sec catalan Ludovic Massé.
Le regard azuréen de Jean d’Ormesson, plus vif et pétillant que jamais, tentait de dérider le sombre Friedrich Nietzsche perdu dans ses aphorismes. L’aubagnais Marcel Pagnol expliquait dans un anglais, qu’il avait professé, le mystère des sources, au californien John Steinbeck.
Un éclectisme anachronique, à l’origine de débats secrets, aussi animés qu’insolubles.
  Quand Monsieur Victor affirmait qu’il n’était jamais seul, il disait vrai. La maison était pour le moins habitée, voire surpeuplée. Combien de locataires ?
Il ne s’était jamais posé la question. La situation évoluait d’un jour à l’autre. Quelques-uns changeaient de place. Certains entraient, tandis que d’autres sortaient.
Une lourde responsabilité que de gérer tout ce petit monde. Il le faisait avec autorité et bienveillance.
  Ce goût de lire ? D’où lui venait-il ? A soixante-dix-sept ans, il l’ignorait toujours.
Né à la campagne, dans une famille pauvre, il avait plus ou moins fréquenté l’école.
Très tôt, on le fit participer, contre quelques piécettes, aux travaux des champs.
Comment apprit-il à lire ?  Il ne savait l’analyser avec lucidité.
A chaque fois que la question lui avait été posée, il avait répondu de façon analogue :
  – J’ai  appris à lire, en lisant !
Ce qui faisait peu avancer son questionneur !
  Haut comme une petite pile de livres, il lisait tout ce qui lui tombait sous les yeux.
Son coin favori, en cette période, les toilettes.
Personne n’avait l’idée de l’y chercher. Percées par un clou planté dans le mur, des bandes de journaux quotidiens, étaient utilisées pour se refaire une propreté. Il s’installait et lisait.
Des extraits d’articles de politique, des bribes de compte-rendus sportifs, des avis
mortuaires…
  Dans les maisons paysannes, où on le faisait parfois entrer, pour se réchauffer d’un vin chaud, pas l’ombre d’un ouvrage. Il rêvait d’avoir  un livre bien à lui.
Il osa, un jour, demander à son père, si avec l’une de ces petites pièces qu’il venait de gagner, en travaillant durement, toute la journée dans la terre, il pouvait réaliser son rêve.
Il se heurta à une incompréhension totale. Un refus, bien sûr. Mais un rejet sans méchanceté
Aucune. Analphabète, celui-ci ne voyait strictement pas l’utilité, d’acquérir l’un de ces paquets
de feuilles de papier, remplies de chiures de mouches. Un plantoir, une bêche, une fourche, d’accord ! Mais un livre ?
La mère était malade. Il fallait contenter les bouches à nourrir de la maisonnée.
Ce désir le taraudait. Il y pensait en s’endormant. L’idée était toujours présente à son réveil.
  Prenant son courage à deux mains et il en fallait pour effectuer cette démarche, il alla frapper
à la porte du maître d’école. N’y venant que rarement, il s’attendait logiquement, à une fin de non recevoir. Il se trompait abondamment.
Sous une apparence bourrue, monsieur Cortade aimait profondément les enfants. Exigeait
beaucoup d’eux. Mais connaissait parfaitement la situation de chacun et savait adapter son
attitude en conséquence.
  – Excusez-moi de vous déranger, monsieur, mais je voudrais avoir un livre. Oh ! pas un livre
à moi. Je le lis. Je le rends !
  La démarche de ce petit bouseux, l’émut aux larmes. Il se reprit et demanda :
  – Mais tu sais lire ?
  – Oui, monsieur.
  – Et comment as-tu appris ?
  – Je ne sais pas monsieur. J’ai appris à lire en lisant.
– Alors celle-là, tu me la copieras ! J’ai des élèves tous les jours dans cette classe, qui
m’épuisent, tant ils résistent au moindre apprentissage et toi qui du matin au soir t’escrimes
dans les champs, tu saurais lire ?
  – Oui, monsieur.
  – Mais tu sais lire comment ? Un peu, tu annones, tu déchiffres ?
  – Je lis, monsieur.
  – Alors là,  j’avoue volontiers que tu m’en bouches un coin.
Monsieur Cortade ouvrit l’armoire de la classe et en tira un ouvrage. Un recueil de poésie. Il l’ouvrit au hasard. Plaça le livre bien à plat, sur le bureau, devant Victor.
– « Milly ou la terre natale – Pourquoi le prononcer ce nom de la patrie ? Dans son brillant
exil, mon cœur en a frémi …   – Objets inanimés avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? – Alphonse de Lamartine. »
  Il y eut un long silence que l’enfant rompit :
– C’est beau !
– Mais, tu es incroyable mon petit Victor. Non seulement tu sais lire, en respectant la ponctuation, les groupes de souffle, mais de plus, tu comprends ce que tu lis. Et le comble, tu aimes la poésie ! Je te félicite. Je n’y comprends rien, mais alors rien du tout, mais je suis fier de toi !
  Il venait de recevoir de nouveaux ouvrages pour la bibliothèque de classe. Il en choisit un et y écrivit quelques mots.
  – Tiens petit ! Celui-là je ne te le prête pas. Il est à toi. Quand tu l’auras terminé, reviens,
je t’en prêterai d’autres. Allez-file !
  Victor rentra à la maison son trésor caché sous sa blouse. Dès qu’il le put, il s’isola et osa
enfin lire le titre de l’ouvrage. « Les trois mousquetaires » d’Alexandre Dumas. Il l’ouvrit et
sur la page de garde, il put lire « A Victor, fier d’Artagnan de la lecture !»
Il passa sa première nuit blanche. Au matin, il était devant le portail de l’école.
  – Alors Victor tu nous reviens ? Tu reprends le chemin de l’école ?
  – Non, monsieur aujourd’hui, je suis loué pour les Arthaud. Vous m’avez dit que je pourrais revenir, quand j’aurai fini le livre !
  – Tu l’as lu dans la nuit ?
  – Oui monsieur.
– Ne bouge pas. J’arrive.
  Il revint avec un nouveau livre. Il faudrait le rendre celui-là. Avant de partir pour les champs, Victor en regarda rapidement la couverture. « Les lettres de mon moulin » d’Alphonse Daudet.
Il le fourra sous sa blouse et partit en courant.
  L’un après l’autre, il écuma tous les livres de la bibliothèque scolaire.
  Victor grandit. Pas de scolarité, pas de diplôme. Pas de diplôme, pas d’emploi autre que
ceux proposés par la terre. Hors, la crise touchait gravement un monde agricole qui n’embauchait plus. Il ne pouvait rester dans le milieu familial comme bouche à nourrir.
Monsieur Cortade conscient de sa situation, rédigea une lettre de recommandation pour le patron de la plus ancienne librairie de la ville, qu’il comptait parmi ses amis.
  Le jeune homme fut embauché comme magasinier.
Il déballait les ouvrages. Faisait office de commissionnaire,  apportant des volumes en
commande à de fidèles clients. Il  logeait dans l’arrière boutique. Son maigre salaire ne lui permettant pas de louer la moindre petite chambre. Il devint par la même occasion gardien de
nuit.
   Il avait voulu des livres, il était servi. De sept heures le matin à dix-neuf heures le soir, il accomplissait sans rechigner toutes les tâches qu’on lui confiait. A midi, il déjeunait sur place
avec tous les employés. A la fermeture du soir, monsieur Coste conscient d’avoir embauché
un vaillant parmi les vaillants, l’emmenait dîner dans le superbe appartement qu’il occupait au deuxième étage de la même bâtisse. Puis, il redescendait avec l’immense bonheur de plonger dans cet univers de livres.
  Dans les premiers temps, tant d’ouvrages l’appelaient qu’il se retrouva ballotté dans tous les
sens. Petit mousse peu amariné, dans un canot chahuté par la houle.
Il apprit à les connaître et sans les dompter, parvint à faire valoir son libre choix.
Dans les deux années qui suivirent, sans prétendre avoir lu tous les recueils, il prit le dessus
sur cette masse mouvante.
S’il ne connaissait pas intimement chaque livre, il connaissait toutes les familles, arrivait à tisser les bons liens de parenté.
  Le jeune homme avait surpris son patron.
Lorsqu’un vendeur se trouvait embarrassé par un client, demandeur d’un ouvrage, si rarement vendu, que le professionnel en ignorait jusqu’à son existence, Victor intervenait. Il faisait coulisser l’échelle sur son rail et allait dénicher le livre, tout en haut des rayonnages
bien tranquille, endormi dans son coin. D’autrefois, à des hésitations, il tranchait, apportant une réponse immédiate. Il connaissait parfaitement sa boutique.
  Il excellait dans les parutions. Les nombreux éditeurs, envoyaient quotidiennement, aux
Libraires, des ouvrages qui ne seraient mis sur le marché que dans les mois à venir. Comme il
était chargé d’ouvrir les cartons, systématiquement, la nuit, il s’offrait leur lecture.
Au dîner, rituellement, monsieur Coste interrogeait son magasinier sur les livres à paraître.
Non seulement Victor était capable de donner son opinion, mais de plus, il était apte à
en parler avec un avis de libraire.
  Tel auteur, pilier de telle maison d’édition, proposait son énième ouvrage. Il faudrait en commander en quantité, car les clients le demanderaient, se basant sur sa réputation ou dans le souci de compléter une suite. En fait,  il s’agissait visiblement d’une commande, que l’auteur avait honorée, en omettant d’y adjoindre envie et talent. Par contre, chez tel autre éditeur, plus modeste mais plus téméraire, un auteur nouveau venait de produire une pépite. Il faudrait pousser les habitués à le découvrir, en survendant le livre, en le mettant en valeur sur
les présentoirs.
  Très rapidement, Victor devint le conseiller référent de la librairie et fut chargé d’établir le carnet de commandes. Essentiel. Indispensable. Les lecteurs assidus venaient échanger leur point de vue avec lui. D’autres attendaient qu’il soit libre, faisant mine de feuilleter des
ouvrages, alors que des vendeurs disponibles se trouvaient à côté d’eux.  Chacun voulait être conseillé et servi par monsieur Victor.
Après quelques années de gestionnaire, conseiller, il fut en mesure d’acheter une maison avec
jardin aux abords de la ville. Il dépiautait toujours les envois d’éditeurs, marqués du tampon
« spécimen », avec la même frénésie. Etant interdits à la vente, le patron lui donna
l’autorisation de les conserver. Il continuait à lire beaucoup.
  Il lisait vite. S’en était aperçu, très tôt. Il avait cette faculté d’avaler les ouvrages en un rien de temps. Un don, qu’il avait inconsciemment, sans doute bonifié, au fil de ses innombrables lectures. Il s’en voulait d’ailleurs. Cette vitesse de lecture écourtait forcément son plaisir.
  Outre cet appétit qui lui permettait de dévorer comme personne, tout ce qui était lisible, il était doté d’une mémoire éléphantesque. Il n’oubliait rien de ce qu’il avait lu.
   Lentement mais sûrement, sa propre maison s’était transformée en une librairie privée.
Aux personnes qui le questionnaient sur ses facilités à lire autant, sur son aptitude à se rappeler tel détail, de tel livre, il répondait simplement : « je les aime ! »
  Sa vie professionnelle s’écoula comme la lecture d’un livre. La sensation d’avoir lu un instant. A peine avait-il passé l’incipit qu’il se retrouvait en quatrième de couverture.
Il vécut son départ avec simplicité. Sans regret, ni amertume.
  Sa demeure l’attendait. Il quittait la maison du livre pour s’installer dans sa maison de livres.
Avec le temps, les parois s’étaient intégralement recouvertes. Il avait même pu s’offrir le luxe d’opérer des choix. De ne conserver que les livres qu’il aimait ou qui l’intéressaient. Ceux qui ne le satisfaisaient pas repartaient dans des cartons.
  Impensable de jeter le moindre livre. Un acte au-dessus de ses forces. Il n’aurait jamais pu.
En faire don ? S’il trouvait ces ouvrages sans intérêt, en les offrant, il proposait un cadeau empoisonné. Alors, que faire ? Ce questionnement revenait de façon récurrente quand il
croisait ces cartons. Cette problématique le taraudait au point de le perturber dans ses lectures.
  Derrières la maison, à l’abri des regards, se trouvait le jardin.
A l’acquisition de la maison, il s’était totalement désintéressé d e cet espace. Chaque matin, il
Tombait sur cette terre redevenue sauvage. Une friche hideuse. Rapidement, elle lui fit éprouver un sentiment de culpabilité.
  Il décida donc de se mettre à l’ouvrage et nettoya cet espace.
Il trouva vite un équilibre entre l’activité physique fournie pour le débroussaillage et ses
lectures permanentes. L’une sollicitait son corps. L’autre son cerveau.
  Dans son élan, il s’initia au jardinage. Revenant à une activité qu’il avait exercée par
Obligation, étant jeune, il n’eut aucun mal à réussir. Très vite, son potager lui apporta quotidiennement, des légumes colorés et goûteux.
  Sans l’avoir prémédité, il se retrouvait avec les deux nourritures qui lui étaient essentielles.
Au jardin, il trouvait de quoi satisfaire les appétits du corps, dans les étagères les faims de
l’esprit.
Ces livres remisés dans les cartons continuaient à perturber sa tranquillité intérieure. Il savait
qu’il ne les jetterait pas et qu’il ne les donnerait pas. Il lui fallait trouver une solution pour retrouver la paix.
  C’est courbé sur un sillon, que l’idée lui vint. Une idée folle. Totalement loufoque. Pour
l’homme de mots qu’il était, une solution logique. Imparable.
Pendant quelque temps, il courut la campagne, une pioche sur l’épaule. Il était à la recherche d’arbres qui portaient beau. Des solides, des matures, bien équilibrés, bien plantés sur leurs
racines.
  Quand il en choisissait un, il s’approchait et fouillait les alentours à la recherche de rejetons.
Ces pousses incontrôlées, complètement sauvages, ces arbres en devenir. Il piochait large afin
de ne sectionner aucune racine, prélevant un pied chaussé d’une grosse motte de terre. Il les
prenait très jeunes.
  Le jardin était cerné sur les côtés et au fond par une haie de cyprès. Il garda la partie qui jouxtait la maison comme potager. Planta une haie de roseaux séparant le lopin en deux. De la maison, on ne pouvait discerner que le potager.
  La mise en place de son projet ne supportait pas les regards indiscrets.
Il remua profondément la terre, lui permettant une respiration qu’elle avait oubliée. Il planta
ensuite ses huit arbres sur deux lignes espacées de six mètres.
  C’est à partir de cette phase de l’opération qu’il valait mieux qu’il ne soit pas observé.
Il sortit un carton de ces livres, au rebut. Saisit un ouvrage, arracha page après page, les
répartissant sur la terre. Puis de sa bêche, patiemment il enfouit le tout. Il prit un second livre et procéda identiquement. Tout en enterrant les feuillets il murmurait « Travaillez, prenez de la peine : c’est le fonds qui manque le moins. » Cette phrase revenait comme ces rengaines,
 qui s’installent dans un coin de la tête et dont on n’arrive pas à se débarrasser.
  – Les petits si Jean de la Fontaine dit bien, de fonds vous ne manquerez point !
  Il consacra ainsi son temps à mêler, au plus intime, les pages de livres à la terre.
Il avait fait le pari, dans un esprit peut-être trop plein de récits et d’aventures, de nourrir la
terre, de littérature. Les racines de ses arbres puiseraient dans ces milliers et milliers de lettres enterrées. Il pensait arriver à dompter la sauvagerie des végétaux et les conduire, tout
naturellement à produire des feuilles.
Qu’un arbre produise des feuilles, jusque là, rien d’extraordinaire !
Mais, il n’escomptait pas de feuilles vertes, comme savent si bien en fabriquer les arbres les plus communs. Il voulait de belles feuilles blanches, emplies de lettres de l’alphabet. Des pages racontant des histoires que seuls ses arbres seraient capables d’inventer.
  Le temps passa. Tous les arbres s’enracinèrent, sans problème et poussèrent allègrement.
A force de recevoir des feuilles de papier encré, la terre était devenue quasiment noire.
Il continua à la nourrir d’essais, de romans, de contes…
  Un jour, courant janvier, alors qu’il allait apporter sa fumure littéraire, il remarqua que deux des arbres, bourgeonnaient, contre toute attente en cette saison. Sur toutes les branches, de petits boutons blancs étaient apparus durant la nuit. Il était en train d’obtenir le fruit d’un travail acharné. Il pouvait observer la réussite d’une entreprise insensée, mais réfléchie et désirée. Il fut pourtant surpris par cette éclosion. Comme s’il avait fait semblant de croire à son aventure, sans penser une seconde qu’elle fut possible ?
  Les bourgeons s’ouvrirent rapidement. Chacun donnant trois à quatre pages froissées ou l’on pouvait distinguer des soupçons de signes encrés parfaitement illisibles. Les feuilles s’épanouirent, s’ouvrant et se défroissant chaque jour un peu plus. D’heure en heure, les pattes de mouche devenaient des signes distincts. Sans oser toucher à ces merveilles, il passait ses journées à tenter de lire ce que ces pages au format d’un livre, pouvaient bien proposer.
  L’arbre le plus précoce, commença à perdre lentement ses feuillets. Ils se détachaient et tournoyaient pour se poser avec douceur sur le sol.
Monsieur Victor les ramassait au fur et à mesure. Les pages étant numérotées, il les mettait en ordre. Lorsque l’arbre eut perdu toutes ses feuilles,  il avait entre les mains, un livre de deux cent cinquante-deux pages. Il ne réalisait toujours pas. Pendant ce temps, les autres arbres s’étaient réveillés et imitaient leur compère. Il avait réussi.
  Il lut le premier livre et s’émerveilla. Un roman. Une aventure de marins sur une baleinière
au xix° siècle.
Ecrit avec une légèreté digne des plus grands auteurs. Un style à la fois fort et fragile. Un vocabulaire que seuls les hommes de la mer, de ce temps-là étaient à même de connaître.
Une qualité d’écriture qu’il n’avait que rarement rencontrée.
Le second arbre lui offrit un recueil de nouvelles. Plus originales les unes que les autres.
Il avait donc réussi.
Il avait créé des littératuriers.
  Ses arbres puisaient les outils d’écriture dans cette terre, enrichie de milliers et de milliers de lettres. Le tronc devait répartir le flux de signes entre les différentes branches. Dans leurs multiples divisions, elles devaient organiser la pagination.
Mais où allaient-ils puiser cette inventivité, ce pouvoir de création ?
A force de patience et d’observation, sans en être toutefois, pleinement assuré, il pensait avoir trouvé ce secret.
  Le vent… Malgré les hautes et épaisses haies de cyprès, le vent s’insinuait partout. Il venait
Même, par temps calme, faire trembloter la ramure des arbres. Une vieille et solide complicité existait entre eux, depuis la nuit des temps. Ce souffle, venant de tous les coins de la terre, savait effleurer les branches en entonnant de petites mélodies. Monsieur Victor essayait de s’approcher discrètement pour entendre leurs dialogues. Il percevait bien des sons, mais ne les décryptait pas. Il était pourtant sûr qu’Eole, fort de ses lointains voyages, venait narrer à ces végétaux sédentaires, d’extraordinaires aventures.
  Les oiseaux… Au petit jour, on entendait déjà leur gazouillis répétitif et enjoué.
Ils ne venaient pas se poser là par hasard ? A qui racontaient-ils leurs histoires ?
Ces deux pies qui chaque matin venaient jaser, passant d’un arbre à l’autre.
Que venaient- elles faire, sinon narrer les derniers échos du monde alentour, imitant un sac de galets qu’on agite ? Et la huppe qui s’approchait plutôt vers midi, sa couronne toujours bien posée sur un bec aiguisé, que disait-elle dans ces incessants, pou-pout, pou-pout ?
Et la mésange, aux yeux outrageusement maquillés et aux ailes bleutées qui venait régulièrement zinzinuler parmi les feuilles blanches ? Que pouvait-elle susurrer ?
Bien plus discrets, les papillons, les sauterelles et les infatigables abeilles venaient alimenter dans leur murmure l’imaginaire des littératuriers.
   Même la nuit les bavardages ne cessaient pas. Un grand-duc et une hulotte insomniaques faisaient de longs discours dans les branchages.
Le bibliophile avait épuisé les cartons de livres surnuméraires et n’aurait touché à aucun prix aux ouvrages qui lui étaient chers.
Il fallait bien nourrir sa terre, s’il voulait continuer à avoir de nouveaux livres.
Il fit alors savoir dans le quartier qu’il était preneur de tous les livres traînant dans les maisons, les caves et les greniers.
En rentrant de faire ses courses il jetait un coup d’œil dans les poubelles et n’hésitait pas à prendre comme cadeaux ce dont les gens se délestaient.
  Il continue à travailler sa terre. Y enfouit, toujours, des milliers et des milliers de lettres de l’alphabet.
Récolte les livres que lui offrent ses littératuriers.
  Si cette expérience vous tente et souhaitez quelques conseils, vous pouvez le joindre.
Pour l’adresse, rien de plus simple. Il est toujours dans son jardin. Son jardin secret.
Et comme son nom l’indique, il l’est !
SURYA HAYA
« Si tu veux être heureux une heure, bois un verre ; si tu veux être heureux un jour, tue ton cochon ; si tu veux être heureux une semaine, fais un beau voyage ; si tu veux être heureux un an, marie-toi ; si tu veux être heureux toute ta vie, fais-toi jardinier. »
Proverbe chinois
L’heure du Tigre[1] venait de sonner et l’éclat de la faucille laiteuse qui découpait les nuages du ciel d’hiver ne permettait pas de discerner les ombres nocturnes. L’une d’entre elles, sans un bruit, glissait le long du mur nord du Palais de la Nourriture de l’Esprit. Elle traversa la route occidentale et pénétra dans la cour intérieure du Palais de l’Eternel Printemps, une des résidences des concubines impériales. Lorsqu’elle franchit la porte aux Hérons, les flammes vacillantes des lampions grenat déchirèrent les ténèbres et révélèrent un visage voilé où les yeux, deux puits d’ébène ourlés de khôl, brillaient d’un sombre éclat.
Elle serrait contre elle une écharpe de soie mordorée contenant des pétales de Surya Haya[2] qu’elle venait de voler.
« Maîtresse Wan ! »
La femme sursauta et se réfugia derrière un pilier.
« C’est moi, Jin… »
« Xuuuu[3] petit eunuque ! » siffla-t-elle rassurée en lui faisant signe d’approcher. « Prends-ça ! » Elle lui tendit son écharpe. « Tu dois les réduire en poudre fine et veiller à ne perdre aucune goutte de suc. Et il est préférable d’utiliser un dragon noir[4] pour masquer le goût floral du Surya. »
Le jeune eunuque entrouvrit les pans de l’écharpe afin de vérifier la qualité des pétales.
« Li Mei doit l’absorber avant la lune ronde ! »
Il hocha la tête en contemplant les fleurs-soleil aux couleurs vives.
« Disparaît maintenant ! »
Wan attendit d’être seule avant de remettre un peu d’ordre à sa lourde coiffure décorée de jade. Elle replaça une aiguille de nacre et porta la main à son cou.
Rien sur son collier !
Le sang colora aussitôt ses joues.
Perdue ?
Elle ressortit dans la cour précipitamment.
Mère la Lune n’éclairait que faiblement les pavés froids du parvis du Palais et les lampions ne diffusaient qu’une pâle lueur ; une lumière bien peu diffuse pour retrouver un objet égaré. Fort heureusement, un éclat d’argent renvoya aux yeux affolés de Wan les quelques rayons lunaires, comme si une étoile filante était tombée dans la cour. Elle se précipita sans précaution et ramassa le petit bijou d’orfèvre : la clé était d’argent ciselée d’or et des émeraudes sertissaient la tige sur toute sa longueur. L’anneau destiné à la prise en main formait une fleur en dentelle de métal.
Wan raccorda la clé à son bijou de perles rondes en cloisonné.
Elle recommença à respirer normalement.
Comment aurait-elle fait en ayant égaré cette clé ?
Sans un regard autour, elle regagna ses appartements.
Au coin de l’esplanade, derrière une statue de phénix, symbole de l’Impératrice, une silhouette encapuchonnée n’avait rien perdu du spectacle.
« Li Mei a perdu son enfant » annonça la dame de compagnie en passant un peigne en bois de buis dans la chevelure soyeuse de sa maîtresse.
Wan fit mine de sursauter et porta le dos de sa main sur son front. « Quelle horreur ! L’Empereur doit être fou de chagrin ! »
Chenghua, huitième empereur de la dynastie Ming, ne parvenait mystérieusement pas à enfanter malgré les très nombreuses concubines qui vivaient dans les six Palais de l’Ouest et les six Palais de l’Est. Les rumeurs d’infertilité allaient bon train dans les couloirs de la Cité Interdite. Toutes les concubines impériales conspiraient avec l’aide des eunuques pour gagner la couche de l’Empereur, espérant porter le fruit qui les élèverait au-dessus de toutes. Wan ne faisait pas exception. Elle saisit un flacon de verre et déposa quelques gouttes de son contenu sur ses doigts.
« Tu feras une offrande à la Vieille-Dame d’Occident, la gardienne du jardin d’immortalité. »
L’odeur épaisse du santal pourpre s’éleva entre les deux femmes.
« Que dois-je demander à la Reine-Mère aïeule ? »
« D’accompagner l’âme de l’enfant qui n’est pas venu et de préserver la fertilité de la mère. »
La dame de compagnie suspendit son geste, surprise. « Fertilité pour la mère ? »
Dans le miroir décoré de grues cendrées, Wan désigna le paravent de bois qui fermait sa petite chambre, puis son oreille droite. Le geste était éloquent : rien ne demeurait secret dans le palais.
« J’achèterai des fleurs et de l’encens au marché demain et au retour je… »
Un léger grattement derrière le paravent fit taire la dame. Wan reposa le flacon.
« Maîtresse ? »
La voix était familière.
« Que veux-tu Jin ? »
« Le Fils du Ciel te fait mander ! »
La dame de compagnie battit des mains.
L’eunuque, toujours agenouillé derrière le paravent, fit glisser un parchemin à travers une fente des panneaux.
« Il t’attend dans la Salle des Trois Raretés du Palais de la Nourriture de l’Esprit. Hâte-toi, j’ai fait en sorte qu’aucune autre concubine ne soit invitée pour la nuit. »
« Merci Jin ! »
Les mains ridées, mais expertes, de sa dame de compagnie se mirent soudainement à virevolter tout autour d’elle comme des papillons de nuit. Ses cheveux de jais se retrouvèrent habilement liés, surmontés de deux broches animales, parfumés d’osmanthus[5]. La tunique bleu azur décorée de multiple lotus lilas se referma de telle sorte que la nuque de Wan fut mise en valeur, malgré le col croisé qui grimpait haut dans le cou. Le rabat du tissu sur le côté droit donna l’illusion d’une cascade d’eau scintillante plongeant dans un lac dessiné sur la ceinture nouée autour de la taille.
Wan se saisit d’un coffre contenant de nombreuses graines rouges. Elle en préleva quelques-unes.
« Est-ce de la Schisandra Maîtresse ? »
« Oui, les graines aux cinq saveurs ! » confirma Wan en portant machinalement la main à la clé qui ne quittait pas son collier de perles. « Elles renforcent le qi, fortifient le yin[6] et stimulent l’essence mâle ! »
La dame de compagnie gloussa. « Chez moi, on dit qu’elles stimulent les cinq sens et qu’un homme en ayant consommé peut posséder dix femmes pendant cent nuits ! »
Wan esquissa un sourire. Le puissant effet aphrodisiaque devrait permettre au jeune Empereur de lui faire plusieurs fois l’amour. Jin avait bien œuvré pour que le Fils du Ciel la convoque alors qu’elle était fertile. Elle se contempla et, bien qu’elle eût deux fois neuf ans de plus que l’Empereur, fut sans crainte sur sa beauté.
Une fois prête, elle se précipita pour ne pas faire attendre celui qu’elle souhaitait ardemment pour futur époux.
« La lune a encore grandi et mon sang a de nouveau coulé » se lamenta Wan.
La nuit torride qu’elle avait passée avec l’Empereur n’avait pas suffi. C’était pourtant la septième en moins d’un an. Elle commençait à douter de sa propre fertilité.
« Pourtant, il n’est pas stérile Maîtresse. Li Mei est de nouveau grosse » précisa Jin dans un souffle.
« Peut-être que vous n’êtes pas compatibles » suggéra la dame de compagnie. « Votre Yin et votre Yang ne peuvent enfanter. »
Wan soupira. Si c’était le cas, elle n’avait aucune chance de quitter ce Palais.
A l’aide de son index, Jin dessina dans sa paume un soleil.
Oui, évidemment, il lui faudra de la Surya Haya pour Li Mei, pensa Wan.
Elle acquiesça et retroussa ses lèvres pour imiter le grognement d’un félin, signifiant ainsi à son eunuque de la retrouver à l’heure du Tigre la prochaine nuit.
Jin s’inclina et prit congé.
« Je ferai en sorte que nos semences s’unissent comme le taiji[7], crois-moi ! » répondit la concubine à sa dame. « Et j’enfanterai d’un Fils du Ciel ! »
L’heure du Bœuf[8] touchait à sa fin lorsqu’une ombre se faufila entre les murs des six Palais de l’ouest, traversant de nombreuses arches et de nombreux ponts. Elle ne s’arrêta qu’au bout d’un long couloir oublié dans les tréfonds de la Cité Interdite, face à une grille en fer forgé fermée par un cadenas décoré de fleurs en métal. L’ombre écarta les pans de son col et se saisit de la clé qui pendait à son collier. Sans un bruit, elle ouvrit la grille et s’enfonça dans la pénombre, jusqu’à surgir dans une cour fermée entourée de hauts murs blancs. Totalement isolé du regard, perdu dans les innombrables coins et recoins de la Cité, un pavillon offrait ses multiples trésors végétaux.
L’ombre s’avança sans crainte sur le chemin tortueux qui sillonnait entre les bosquets en fleurs. Les quatre fleurs de Junzi dominaient : orchidée, chrysanthème, bambou et prunier. Le long des murs, des pins, associés à la sagesse, élevaient leurs branches épineuses. Des pivoines et des lotus, symboles de pureté, fleurissaient le long du chemin. Les senteurs se mêlaient sans pour autant étouffer le visiteur.
Wan adorait cet endroit magique qu’elle avait découvert par hasard en flânant dans la vieille bibliothèque du Palais de la Nourriture de l’Esprit. Un ancien plan faisait mention de ce pavillon mais nul ne semblait en connaître l’existence. Après de nombreuses nuits à fouiller, elle avait réussi à en dénicher l’entrée. Jin avait ensuite fait tout son possible pour se procurer une clé passe-partout qu’il avait décorée avec goût par pure dévotion. Elle avait alors doucement apprivoisé les nombreuses plantes qui prospéraient entre ces murs : Surya Haya, Schisandra, pavot, ginseng et de nombreuses autres plantes médicinales plus ou moins dangereuses. Cette découverte avait fait pencher le jeu des complots en sa faveur.
Elle s’arrêta devant le bosquet des fleurs-soleil afin de faire un nouveau prélèvement. C’est à ce moment-là qu’elle aperçut le jeune homme.
Elle poussa un cri aigu et s’en voulu aussitôt. Jin n’était pas là pour la défendre.
« Qui es-tu ? Comment es-tu entré ici ? » arriva-t-elle à dire sans montrer sa peur.
Il était jeune, aussi jeune que l’Empereur, mais beaucoup plus beau. Son visage avait la rondeur d’une pleine lune mais exprimait une douce virilité ; virilité trop marquée pour qu’il puisse s’agir d’un eunuque.
Wan recula. Les vêtements du visiteur étaient peu luxueux.
« Tu risques ta vie ici… » murmura-t-elle.
« Je sais mais je suis ici pour en sauver une ! » Sa voix était grave, sans aucune crainte. Pourtant, la peine de mort était le seul châtiment pour qui osait pénétrer dans la cour intérieure de la Cité Interdite[9].
« Ta dame de compagnie a vanté ta connaissance des plantes de nombreuses fois au marché. J’ai donc pris le risque de te suivre il y a plusieurs lunes et c’est ainsi que j’ai découvert ce trésor secret. »
Il désigna un bosquet d’arbres aux mille écus.
« Du Yinxing[10] ? »
Wan chercha dans sa mémoire les vertus de cette plante.
« Ma mère a du vent dans les poumons[11] et seul le Yinxing peut l’apaiser et lui permettre de ne pas succomber à sa maladie. Je viens régulièrement en prélever dans ton jardin. »
La concubine hocha la tête, compréhensive. Elle se rapprocha du jeune homme.
« Quel est ton nom ? »
« Je m’appelle Bao, ma Dame ! »
Une idée germait dans la tête de Wan.
Elle caressa ses joues lisses. Il ne devait pas avoir vingt printemps.
« Me trouves-tu désirable, Bao ? »
Elle vit le visage du jeune homme s’empourprer.
« Tu éclipses Chang’e[12] dans son palais de jade, ma Dame ! »
Wan apprécia le compliment et passa son index droit sur les lèvres charnues du voleur.
Cela faisait un mois très exactement que l’Empereur l’avait appelée dans sa couche. Tout en parlant, elle avait écrasé une baie de Schisandra dans sa main droite.
S’il trouva un goût étrange au doigt de la concubine, Bao ne laissa rien paraître.
« Sois mon Wugang[13] pour cette nuit ! »
L’esprit emporté par les graines aux cinq saveurs, Bao ne put résister à la beauté vénéneuse de la concubine. Lorsqu’elle posa ses lèvres sur les siennes, il sentit comme un goût d’abricot l’emporter.
La Cité Interdite était en liesse. Le Fils du Ciel allait prendre pour épouse une de ses concubines favorites, l’éblouissante Wan dont le ventre s’était arrondi depuis plusieurs mois, depuis bien plus longtemps que n’importe quelle autre concubine. Selon les astrologues du Palais, elle attendait un fils qui régnerait de nombreuses décennies.
Les milliers d’eunuques et les centaines de concubines enrageaient en silence de n’avoir triomphé à la place de Wan. Celle-ci avait déménagé dans le Palais de l’Elégance Accumulée, le plus grand des six Palais de l’Ouest, le plus prestigieux.
« Le Fils du Ciel te fait porter ces fruits Maîtresse » dit un jeune eunuque de sa voix frêle en déposant le panier de longyans épluchés[14] sur la table en acajou. Jin lui manquait, mais il était très impliqué dans l’organisation du cérémonial avec le Ministre des Rites et de l’Intendance de la cour.
Wan saisit délicatement un œil de dragon et le porta à sa bouche, savourant sa victoire autant que la pulpe très sucrée du fruit. Elle avait réussi à s’élever au-dessus de toutes et s’apprêter à régner sur l’Empire du Milieu. Elle passa sa main sur son ventre rond, réfléchissant au prénom de son futur fils.
Elle sentit d’un coup fleurir sur sa langue le goût marqué du Surya Haya…


[1] Heure du Tigre (Yin) : de 3 à 5h du matin.
[2] Surya Haya : « semblable au soleil », mot sanscrit désignant la fleur de Calotropis gigantea
[3] Xu : chut en chinois.
[4] Oolong : « dragon noir » en mandarin est un qualificatif pour un thé noir. Le terme dragon noir désigne ainsi ici des feuilles de thé oolong.
[5] Osmanthus : olivier de Chine, à l’odeur fleurie et fruitée pouvant rappeler l’abricot.
[6] Qi : énergie de vie. Yin : représente la part féminine de la nature, à l’opposition du Yang qui représente la part masculine de la nature.
[7] Taiji : symbole du Yin et du Yang.
[8] Heure du Bœuf (chou) : de 1h à 3h du matin, précède l’heure du Tigre.
[9] La Cité Interdite était divisée en deux grands ensembles : la cour extérieur au sud qui constituait la partie officielle de la Cité et la cour intérieure au nord, destinée aux logements de l’Empereur, de la famille impériale et des concubines.
[10] Yinxing : Ginkgo biloba, seule espèce actuelle de la plus ancienne famille d’arbres connue.
[11] Vent dans les poumons : asthme.
[12] Chang’e : le taoïsme la considère comme la déesse de la lune, le Yin suprême.
[13] Wugang : apprenti immortel, il est le seul compagnon humain de Chang’e.

[14] Longyan (longane en français) signifie œil de dragon. C’est un fruit très proche du litchi.Entrez le nouveau texte ici. Vous pouvez effectuer un copier/coller depuis Word

Jour de fête

Moi, j’aime mon métier.

Il y en a tant qui exècrent le leur, trainant les pieds en se levant, déprimés à la pensée de la journée qui commence, du travail qui les attend ou des chefs qu’ils n’aiment pas ou qu’ils craignent, et dont ils devront supporter la présence, la surveillance, les observations et parfois les critiques jusqu’au soir lorsque les portes du bureau, de l’usine, de l’atelier ou du chantier fermeront.

Ce n’est pas mon cas.

Le matin, je suis enthousiaste, heureux à la perspective des heures à venir. Je chante, je sifflote en me rasant, le petit déjeuner est une fête. Lorsque ma belle Marie- ma femme- me rejoint dans les odeurs de café noir, c’est le bonheur.

J’enfile ma tenue avec plaisir.

Je suis flic.

J’en suis fier.

 

Voilà cinq ans maintenant que je suis dans le métier.

C’est une vocation ; tout petit, à peine entré en Cours Préparatoire, je savais ce que je voulais faire plus tard. Combien de fois ai-je dit à ma maîtresse, à mes copains de classe : « Moi, quand je serai grand, je serai policier ! » Et plus tard au collège et au lycée, sans crainte d’affronter les moqueries !

Beaucoup de jeunes garçons rêvent la même chose- les autres veulent devenir cosmonautes, aviateurs ou pilotes de course- mais très vite leur envie passe, ils pensent à autres choses, ou à rien !

Moi, non. Mon désir n’a jamais faibli, ni changé : flic je voulais être.

Et flic je suis devenu.

Je me suis interrogé souvent- comme je le fais encore parfois- sur les raisons qui m’ont poussé vers ce métier. Mon père n’a pas prêché d’exemple- il était artisan couvreur- ni davantage ma mère, en charge de la maison et de la famille. J’ai cherché dans mes souvenirs des livres, des films, des bandes dessinées qui auraient pu m’influencer. J’ai mis dans la balance mon éducation, élevé dans la religion, les principes moraux, la connaissance du bien et du mal, le respect d’autrui. J’ai convenu que tout ceci avait dû jouer un rôle, mais que bien d’autres petits garçons de mon âge avaient vu les mêmes films, les mêmes BD, avaient reçu une éducation semblable sans vouloir pour autant devenir policier ; alors ?

Je n’ai pas trouvé la réponse à ma question, mais finalement est-ce important ? Ce qui l’est, c’est que j’aime mon métier et sois heureux de l’accomplir.

 

Au bout de mes cinq ans de service, je ne ressens aucune usure, aucune lassitude, bien au contraire : la passion a grandi, chaque jour plus forte.

Faire régner l’ordre et respecter la loi pour que la société tourne bien est un comportement naturel chez moi ; comme l’est celui de venir en aide aux faibles et aux opprimés en m’opposant aux voyous, aux hors la loi, aux méchants, à ceux pour qui la violence et la force priment, et en mettant hors d’état de nuire les voleurs, les violeurs, les détraqués sexuels, les criminels, les automobilistes qui sous l’effet de l’alcool ou de la drogue, mettent la vie des autres en danger …. tous ceux qui ne respectent rien ni personne… Il y en a tant ! Je me sens un peu comme un rempart, une digue protégeant la population des tempêtes et menaces extérieures, ou comme un chevalier de l’Ancien Temps, chargé de mission ! Et mon uniforme est comme un signe d’engagement !

Ridicule ? Risible ? Rigidité mentale ? Rêves ? Bataille perdue d’avance ? Nombreux sont ceux qui -enfermés dans leur monde égoïste et leurs intérêts- pensent ainsi de ma profession, sans comprendre la passion qui m’anime.

Mon caractère altruiste en serait-il la raison ?

Bref, je suis flic, et je ne me vois pas être autre chose.

 

La peur ?

Pas vraiment. Je ne la connais pas, pour ainsi dire. J’étonne chaque fois la famille, les amis qui m’interrogent à ce propos, le doute se lit dans leur regard, ils pensent forfanterie et galéjade de ma part, mais c’est la vérité pourtant.

Est-ce d’être titulaire d’une ceinture noire 3ème dan de karaté et d’une autre 2ème dan de tae kwon do, d’entretenir mes acquis 2 à 3 fois par semaine aux dojos de la police et du club local, et d’avoir pratiqué le rugby, sport de contact où l’on reçoit parfois et rend des coups, qui me donnent assurance et sérénité ?

Je ne suis pas violent, je suis d’un caractère calme, posé et pacifiste, je ne m’emporte jamais.

Non, je n’ai pas peur.

Et lorsque avec les collègues nous nous enfonçons dans les quartiers sensibles, et que des bandes de jeunes lors des contrôles nous entourent, haine visible, menace latente, non je n’ai pas peur. Ce n’est pas de ma part méconnaissance du danger, mais ce danger ne m’effraie pas.

Beaucoup de mes collègues au fil des ans se crispent : les coups physiques et les injures reçus, et chaque jour la haine du citoyen, sa crainte ou son mépris à supporter laissent des traces ; insidieusement en eux la peur et la violence diffusent; moi pas.

Je suis un peu comme un bateau dans le gros temps, qui suit sa route sans roulis ni tangage, dont la coque reste vierge d’algues et de coquillages, et sur laquelle la rouille n’a pas de prise.

Je suis bien dans ma peau de flic.

 

Il y a trois jours, avec mes équipiers et une centaine de CRS- j’ai participé à une opération « coup de poing » dans un quartier chaud de la ville.

Quartier gangrené par les petits gangs, les jeunes voyous, les malfrats en tous genres, organisant le racket et les trafics, drogue en tête, y compris celui des filles. Du banditisme à petite échelle, amené à grandir et prospérer si rien n’est fait. Les jeunes ? Des sans éducation, sachant à peine lire et écrire, ayant rompu très tôt avec l’école, sans morale, sans foi ni loi- sauf les leurs et celles de leurs grands frères, voyous eux-mêmes. Les parents ? Démissionnaires depuis longtemps ! Et complices parfois ! La seule autorité que tous ceux-là connaissent, c’est la force et la violence, les leurs… et celles des flics !

L’opération fut bien menée : quartier cerné tôt le matin et ratissé très soigneusement, personne ne put échapper aux contrôles.

De la dizaine d’individus appréhendés, cinq sont depuis sous les verrous.

La justice va maintenant faire son oeuvre, mais ces cinq là devraient y demeurer un bon moment : ce sont de vrais méchants.

Je connaissais bien le terrain, ayant vécu mes jeunes années dans le quartier. Les coins, les recoins, les « passages secrets », les caves, les repères n’avaient aucun secret pour moi. Pareil pour les indiens locaux : les marginaux, les déjantés, les caïds ou ceux qui allaient tourner mal, engagés sur le mauvais chemin, de toutes couleurs : blacks, beurs, blancs ou asiatiques, j’avais pour tous en tête leur portrait, leur nom, leur famille.

Le rapport que j’en fis à mes chefs fut aussi précieux que l’or. Ainsi bien informés, les groupes d’intervention purent agir efficacement, tendre un filet hermétique et faire bonne pêche.

Mes chefs ont apprécié. « Bravo » m’ont-ils dit, eux si avares d’encouragements. Ils m’ont félicité pour mes renseignements, et mon action lors de l’opération : j’ai été de ceux qui ont mis la main sur le chef de la bande et son second.

Je le connaissais, ses parents et son frère cadet aussi ; nous avions grandi ensemble dans le même carré d’immeubles, avions fréquenté la même école et le même collège, mais ensuite….nous étions devenus l’un pour l’autre, lui un adversaire à combattre, moi un ennemi. Le cadet avait d’ailleurs viré pire que l’aîné, mais hors de la zone ce matin là il avait échappé à la rafle. Je l’avais aperçu en fin d’opération, très à l’écart dissimulé au fond d’une encoignure, suivant les évènements et son frère menotté emporté en fourgon : lorsque nos regards se sont croisés, j’ai deviné le sien empli de haine ; et j’ai bien vu son signe de la main: le pouce vers le bas.

Je n’ai pas éprouvé de plaisir particulier à l’arrêter, juste celui du travail réussi ; pas de plaisir sadique, ni de revanche, rien de cela, seulement la satisfaction du travail accompli, et d’avoir contribué à une victoire du bien sur le mal.

 

C’était il y a trois jours.

Aujourd’hui est un autre jour et ce soir c’est la fête de ma femme- ma belle Marie.

Je l’aime tant. Si jolie, si douce, si aimante.

Elle m’aime autant que je l’aime, et notre amour embellit chaque jour.

Et depuis la naissance de notre petite Laura, il y a maintenant 2 ans, mon bonheur- notre bonheur- est à son comble.

Mon amour m’habite presque chaque instant : même au travail, je pense à elles.

C’est ainsi.

J’ai acheté un gros bouquet de fleurs.

Ce matin, devant le bol de café noir, j’ai murmuré à ma Marie amoureusement au creux de l’oreille : « bonne fête, Marie », et au bureau, avant de partir pour la ronde habituelle, j’ai recommencé au téléphone. Ce soir, la vaisselle des grands jours étincellera sur la nappe blanche brodée de fleurs, Marie avec son beau sourire malicieusement me demandera : « Devine, mon chéri ? » en apportant les plats surprise préparés au long du jour, peut-être même la veille, par elle avec grand soin, et une vieille bouteille millésimée ; de sa chaise haute Laura nous adressera ses sourires et ses babils, jusqu’à ce que le sommeil l’emporte dans ses songes et rêves d’enfant.

Les fleurs sont des marguerites blanches, des tulipes rouges et des glaïeuls : les fleurs préférées de Marie.

J’ai téléphoné que je rentrerai un peu plus tard, retenu par une intervention. Elles m’attendront sans impatience, avec la joie au cœur.

 

Il est vingt heures pile. Je quitte le commissariat, où j’ai laissé mon arme, comme chaque fois en fin de service.

J’ai téléphoné à Marie que je suis en chemin ; un message court : « Marie, j’arrive ; je t’aime ».

Il n’est pas tard, mais la nuit est déjà là. Métro : il y a du monde, les gens se serrent, 20h est encore heure de pointe. La lassitude se lit sur les visages, chacun voudrait être déjà chez soi : bureau, usine, chantier, cela suffit pour aujourd’hui. Je protège mon bouquet autant que je peux.

Deux changements, puis plongée dans les rues.

J’habite un quartier calme, des immeubles bien tenus. Ce n’est pas un quartier de voyous. Des lumières brillent aux fenêtres, c’est l’heure du dîner, j’aperçois des ombres mouvantes dans les cuisines d’où s’échappent des odeurs agréables, les télévisions sont en marche dans les salons : la fin des infos de 20h sûrement.

Je me sens bien, la journée a été bonne. Je rentre sans hâte heureux de retrouver les miens.

Encore une centaine de mètres, puis je serrerai dans mes bras ma Marie et ma puce, mon bébé, Laura. Oh, comme j’ai de la chance de connaître un tel bonheur !

Encore quelques dizaines de mètres, le point sombre où l’éclairage est défaillant- le syndic et la mairie ont décidé d’agir dans les prochaines semaines- et la cage d’escalier.

Soudain, mon attention se fixe, mon corps se tend ; sens en alerte, mon cœur a quelques battements de plus

Des silhouettes s’agitent silencieusement dans l’ombre : trois, non : quatre.

Toutes habillées de noir, accompagnées parfois d’éclairs d’acier.

Je tressaille : j’ai compris à la seconde même.

Et je connais le scénario.

Pour ce guet-apens, ils sont quatre, chacun à visage découvert, sans cagoule, sûrs de leur victoire et de leur impunité, me sachant seul sans arme ; ils veulent donner la mort ce soir, vite, sans bruit et sans témoin ; et me faire savoir qui me la donne.

S’avançant légèrement, battant sa main de sa barre de fer comme un message funeste, l’un deux rompt le silence, crachant sa haine: « Pour mon frère, ce soir, ordure, ça va être ta fête ! »

 

Oh, ma Marie, comme je t’aime ! Oh, ma Laura, ma toute petite, si tu savais comme ton papa t’aime aussi !

Non ! Je ne vous quitterai pas ce soir ! Non, ce soir ne sera pas notre dernier soir !

Non ! Ces chiens ne me tueront pas!

Non, Marie, tu ne seras pas veuve le jour de ta fête! Aucun pleur ne ternira ton joli visage ni ton gracieux sourire ! Non, ton cœur ne se fendra pas de désespoir en me voyant mort sous nos fenêtres! Non, tu n’apporteras pas chaque année des fleurs sur ma tombe dans ta robe de deuil ! Non, Marie, non ! Et ton époux ne sera pas voué à survivre en chaise roulante, épave impuissante et tête défaite, jusqu’à sa fin !

Et toi, Laura, ton papa ne mourra pas ce soir ! Tu le verras demain, et après-demain, et tous les autres jours, il te prendra encore dans ses bras, et t’embrassera mille fois, comme hier ! Il te verra grandir, sourire encore, heureuse ! Oh, oui, nous jouerons encore ensemble ! Oh, oui, ensemble nous irons à l’école, main dans la main, puis reviendrai te chercher, tu me montreras tes cahiers, tu parleras de ta maîtresse, de tes gentils amis de classe. Plus grande tu seras fière de me montrer tes jolies robes, et comme tu seras belle !

Je n’ai pas peur.

Non, ces chacals ne me tueront pas ce soir !

Ce sont eux qui vont souffrir, mourir peut-être

C’est sûr : ce soir sera leur fête !

Joyeux Noël

 

 

 

–          Non pas là, un peu plus bas. Oui, c’est ça, comme ça.

Paulette Debecker s’exécuta mollement. Elle fixa sans conviction l’étoile lumineuse au sommet du sapin. Tous les ans, elle avait le vertige et la tremblote en effectuant cette  ultime opération. Maurice était à présent trop lourd pour l’échelle, alors elle se résignait à effectuer cette acrobatie sous la dictature éclairée de son mari.

–          Nom de Dieu !  Tu l’as accrochée de travers, faut t’le dire comment ! Ma pauvre fille t’as vraiment pas le compas dans l’œil !

Paulette était remontée sans piper mot, et d’un petit mouvement giratoire avait donné l’équilibre parfait à la décoration. Avec le vent, elle devrait remonter tous les soirs jusqu’à la Noël.  Maurice ne rigolait pas, c’était un perfectionniste de l’illumination. C’était son dada, sa raison de vivre depuis plus de vingt ans.

–          Bon, bah qu’est-ce que t’attends ! Tu peux descendre, on va attaquer la gouttière.

Il faisait un froid de canard,  Paulette avait la goutte au nez et les doigts gourds. Tout ce cirque, ce n’était plus trop de son âge. Les rhumatismes avaient eu raison de sa souplesse. Lui  restait là en bas, comme un général dirigeant ses armées. Il était à l’abri de ce vent qui la glaçait jusqu’aux os. Confortablement installé sur la toile bayadère du pliant qui servait à regarder le Tour de France à la belle saison, il pointait du doigt l’alignement approximatif des ampoules sur la gouttière. Une blanche, une rouge, une blanche, une rouge. Enfin, si tout allait bien…

Pour l’instant on n’avait pas envoyé le jus alors on ne pouvait pas encore juger de l’effet. Le compte à rebours avait commencé. Maurice se mettait la pression pire qu’avant un lancement de fusée à Cap Canaveral. Plus que deux jours avant l’embrasement de la répétition générale.

Les pensées de Paulette vagabondèrent pendant un instant et s’envolèrent avec la petite fumée qui s’échappait  de sa bouche. Elle se souvenait à présent de cet achat qui avait transformé la joyeuse période de l’avent en un douloureux cauchemar. Maintenant, il y avait l’avant et l’après. Deux mois pour installer, et autant pour démonter et tout ranger dans les cartons soigneusement étiquetés jusqu’à l’année suivante.

–          Faut te le dire en chinois ou quoi !  C’est pas droit !

Les chinois, enfin l’Asie tout entière, étaient en partie responsables de la tyrannie de Maurice. Avant le fluorescent, le phosphorescent, le clignotant, on se contentait des santons peints à la main. C’était un souvenir de leur voyage de noces sur la Côte d’Azur, elle y tenait comme à la prunelle de ses yeux. Noël était alors un jour de fête chaleureux, et les décorations ne franchissaient pas le seuil de la maison.

Oui, un jour de fête. Même si on n’avait pas de petit à gâter.

Leur union était restée stérile, pourtant ce n’était pas faute d’avoir tout essayé. Mais son corps refusait la semence de Maurice, son ventre ne lui avait jamais offert de nid assez douillet pour s’épanouir. Pendant que Maurice enflait comme la grenouille de la fable de La Fontaine, elle se desséchait, elle était devenue brindille prête à s’envoler du haut de son échelle. Un petit phasme ridicule qui se fondait dans le décor.

–          A gauche, oui là on dirait que l’ampoule est cassée ? T’as mis tes yeux ou pas ?

Elle se pencha délicatement, presque à l’oblique. Dévissa l’ampoule défectueuse et la remplaça. Poche droite rouge, poche gauche blanche.

–          T’as  bien mis la bonne couleur, fais pas comme l’année dernière.

Sacré vent, parfois elle le bénissait car il était une excuse providentielle pour ne pas répondre. La nuit tombait, demain serait un autre jour, elle était épuisée.

–          Qu’est-ce que tu fous ! on n’a pas fini !

–          On verra demain pour la suite, j’y vois plus clair et j’ai froid.

–          T’es qu’une petite nature, on est en retard sur le planning !

–          Le planning de quoi, Noël c’est d’abord un jour de fête. J’suis fatiguée Maurice. L’année prochaine faudra que tu trouves quelqu’un d’autre pour faire tout ça, moi c’est la dernière fois.

C’était dit. Plutôt bien dit. Mais cela ne fut pas au goût de Maurice.

–          C’est c’qu’on verra, il a répondu.

C’est tout vu, s’était-elle surprise à penser pour la première fois. Comme si la graine d’une sourde révolte venait de germer.  Assurément, cette graine là avait trouvé sa place pour pousser.

Ce Noël, elle le voyait différent. Son surplus d’amour, elle le distribuait avec les cadeaux d’une association caritative qui améliorait le quotidien de familles déshéritées. Un repas de fête leur serait offert, elle ferait partie des bénévoles. Elle aimait ces enfants, ces gens généreux  qui le lui rendaient bien.

Comme d’habitude, Maurice passerait son réveillon à guetter les voitures qui ralentiraient pour admirer son œuvre époustouflante. Il se considérait comme le Facteur Cheval de l’ampoule électrique. Elle  ne lui avait pas encore annoncé qu’il passerait son 24 décembre tout seul, elle avait encore une semaine pour le faire. Elle redoutait ce moment.

La soupe était servie dans les assiettes creuses. Ils s’attablaient face à face. Seul le bruit des couverts cognant la faïence rythmait les commentaires du présentateur du journal télé. Ils n’étaient plus que deux passe-murailles à la routine terne et désespérante. La vapeur odorante et  réconfortante du potage fit à nouveau s’évaporer les idées de Paulette. Elle n’entendait plus que l’écho lointain du bruit de succion disproportionné qu’émettait Maurice en aspirant sa cuillère.

Oui, c’est ça, le premier, c’était un Père Noël sur son traineau avec des rennes, elle ne savait plus combien deux ou quatre, enfin ça marchait par paire ces animaux là. Le supermarché faisait la promo de ces merveilles venant de Chine et ne consommant pas plus qu’une ampoule 100 watts.

–          On pourrait le mettre au-dessus de la porte, ça ferait un peu de gaité à l’entrée du village, comme qui dirait ça donnerait le sentiment d’être accueilli.

–          Si ça peut te faire plaisir, elle avait répondu.

C’était l’année de sa ménopause précoce, son allergie aux poils d’animaux rendant tout espoir de substitut canin ou félin possible, ce Père-Noël lumineux lui sembla être une concession acceptable,  une piètre consolation pour Maurice. Ce fut le début d’un engrenage fatal.

L’année suivante, il fit l’acquisition de feuilles de houx géantes avec en lettres dorées un Merry Christmas dont Paulette tarda à comprendre le sens. La même année, pendant les soldes estivales il acheta vingt cinq mètres de guirlandes du 14 juillet. Il ferait disparaître le bleu, en repenserait totalement la configuration et l’alternance des ampoules. D’années en année la production asiatique innovant, le stock de Maurice s’étoffa. Il décida que la voiture dormirait dehors, ainsi les guirlandes seraient à leur aise et au sec.  Il classait ses articles par thèmes, il respectait une chronologie qui échappait totalement à Paulette. Comme un entomologiste féru, il écrivait avec application des étiquettes codifiées avec un marqueur dont l’odeur indisposait sa femme.

Les mécanismes de clignotements étaient de plus en plus perfectionnés et miniaturisés. On pouvait choisir la vitesse de la propagation de la lumière et donc ménager des effets qui feraient certainement l’admiration de tous les voisins, même si le premier habitait à huit cents mètres.

Après une dizaine d’années des folies éclairantes des Debecker, le voisin le plus proche, René Mouillard décida de partir chaque année pour les Antilles au moment des fêtes. Il fuyait ainsi l’animation saccadée des guirlandes de Maurice qui donnaient à ses nuits d’hiver l’ambiance d’un night club. Il avait l’impression de s’endormir sous une boule à facettes. Près des tropiques au moins, la lumière était stable et la chaleur délicieuse pour ses lombaires fatiguées.

Mais tout le monde ne partageait pas l’avis de René, le maire du village s’enorgueillissait chaque année de cette animation inespérée qui ne lui coûtait pas un centime. Il alerta la presse locale qui fit l’éloge du sens artistique de Maurice. Ce dernier  posa fièrement sur la photo qui illustrait l’article, son Père-Noël sur les genoux. Pour un meilleur rendu, le reporter avait attendu la tombée de la nuit,  on avait installé « L’illuminé éclairé » devant le sapin et branché les rennes avec la rallonge de la tondeuse. Paulette lui trouva un air étrange, son visage rubicond éclairé par cette myriade de minuscules loupiotes.

–          Tu manges pas, ça va être froid. Les yeux dans l’bouillon c’est pas bon. Paulette, j’te cause.

Mais Paulette était ailleurs.

Ce fut l’effet boule de neige, la télévision régionale vint le filmer. Il était si fier de montrer sa fabuleuse installation. On venait de toute la France entre le 20 décembre et le 3 janvier pour admirer sa maison. Il reçut la médaille de la Région et tomba la même année dans la vente par correspondance. Paulette restait la petite main ignorée, collaboratrice hors pair de l’éclairage, devenue par la force des choses spécialiste des voltages et boites de dérivation.  Elle ne haussait jamais le ton en recevant la facture d’électricité, soulignant juste avec humour que l’EDF devrait lui faire un tarif spécial comme il s’était mis en tête de faire de l’ombre à la Tour Eiffel. Elle ne protestait pas en classant les factures dispendieuses de Maurice dans la chemise « Matériel de Noël ». Elle n’avait rien dit non plus lors de son voyage pour participer à un concours européen d’illuminés. Il avait été coiffé sur le poteau par un belge communiste qui ne jurait que par le rouge, sa chute du Kremlin fut flamboyante. Maurice rentra dépité malgré une réinterprétation honorable de la prise de la Bastille. Cela lui aigrit le caractère. Ce voyage sonna le glas de sa carrière internationale. Il  mettrait le paquet à Noël, un point c’est tout.

–          Je ne serai pas là le 24, annonça Paulette, l’association a besoin de moi.

Maurice s’étrangla entre la poire et le fromage.

–          Mais je te ferai ton manger avant de partir, tu n’auras qu’à réchauffer.

–          Pas question.

–          Je t’installerai le fauteuil comme tous les ans devant la fenêtre, tu ne rateras pas les voitures.

–          Pas question.

–          Tu me diras ce que tu veux pour ton menu.

Paulette se leva, débarrassa la table en silence pendant que Maurice jurait les cent mille bon dieu, son double menton tremblait de colère.

–          A demain.

Voilà c’était fait. Sans appel. Inutile de  le dire, ça ne passerait pas comme une lettre à la poste. Il avait le temps de digérer la nouvelle.

Ils faisaient lit à part depuis que leurs corps ne ressentaient plus la nécessité de s’imbriquer, c’est-à-dire depuis un bon bout de temps. Ils se tournaient le dos pour s’endormir dans des lits séparés. La bataille était parfois rude pour la maîtrise de l’interrupteur de la lampe de chevet commune. Une pièce supplémentaire leur eût épargné l’écho de  leurs ronflements. Mais « Noël » avait envahi la chambre d’amis après le garage.

Pendant les jours qui suivirent, Maurice fut odieux.

Le 20 décembre au soir, la générale fut concluante, la maison des Debecker éclairait à des kilomètres à la ronde. Le lendemain plusieurs flashes crépitèrent sous leurs fenêtres, certains devaient avoir le sens du détail, comme ceux qui filment les buffets pendant les croisières.

Paulette changea les dernières ampoules, s’assura que tous les branchements étaient opérationnels. Le vent avait tourné à l’ouest et ramenait des nuages gonflés d’une intense humidité qui réveillait ses douleurs.

L’après-midi du 24 décembre, Maurice resta plongé dans ses catalogues projetant pour l’année suivante un dispositif de commande à distance. Paulette lui avait préparé un menu de fête : coquille Saint-Jacques à la Bretonne, pigeonneau aux raisins qu’elle avait pris soin d’envelopper dans du papier alu afin d’éviter un desséchement fatal, et une mini omelette norvégienne achetée le matin même à la pâtisserie de Madame Labbé. Elle avait comme promis dressé une petite table joliment décorée près de la fenêtre. Il aurait ainsi une vue imprenable sur la route, sur les gens qui s’arrêteraient faire « La » photo sur le chemin des réjouissances familiales. Une quiétude bienfaisante baignait la maison toute entière, Paulette avait soigneusement disposé le petit Jésus dans la crèche. Pour une fois elle raterait la messe de minuit. Elle avait besoin de regards chaleureux, de rires d’enfants, pas de bénis oui-oui hypocrites qui se confessaient une fois l’an.

Maurice ne lui adressa pas la parole lorsqu’elle enfila son manteau pour rejoindre la salle polyvalente ou serait servi le repas de l’association. Elle l’avait trahi, et manquerait l’apothéose du réveillon : une petite surprise lumineuse dont il gardait l’exclusivité jusqu’au dernier instant.

La grande salle était parée pour ce jour de partage. Au pied d’un énorme sapin magnifiquement décoré attendaient des cadeaux scintillants et multicolores. Le Père-Noël sans nul doute serait passé plus tôt ici. Il y  avait toujours des dérogations plus ou moins embarrassantes pour ce genre d’occasion, comme pour les arbres de Noël des grandes entreprises qui avaient tous lieu fin novembre.

Les familles arrivèrent petit à petit, un « Gloria  » joué à la trompette accentuait le côté festif et bon enfant de la rencontre. Paulette était aux anges justement. Cette lumière dans les yeux des enfants valait bien toutes les ampoules de la terre, les sons et lumière de tous les châteaux de France et de Navarre. Elle se sentait magicienne ce soir, la meilleure pyrotechnicienne de l’univers quand les enfants ouvrirent leurs paquets avec des yeux grands comme des phares.

Elle posa doucement sa main sur son tablier pour dire au petit qui n’était jamais venu qu’elle l’aimait quand même.

Les convives s’installèrent à table mais on n’eût pas le temps d’entamer le repas. A peine les grands plats inox de saumon norvégien d’élevage posés sur la nappe, l’obscurité se fit. Tout le village fut plongé dans une obscurité totale. On pensa au grille-pain qui saturait avec les toasts.

Maurice venait d’allumer pour le grand soir.

Les larmes aux yeux, Paulette murmura alors à son intention : « Joyeux Noël ».

Les soleils d’Amélie

Penchée sur la vitrine, Amélie scrute à travers son reflet l’intérieur du magasin. La boutique paraît déserte et soulagée, la petite y pénètre sans plus d’hésitation. Au fond, la porte de la réserve est entrebâillée, et le vieux marchand invisible. Elle pourra détailler tranquillement les fusées et autres feux d’artifices rangés sous la poussière des étagères.

La Petite Amélie progresse dans les allées étroites du magasin, sans s’attarder devant le rayon des pétards. Elle aime l’odeur de souffre que dégage leur fumée quand ils ont éclaté, mais déteste leurs détonations qui la font toujours sursauter. Plus loin sont alignées des boites de fusées aux trainées multicolores ou aux nuées d’étoiles crépitantes. Elle ralentit devant les chandelles aux pluies de paillettes dorées, se faufile entre les lampions aux reflets multiples et colorés. Au fond du magasin, dans une pagaille de boites poussiéreuses, des étiquettes décrivent des gerbes ascendantes, crépitantes, aux séquences multiples de bruits et de couleurs.

« Pourquoi pas un volcan à la flamme rouge ou même une fontaine d’argent ? » pense-t-elle. Elle imagine des traînées lumineuses, leur éclat de diamant, puis une comète rouge traversant le ciel comme un jet de feu, illuminant maisons et jardins autour d’elle.

Tous les ans c’est le même souci : elle a pris l’habitude de fêter la nouvelle année par un jeu magique de lumière et de couleurs. Elle aime le spectacle de la nuit qui soudain s’illumine. Juste avant minuit, dans la froide obscurité du jardin, elle allume la mèche d’une fusée ou d’une chandelle qu’elle a soigneusement choisie. Pourtant, tous les ans elle connait les mêmes hésitations, suivies des mêmes regrets. Elle a beau étudier chacun des effets décrits sur les boites d’artifices, leur couleur, leur hauteur, leur temps de lumière, toujours il lui est difficile de se décider. Elle aimerait prolonger le spectacle, multiplier ces accessoires de lumière. Mais son budget modeste finit toujours par l’emporter et elle repart avec quelques secondes seulement d’embrasement. Immanquablement, la féérie qui baigne les yeux d’Amélie s’éteint avant la fin des douze coups de minuit, avant même le début de la nouvelle année. Dans l’ombre du jardin, elle entend alors éclater les pétards des fêtes alentour, et klaxonner tous ceux qui partent plus loin continuer la nuit.

Après avoir erré un long moment dans la poussière et l’odeur de soufre, Amélie a presque fait son choix. Elle abandonne le fumigène vert qui l’avait tentée l’année précédente et considère les deux objets qu’elle tient encore : l’un promet cinquante secondes d’une gerbe de feu, l’autre un halo rouge pouvant atteindre plusieurs mètres de hauteur.

 » Je dois me décider », pense Amélie, « sinon c’est dans cette boutique que je vais passer le réveillon ».

Sans les conseils du vieux commerçant, elle n’arrivera pas à se déterminer. Alors pour attirer son attention, elle se racle la gorge, discrètement d’abord puis s’enhardit et tousse plus fort. Mais le marchand que l’âge a rendu sourd, n’entend rien. Amélie joue avec la porte du magasin, fait retentir la clochette qui s’y trouve fixée. Enfin les grelots font sortir M Fernand de son arrière boutique.

« Mais c’est la petite Amélie », s’exclame t-il. Habitué au rituel de chaque fin d’année, il devine immédiatement ce qu’elle recherche. « Approche » enchaîne t-il, « j’ai gardé pour toi un paquet qui va t’intéresser » Il lui tend une grande boite au carton coloré ; collée sur le côté, une étiquette annonce : Une fontaine d’argent, un volcan rouge, une chandelle à paillettes d’or et encore en dessous : échantillon-test. Ne peut être vendu. « C’est pour toi Amélie ; ce sera mon cadeau d’adieu ; la boutique est vendue, je prends ma retraite « .

Amélie s’empare timidement du carton, en étudie les images. Ravie elle sourit avec coquetterie, sans montrer qu’une de ses dents est tombée.

La nuit est arrivée, quand tenant son paquet contre elle, elle sort du magasin. Monsieur Fernand a ajouté un grattoir et trois longues allumettes dorées pour lui éviter de se brûler les doigts.

Amélie marche prudemment sur les trottoirs glacés, observe les fenêtres des maisons du quartier. Quand les rideaux sont ouverts, elle aperçoit les lumières des sapins, les gens qui s’affairent dans leur cuisine, les enfants penchés sur leurs jeux. Elle longe les dernières rues obscures, et s’engage dans l’impasse menant à son portail. Amélie connait toutes les pierres du jardin ; elle sait dans quels creux du terrain le froid vient déposer la glace. Elle sait, quand la pierre se réchauffe, où vont se former les lacs : ces petites flaques d’eau claire où vient boire Noisette le chat des voisins. Elle a longtemps joué à y noyer les fourmis puis à les sauver avec une herbe sèche. Amélie ne voit pas que dans le jardin sombre, la branche morte du cerisier s’est brisée, celle qui toujours a porté les fruits les plus rouges. Amélie trébuche et tombe. Le paquet s’échappe de ses mains tandis qu’elle s’affale. Sa tête rebondit sur la terre gelée, la douleur traverse son front et elle perd connaissance.

Longtemps après, Amélie reprend conscience : au loin son frère joue de la trompette ; les notes montent et descendent le long de la gamme qu’il répète. Puis la musique s’emmêle, la mélodie se fait insistante, lancinante, douloureuse. Elle n’entend plus qu’une note, toujours la même. Amélie ouvre les yeux, frotte ses cils collés par le sang. Son frère a cessé de jouer. Malgré le mal qui traverse sa tête, Amélie comprend que ce n’est qu’un concert de klaxons et qu’elle est seule, allongée dans la nuit. Elle tire son manteau sur sa nuque. Elle a froid et ses membres fatigués et gourds ne peuvent la relever. Le givre continue à tomber. Mais la petite n’est pas douillette, elle veut se redresser.

« Encore un peu  » pense t-elle « et j’aurai retrouvé mes forces. » Elle referme les yeux. Derrière ses paupières sa mère lui tend un livre ; ce livre lourd, aux illustrations sombres, qui récompensait son premier prix ; un livre de contes étranges ou tristes. Elle s’est forcée à le lire, elle a fait semblant de l’aimer. Jamais elle n’a osé avouer à sa mère combien elle redoutait la noirceur de ces histoires, qu’elle déteste encore et pour toujours. Amélie revoit cette petite marchande d’allumettes, sa vie misérable, son destin pathétique ; cette enfant qui l’entrainait dans sa solitude et n’éveillait rien d’autre que la peur et la pitié.

Des coups de klaxons encore, la tirent de sa somnolence, la ramènent à la nuit. Elle ne sent plus ses jambes raidies par le froid, étend à grand peine ses bras. Amélie n’a pas oublié son paquet. A tâtons elle le cherche, le tire vers elle. De ses doigts gelés, elle déchire le papier pour en sortir une fusée. Elle frotte la première allumette, une fois, deux fois, dix fois, puis enfin enflamme la mèche. Une explosion de lumière transperce l’obscurité et dans la trainée lumineuse, mille paillettes d’or viennent éclairer Amélie.

La neige qui commence à la recouvrir renvoie comme un miroir les éclairs de lumière. Amélie et sa mère poussent la porte de la boulangerie. Chaque matin elles s’y arrêtent acheter le pain pour la cantine. Un petit pain, aux deux croutons dorés, que sa mère range avec soin dans le sac rose, avec la serviette de table. A l’école quand vient l’heure du déjeuner, Amélie n’a jamais envie de manger ce pain. Chaque jour, sa mère espère qu’elle le goûtera. Mais le soir Amélie le rapporte à la maison, désolée de ne pas l’avoir entamé. Pourtant le lendemain, toujours elles s’arrêtent à la boulangerie. Et tandis que les paillettes crépitent en retombant dans le jardin, par la porte entr’ouverte monte la chaleur du fournil. Amélie serre contre elle le sac au petit pain chaud et la main de sa maman.

« Ta petite main est chaude », lui dit sa mère, « j’aime quand elle réchauffe la mienne » Et Amélie fière, lui serre doucement les doigts en marchant vers l’école.

Quelques secondes encore de poussière magique et Amélie grelotte. Elle cherche la main qui l’a lâchée, ne trouve que le paquet des fusées. Elle craque la deuxième allumette qui vient brûler ses doigts. Et quand elle allume la mèche du volcan, une lueur rouge vient la recouvrir. La veilleuse du compartiment entoure d’un halo doux les petites filles qui s’endorment. Amélie et sa classe rentrent d’un séjour à la montagne. Sa tête lourde lui fait mal. Elle ferme les yeux et sent sur son front chaud la main de sa maitresse. « Amélie a de la fièvre  » dit la voix de celle ci. Doucement elle cale la tête de la fillette sur ses genoux, lui allonge les jambes sur la banquette. Amélie laisse aller son visage contre les bras qui la tiennent et la garde des cauchemars. Le train balance et la berce. Le rythme du wagon s’inscrit comme une musique, au rang des souvenirs. Bien plus tard, certains jours de peine ou de solitude, sa mémoire lui renverra, au bout de la nuit, au détour d’un rêve, l’ombre des bras qui l’ont portée. Juste à la sortie du tunnel, le volcan finit de brûler. Dans ses mâchoires que le froid paralyse, les dents d’Amélie ne peuvent plus claquer. Sa mère de nouveau tend le livre détesté. Sur la page illustrée, Amélie se reconnaît : près de l’enfant aux allumettes, penchée sur son paquet, elle sort la dernière des fusées. La troisième allumette l’enflamme en cascade lumineuse et une nuée d’argent réchauffe l’air, le givre, la neige et les songes d’Amélie.

La chaleur du wagon détend son corps engourdi ; le front contre la vitre, elle regarde les paillettes lumineuses tourner dans les tunnels du métro. Le vertige lui fait fermer les yeux ; elle glisse le long de la porte, veut se coucher par terre, pas longtemps, juste pour reposer ses jambes molles. Elle ne sait pas qu’elle va tomber. Ce sont les bras de son père qui la retiennent, la soulèvent et la portent sur le quai : Amélie s’est évanouie, il n’y aura pas de sortie. De retour à la maison, elle sent la main fraiche de sa mère lisser doucement ses cheveux ; patiemment elle repousse chacune des mèches collées à son front moite, les ramènent délicatement derrière son oreille. L’enfant voudrait que l’instant ne change plus jamais. Malgré le mal de tête, elle savoure la présence de sa mère, la douceur de sa caresse et le long tête à tête. Sous la lumière diffuse de l’abat-jour, sa fièvre comme un trésor rayonne. Et bercée par l’ennui et la songerie de sa mère, elle finit par s’endormir.

Amélie se coule dans la chaleur des chagrins anciens. A travers ses paupières, la fontaine argentée éclaire ses souvenirs. Recroquevillée dans la neige, Amélie entame le précieux voyage, elle quitte la solitude glacée où elle n’a personne à retrouver ; elle retourne aux chagrins jamais consolés, à l’infini des regrets. Elle se moque d’être aussi seule que la petite marchande d’allumettes, aussi misérable qu’elle l’a toujours jugée. Au dessus d’elle, la nuit n’en finit plus de briller. Et pour la première fois, quand sonnent les douze coups de minuit, la fête d’Amélie vient à peine de commencer. C’est elle que l’année vient célébrer, pour elle que les soleils vont se lever. Dans la chaleur d’un lieu qui n’existe pas, elle reconnaît les douceurs nécessaires, les tendresses qui consolent, le repos éphémère des bras qui viennent l’entourer. Elle retrouve les souvenirs qui l’ont précédée, ceux qu’elle croyait perdus ou effacés. Elle invite détresse ou lassitude ; elle les tire de ses pensées, de sa mémoire et de l’oubli. Couchée dans une douceur impalpable, elle confie ses abandons, les émotions ravalées, l’indicible solitude qui l’a souvent accompagnée. Et pendant que le froid vient l’emporter, elle triomphe sous ces nouveaux soleils, de la nuit et du temps passé.

Tôt ce premier janvier, les éboueurs l’ont trouvée ; celle qu’on a toujours surnommée « la petite », est allongée sous le givre qu’un soleil pâle fait scintiller. Le corps abandonné ressemble à celui d’un enfant endormi. Les hommes penchent leurs visages fatigués, chiffonnés, pas rasés, sur la vieille femme. Ils reconnaissent Amélie, sa silhouette frêle déformée par les années. Un homme soulève le corps léger et sans vie. Un autre essuie la neige qui a figé le sourire, lissé les traits ridés ; il repousse les cheveux blancs collés sur la plaie. Puis il ouvre doucement la main d’Amélie, desserre les doigts fermés sur de fines tiges de bois, des bâtonnets à l’extrémité colorée ; trois longues allumettes dorées, qu’Amélie n’a pas enflammées. 6

RENAISSANCE
Je m’appelle Galiléo Galiléi, fils de Vincenzo Galiléi et de Giulia Ammannati di Pescia. Que Dieu soit miséricordieux pour mes chers père et mère, qu’Il les garde près de Lui pour l’Eternité. Oh, ils me manquent tant depuis qu’ils sont montés au Ciel ! Il n’y a pas un jour qui se lève et se couche au firmament sans que je pense à eux et me souvienne du chant et de la douce musique de père !
Bientôt, j’irai les rejoindre, car je suis vieux et fatigué : j’ai 69 ans- tant d’années depuis que mamma cara m’a mis au monde le 15 février de l’an 1564 dans la belle ville de  Pise !- mes os me font mal et mes yeux ne distinguent presque plus la lumière que l’astre solaire nous envoie.
Et je me sens plus vieux encore depuis le jour affreux où l’Eglise m’a condamné, m’obligeant à renier tout ce à quoi je crois : la Vérité, et à dire le contraire de ce qui est, à reconnaître que j’étais dans l’erreur et l’hérésie.
Moi dans l’erreur ! Alors que tout ce que j’affirme est vrai !
Moi hérétique ! Alors que ma foi en Dieu et mon amour de mon Seigneur Jésus et de tous les Saints n’ont jamais failli!
Oh, comme je suis fatigué !
J’ai été et suis toujours un grand savant- oui, c’est la vérité- unanimement reconnu, même du Pape et de l’Eglise, jusqu’à ce jour maudit….. !
Ma vie qui va arriver à son terme bientôt, je le sens, peut se résumer en quelques mots : j’ai enseigné- pour vivre et élever ma famille- j’ai cherché à élucider les secrets du monde- quelques uns seulement, il y en a tellement !- et j’ai publié, voilà, c’est tout : à la fois beaucoup et si peu !
C’est l’université de Pise qui m’a accueilli pour mes débuts- en mathématiques- puis celle de Padoue- en mécanique appliquée, mathématiques, astronomie et architecture militaire- puis à nouveau Pise où j’ai été nommé- j’en ai été très fier- Premier Mathématicien de l’université et Premier Mathématicien et Premier Philosophe du Grand Duc de Toscane, puis consul de l’Académia Fiorentina. Mes cours ont été très suivis, mon enseignement très recherché, j’ai eu beaucoup de succès : oui, c’est la vérité aussi ! J’ai transmis à mes élèves du mieux que j’ai pu et avec l’aide de Dieu- que tous les jours je prie, saint est son Nom- toutes mes connaissances tirées tant de l’expérience de mes prédécesseurs et des savants d’aujourd’hui que de mes propres découvertes, j’ai essayé de leur communiquer ma passion pour la recherche et ma quête du savoir. Ai-je réussi ? Je l’espère.
J’ai fait des découvertes importantes sur le centre de gravité de certains solides, l’oscillation des pendules, la cycloïde, le compas de proportion, la pompe à eau, ainsi que sur la loi du mouvement uniformément accéléré, le thermoscope et le microscope. Tout cela, oui ! Mais en fait bien peu de choses au regard des innombrables sujets de recherche qu’offrent notre Terre et tous les Cieux!
J’ai aussi amélioré et perfectionné- c’est peut-être là mon chef d’œuvre- la lunette astronomique de Lippershey, 20 fois plus puissante et d’une qualité optique bien supérieure ! Ah, quelle aventure extraordinaire fut pour moi cette lunette, et que de découvertes éblouissantes elle m’a permis de faire! Je me souviens de ma démonstration au sommet du campanile de la place St Marc de Venise, devant tout le sénat : triomphale ! Oh, quel grand jour ! Puis à la cour de Toscane, avec le même succès ! Sont-ce pêchés d’orgueil d’avoir joui si intensément de ces moments ? Dieu décidera dans sa sagesse et toute sa clairvoyance! J’ai découvert les montagnes de la Lune, la nature de la Voie lactée, les taches solaires, les satellites de Jupiter, les phases de Vénus, la détermination des longitudes par l’observation des satellites de Jupiter. Tout cela aussi, oui !
J’ai publié de nombreux ouvrages, dont certains eurent un retentissement considérable, notamment un traité de mécanique, le « Sidereus Nuncius » sur mes découvertes concernant le ciel, le soleil, les planètes et les étoiles, que mon ami Descartes a traduit en Français par « Messager céleste », le « Saggiatore » et puis le trop fameux « Dialogo » sur les deux grands systèmes du monde qui a été l’instrument de ma perte !
Oh, comme je me rends compte maintenant combien j’ai été dans cette affaire orgueilleux, borné, trop sûr de mes succès passés, de mes appuis politiques et religieux, imbu de moi-même, fat en somme ; ce qui m’est arrivé est mérité ; j’aurais dû montrer plus d’habileté, modérer mes propos, ménager davantage mes ennemis et surtout tous ceux qui étaient dans le doute, ne savaient quoi penser ni où était la vérité. Dieu m’a puni de mon orgueil !
Mon « Dialogo » était un dialogue médiocre, orienté, d’un parti pris si manifeste, je m’en rends compte maintenant, mais hélas trop tard ! Et le Pape, dont j’étais l’ami et qui me faisait confiance, s’est senti trahi ! J’ai perdu ! C’est de ma faute, entièrement !
Pourtant Copernic a raison! Moi aussi j’ai raison! Et Aristote a tort ! Entièrement ! Le système géocentrique est faux ! La vérité, c’est que la Terre est ronde, que les planètes tournent autour du Soleil, et que la Terre n’est pas le centre du monde !
Mais je dois me taire.
Déjà il y a 17 ans – c’était les 25 et 26 février de l’année 1616, deux journées qui furent horribles pour moi et tout le monde savant- le Saint Office avait condamné la théorie copernicienne- dont j’étais un ardent partisan- en niant sa réalité, et l’avait reléguée à une simple hypothèse ; l’arrêté de condamnation valait pour toute la chrétienté !
Et depuis le 22 juin de la présente année 1633, il y a un mois jour pour jour, en ma soixante neuvième année, le Saint Office a interdit mon ouvrage « Dialogo » et m’a condamné à la prison à vie, après m’avoir fait abjurer toutes mes idées et mes certitudes. Oh, l’abominable journée !
J’ai eu si peur, tellement ! Ils me menaçaient de la torture, de me briser les os, de déchirer et de brûler mes chairs! Je savais que je n’aurais pu le supporter ! D’ailleurs quel supplicié peut résister aux souffrances infligées par les bourreaux, qu’ils savent renouveler et amplifier avec art au long des minutes, des heures et des jours jusqu’à l’aveu final et l’abandon total, ou la mort ?
J’ai abjuré !
Toutes mes certitudes scientifiques, je les ai reniées; toutes mes années d’étude et de recherche, toutes mes expérimentations, les preuves accumulées, les miennes et celles de Copernic, de Kepler et de tous les autres, balayées, rayées, réduites à néant !
Et j’ai prononcé l’affreuse formule que le Saint Office avait préparée pour ma comparution devant le Tribunal de Dieu, la voici, je n’ai pas changé un mot :
« Moi, Galiléo, fils de feu Vincenzio Galilei de Florence, âgé de soixante neuf ans, ici traduit pour y être jugé, agenouillé devant les très éminents et révérés cardinaux inquisiteurs généraux contre toute hérésie dans la chrétienté, ayant devant les yeux et touchant de ma main les Saints Evangiles, jure que j’ai toujours tenu pour vrai, et tiens encore pour vrai, et avec l’aide de Dieu tiendrai pour vrai dans le futur, tout ce que la Sainte Eglise Catholique et Apostolique affirme, présente et enseigne. Cependant, alors que j’avais été condamné par injonction du Saint Office d’abandonner complètement la croyance fausse que le Soleil est au centre du monde et ne se déplace pas, et que la Terre n’est pas au centre du monde et se déplace, et de ne pas défendre ni enseigner cette doctrine erronée de quelque manière que ce soit, par oral ou par écrit ; et après avoir été averti que cette doctrine n’est pas conforme à ce que disent les Saintes Ecritures , j’ai écrit et publié un livre dans lequel je traite de cette doctrine condamnée et la présente par des arguments très pressants, sans la réfuter en aucune manière ; ce pour quoi j’ai été tenu pour hautement suspect d’hérésie, pour avoir professé et cru que le Soleil est le centre du monde, et sans mouvement, et que la Terre n’est pas le centre, et se meut… »
Oh, affreux souvenir ! Comme j’ai honte de ma lâcheté et de ma peur ! Mon reniement me hante l’esprit et m’oppresse chaque jour !
Et comme depuis je me sens vieux et fatigué ! Et ma vue qui décline chaque jour ! Souvent j’aimerais mourir.
Heureusement le Pape, dans sa grande mansuétude, s’est montré bon pour moi, qui a commué ma peine en résidence à vie ; j’ai échappé à la prison, aux cachots sinistres du Saint Office, et c’est désormais à Sienne chez l’archevêque Piccolomini que je demeure.
Heureusement aussi mes amis sont fidèles et ne m’abandonnent pas, ni les savants d’Europe dont beaucoup m’ont manifesté leur soutien.
Ainsi Kepler dont j’ai reçu une lettre aujourd’hui.
Sa lettre est étrange, mais ne me surprend qu’à demi ; Kepler est un grand savant, qui a mon respect et toute ma considération, mais il croit à l’astrologie ! A plusieurs reprises il m’a entretenu avec passion de ce sujet en espérant me convaincre. Comment peut-il admettre de telles fadaises et balivernes- qui choquent au-delà de toute mesure mon esprit d’homme de sciences- l’influence des signes zodiacaux, du Soleil, de la Lune, de Vénus et des autres planètes, de l’Ascendant et de toute la machinerie astrologique ? Lui qui par ailleurs montre tant de rigueur dans ses analyses, et un esprit si critique et profond en matière scientifique ! Cela demeure pour moi un grand mystère !
Sa lettre est un long message de trois pages de belle calligraphie; il m’y manifeste chaleureusement son soutien et ses encouragements, et m’annonce plusieurs choses très surprenantes qu’il aurait décryptées lors de ses récents travaux astrologiques ; voilà ce qu’il en est :
« Cher ami, je connais votre scepticisme à l’égard de certaines de mes idées, mais j’ai lu dans les astres, en dressant ces derniers jours plusieurs thèmes astraux, dont le vôtre, que des influences très favorables viendraient modifier fort sensiblement et définitivement la situation malheureuse dans laquelle vous vous trouvez.
Il s’agit d’évènements à très long terme, puisque ce sont les planètes à révolution lente qui sont en jeu, Jupiter et Saturne.
Mais avant d’aborder ces influences, je tiens à vous donner cette nouvelle extraordinaire : le Ciel serait plus habité de planètes qu’il n’y paraît aujourd’hui ! Oui, cela va vous étonner, cher ami, mais sauf erreurs d’interprétation de ma part- que j’ai rendues très improbables car je me suis entouré de mille précautions et j’ai vérifié autant de fois mes calculs- nos successeurs astronomes découvriront probablement au moins trois nouvelles planètes, très éloignées du Soleil mais tournant autour comme les autres ! Je sais que d’écrire de telles choses est dangereux, mais je puis le faire à moindre risque que vous, étant plus éloigné de Rome et du Saint Office. Je ne suis pas très sûr du nom qu’elles porteront- les interprétations ne sont pas toujours aisées- mais je vous les donne tels que j’ai pu les déchiffrer : Uranus, Neptune et Pluton. Etonnant, vous ne trouvez-pas ? Trois planètes supplémentaires dans le Ciel, au-delà de l’orbite de Saturne ! Je vous laisse imaginer la joie et l’enthousiasme extraordinaires qui m’ont habité lorsque le zodiaque m’a délivré son message! Trois planètes en plus autour du Soleil, soit, hors la Lune qui fait sa révérence à la Terre, neuf au total dansant leur ronde dans le ciel en l’honneur de l’astre du jour! Quelle révolution ! Oh, cher ami, dites-moi vite votre avis, j’y tiens beaucoup, aussi rapidement que vous le pourrez, en prenant toutes les précautions qui s’imposent compte tenu des circonstances, j’ai une si grande hâte de recevoir votre lettre !
J’ai lu également, cher ami, une nouvelle aussi immense que celle que je viens de vous donner, et qui va vous combler de joie, à savoir que les théories héliocentriques de Copernic qui vous sont si chères allaient être enfin reconnues et renaître ! Oui, je vous l’assure ! Je l’ai lu très clairement, le doute était impossible! Une reconnaissance totale, de tous, même de l’Eglise et du Pape ! Une renaissance complète de vos idées ainsi destinées à rayonner bientôt sur toute la Terre ! Certes, de longues années seront nécessaires pour que ce jour arrive- comme je l’ai écrit précédemment, les prévisions mettent en jeu les planètes lentes Jupiter et Saturne, les échéances sont donc lointaines- mais il arrivera, je vous le certifie! Ni moi ni vous hélas ne vivrons suffisamment pour voir cet évènement et en jouir, mais de savoir qu’il surviendra procure déjà une si grande joie ! Tout votre travail, toutes vos études et toutes vos découvertes s’en trouvent justifiés ! Comme je me réjouis pour vous, cher ami ! Et comme je me réjouis aussi pour tout le monde savant, car enfin la Vérité va éclater et éclairer le Monde !
Enfin au cours de mes travaux d’interprétation un mot mystérieux, « Galiléo », est apparu, qui ne peut être qu’en rapport avec vous, c’est pourquoi je vous en fais part; je n’ai rien pu discerner au-delà de ce mot, déchiffrer quoique ce soit à son propos ni ce qu’il représentait, juste une date, très lointaine, du 3ème millénaire : 2014. C’est tout ce que je peux en dire.
Quoiqu’il en soit, tout ce que les astres m’ont révélé vous est éminemment favorable, et je m’en réjouis. Et je suis immensément heureux que ma lettre puisse vous l’apprendre.
Cher ami, faites-moi confiance je vous en prie, et croyez à la véracité de mes prévisions : vos idées vont renaître, la vérité héliocentrique va enfin être reconnue ! »
Voilà ce que Kepler m’a écrit.
Je ne crois pas à l’astrologie, mais sa lettre m’a bouleversé. Oh, si seulement Kepler pouvait avoir raison ! Si ses prévisions pouvaient s’avérer justes! Si l’avenir pouvait être comme Kepler le voit dans son zodiaque et les transits de ses planètes! Je tiendrais ma revanche, mes idées et celles de Copernic renaîtraient de leurs cendres et triompheraient, elles seraient définitivement reconnues pour vraies, comme ce serait merveilleux !
Après avoir vécu ces jours si sombres et souffert l’horrible agonie de mon esprit, j’ai l’impression de renaître moi aussi, de revivre intensément, avec une folle espérance au cœur.
Oh, oui, Kepler a certainement raison ! Dieu est juste et bon, il m’a absout de mes pêchés d’orgueil ! Je n’ai pas perdu, je vais gagner, mes idées vont renaître, la Vérité va triompher !
Epitaphe
L’épitaphe disait en anglais :« C’est lui qui a voulu que ces mots soient gravés ici :Pour toujours, j’appartiens à ma seule vraie patrie »
Comme chaque fois que je rendais visite à sa tombe, dans le petit cimetière de
Carnoustie battu par le vent à quelques miles de Dundee au bord de la Mer du Nord, je
déposais sur la pierre blanche un chardon. Un chardon, parce que cette herbe folle est
l’emblème de l’Ecosse et que je n’ai jamais connu quelqu’un de plus totalement, de plus
irrémédiablement écossais que Ian MacIntyre. C’était bien de lui cette épitaphe ! Lui qui
avait passé l’essentiel de sa vie à servir la Couronne, et qui n’avait pu se priver du
plaisir posthume de proclamer qu’avant d’être britannique, il était avant tout écossais. Je
me souviens encore parfaitement de ma première rencontre avec Ian. C’était à
l’occasion d’un de mes voyages d’affaires en Angleterre, à l’époque bénie du swinging
London où j’allais souvent pour la boîte qui m’employait, une société qui avait des
velléités d’implantation outre-Manche pour être plus proche de ses marchés peu
avouables et entourés de secret : les missiles. Ian était la parfaite représentation du
militaire britannique : grand, des moustaches en crocs, un port de tête raide mais, en
permanence une étincelle d’humour britannique dans ses yeux bleus. Il était consultant
dans une société qui était sensée recruter le directeur ad-hoc pour notre filiale anglaise.
C’était un grand classique en Grande-Bretagne ; les officiers supérieurs en retraite,
trouvaient des emplois dans des fonctions de cadres d’entreprises plus ou moins en
rapport avec l’armement. Les relations de Ian par le biais de son club, l’avait amené à se
voir proposer une variante à cet avenir tout tracé, celle du conseil très spécialisé en
ressources humaines. Lors de notre premier contact, à Londres, là où il travaillait et
vivait, son efficacité m’avait impressionné et surpris. J’étais habitué à rencontrer ses
homologues français qui cultivaient le genre « psy inspiré ». Ian avait lui une
conception différente du recrutement, une conception très militaire. Pour le candidat, ce
devait être un parcours du combattant et seuls les meilleurs arriveraient à la sélection
finale. Pour ne pas être influencé par un curriculum vitæ bien tourné ou une photo
flatteuse, la première chose qu’il faisait était de jeter l’un et l’autre et de faire remplir au
candidat un questionnaire au débotté après l’avoir photographié avec un Polaroid. Les
dossiers présentés au futur employeur que je représentais étaient donc tous similaires et
tous agrémentés d’une photo qui évoquait plus un repris de justice qu’un postulant pour
une fonction de cadre supérieur. Ian m’avait emmené au Bull and Frog un pub près de
Whitehall, dont paraît-il Churchill était un client assidu ; une photo le montrait au bar
un verre de cognac à la main. D’autres politiciens, d’Harold MacMillan à Edward Heath
avaient suivi son exemple et leur image, avec pour arrière plan, le bar tapissaient les
murs. Le ministère de la guerre était tout proche et Ian semblait connaître tous les
fonctionnaires, pour la plupart des militaires, qui se bousculaient dans une salle étroite
pour prendre leur lunch. C’est là qu’il m’avait exposé sa méthode de recrutement après
avoir posé deux pints de stout sur une table. Ensuite, nous étions retournés à son bureau
pour voir ensemble les dossiers et préparer les premières interviews qui auraient lieu la
semaine suivante. Apprenant que j’étais seul le soir à l’hôtel, Ian m’invita d’abord chez
lui pour prendre un whisky, un vrai, un pur malt des Highlands. Il habitait, au premier
étage d’une rue proche de Regent’sPark un appartement encombré de trophées africains
et de photos en noir et blanc de groupes de militaires avec pour arrière-plan des
paysages exotiques. Puis il m’emmena dîner dans le restaurant où il avait ses habitudes.
Il me raconta alors sa vie. Fils de Scottish Guard, il était inconcevable qu’il ne suive pas
l’exemple de son père pour, peut-être lui aussi un jour assurer la garde à Balmoral, la
résidence d’été écossaise de la Reine. Après Oxford, il était donc devenu Guard pour
Elisabeth et pour l’Angleterre. Il avait baroudé au Nigeria, en Rhodésie ; il avait aussi
connu des garnisons plus reposantes comme les Bermudes, puis il était revenu dans les
Iles britanniques pour assurer le maintien de l’ordre à Belfast et à Derry. Il en était très
fier, me disant que si l’armée britannique n’avait pas été là, la situation aurait été pire
encore. Je compris cependant qu’il n’avait pas insisté pour prolonger son temps et qu’il
s’était fait assez facilement à l’idée d’être retraité. Ian m’avait tout de suite été
sympathique et cela avait été réciproque. Il me rudoyait en me soupçonnant d’être à
peine civilisé car je ne jouais ni au golf, ni au fléchettes. Au moins, je savais boire une
pinte de bière et même deux ou trois ce qui remontait un peu ma cote. Au fil de mes
séjours en Grande Bretagne, nous avons passé de nombreuses soirées ensemble dans le
petit appartement de Regent’s Park. J’ai su qu’il était assez seul. Il avait divorcé depuis
longtemps et son fils unique s’était enrôlé. Dans les Scott Guards bien sûr. Sa famille,
c’était plutôt ses amis, des militaires en activité ou en retraite qu’il rencontrait dans son
club à Londres près des ministères.
C’est en vacances en Autriche avec quelques uns de ces amis, que Ian avait disparu. Au
sens propre du terme. Il aimait la montagne et ne passait ses vacances qu’avec un sac à
dos et des chaussures de randonnée. Le mauvais temps avait surpris le groupe en
altitude. En quelques minutes, le ciel s’était couvert, le vent avait monté. La neige leur
brûlait le visage et les obligeait à fermer les yeux. Pliés en deux, se battant contre les
rafales, ils avaient mis des heures à rejoindre le dernier gîte d’étape rencontré sur le
trajet. Et là, ils s’étaient comptés. Ian MacIntyre manquait. Un groupe de trois était sorti
et l’avait cherché sans succès. Ils s’étaient relayés tard dans la nuit ; ni les secours le
lendemain, ni l’hélicoptère quand le soleil était revenu, n’avaient rien trouvé. La
conclusion des gendarmes fut qu’il était tombé dans un ravin ou une crevasse et que son
corps ne réapparaîtrait que des mois ou, comme cela arrive parfois, des années plus tard.
Les amis de Ian avaient écourté leurs vacances et avaient tiré au sort celui qui
téléphonerait à David pour lui annoncer que son père était mort. A Carnoustie, la tombe
était donc vide et c’est peut-être pourquoi la cérémonie célébrée par le pasteur
presbytérien resta un de mes souvenirs les plus poignants. La perte de Ian me pesait. A
chaque fois qu’un de mes voyages en Angleterre me le permettait, je prenais un avion
pour Edimbourg pour lui rendre visite au cimetière et déposer, toujours ému, un chardon
sur sa stèle.
C’était une autre décade et ma société s’intéressait maintenant à l’Est. La guerre froide
battait son plein, mais l’incidence était favorable pour les entreprises européennes ;
l’URSS et ses satellites cherchaient désespérément à rattraper leur retard technologique
sur les USA. L’Europe, alliée officielle de l’Amérique dans l’embargo à l’encontre des
Soviétiques se laissait aller au compte-goutte à quelques assouplissements au nom de
l’intérêt bien compris du commerce. Je me rendis dans des villes pour moi inconnues
jusque là : Prague, Budapest, Moscou, et j’y découvris à la fois la tristesse et la pauvreté
de pays qui semblaient tout juste sortis de la guerre et la richesse extraordinaire des
musées. Lors de mon premier séjour à Leningrad, la ville était sous la neige. Pour
quitter le grand hôtel situé au bord de la Baltique et visiter le centre, je dus accepter
d’être embrigadé dans un groupe et promené dans un autocar qui semblait dater des
années cinquante. C’est de ses vitres que je vis la perspective Nevski et les quais de la
Neva, aucun arrêt n’étant prévu au programme avant le Palais d’Hiver. Pendant la visite
de l’Hermitage et de ses kilomètres de salles qui semblaient contenir tous les tableaux
d’Europe, je réussis enfin à m’échapper du groupe pour apprécier les toiles à mon
rythme. C’est dans la section un peu sombre des Rembrandt où je reculais pour mieux
voir dans son ensemble « Le Fils Prodigue » que je heurtais un officier de l’Armée
Rouge, à moins qu’il ne fût du KGB, je n’ai jamais été très fort dans les uniformes
soviétiques ; en tout cas, je remarquais sa triple rangée de décorations. Il s’excusa et
s’inclina un peu raide, puis recula vers le couloir et repartit d’où il était venu en
allongeant le pas. J’eus un choc, cet officier ressemblait tellement à Ian MacIntyre avec
quelques années de plus ! Jusqu’aux moustaches relevées tellement peu soviétiques ! Je
pris la même direction et ne le voyant déjà plus, me mis à courir pour le rattraper. Dans
un pays aussi contraint que l’était l’URSS à l’époque, mon attitude eut sa conséquence
logique : je fus rapidement stoppé par deux miliciens qui me ceinturèrent. J’essayais
péniblement de me faire comprendre sans aucun succès lorsque des ordres brefs en
russe firent taire les miliciens, l’officier était devant moi. Je m’étais trompé, ces traits
sévères n’appartenaient pas à Ian. Mais il s’adressa à moi en anglais sans aucun autre
accent qu’une pointe de rocaille des Highlands. C’était lui ! Mais toute affabilité, tout
humour avaient disparu pour ne laisser sur son visage qu’une expression de dureté. Il n’y
eut aucun préliminaire, juste quelques phrases sèches pour aller à l’essentiel.
« Je ne suis pas heureux de te revoir. Cela aurait mieux valu pour toi que tu me croies
mort.
Tu n’as pas oublié les soirées où nous buvions du whisky ? Tu étais très bavard, tu m’as
dit beaucoup de choses utiles sur tes missiles. »
C’était vrai. Plusieurs fois le matin, la tête lourde et j’avais ressenti une sensation de
malaise aux questions que m’avait posées Ian la nuit précédente. J’avais même envisagé
d’en parler à mon boss sans arriver à me décider. Insensiblement, j’étais parvenu un
jour à un stade où il était évident que tout cela avait été trop loin pour encore pouvoir
aborder le sujet.
« Est-ce que tu crois que ton patron apprécierait de savoir tous les services que tu m’as
rendus ? Et le contre-espionnage de ton pays, tu crois qu’il ne s’intéressera pas à toi si
une fuite le met sur la voie ?
Alors, tu oublies que tu m’as rencontré ! Et comme je veux être sûr que la mémoire ne
te reviendra pas une fois rentré, tu continueras à me rendre quelques services. Pas à moi
directement bien sûr, mais à quelqu’un qui prendra contact avec toi à Paris.»
Je n’avais rien à répondre, trop secoué que j’étais par l’apparition de ce fantôme. Les
miliciens prirent mes papiers dans ma veste et les examinèrent longuement. Lorsqu’il
mes les rendirent et me libérèrent enfin, Ian n’était plus là.
Pendant le vol de retour, je réalisais que tout cela était finalement totalement
vraisemblable. Depuis quelques années, on ne comptait plus les articles ou les livres sur
Philby et d’autres qui révélaient qu’Oxford et Cambridge avaient été le lieu privilégié de
recrutement des agents soviétiques en Grande Bretagne et que le MI5, la haute fonction
publique et l’armée étaient infiltrés.
De retour en France, après quelques mois, je commençais pourtant à penser que Ian
m’avait oublié, que le souvenir de notre rencontre resterait enfoui là-bas, sous la neige
et le froid de Leningrad. Je me trompais bien sûr et un jour où je prenais un café dans
mon bistrot favori, alors que les places vides étaient nombreuses, quelqu’un que je ne
connaissais pas s’assit à ma table. « Nous avons un ami écossais commun, me dit-il. »
C’était mon officier traitant, l’homme par qui transiteraient les « services » que je
rendrais à Ian, ces services qui m’ont fait passer d’ingénieur trop bavard à espion, eh
oui ! c’est comme cela que cela s’appelle ! Un espion peu glorieux, prisonnier du
chantage d’un disparu !
Pour ce premier rendez-vous, mon contact ne me donna qu’une seule instruction : ne
rien changer à mes habitudes, et surtout, pour mon prochain voyage en Angleterre, aller
rendre visite à la tombe de Carnoustie.
C’est ce que je fis, posant par habitude un chardon à côté des lettres gravées dans la
pierre qui disaient :
« Pour toujours, j’appartiens à ma seule vraie patrie ».

Désert, mon ami

C’était prévu, je savais que cela se produirait.

Mais j’avais beau m’y attendre, j’ai ressenti tout de même comme un coup à l’estomac, une angoisse légère, lorsque c’est arrivé.

Mais mon émotion n’a pas duré.

Tout au long des mois, le sable avait grignoté  mon jardin. Et depuis plusieurs semaines déjà, j’avais dû faire mon deuil de mes légumes : carottes,  poireaux, haricots…qui faisaient la joie de ma table, comme de mes herbes aromatiques qui parfumaient mes salades ; fini le jardinage, retourner ma terre, arroser, désherber et cueillir ce qui avait poussé et mûri.

Une tristesse me vint, mais ne fit que passer et s’envola très vite comme un oiseau pressé : ce n’était que le destin en marche qui me saluait : « bonjour, c’est moi » ; je n’ai eu ni révolte ni colère, plutôt une sorte d’apaisement, comme lorsqu’on est à la veille de quelque chose qui va finir.

J’avais désormais du sable partout dans mon jardin dont les limites ne se distinguaient plus : la montagne de sable qui me faisait face, immense et si haute qu’elle me cachait le soleil, m’en avait fait cadeau.

Cette montagne,  je la connaissais bien, je l’aimais, et je ne lui en ai pas voulu.

Aujourd’hui 3 février, le sable a touché les murs de ma maison.

En novembre dernier, sachant ce qui arriverait, la mairie m’avait incité à quitter mon logis pour un abri plus sûr, comme l’ont fait mes voisins dont les maisons sont recouvertes maintenant.

Mais je n’ai rien fait et je ne ferai rien. Je ne bougerai pas. Ma montagne- gentille- m’a épargnée longtemps: je veux rester avec elle jusqu’à ma fin.

Mon désert est si beau !

C’est un désert, un vrai, rien n’y pousse, il est plus authentique et désertique que bien  d’autres déserts du monde qui verdissent et fleurissent dès la tombée de quelques gouttes, à en rendre jaloux les prés de nos campagnes! Ici, le sable reste le sable, virginal, pur, toujours égal à lui-même. Il est nu, mais tellement accueillant !

Mon désert s’appelle « Pyla » ; j’aime son nom, qui sonne bien ; souvent je l’appelle ainsi, comme je nommerais un animal familier, je marmonne et lui dis : « Pyla, tu es magnifique aujourd’hui, tu me plais » ou « Pyla, tu fais la bête à ronfler sous le vent comme tu fais », des mots gentils que je lui adresse quoi qu’il fasse, quelque soit son humeur.

Des gens idiots à l’esprit très étroit ont dit qu’il était « dune » et non « désert », qu’il était « fille » et non « garçon », trop petit pour être un vrai désert. Quels imbéciles ! Ils n’ont rien vu ni rien senti !

Oh, non, mon désert n’est pas petit !

D’en bas, il est immense, une muraille de Chine inaccessible, si abrupte qu’il est impossible d’y monter : faire un pas, c’est redescendre aussi vite d’un autre,  et si par orgueil on insiste, ce sera cinq minutes, pas plus : le souffle manque, le cœur n’en peut plus, les jambes rendent l’âme ! C’est que mon désert a des caprices de diva, il aime être désiré et conquis de haute lutte !

Vu d’en haut, il est superbe, sa beauté coupe le souffle.

A perte d’horizon la forêt d’un côté, qu’il grignote peu à peu, et de l’autre la mer, à laquelle il fait barrage ; depuis des millénaires, il résiste à ses colères, tempêtes et ouragans, en faisant le gros dos : « vas-y, mer, déchaîne-toi, mais tu ne passeras pas ! » ;  et la mer ne passe pas ; après mille échecs, la mer a compris et n’insiste presque plus ; elle le sait, mon « Pyla » est plus fort.

Sur son dos de géant, Arcachon et son bassin, le Cap Ferret et le banc d’Arguin se distinguent au loin ainsi que tous les bancs de sables qui affleurent et qui donnent à la mer mille couleurs. Minuscules, les bateaux des pêcheurs et les voiliers tracent leur route d’écume ; la mer n’est pas vide quand elle est de bonne humeur. Quel panorama, quelle majesté, quel silence !

Je ne suis pas seul à aimer mon désert : il apporte tant de bonheur à ceux qui lui rendent visite ; aux enfants, si nombreux au long des jours et des années, qui y jouent, rient, follement heureux de s’ébattre sur son dos de géant. Les instituteurs font leur leçon de nature : la mer, le vent, le sable, les oiseaux…et  les élèves écoutent passionnément, comme ils n’ont jamais écouté ; c’est que la mer est là, à côté tout en bas, le vent, ils l’entendent siffler à leurs oreilles, le sable, ils sont dessus, il est chaud, doux et si fin. Les adultes vibrent à l’unisson, le sourire à leurs lèvres et la joie dans les yeux; ils admirent, ils photographient ; les amoureux sont plus amoureux que jamais, les baisers s’échangent, les mains se serrent ! On pique nique, on chante, c’est bonheur !

Là haut, toutes les langues s’entendent, le monde entier s’y donne rendez-vous. Certes la tour Eiffel fait mieux, mais dans le bruit et les poussières de la ville, ici ce ne sont que pureté et silence; mais attention, les jours de grand vent, de tempêtes, quel charivari ! Hostile, mon géant se hérisse comme un chat en colère, et son humeur devenue exécrable chasse l’intrus à coup de grains de sable, par milliers. Même moi, son voisin et ami de toujours, ne suis pas épargné ; ces jours là, je ne le contrarie pas : je le laisse tranquille, seul avec lui-même et lui dis : « A bientôt».

Je ne vais pas me barricader.

Je vais laisser ma porte ouverte. Le sable est mon ami, et je vais l’accueillir.

Ma fin arrive, aussi sûrement qu’avance ma montagne de sable : c’est écrit. Et je veux que ma vie s’achève chez moi dans ma maison, sous mon désert ami: j’y serai bien, au chaud, tellement mieux que sous une pierre tombale.

Mon désert se meut sous les effets du vent, ma fin suivra le même rythme et prendra le temps qu’il faudra. Je n’ai pas d’impatience, je suis prêt tout simplement, je n’ai pas peur.

Moi en lui, notre belle histoire d’amour continuera et n’aura pas de fin. Mon désert et moi, on ne se quittera pas.

Journée- bonheur

 

Non !

Non, je ne vous dirai rien de cette journée- bonheur que j’ai vécue aujourd’hui !

Pourquoi vous raconterais-je, dites-moi ? Pourquoi vous ferais-je plaisir, à quel titre, en quel honneur ?

Lecteur névrosé, voyeur, jouisseur impuissant !

Oh, ce matin, juste à l’aube, quand le soleil pointait son oeil rouge par dessus l’horizon, mon sexe s’est dressé comme une Tour Eiffel. Sans autorisation bien sûr, sans que je lui demande rien, de façon totalement autonome : « Je fais ce que je veux ! » m’a-t-il semblé dire, et il a fait ce qu’il a voulu ! Pour admirer l’astre du jour, le voir de haut, le mieux apercevoir sans doute- comme un spectateur enthousiaste pendant le Tour de France- et le saluer, lui dire bonjour : « Bonjour, Monsieur Soleil ». Je n’ai rien entendu bien sûr mais fort bien ressenti  au bas ventre sa vigueur matinale; sa bonne humeur s’est propagée et m’a fait répéter comme en écho : « Bonjour, Monsieur Soleil ». Ce soleil rouge magnifique méritait bien notre double salut!

Mon bout de bois entre mes cuisses réclamait quelque chose- une douceur, un câlin ; il m’a tiré hors de ma nuit et de mes rêves et a sonné mon réveil le bougre !

Mon amie à mon côté dormait, son souffle à peine audible, sa frimousse émergeant tout juste du drap : cheveux ébouriffés noirs sur blanc, joues rosées et lèvres carmin, léger sourire sur un rêve passant, petit minois charmant que j’ai eu envie sur l’instant de croquer. Oh ! Quelle était belle sur le drap blanc ! Sous le tissu, sur sa peau douce et tiède, mon doigt puis ma main ont couru légèrement. Tendrement.

J’aime mon amie, ma belle aux draps dormant, elle partage ma vie, et tout est bien.

Ma caresse était emplie d’amour, seulement prémices du désir ; ma paume a effleuré le galbe de ses hanches, la rondeur des cuisses ; ses seins ont tressailli au contact de mes doigt. Mon amie a une peau fine très sensible.

Ses frissons l’ont un peu réveillée et je m’en suis voulu- un peu seulement- d’en avoir été sans doute la cause ; je me suis penché pour l’embrasser, effleurant ses lèvres tendres.

Alors, au sentir du baiser, elle m’a attiré près d’elle en m’enlaçant doucement. Ah, le collier de ses bras sur mon cou, ses lèvres sur mes lèvres ! Gestes d’amour si pur ! J’ai fondu comme beurre et neige au soleil, comme glace aux Tropiques !

Les rencontres amoureuses ne sont pas toujours réussies; souvent, c’est le rut brut, le coït animal, l’irritation des muqueuses et la tension des corps; l’acte achevé, le couple reste sur sa faim, il manquait trop d’âme et de tendresse au repas de l’amour.

Mais en ce beau matin- était-ce l’influence bénéfique de l’astre solaire en réponse à mon bonjour  de l’aube- rien ne manqua pour nous aimer autant qu’il est possible. Nos deux êtres vibrèrent à l’unisson, entrèrent en résonance, en totale harmonie comme sous la baguette d’un chef d’orchestre. Elle a ouvert ses bras, sa bouche, et tout son corps à mon amour, je lui ai donné mes bras, ma bouche et tout mon corps en retour. Nous nous sommes reçus et donnés, complètement. Corps, cœurs, âmes, nos deux êtres tout entier se sont liés jusqu’à ne former qu’un : unique et complet.

Ce fut un moment d’amour et de bonheur merveilleux.

J’ignore vraiment pourquoi je me confie ainsi; je n’ai nul besoin de confident, et surtout pas de vous ! Mes amours sont mes affaires, pas les vôtres ! Oui, ces pages vont aller au panier, pour que vous ne les lisiez point. Non, vous ne saurez rien ! Lecteur libidineux qui se caresse entre les cuisses en me lisant !

J’ai laissé mon amie s’endormir à nouveau. Elle semblait si bien sous le drap blanc, le nez pointant dessus, détendue, abandonnée au sommeil et au rêve. Vraiment, c’eut été criminel de lui demander autre chose.

Dors, ma douce !

J’ai pris mes clubs de golf, et suis parti à la rencontre des greens.

Les premières heures du jour sont les plus belles : le soleil- peintre fait flamboyer le ciel, l’air expire un parfum singulier, les oiseaux heureux chantent plus haut, on se sent fort, vigoureux, vainqueur ; un jour nouveau est là à découvrir, à saisir et conquérir.

J’ai tapé quelques balles au practice pour m’échauffer puis direction le trou n°1.

Par 3, fer 7, beau swing bien coulé : le tee gicle en cabrioles tandis que la balle s’élève haut dans le ciel…dessine sa courbe…

…. et tombe à 1 mètre du drapeau !

1 mètre ! Coup d’essai, coup de maître ! Oh, lecteur binoclard, presbyte astigmate qui déjà sucrez les fraises faute d’exercices, vous ignorez ce que le joueur ressent lorsque sa balle monte, monte, monte…., fait sa danse puis retombe sur le green à frôler le drapeau ! Instant magique ! Oh, ignorant pour qui seul le lire donne plaisir! Prenez donc l’air !

Une joie extraordinaire m’a submergé, comme si soudain j’étais le créateur d’une œuvre d’art, d’un chef d’œuvre, d’un acte parfait et pur.

Mon jeu n’est pas souvent si brillant ; la rareté fait le prix, et pour ce très bon coup la récompense était ce bonheur rare.

J’ai putté et réussi le birdie : banco ! Oh le doux chant de la balle se lovant amoureusement dans le trou pour valoir 1 sous le par !

Lecteur atrophié, vous allez me dire d’un ton hautain fort méprisant: « Oui, mais à quoi ça sert tout ça, toute cette agitation ? » Eh bien je vous réponds : « A rien ! Mais c’est bon ! »

Toute la partie s’est déroulée ainsi, comme dans un rêve : magnifique bois 3 au trou n°2, le plus beau drive de ma vie au trou n°3 ; et ainsi jusqu’au 9 où deux bunkers frontaux défendent le green; le passage est étroit, à peine assez pour une souris; j’ai été la petite souris…tip tip tip… sur mes quatre petites pattes… et pof ! La balle est allée là où je voulais la mettre, nouveau birdie.

Au total, 28, 4 sous le par !

Qu’en dites-vous, lecteur abhorré ? Vous restez muet ? Ca vous en bouche un coin? Tant mieux !

Oh, la joie tout au long du retour !

Devant la boutique de fleurs, je me suis arrêté pour choisir un bouquet; l’intérieur est toujours frais, empli de parfums, de couleurs, de formes multiples et étonnantes et c’est un vrai bonheur d’y être; la fleuriste en plus ressemble au magasin, belle et souriante, tant qu’il en faudrait peu que je ne l’aime aussi; mon amie a une passion pour les fleurs, alors je veux lui en offrir en quantité, des gerbes, des brassées, des paniers, des bourriches…. Elle ne m’accompagnait pas ce matin sur le golf, mais sa pensée ne m’a pas quitté un instant ; c’est elle sûrement qui m’a rendu talentueux.

A mon arrivée, mon amie oeuvrait dans la cuisine, préparant quelque chose : « C’est secret » me dit-elle, me poussant gentiment hors de son royaume.

Elle était bien pimpante dans son tablier rose qui l’enveloppait des pieds jusqu’au menton. Ma caresse a effleuré son corps, son cou de jeune biche et mon baiser a couru tendrement sur sa lèvre; le sien en retour était aussi doux que le mien.

Elle m’a demandé : « As-tu bien joué ? » « Es-tu content ? »; je lui ai dit « Oui » et ma joie est devenue la sienne.

Plongeant jusqu’en leur cœur sa narine frémissante a respiré le parfum délicat des fleurs sans se lasser; ses yeux ont brillé de bonheur, elle m’a envoyé son sourire.

Mon amie aime faire la cuisine ; par goût mais plus encore pour me faire plaisir : elle sait combien je suis gourmand, gourmet autant, et que les délices de la table comptent pour moi.

Alors je la laisse faire, non pas pour me débarrasser, fainéanter, éviter une corvée- préparer des petits plats me plaît aussi- mais pour la contenter tout simplement, car je l’aime.

Aussi, ne voulant ni ne pouvant l’aider, je me suis installé -comme coq en pâte- en compagnie d’une bière et je l’ai attendue.

Elle était heureuse devant ses fourneaux, alors je l’étais également.

J’ai jeté un œil distrait sur une revue, un deuxième plus distrait encore sur le petit écran, après avoir couper le son pour mieux jouir du silence, entendre le chant de la cocote et les doux bruits de ma fée des cuisines, mieux humer les fumets arrivant jusqu’à moi.

Le bonheur est souvent simple: un amour partagé, deux êtres qui s’aiment, cela suffit ! Le notre était de cette nature: nous nous aimions.

Elle a crié gentiment : « A table » ; alors, poussant des grognements d’animal affamé, je me suis précipité, faisant mine de lui arracher le plat qu’elle amenait, la mordillant partout ; elle a feint d’avoir peur et se défendre, a ri, moi aussi. Lui jouer la comédie la ravit, alors je ne l’en prive pas.

Tout a été parfait, mon amie est un vrai cordon bleu, vraiment !

Ah, ah ! Je sens que l’eau vous vient à la bouche, hein ? Vous salivez comme un malade ? Et bien, vous n’aurez rien, pas un croûton, une pelure, ni même un bout de couenne, rien ! Ceinture ! Vous ne me connaissez pas : quand je dis non- surtout à vous- c’est non !

Mon amie veut que mes papilles éruptionnent, s’enflamment, chantent la gloire de la cuisine, clament haut et fort leur plaisir ! Alors, elle y met tout son art et son amour et réussit.

Je l’ai félicitée et remerciée pour chaque bouchée par un baiser, à lui user ses lèvres douces ! Elle sait combien je me délecte, alors elle est heureuse.

C’est tout juste si nous avons pu parler de quelque chose ! A peine parler du beau soleil dehors qui avait cheminé depuis l’aube et de la promenade que nous allions faire ; à peine parler des oiseaux picorant la pelouse, des enfants jouant non loin ; des quelques nuages blancs ça et là, de l’avion tout là haut tirant sa traînée blanche, peut-être depuis les îles lointaines. La journée était belle, une journée douce de printemps, nous étions ensemble tous les deux, amoureux, et le moment était plein.

Mon amie aussi est gourmande, surtout des choses sucrées. Le sachant, j’ai sorti du buffet la bouteille de liqueur ; un petit verre ancien, puis quelques gouttes pour le remplir. J’ai vu ses yeux briller, les miens alors ont fait pareil.

Je m’étais promis de ne rien vous dire, et puis voilà : blablabla blablabla blablabla…Sans doute la chaleur de la table et des vins qui m’a rendu disert. Je le regrette et j’ai honte. Je ne sais pas tenir ma langue. Vous connaissant, vous devez ricaner et vous moquer : « Il est faible, il est faible, regardez comme il est faible! » Et vous ? Vous êtes- vous vu seulement ?

La promenade fut agréable. Nous n’avons pas d’enfant, pas de chien, pas de chat, ni d’oiseau, ni de poisson, mais nous aimons les enfants, les chiens, les chats, les oiseaux, les poissons. Et tous étaient là dans le parc, réunis comme pour un rendez-vous, à jouer sur la pelouse, à siffler dans les arbres ou voler dans les airs et nager doucement au fond de l’eau.

C’est une joie de traverser toute cette vie.

A la terrasse d’un café, une boisson fraîche nous a désaltérés: oh, ce moment agréable en compagnie de mon amie, dans la douceur de ce bel après midi de printemps !

Nous avons parlé de tout et de rien, goûtant l’animation du parc, puis sommes rentrés tranquillement, bras dessus bras dessous ou la main dans la main, un baiser à chaque pas.

L’envie l’a prise d’aller au cinéma ; alors j’ai eu la même envie. Quel était le programme, nous n’en savions rien, mais qu’importait.

Domestique stylé et attentionné, la voiture nous a conduits sans heurt.

La file d’attente avait deux places pour nous ; le film fut très drôle : mon amie a ri comme baleine, et ses yeux ont pleuré comme fontaine ; j’ai ri plus encore et mes yeux ont coulé comme ruisseau : que d’eau, que d’eau, tout mouillé tous les deux ! Comme ce fut bon de rire ainsi ensemble !

Le Mac Do voisin a accueilli notre appétit ; un Big Mac, c’est bon, deux c’est encore meilleur, un chacun nous a régalé- mon amie avait faim, moi pareil- le coca et la bière aussi. La bouche pleine, nous avons revu et commenté les images: une deuxième fois nous avons ri très fort.

Au retour, roulant doucement, le volant tenu du bout des doigts, ma belle et douce s’est blottie sur mon épaule. Le trajet aurait pu durer davantage tant nous étions bien ainsi tous les deux.

Sur le seuil de la porte je l’ai portée, comme au premier jour de notre amour. Ses bras m’ont enlacé, ses lèvres ont approché les miennes, notre baiser s’est prolongé longtemps, longtemps, longtemps….

Jusqu’au coucher.

« Je t’aime » je lui disais dans mon baiser.

« Je t’aime » elle me disait dans son baiser.

Le sommeil a clos nos yeux, mais tout au long de la nuit nos mains sont restées jointes et nos cœurs ont battu bien ensemble.

Journée-bonheur…journée- bonheur…journée- bonheur.

Eh bien voilà, c’est dit!

Je me suis raconté, allongé sur le divan, comme chez le psy !

Je me suis découvert, mis à nu, exhibitionniste je suis! Alors que je voulais rester muet, vous rien dire, garder mes amours pour moi!

Mais vous, voyeur, c’est pire ! 

Ah, le joli couple !

Je ne vous aime pas! Vous êtes trop le miroir où je vois ma faiblesse ! Adieu !

Mais aujourd’hui je ne m’aime pas non plus !

Non, je ne suis pas content de moi !

Journée- bonheur…journée- bonheur…journée- bonheur

Enfin

Je n’ai pas été surpris.

Comment aurais-je pu l’être ?

Depuis le temps !

Je suis même étonné qu’ils aient tant attendu.

Vingt huit ans pour l’une, vingt six pour l’autre, à quelques mois près, ou plutôt non : 10 ans et 8 ans à compter de leur majorité, c’est beaucoup.

Pourquoi ce long délai?

Dans leur tête et leur cœur, c’était- je le sais- clair comme l’eau qui cascade des montagnes : transparent, lumineux ! Une certitude sans faille qui n’avait pas faibli au fil des ans ! Nous en avions discuté ensemble souvent, avant qu’ils ne quittent la maison, puis après, et nous étions d’accord sur tout, sans aucun point de divergence.

Alors ?

Un remord ? Un doute ultime avant de s’élancer, de passer à l’acte ? Un sentiment d’amour filial un moment estompé?

J’ai reçu le pli d’huissier hier.

Il était midi, je déjeunais quand l’homme de justice a frappé à ma porte.

J’ai signé le reçu et il s’en est allé comme il était venu.

J’avais une prémonition en ouvrant l’enveloppe: n’était-ce pas ce que j’espérais tant? Mon attente allait-elle cesser enfin?

Oui, c’était bien cela !

Oh, quel bonheur soudain ! Quel soulagement, quelle légèreté !

Enfin !

Et comme ma gratitude est montée aussitôt vers mes enfants, comme je les ai remerciés, de loin par la pensée de tout mon cœur, de cette joie qu’ils me donnaient, de ce beau jour et des jours semblables à venir, si lumineux, qui s’ouvraient à moi !

Enfin j’allais pouvoir ôter le poids de ma faute qui me pèse tant, comme il pesait sur Caïn après le meurtre de son frère.

Payer.

Et me libérer.

Car je suis coupable !

Oui, coupable totalement

Et du pire des crimes sans doute ; c’est ce que je ressens si fortement au plus profond de moi et que je pense ; sentiment et pensée que mes enfants partagent.

Merci, enfants chéris !

Je sais combien votre acte d’amour a été difficile : tellement hors norme ! Et comme je mesure la grande affection que vous avez pour votre père !

Au Tribunal je plaiderai coupable, sans aucune circonstance atténuante.

Je n’aurai recours à aucun avocat : pourquoi faire ? Il n’y aura personne à défendre ni sauver: je ne veux pas être défendu, et encore moins sauvé.

-« Mr….reconnaissez-vous les faits, avoir engendré Melle… et Mr…, vos deux enfants ? »

-« Oui, Monsieur le Président »

-« Mr…., vos enfants vous en accusent: reconnaissez-vous qu’engendrer un enfant est un acte coupable?»

-« Oui, Monsieur le Président »

-« Un crime ? »

-« Oui, Monsieur le Président »

-« Mr…., plaiderez-vous des circonstances atténuantes ? »

-« Non, Monsieur le Président, aucune »

-« Mr…, bien que vous ne souhaitiez pas vous défendre, souhaitez-vous toutefois ajouter quelques mots pour éclairer le Tribunal sur votre acte? »

-« Oui, Monsieur le Président:

Oui, je souhaite m’expliquer.

Mais ce que je vais dire à la Cour est banal et ne la surprendra pas.

Voilà : comme tout le monde j’ai engendré des enfants.

Oui : comme tout le monde.

Parce qu’on voit autour de soi partout et en tout temps des femmes enceintes, des mères pousser des landaus ou des pères porter des enfants dans leurs bras, des enfants jouer aux sorties des écoles, la jeunesse dans chaque rue, chaque quartier, parce que les animaux, les oiseaux, les insectes, les fleurs elles-mêmes font la même chose, s’accouplent, se reproduisent, font des petits, alors il paraît normal, sain et bien vu de faire pareil – comme on dit : « c’est « la nature »- et anormal, malsain et mal vu de faire autrement.

On ne se pose pas de question, ça va de soi, c’est la norme.

Et, Monsieur le Président, je ne me suis pas posé plus de questions que les autres et j’ai fait des enfants.

Comme tout le monde.

Mais outre cette raison première, j’ai fait des enfants aussi par orgueil et vanité, afin de montrer à ma famille, aux voisins, aux autres mes capacités et celles de ma femme à faire des petits, et pour me rassurer: « Regardez, je sais faire des enfants moi aussi ».

Et pourquoi cacher ou éluder ces possibles : peut- être par faiblesse, dans l’incapacité de lui opposer un refus, ou au contraire pour me valoriser à ses yeux, m’affirmer, asseoir une domination, la soumettre en quelque sorte. Ah ! Toutes ces choses sombres qu’on porte en soi et qui nous font agir !

Sans doute aussi pour meubler le vide qui se creusait petit à petit au sein de notre couple: on s’aime encore, mais chacun sent que ce n’est plus comme autrefois.

Et pour me projeter en eux, en espérant qu’ils vivent et réussissent mieux que moi.

Et puis comme tout le monde j’ai engendré deux enfants pour m’assurer une descendance, par désir inconscient de ne pas définitivement mourir: avec des enfants et des petits enfants autour de soi, il y a une suite sur terre, un avenir, quand arrive le terme de sa vie, le temps où il faut définitivement partir : quoi de plus de terrifiant que le néant ?

Enfin pour donner un plus grand sens et un but à ma vie : savoir pourquoi, pour qui on travaille, on agit,  on gagne de l’argent, on se bat.

Voilà, Monsieur le Président, quelques raisons- les raisons de tout le monde- qui m’ont poussé à faire des enfants.

Mais il y en a une autre, la plus belle sans doute par laquelle je veux terminer : j’ai aussi fait des enfants par amour.

Oui, comme tout le monde, par amour.

Ma femme, je l’ai aimée si fort ! Et  son besoin de maternité était si impérieux !

Alors je lui ai fait deux petits.

Par amour

Ma femme aurait été si malheureuse de ne pas être mère !

Et par besoin aussi de donner de l’amour à mes enfants et en recevoir d’eux.

Mais, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Jurés, aucune de ces raisons n’est bonne ou suffisante, en soi ni toutes ensemble – et pas davantage la dernière- ni ne sont arguments favorables les plaisirs que mes enfants ont pu tirer et tireront encore à vivre- non, aucune ne m’excuse d’avoir mis au monde deux existences, qui connaîtront- vous le savez- inévitablement les souffrances physiques, morales et sentimentales, et la mort.

Deux vies qui n’auront pas plus de sens que n’en aura la mienne.

De quel droit ai-je fait des enfants?

Mes enfants m’ont demandé quand ils eurent l’âge de le faire: « Papa, pourquoi nous as-tu donné la vie ? » Ils avaient raison de poser cette question, quoi de plus légitime ? Et je n’ai pas eu de bonnes réponses à leur donner ; aujourd’hui je n’en ai toujours pas.

Oui, Monsieur le Président, je suis coupable du crime de paternité dont mes enfants m’accusent.

Entièrement.

Je ne trouve rien qui puisse m’exonérer, me rendre moins responsable.

Et pour cette faute impardonnable je réclame la peine capitale: l’échafaud.

En place publique »

Voilà ce que je dirai au Tribunal

Sans crainte. Avec joie et soulagement. Avec un sentiment de délivrance.

Enfin !

Oh ! Comme j’espère convaincre le Tribunal, pourvu qu’il me condamne !

Oui, j’éprouve déjà cette joie quand je mettrai mon cou là où il faut, à voir le grand couperet dessus ma tête, et le panier dessous qui l’attend.

Merci mes enfants, je suis fier de vous.

Je vous ai faits, et je ne n’aurais pas dû : je n’en avais pas le droit ; vous ne m’avez rien demandé et vous êtes là. J’ai honte de mon acte : si léger, si inconséquent, si prétentieux, si égoïste, si coupable.

Je sais que vous aimez votre père et que vous intentez cette action en justice par amour, parce que votre père la réclamait du plus profond de lui-même. Vous me comblez et me faites le plus beau des cadeaux.

Votre père vous aime. Adieu

Je vais attendre.

La convocation va arriver bientôt. Je ne prendrai pas de valise, rien.

Il est grand temps de payer et de mourir.

Monsieur Temps

C’est incroyable !

Elle est partie ! Disparu ! Volatilisée !

J’ai beau m’approcher pour mieux voir, prendre ma loupe, mais non, je dois me rendre à l’évidence : elle n’est plus là ! Nulle trace de sa présence passée, aucun sillon même léger!

Rien au toucher non plus : sous mon doigt je ne sens qu’une surface lisse sans la moindre rayure, qu’un lac calme sans une onde!

J’étais sceptique pourtant sur mon aventure du matin- oh, combien !- au point parfois de n’y pas croire ; eh bien voilà qu’elle semble vraie!

C’est aujourd’hui vers onze heures que tout est arrivé.

Je me promenais dans le parc en longeant la rivière, comme je le fais souvent le dimanche ; le soleil brillait dans le ciel bleu mais la température était douce, rendant cette matinée de printemps bien agréable. Deux pêcheurs- sans doute des habitués- tentaient leur chance avec patience, tandis qu’à quelques mètres un ballon faisait la joie d’une équipe de sportifs.

Ce spectacle, bien que je le connaisse par cœur, ne me lasse jamais.

De pas en pas tranquilles et rêveurs, ma promenade m’a amené au petit pont non loin de là.

Ce pont n’est pas bien large mais ceux qui le connaissent savent bien que deux personnes peuvent aisément le traverser de front.

Comme il arrive parfois, à peine y avais-je posé le pied qu’un promeneur est arrivé en face de moi.

Par courtoisie pour le laisser passer et suivre mon chemin, je me suis alors décalé à droite mais, avec une intention semblable sans doute, simultanément mon vis- à- vis a fait le même écart; aussitôt je suis revenu à ma position initiale, puis déplacé à gauche, mais lui aussi est reparti dans la même direction! A nouveau je suis parti à droite mais lui aussi a fait le même mouvement!

Et ainsi quatre fois de suite, de droite à gauche et de gauche à droite, comme le reflet dans le miroir!

Tout aussi curieusement, nous nous sommes arrêtés en même temps, et notre va- et- vient  a cessé.

 Je l’ai regardé…il m’a regardé…nos regards se sont croisés et nous avons éclaté tous les deux d’un grand rire, moi surtout.

Jusqu’à cet instant, tout occupé à mes rêveries dominicales puis à ce pas de danse à deux sur le pont, je n’avais guère fait attention à ce promeneur arrivé face à moi qui m’empêchait de passer.

Mon étonnement fut grand !

Le jeune homme qui me faisait face- âgé de vingt cinq ans peut- être, c’est l’impression qu’il donnait- était en effet une personne peu commune : sa beauté était exceptionnelle, comme celle des anges des tableaux- très pure- une beauté si grande que de toute une vie on ne rencontre jamais ; et puis surtout- c’est ce qui frappait le plus- rayonnaient de lui une douceur, une bienveillance, une paix intérieure et une sérénité extraordinaires, d’une intensité telle qu’elles en étaient presque palpables.

J’ai été subjugué sur le champ.

Et je suis resté là sur le pont, immobile, à le regarder, sans rien dire, bouche bée sans doute, stupéfait- car je l’étais- un bon moment. Etrangement, lui non plus n’a pas bougé, me regardant tranquillement en souriant; il ne paraissait nullement gêné par la situation et mon comportement.

Je suis sorti de ma stupeur tout doucement, comme on sort d’un rêve, et je me suis mis à lui parler, en bafouillant un peu:

-« Excusez-moi.. »

-« Je vous en prie »

-« Si, si, c’est idiot.. »

-« Ca arrive souvent, vous savez »

-« Oui, je sais, mais quand même.. »

Ce jeune homme m’attirait irrésistiblement : sa beauté bien sûr, mais plus encore la paix qui émanait de lui; étrangement je n’avais nulle envie de passer mon chemin, je voulais rester en sa compagnie, parler..; à peine rencontré, je pressentais que notre séparation me serait une perte irréparable.

Une force m’a poussé et j’ai osé le questionner :

-« Vous vous promenez souvent ici ? »

-« Non, c’est la première fois »

-« Moi, c’est souvent, j’aime beaucoup cet endroit. Vous êtes d’ici ? »

-« Non, je suis seulement de passage »

Nous étions toujours sur le pont, face à face, nous regardant- moi avec des grands yeux étonnés- lui souriant doucement. Je ne sentais aucune tension chez ce jeune homme, qu’un bonheur calme, une grande paix intérieure, et sa sérénité diffusait en moi, je le sentais.

J’aurais voulu qu’il me réponde : « Oui, je suis d’ici, d’à côté, et je viens souvent à cet endroit » ; son « non » m’a attristé plus que je ne pourrais dire.

Je ne sais pourquoi, je me suis présenté, et lui a fait pareil

-« Je m’appelle Mr Temps »

-« Mr Temps : comme le « temps », le temps qu’il fait ? »

-« Oui »

J’ai osé lui demander son prénom

-« Je n’ai pas de prénom »

-« Ah bon ? »

-« Oui, je m’appelle Mr Temps, c’est tout »

-« C’est drôle ! Et ça ne vous gêne pas d’être sans prénom ? »

-« Non »

-« Mais comment faites- vous pour l’Etat Civil ? Pour votre carte d’identité, votre passeport ou le permis de conduire ? C’est obligatoire d’avoir un prénom ! »

-« Certainement, mais je n’ai aucun des papiers dont vous parlez »

Il me répondait avec le même calme et le même sourire.

-« Vous êtes un « sans papiers » alors ? », riant de ma plaisanterie.

-« Oui »

Je l’ai regardé plus intensément encore. Décidément, ce jeune homme, beau et doux au delà du commun, que je croisais sur le pont du parc était une personne bien étrange : un « sans papiers » sans prénom ! Il n’en donnait pas l’impression pourtant !

Pendant une bonne minute, je l’ai fixé ainsi sans rien dire ; il n’en était pas gêné, attendant. Je crois que j’aurais pu sans ajouter un mot rester ainsi longtemps, tant j’étais bien en sa présence ; quant à lui je suis certain qu’il aurait attendu avec la même patience.

Je lui ai expliqué quel était mon travail, et lui ai demandé à un moment le sien.

-« Je suis Mr Temps »

-« Oui, vous me l’avez dit ; je vous demandais ce que vous faisiez, quel était votre travail »

-« Je viens de vous le dire, je suis Mr Temps »

Je me suis tu, essayant de saisir ce qu’il disait.

-« Ah, je comprends, vous êtes météorologiste, vous étudiez les nuages, la pluie…C’est çà ? »

-« Pas vraiment ! Je suis Mr Temps, je gère le temps qui passe »

Décidément, je ne comprenais pas

-« Comment çà, vous gérez le temps qui passe ? »

-« Oui, le temps, c’est moi ».

Et voyant ma perplexité, il a ajouté : «  Par exemple, l’espace entre deux instants, entre deux minutes, c’est moi ; l’espace entre deux heures, deux années, deux siècles, c’est moi, ou plutôt c’est mon œuvre, mon travail si vous préférez ! »

J’ai cru un bref instant qu’il me disait des sornettes et voulait se moquer avec son histoire de temps! Ou qu’il avait l’esprit quelque peu dérangé ! Mais je ne sais pourquoi immédiatement j’ai eu la certitude qu’il n’y avait chez lui aucune intention de moquerie et qu’il n’était pas fou.

J’aurais aimé qu’il en dise plus, qu’il m’explique, mais hélas il n’ajouta pas un mot comme si ce qu’il disait était une évidence !

Nous étions toujours sur le pont face à face ; de temps en temps, des promeneurs passaient à nos côtés mais aucun ne nous prêtait attention : pourquoi en aurait-il été autrement ? Deux personnes discutant sur un pont, quoi de plus ordinaire ?

Que voulait-il dire par : « l’espace entre deux instants, c’est moi ? »

-« Mr Temps- c’est vraiment gênant de devoir vous appeler Monsieur, vous voulez bien que je vous appelle par un prénom ? Tenez, Jean, ça vous va ? »

-« Si vous voulez »

-« Jean, expliquez- moi, car je ne comprends rien ! »

-« C’est très simple : c’est moi qui suis à l’origine du temps, de la durée, je suis responsable du temps qui passe »

-« Mais comment çà : « Je suis responsable du temps qui passe » ? Comment pouvez- vous faire ? C’est impossible ! Aucun homme ne peut faire çà ! Jean, vous vous moquez de moi !»

-« Non, je ne me moque pas ! Je suis Mr Temps, voilà. Grâce à moi, tout bouge, tout se transforme, tout évolue ! Un enfant qui grandit, une jeune fille qui devient femme, une fleur qui éclot : c’est mon oeuvre ! La lune prenant ses quartiers, la succession des saisons, c’est également mon oeuvre ! »

-« Et le vieillard qui meurt, Jean, c’est votre œuvre aussi ? »

-« Non, la mort, c’est Mme la Mort »

-« Comment çà, Mme la Mort ? »

-« Je n’aime pas Mme la Mort, nous ne sommes pas amis ; moi, je suis la durée, elle la fin »

-« Et Mme la Mort se promène comme vous dans les parcs et les jardins ? Avec sa robe noire et sa grande faux, comme on peut la voir sur les images ? »

Il ne m’a pas répondu, mais j’ai cru discerner dans son regard un acquiescement.

Jean m’aurait expliqué mille fois, je n’aurais toujours rien compris! Comment comprendre l’incompréhensible ? Comment saisir son discours, à Jean- Mr temps comme il se nomme- sans prénom ni papiers, qui gère le temps, responsable de la durée, qui crée les secondes et les minutes les unes après les autres !

-« Jean, vous gérez le temps dites- vous, mais pouvez- vous le remonter, revenir en arrière, comme on retarde les aiguilles d’une montre ? Pouvez-vous annuler les effets du temps ?»

-« Je n’ai pas le droit de le faire »

-« Pas le droit ? Donc vous pouvez ? »

-« Oui, je peux mais je n’en ai pas le droit »

-« Mais qui vous en empêche ? »

Il ne m’a pas répondu.

Nous nous sommes regardés à nouveau en silence.

Peu après, il m’a dit de sa même voix tranquille qu’il devait continuer son chemin.

Je l’ai accompagné aussi loin qu’il a voulu : j’aurais fait le tour de la terre avec Jean, avec Mr Temps, mon nouvel ami, s’il m’avait laissé faire ! Hélas, à un moment il m’a fait signe qu’il lui fallait continuer seul.

En me quittant, il m’a effleuré le front du bout du doigt en signe d’adieu, ou d’amitié peut-être -je ne sais pas, j’espère.

Je l’ai quitté, triste infiniment.

 Ma promenade ne m’intéressait plus et je suis rentré.

C’est en passant devant le miroir que j’ai vu le changement.

Depuis des années, j’avais au front une ride profonde qui me marquait le visage.

 Eh bien, je ne l’ai plus. Elle a disparu, complètement. A l’endroit même où Jean- Mr Temps- mon ami, a posé son doigt en me quittant.

Une semaine ordinaire

 

LUNDI

            Cette nuit j’ai bien dormi ; Morphée m’a bercé dans ses bras câlins peu de temps mais sans réveils. Je suis debout avant que ma montre sonne, je me sens bien, c’est lundi.

            Je remonte les volets; dehors la nuit noircit encore le paysage et mes amies étoiles font des signaux dans le ciel clair; j’ouvre les portes- fenêtres pour occire acariens et bestioles qui gîtent sournoisement dans ma literie et mes moquettes : il fait froid, ils n’apprécieront pas, j’en suis content. Qu’ils s’enrhument, s’angigent, qu’ils attrapent la mort !

            La veille j’ai mis dans mon caddie des galettes de sarrasin ; badigeonnée de deux gouttes d’huile, ma grande poêle me les délivre bien chaudes : avec une noix de beurre salé, je me régale de deux, pas plus pour être raisonnable.

            Les nouvelles à la radio ne sont pas folichonnes : un attentat en Corse et en Irak, des inondations dans le Sud, les forêts américaines mangées par l’incendie, le chômage qui boude l’ANPE : les nouvelles noires habituelles. Heureusement la météo est bonne.

            Je file vers la salle de bain. Mon rasoir neuf glisse tout seul; trop ! Voilà, je me suis coupé ! Sur la mousse blanche,  mon sang rouge vif paraît plus rouge encore. Et une goutte sur le tapis ! La barbe !

            Je fais mon lit puis des abdominaux ; depuis longtemps, mes chaussures de sport n’ont pas pris l’air et ma silhouette s’est arrondie ! Je ne retrouverai pas la ligne droite avec mes exercices, mais je les fais quand même : il y aura bien un boni quelque part.

            Que vais- je mettre pour cette nouvelle semaine ? Chaque lundi est un casse-tête ! Je cherche dans ma penderie : bon, un polo noir sur un pantalon brun fera l’affaire, et m’évitera la cravate ; la tenue est triste mais de saison.

            Je ferme la porte et me voilà en route. J’ai la chance d’aller au travail à pied en traversant  un parc. Je relève mon col et visse mon chapeau sur la tête : il fait frisquet. Peu de monde dehors, déjà parti ou bien encore au chaud chez soi. Je croise une femme courant à petites foulées; son souffle rappelle une locomotive d’antan !

            J’arrive le premier au bureau. A 8h30, le « bonjour, bonjour, ça va bien, bonjour » sonne joyeusement ; c’est un moment agréable. Une collègue a sa fille malade : la grippe couche les gens comme la moisson les épis; j’espère passer au travers. La conversation dure vingt minutes avant que chacun se persuade qu’il faut se mettre au travail.

            Je ne vois pas le temps passé: un commercial me prend une demi- heure, une réunion deux fois plus, les mèls, les appels téléphoniques, deux- trois choses encore et midi frappe à ma porte ! Je déjeune avec mes collaborateurs ; ce soir Marseille et le PSG s’affrontent au Vélodrome, le match fait la Une du repas ; le menu : carottes râpées, steak frites, fromage et glace passe à la dernière page.

            L’après- midi est le sosie du matin.

            Je rentre vers 18h30 ; la température s’est radoucie mais j’apprécie mes vêtements chauds. Du frigo, une pizza et une salade contentent mon appétit gourmand.

            La télé annonce De Niro.

            Le film est bon, je ne suis pas déçu. Je lis une demi- heure et je vais me coucher.

MARDI

Comme la veille, j’ai bien dormi. Je ne sais ce qu’il m’arrive, deux nuits de sommeil d’affilé n’est pas mon habitude ; Morphée pourtant a été chiche de ses bienfaits : il n’est que 5h45.

            Je remonte les volets et ouvre les fenêtres ; le ciel est couvert, sans pluie ni vent : je  n’attraperai aucun coup de soleil aujourd’hui ! La température a pris quelques degrés, mes acariens vont pouvoir quitter pulls over et chaussettes !

            Je poêle mes deux dernières galettes à regret. Un bol de café chaud me ravigote et met toutes mes synapses en place.

            A la radio, des alpinistes victimes d’une avalanche ont pu revoir le ciel. Je n’apprends rien de neuf, toujours du sombre, jamais du rose.

            Devant ma glace, je fais attention : une coupure suffit ; l’ancienne me saute encore aux yeux, inutile que je me balafre davantage. Mes gencives protestent : les poils de ma brosse à dents ne plaisent plus, il faut que je la change.

            J’ai du temps et repasse trois chemises qui épouvantaillent sur le fil.

            Même polo, même pantalon ; je m’habille de propre jeudi, mon polo tiendra encore aujourd’hui et demain. Un coup de brosse aux chaussures et la clef tourne dans la serrure.

            Dehors, tout est calme, juste un couple qui court au RER: je pronostique qu’il arrivera trop tard et claquera des dents vingt minutes dans le froid.

            Je suis à nouveau le premier au bureau. L’équipe de nettoyage achève de faire briller les sols, et les aspirateurs s’arrêtent quand j’arrive. J’aime le silence des bureaux vides le matin. J’interviewe l’ordinateur: pas un mèl, il reste muet comme une carpe. Je ne m’en plains pas, je dois boucler mon budget  laissé en plan depuis des semaines.

            Les collègues arrivent à 8h30 : « bonjour, bonjour, ça va bien, bonjour ». La jeune fille ne va pas mieux ; le médecin est repassé, la mère demeure inquiète, mais le médecin non semble-t-il.

            J’ai été peu dérangé et j’ai bien avancé ; quelques calculs m’attendent encore mais l’essentiel est fait ; guilleret, je pars déjeuner plus tôt ; un ti- punch m’apprivoise et ma gaieté monte d’un cran. La conversation reprend sur le football : la défaite face aux sudistes abhorrés est indigeste; Paris sera-t-elle championne cette saison ? Les avis sont pessimistes.

            L’Osso-buco du chef est excellent et je l’en complimente.

            Je n’ai pu achever mon budget : des petites choses ont grignoté l’après- midi, et le 1 et le 8 s’affichent trop tôt à ma montre; je reste encore un moment, personne ne fera mon travail. .          Sur le trajet du retour, j’achète mon pain ; le magasin est animé et étincelle de lumières.

            Ce soir, je ratatouille ; j’aime éplucher les courgettes, les poivrons et les oignons; sur une tranche de jambon, je me régale.

            Comme chaque mardi, un programme copieux de films m’accueille sur le petit écran ; « Cours, Lola, cours » sur la 5 me tente ; je ne le regrette pas.

            Je vais me coucher en refilmant les scènes.

MERCREDI

            Et bien voilà ! La nuit blanche est arrivée, Morphée m’a abandonné ! Hier soir, je le craignais, voyant la lune pointer son disque plein dans les nuages. Ce matin, j’ai la tête comme une citrouille.

            Mes acariens ont mal dormi aussi, tant je les ai remués, tant mieux ! Ils ne dormiront pas plus avec la froidure de la fenêtre ouverte.

            Dehors, le gris teinte le ciel, comme souvent en cette saison.

            Le pain acheté hier est bon, je le tartine d’une confiture de châtaignes pour le trouver meilleur. Mon bol de café me réveille à moitié.

            Les nouvelles le sont pour une fois: aucun attentat- les Corses sont en paix, les Iraquiens aussi- les fleuves inondent moins et des pluies rafraîchissent les forêts U.S ; l’INSEE optimise : rien sur le chômage et de bonnes prévisions de croissance. Que du bonheur !

            Je me revigore en faisant ma toilette mais la barbe et les gencives font mal : elles  n’ont pas bien dormi aussi! Mes exercices musculaires sont difficiles : ce matin, je coince et grince de partout.

            Dans le parc, je croise la sportive de lundi ; une mignonnette l’accompagne ; je les suis du regard, la plus jeune surtout.

            Les lumières brillent dans les bureaux quand j’arrive; le sol humide finit de sécher.

            J’ai du mal à m’y mettre : la faute à l’astre nocturne. Avec satisfaction, je termine mon budget ; je vais pouvoir préparer la fête de fin d’année l’esprit libre.

            Un moment, sur la bordure de ma fenêtre un rouge- gorge s’offre une petite sieste! Je me fais silencieux comme un chat en chasse  pour ne pas l’éveiller.

            Douze coups sonnent déjà midi à l’église voisine. Chacun s’éparpille ; certains déjeunent sur place d’un repas préparé la veille, d’autres d’un sandwich emmitouflés dans le parc. Plus chanceux, j’enchante mes papilles avec une tête de veau;  décidément le chef se surpasse. Je lui décerne 2 étoiles, il en rosit de plaisir.

            L’après- midi, un exercice d’alerte met tous le monde dehors ; je frôle le coup de froid à battre la semelle  une demi- heure; des collègues se réchauffent au café voisin; à l’intérieur, les gendarmes et les services techniques jouent leur scène. L’alerte passée, je retrouve avec plaisir mon coin douillet.

            J’écoule l’après- midi sans nouvelle surprise. En partant, je croise un cycliste tiré par un chien samoyède ; l’animal semble heureux et le maître encore plus.

            Je n’ai pas faim. Je saucissonne et m’accompagne d’un bon vin ; une poire à point est la cerise sur le gâteau.

            Rien à la télé qui me plaise. J’hésite à mettre une cassette; finalement, je lis dans le silence, comme un moine en cellule.

            Ma couette m’ouvre ses bras un peu plus tard, quand je papillote comme un hibou sur sa branche.

JEUDI

            Décidément, rien ne va plus ! Le cycle des nuits blanches est enclenché ! La pleine lune me rend fébrile et insomniaque. Me lever m’est pénible.

            Dehors, mes amies étoiles me font signe : la journée sera belle.

            Je laisse l’air froid entrer à pleines fenêtres : sus aux acariens, mort à eux et à leur descendance ! Je les imagine grelottant sur leurs pattes crochues dans la forêt de la moquette : l’aire glaciaire est de retour !

            Ma confiture de châtaigne est trop bonne, j’en remets une couche ; la coulée chaude du café me fait un bien suprême.

            Les nouvelles poussent leurs ritournelles sans joie; je passe sur FIP pour un réveil plus musical. Johnny chante « Marie », je l’accompagne et mon humeur s’améliore.

            La glace me renvoie ma bobine, je ne l’aime pas : des poches sous les yeux, une peau qui s’avachit, le cheveu qui voyage sans billet de retour, je préfèrerais une glace sans tain. L’eau froide, le rasoir et la brosse améliorent peu le portrait.

            Que vais-je mettre pour cette fin de semaine ? Jeudi est comme lundi un casse-tête. J’opte pour une chemise moutarde- cravate bordeaux.

            Dans le parc, la lune projette des ombres. Je cherche les sportives d’hier. Deux nouvelles promènent leur chien pour le pipi- caca ; elles conversent sans que je puisse saisir un mot.

            L’équipe de nettoyage a du retard et le tonnerre des aspirateurs m’agresse dès que j’ouvre la porte ; vraiment, rien ne va ce matin.

            L’ordinateur aussi a choisi l’autre camp : je tremble d’angoisse à voir les mèls bien alignés.

            A 8h30, l’habituel « bonjour, bonjour, ça va bien, bonjour » me déride à moitié. La fille de la collègue va mieux ; la mère est tout sourire, prête à en parler des heures.

            Et bien voilà, ce que je pressentais arrive : mon directeur m’houspille, pour un rien, du moins c’est mon avis ! Aux collègues qui me regardent en coin je feins l’indifférence, celui qui en a vu d’autres.

            Du coup, je trouve le repas insipide, même exécrable et je le dis ; le 2 étoiles fait grise- mine, il me préfère d’humeur meilleure.

            L’après- midi se traîne, je travaille sans plaisir. A 18h pile, je rentre, ne  prêtant attention à rien ni à personne.

            Mon appétit s’est envolé, le reste de ratatouille passe mal.

            Heureusement, je ris avec le film du soir; je me glisse sous la couette peu après.

VENDREDI

            La lune s’est montrée plus gentille, j’ai bien dormi. A travers les nuages, elle brille encore, un peu moins ronde sur le chemin de ses quartiers.

            Avec ma bénédiction, je laisse l’air hivernal faire son œuvre salvatrice : les squatters de mes draps vont souffrir ! Chaque matin ma croisade sus à l’ennemi me met en joie. Que les victimes soient innombrables!

            Dehors il pluviote, une pluie froide verglaçant ; la rambarde de la fenêtre brille comme une patinoire.

            La radio confirme la météo locale : verglas partout et glissades assurées. Encore des bonnes nouvelles!

            J’avale mon petit déjeuner et fais ma toilette sans y prêter attention : je vagabonde déjà sur le chemin de tout à l’heure ; dois-je mettre des crampons ? Prendre un bâton de marche ? Je n’ai nulle envie de me retrouver les quatre fers en l’air.

            Pour ce dernier jour de travail, je soigne ma tenue: coup de fer où il faut, nœud de cravate parfait.

            Je tourne la clef avec appréhension : dehors le chemin m’attend semé d’embûches.

            Je risque de me casser dix fois la figure, je ne sais comment je reste debout. J’aperçois des ombres aux démarches bizarres et hésitantes ; l’une d’entre elles fait une pirouette soudaine.

            J’arrive vers 8h45 : personne ; dans leur voiture les collègues bouchonnent. Le rituel « bonjour, bonjour, ça va bien, bonjour » ne survient qu’à 9h ; chacun commente la situation, moi je vante mes talents de patineurs.

            Mon travail du matin est baigné des nouvelles extérieures ; il verglace toujours, tout est bloqué. Je me sens bien dans mon fauteuil.

            A midi, je rejoue Alain Calmat. Le chef a préparé un pot au feu de saison, je lui dis qu’il est bon, il en oublie mes critiques d’hier. Je lance la conversation sur les projets du week-end ; si le temps boude toujours, ce sera télé pour tous.

            L’après-midi file comme le vent.

Je tarde à rentrer ; la perspective des deux jours suivants ne m’enchante pas : je n’aime ni le samedi, ni le dimanche. A 19h, j’éteins les lumières à regret ; je rentre à petits pas, manquant d’entrain. Je croise le samoyède: le maître peut rouler à nouveau tiré par son quatre pattes.

            Je m’envoie une grande goulée d’alcool fort. Je commande une pizza que je consomme sur la moquette : ce soir c’est pizza- moquette et télé- moquette.

            Je me couche tard, l’esprit brouillé par les vapeurs d’alcool.

SAMEDI

            Je reste couché jusqu’à midi. J’ai le blues, le cafard, je déprime.

            Je n’ai pas envie de me lever ; pour faire quoi?

            J’abandonne la place à mes ennemis, ils ont gagné. Je les devine joyeux regagnant le terrain perdu, suçotant mes doigts de pieds par vengeance : ça m’est égal.

                        Je me lève difficilement. Dehors, il fait gris et le brouillard nappe le paysage : j’ai eu raison de rester sous la couette.

            Je me restaure du bout des dents puis je retourne d’où je viens.

            J’émerge vers 18H ; j’ai la tête comme une pastèque et suis mou comme un mollusque. Dehors, il fait nuit : ce noir me convient parfaitement.

DIMANCHE

            Aujourd’hui est pire qu’hier

            Rien ne va, tout est gris, tout est noir, dedans comme dehors

            Le temps n’en finit pas, il s’éternise, les aiguilles ne bougent plus

Oh, quelle horrible journée !

            Vivement lundi, vivement demain!

UN Z’VEUX Z’UR LA LANGUE

Z’ai un z’veux z’ur la langue.

Z’est ma maman qui me l’a dit : « Mon z’éri, depuis que tu es tout petit, tu as un z’veux z’ur la langue.

Z’e n’est pas grave.

Z’est un peu embêtant, z’est tout ».

Et ma z’entille maman m’a expliqué en me faiz’ant un gros câlin comment z’était arrivé ; z’e n’est pas tout compris z’e qu’elle m’a dit, z’ai z’uste retenu qu’un petit z’veux avait pouz’é z’ur ma langue, là, z’ur le bout, et qu’il me faiz’ait zozoter quand z’e parle.

Moi, z’a ne me gêne pas, mais z’est les copains de l’école : ils z’e moquent de moi, ils zozotent exprès pour m’imiter, ils font « zzzzzz » en imitant la mou’ze ou l’abeille ; ils m’ont z’urnommé « Zozote » et il y a des fois, z’e pleure, car z’e les trouve trop méchants.

Heureuz’ement, il y a ma copine Zoé, que z’aime beaucoup et qui m’aime auz’i ; elle est très z’entille et ne z’e moque pas de moi ; comme elle est costaude et n’a pas peur des garz’ons, elle les chaz’e quand ils m’embêtent de trop ; bien fait pour eux !

Zoé, elle est belle : elle a de grands z’ieux, tout bleus, et des z’veux roux avec des petites taches sur z’a frimouz’e ; quand elle me voit, elle z’ourit et me fait un biz’ou.

Je crois que mes copains z’ont z’aloux, z’est auz’i pour z’a qu’ils m’embêtent tant.

Hier, Zoé a perdu une dent de devant- une inz’inz’ive que z’a z’appelle, comme a dit la maîtrez’e- et la petite z’ouris est paz’ée z’ez elle : z’ous z’on oreiller, elle a trouvé deux groz’es pièz’es qui valent beaucoup de z’ous, une boîte de z’ocolat et une poupée Barbie. Comme elle était contente ! Tellement qu’elle m’a fait deux biz’ous, un z’ur chaque z’oue, puis on a fait une ronde tous les deux.

Z’espère que z’e vais perdre une dent bientôt moi auz’i, pour que la petite z’ouris paz’e.

Mon papa m’a dit : « Auz’ourdhui, z’est le grand z’our : z’e vais t’emmener à la clinique pour qu’on te coupe ton z’veux que tu as z’ur la langue. Tu es grand maintenant, il est temps».

Z’ai été un peu effrayé : couper mon z’veux, z’a fait peut-être très mal ?

Et très content auz’i : comme z’a, mes copains ne z’e moqueront plus de moi.

Mais mon papa m’a dit : « Z’e ne z’era rien du tout : le z’irurz’ien qui va t’opérer, il coupe les z’veux sur la langue comme un z’ampion, auz’i fort que Zidane : il en a coupé déz’à mille ! Tu ne z’entiras rien ».

Mon papa, il z’oue au foot, alors z’e le crois ; il est très grand et coz’taud- z’e penz’e que z’est le plus coz’taud de tous les papas qui ez’istent- il est z’entil auz’i, et quand il me porte dans z’es bras ou z’ur z’es épaules, z’e z’uis très haut. Qu’est z’que z’est bien ! Mes copains, leurs papas ne leur font pas z’a !

Ma maman et Zoé étaient très contentes que z’aille me faire couper mon z’veux. Zoé m’a embraz’é z’ur les lèvres, en caz’ette pour que mon papa et ma maman ne voient pas, comme les grands : oh là là ! Z’ai rouz’i plus rouz’e qu’une tomate et elle a ri en z’e moquant z’entiment de moi.

Qu’est-z’e- que z’aime ma copine Zoé ; quand on z’era grand, tous les deux, on z’e mariera, elle me l’a dit et moi z’e lui ai dit auz’i.

Elle habite dans la maiz’on à côté, et z’e vais z’ez z’elle tous les mercredis, ou bien z’est elle qui vient : on fait des z’eux enz’emble ou on regarde la télé : qu’est-z’e-qu’on est bien !

La clinique est toute blanz’e, avec des z’arbres et des pelouz’es autour. Une z’olie infirmière- mais moins z’olie que Zoé tout de même- est venue me z’ercher. Elle a parlé à mon papa et à ma maman, m’a fait un gros poutou  z’ur la z’oue et m’a conduit dans z’une z’ambre où il y avait déz’à un garz’on.

La z’ambre est toute blanz’e auz’i, et les z’infirmières ont des blouz’es blanz’es pareilles.

Il y a des tuyaux et des bouteilles attaz’ées à des fils au dez’us du lit.

Le garz’on z’appèle Z’ulien ; il a le même az’e que moi, z’iz ans- et l’air z’entil ; il m’a dit qu’il est là pour une appendiz’ite qui lui a fait un gros mal au ventre; z’e ne z’ais pas z’e que z’est mais il n’a pas l’air d’avoir peur.

Ma maman avais mis dans un z’ac mon pyz’ama ; z’e me suis couz’é dans le grand lit.

Alors ma maman m’a fait un gros biz’ou très très long ; elle avait des petites larmes aux coins des z’ieux: oh, z’aime tant ma maman ! Et mon papa auz’i !

L’infirmière est revenue et m’a fait une piqure : « Z’est pour te faire dormir », qu’elle a dit; z’e n’ai pas eu mal mais z’ai eu très peur de la groz’e aiguille.

Mon papa et ma maman m’ont encore fait des gros biz’ous.

Z’e z’ens que z’e m’endors.

Après dormir, demain, quand z’e me réveillerai, z’e z’ais que z’e reverrai mon papa et ma maman, et ma copine Zoé ; ils z’eront là tout à côté de moi près du lit.

Et puis demain auz’i, z’est z’ûr, z’e n’aurai plus mon z’veux z’ur la langue.

Oh, comme z’e z’uis content !

L’ETE HIVERNAL* (extrait)
 
 
«  VIENS NAGER !!, me crie soudain mon père, revenu de la mer, l’eau est bonne, et ne reste pas là bêtement à rêvasser, VIENS !
_ Non papa je préfère…
_ VIENS ! »
Ses sourcils broussailleux. Son air violent. Ses poings serrés. Impossible de tenter un argument qui ne serait autre qu’inutile. Mes mots seront sourds ; alors, péniblement je me lève. Je suis debout, oui, et j’ai l’horrible impression que tout le monde me regarde.
« Mais qu’est-ce que tu fabriques avec ce col roulé ?! hurle mon père, ENLEVE-LE !!
Il a crié si fort que tous les regards se sont tournés vers nous. Et sans que je comprenne, que je sache, il me pousse brutalement vers la mer.
-Allez ! C’est pas vrai ça !! »
Et là je ne peux plus. Je cours, les larmes au dehors, les larmes à l’intérieur, les larmes à l’extérieur, les larmes partout, nulle part… ! Elle se heurtent à tous les recoins, elles s’élancent dans la peur de s’éteindre, elles se cognent contre ma tête ; je ne distingue plus qu’une vulgaire flaque dans laquelle je me noie. Mais JE NE SAIS PAS NAGER ! Je ne sais pas…Les larmes, l’eau de mer acide, ma peur et ma honte se mélangent pour ne devenir plus qu’un âcre liquide de désespoir. Pourquoi personne ne va-t-il me sauver de ces eaux étranges ? Pourquoi est-il impossible de fuir définitivement cet affreux monde ensoleillé qui va, qui vient, mais qui ne part jamais ?
*Le recueil de nouvelles d’Evelyne VIJAYA « L’été hivernal et autres nouvelles » est publié aux éditions L’Harmattan

L’Or de la Mérantaise

                        C’est dimanche.

                        Belle journée de printemps : il y a du bleu dans le ciel et la température est douce ; le soleil encore bas- il n’est que 7 heures- réchauffe déjà, surtout le cœur des gens, tant il a plu ces jours derniers. J’entends le gazouillement des oiseaux dans les arbres : la saison des amours n’est pas loin.

                        Je me suis réveillé et levé tôt ; tout aussi tôt, je descends chercher ma viande chez le boucher, au centre commercial de l’Abbaye qui a ouvert récemment ; il est sympathique, son magasin très agréable, sa viande de qualité et les prix corrects : bref, je suis devenu client. Il n’y a personne dehors, sauf un chien qui traîne, deux chats qui se regardent ; c’est encore la grasse matinée, le farniente ou les câlins au lit sous la couette ; tout à l’heure, vers 10h, le quartier sera plus animé.

                        Chez mon boucher, je suis le seul client. Après le bonjour et les banalités d’usage sur le beau temps qu’il fait-« oui, mais pourvu que ça dure, on en a bien besoin après l’hiver pluvieux qu’on a eu.. »- je commande un rôti de bœuf : au four, encore saignant à cœur, avec une gousse d’ail, accompagné de pommes de terre et d’oignons, j’adore ! Pendant qu’il me sert, je vois dehors deux personnes courir, traverser la route et s’engouffrer dans le passage sous-terrain du RER donnant dans le parc ; il me semble qu’elles ont en main des ustensiles mais j’aperçois mal et n’y prête guère attention : elles craignent sûrement de rater le RER ; des gens qui courent pour attraper le train, c’est fréquent par ici.

                        Je me retourne vers mon boucher pour voir où en est ma commande quand tout à coup un homme passe la tête par la porte et crie tout essoufflé : « Marcel, y’a d’l’or ! y’a d’l’or ! » Il en bafouille, tant il est excité ; « on a trouvé de l’or dans la Mérantaise ! Viens vite ! » Et il file dare-dare, traverse la route en courant sans même regarder ce qui vient à droite ou à gauche, et s’engouffre lui aussi dans le passage sous-terrain. Là, j’ai bien vu : il tenait une pelle et quelque chose ressemblant à une poêle.

                        « Y’a d’l’or dans la Mérantaise ? » lançons-nous ensemble moi et mon boucher qui ajoute : « Qu’est’c’que c’est qu’cette connerie ? Un peu fada, l’copain Roger ! A trop tiré sur la bouteille cette nuit ; a fumé un pétard plus gros qu’lui ! »

                        Je pense pareil- Roger doit être un peu dérangé- mais tout de même, je suis un peu remué par la nouvelle ; et puis, je me souviens des deux personnes qui couraient tout à l’heure. Je paye rapidement, je dis à mon boucher que je vais voir- histoire de voir- et mon rôti de bœuf sous le bras, je prends le chemin du parc. Malgré moi, je presse le pas : je sens une petite impatience qui me tenaille. Je traverse le pont qui enjambe l’Yvette puis je longe la rivière et les tennis : il n’y a personne ; à cette heure matinale, les joueurs ne sont pas encore arrivés ; ils taperont la balle seulement dans une petite heure. Je suis juste devant le court n°7 quand un échalas me dépasse en courant, après avoir failli me donner un coup de la pelle qu’il tient, me renverser et me faire tomber à l’eau. Qu’est- ce que c’est que cet olibrius, qu’a-t-il à se précipiter lui aussi ? Alors soudain, je me sens devenir fébrile et me mets à courir, d’abord doucement, puis plus vite : « De l’or dans la Mérantaise ? ce n’est pas possible, ça se saurait depuis longtemps, c’est complètement idiot !» mais je me rends compte tout d’un coup que je n’en suis plus si sûr.

                        Voilà, j’y suis. Une agitation formidable règne le long de la petite rivière : formidable, parce que d’habitude, il y a un ou deux promeneurs qui longent ses berges, un chien qui joue dans l’eau avec une balle, deux- trois merles dans les herbes et puis c’est tout : la rivière, surtout à cet endroit, est particulièrement tranquille ; mais aujourd’hui à 8h- la cloche de St Remi sonne à l’instant les 8 coups- là devant mes yeux étonnés, 30 à 40 personnes au moins s’activent le long des rives et dans l’eau. Tous des hommes sauf une femme, autant que je peux voir, des 40/50- j’aperçois un plus âgé à barbe blanche- les lève-tôt du dimanche matin probablement. Personne ne parle, pas un mot n’accompagne leur travail ; ils font si peu de bruit que ce silence étrange m’impressionne et me donne le frisson, car je devine, je sais d’instinct la grande passion sauvage qui les anime tous : ils cherchent l’or !

                        Ils cherchent avec les ustensiles qu’ils ont trouvés chez eux, dans leur cave ou leur grenier : des poêles de cuisine, poêles à frire, et des pelles de jardin ou de plage ; de ci de là quelques râteaux et quelques seaux. Je les vois mettre un peu du fond de la rivière dans leur poêle : de la boue, du gravier, du sable mêlés de déchets végétaux, et l’agiter en tournant, comme ils ont vu faire à la télé ou au cinéma, puis scruter du doigt leur trouvaille.

                        La tension est palpable, elle me gagne je le sens ; la fièvre de l’or me prend me montant des pieds à la racine des cheveux, j’en tremblote peu à peu de partout. Je vois plusieurs personnes traverser en courant le terrain de rugby vers la Mérantaise ; alors, tout d’un coup, sans réfléchir davantage, comme un fou je m’en retourne chez moi, mon rôti à la main ; je n’ai jamais couru si vite ; oh !que le chemin me paraît long ! Que la serrure est difficile à ouvrir ! Je pousse la porte sans ménagement, pareil celle du placard où sont rangés les ustensiles de cuisine : la voilà ma grande poêle à frire, je la tiens, c’est celle-là qu’il me faut ; elle est lourde, avec une grande queue guère pratique pour ce que je vais faire, mais tant pis : c’est avec elle que je vais dénicher les paillettes et les pépites de la Mérantaise !

                        Je descends quatre à quatre les escaliers chercher dans ma cave ma petite pelle de jardinage. Je vais trop vite et me casse la figure dans le barda et le bric-à-brac qui l’encombrent : depuis le temps que je me promets de mettre de l’ordre et de jeter tout le fatras, je n’ai toujours rien fait !

                        Je remonte de la même façon et sans prendre la peine de fermer ma porte à clef me voilà parti courant en direction du parc, ma grande poêle et ma petite pelle à la main ; en chemin, je m’aperçois que j’ai oublié le récipient pour mettre mon or ; tant pis ! Je le mettrai- si j’en trouve- dans mes poches. Je dois avoir une drôle d’allure ! C’est certain, si quelqu’un me connaissant me voyait courant ainsi, il n’en reviendrait pas, en tomberait sur le cul et me dirait in petto : « Marc, y’a quelque chose qui tourne pas rond chez toi aujourd’hui ! Faut aller voir l’docteur! ».

                        Ca remue de partout maintenant. Je ne suis plus le seul à courir : la nouvelle semble s’être répandue aussi vite qu’une traînée de poudre dans Gif : « Il y a de l’or dans la Mérantaise ! » ; au moins 2-3 personnes devant moi, et bien 5- 6 derrière ! Mais il doit y en avoir bien plus que je ne n’aperçois pas !

                        Sur les bords de la Mérantaise du côté des tennis, c’est maintenant la cohue : les gens sont si serrés qu’il n’est plus possible de trouver une place et la situation est presque semblable dans l’eau. Des intrépides tentent même leur chance dans l’Yvette près du pont, malgré le fond vaseux et l’eau trop profonde : ils boivent la tasse à tout va, « à votre santé » !

                        Je parcours une cinquantaine de mètres : tout le long et au-delà autant que je peux voir le spectacle est le même. Alors la rage me prend, une violence sauvage m’envahit soudain : «De Dieu ! Moi aussi je veux chercher, moi aussi je veux une place et nom de Dieu, j’en aurai une ! » Prenant mon élan, je saute par dessus le premier rang et tombe au milieu de la rivière, éclaboussant tout le monde alentour. Les aspergés  hurlent fort mais j’en ai cure ; je hurle moi aussi : « C’est ma place ! » « Que personne m’en empêche ! » en brandissant ma poêle, prêt à asséner un coup terrible au contestataire présomptueux qui voudrait me chasser.

                        Mais personne ne bouge ; chacun comprend à mon regard et au son de ma voix que ce n’est pas du bluff : attention danger ! Pour autant je ne leur fais pas peur, simplement ils me savent habité du même mal qu’eux : la fièvre de l’or ! Alors sans plus d’histoires, ils me laisse faire ma place, comme ils ont fait la leur; encore deux- trois grognements de protestation puis chacun se remet au travail, à chercher l’or : ils ne me prêtent plus aucune attention ; c’est fini, j’ai fait mon trou, ma concession, mon « claim » comme diraient les Anciens de Californie ; d’ailleurs, plusieurs à côté et plus loin m’imitent et se retrouvent comme moi au milieu de la rivière, l’eau jusqu’aux genoux : la Mérantaise est étroite et chacun a une toute petite place.

                       En cet instant mes lectures et des films me reviennent à l’esprit : 1848, la grande ruée de l’or, la Californie envahie d’immigrants accourus de partout par milliers, les camps de chercheurs, les bagarres dans les saloons, le whisky, les coups de revolver, les « placers »…

                        L’eau est frisquette –pas plus de 15° au jugé- mais je n’en souffre guère, j’ai le feu au corps et dans la tête ; elle est profonde aussi là où je suis- c’est le printemps et il a beaucoup plu- si bien que mon menton effleure la surface chaque fois que je plonge ma pelle vers le fond; un mauvais geste, un déséquilibre imprévu, et plouf, voilà la moitié du visage dans l’élément liquide; mon pull qui baille traîne dans l’eau et fait éponge ; et puis le courant est si fort que je dois m’y prendre plusieurs fois pour remplir ma petite pelle de jardinier ; avec dans l’autre main ma poêle à frire qui pèse une tonne et prend un malin plaisir à suivre le fil de l’eau, vraiment , ce n’est pas bien commode ! La vie de chercheur d’or que je découvre n’est pas de tout repos, et le confort, je n’en parle pas ! Après bien des efforts, je charge un peu ma poêle- ma « bâtée »- puis lui imprime un mouvement circulaire comme le font mes voisins pour trier les particules : les légères vers le bord tandis que les plus lourdes-les pépites et les paillettes d’or tant espérées- au centre de la poêle.

                        Oh ! L’émotion  quand je scrute pour la 1ère fois- la 1ère fois de ma vie- le fond de ma poêle à la recherche de l’or ! Je regarde, je regarde à m’en faire mal aux yeux ; des petites choses qui brillent au fond : du mica sans doute, mais d’or : point ! Je regarde et regarde à nouveau, mais non, rien ! La déception est grande ; tant pis, je recommence.

                        Personne ne parle, moi non plus. Chacun concentré sur son travail, sur son espoir et sur son rêve. Il y a maintenant des femmes et des enfants, même des vieillards ! Et je vois du coin de l’œil qu’il en arrive de partout. Moi-même suis entouré de toutes parts : sur les bords de la rivière, comme au milieu, devant, derrière ; j’ai à peine 2 m2 à moi ! Complètement cerné ! Parfois, je sens qu’on me pousse dans le dos et devant je bute sur la même paire monumentale de fesses ! L’horizon est bouché !

                        Ma poêle est très lourde : elle est bonne pour les omelettes ou pour les steaks, mais pour chercher de l’or, il y a mieux.

                        Voilà vingt minutes que je m’escrime sans résultats. J’ai exploré les coins et les recoins de mes 2 m2 et je ne vois pas ce que je pourrais faire de plus. J’entends mes voisins qui raclent aussi le fond et les cailloux.

                        Je commence à désespérer quand soudain, à la dernière bâtée, je vois à n’y pas croire mes yeux au creux de ma poêle une petite chose qui brille, qui brille vraiment, certes toute petite mais qui brille, qui brille plus que le reste…Je sais que ce n’est pas du mica : voilà 20 minutes que j’use mes yeux dessus, je sais le reconnaître ! Mon cœur bat soudainement très fort sous une giclée d’adrénaline : « boum, boum, boum » à l’intérieur comme un tambour ; mon émotion est sans pareille ! Délicatement, du bout d’un doigt tremblant, j’isole des graviers et du reste mon étoile minuscule : 1/2 mm sur 1/2 mm au plus, à peine un grain de sable! Je regarde de très près, chaussant mes lunettes pour mieux voir- j’ai été bien inspiré de les prendre pour acheter mon rôti  – pas d’erreur, ce n’est pas du mica ; serait-ce.. serait-ce… serait-ce de l’or ? Serait-ce une toute petite pépite ? De l’or de la Mérantaise ? De l’or de Gif ? De l’or de l’an 2002 ? Oh, pourvu que ce soit vrai !

                        Oui, c’en est ! Ce ne peut être que de l’or ! C’est de l’or ! Mon cœur bat la chamade sous l’effet d’une émotion et d’une joie indescriptibles : j’ai trouvé de l’or ! J’ai trouvé de l’or ! La tension est trop forte : je pousse un formidable cri qui me libère, comme celui du footballeur marquant le but de la victoire. Un deuxième cri puis un troisième : je retrouve un peu mon calme, mais la joie reste intense et m’irradie partout, un vrai bonheur.

                        A mes côtés on me regarde, on se rapproche pour voir : alors je montre fièrement mon trésor mais prudemment de peur de le faire tomber ou qu’on le prenne ; ma paume est à peine ouverte, presque fermée, et mon autre main bien qu’encombrée des ustensiles est là toute proche qui veille. Je vois des regards heureux, ma trouvaille réjouit plus qu’elle ne fait d’envieux, puis chacun animé d’une ardeur nouvelle se remet rapidement au travail, aiguillonné par l’espoir d’avoir aussi une pareille chance.

                        Je range avec soin mon minuscule trésor dans un mouchoir qu’heureusement j’ai en poche- comment aurais-je fait autrement ? Je plie et replie le papier délicatement sur ma poussière d’or et le glisse dans mon pantalon avec d’infinies précautions, craignant de le faire tomber dans l’eau, ou qu’il ne s’ouvre ou se déchire. Quoi faire  alors pour le récupérer ? Je serais au désespoir !

                        Le bonheur m’habite totalement, je suis comblé. Je n’éprouve plus le besoin de chercher : ma petite pépite d’or me suffit. D’ailleurs, comment trouver davantage ? Je suis cerné de toutes parts et tous les sables, les graviers, les cailloux, les limons ont été explorés,  retournés, tamisés mille fois.

                        Je sors doucement de la rivière- j’ai du mal à me frayer un passage tant les rangs sont serrés- et puis la rive est raide ; à peine d’ailleurs ai-je quitté ma place qu’un homme y saute avec une frénésie sauvage, pelle et poêle haut la main comme des armes ; ses yeux brillent d’un éclat inquiétant comme les miens tout à l’heure : nous sommes frères !

                        Je dégouline de partout. Oh ! Maman, si tu voyais ton fils en ce moment ! Les chaussures pleines d’eau qui font « splitch, splitch.. » à chaque pas, le jean mouillé et boueux jusqu’au slip ; le pull idem et mon air un peu fou, tenant ma petite pelle et ma grosse poêle à frire. Oui, maman, tu t’inquièterais sûrement!

                        A un voisin se trouvant là je prête mes outils improvisés de chercheur d’or : ils m’encombrent maintenant, et je fais un heureux.

                        Sur la rive, je vois des gens qui accourent de partout : le long de l’Yvette, à travers les terrains de rugby et de foot, et de l’autre côté en suivant les tennis. Il y a dans l’air un vent de folie ; tous, je le vois bien, sont en état second : la fièvre de l’or les a pris. Je me pousse et les laisse passer : je sens bien que le moment serait mal venu de leur chercher querelle ; j’aurais droit vite fait à un coup de pelle ou de poêle assassin !

                        Partout dans le parc, autant que je peux voir, c’est la même scène : la ruée  vers la rivière. Je remonte la Mérantaise et tout le long le spectacle est semblable. A côté du gymnase, un groupe d’une cinquantaine a envahi une propriété, renversant le grillage et escaladant le mur de pierres : ils tamisent jusqu’aux murs de la maison ! Le sens du bien privé n’existe plus. Le propriétaire est absent aujourd’hui ; tant mieux, il aurait certainement pris un coup de sang à voir ces sauvages envahir et saccager son jardin.

                        La rue Amodru et l’avenue du Gal Leclerc sont complètement bouchées : les voitures sont bloquées, sur des kilomètres sans doute, très certainement au-delà de Courcelles, peut-être jusqu’à St Remy ou encore plus loin ; le bruit des klaxons est assourdissant ; la circulation sur la 306, la route de Bures et celle de Belleville ne doit pas être meilleure. Rien de beau à voir ici ce matin : Gif devient une ville morte, fermée, bloquée, cernée, inaccessible.

                        Je file jusqu’à l’ancien lavoir ; aucune embellie là non plus mais je n’y comptais guère ; deux hommes s’y bigornent violemment, les coups portent forts- j’ai même cru voir une lame briller ; j’entends plus loin des cris de femmes qui se crêpent le chignon. La tension est partout, la violence latente explose par endroits. Je suis convaincu maintenant qu’une catastrophe s’est abattue sur Gif.

                        Je m’apprête à remonter la Mérantaise jusqu’à la côte de Belle Image quand j’aperçois le maire entouré de ses adjoints et du commandant de la gendarmerie. Il est très pâle et son regard inquiet. Il y a de quoi. Ce qui survient depuis ce matin est pire que tout ce qu’il a pu voir ou connaître : les inondations, les gens du voyage, les voitures qui brûlent de temps en temps, toutes ces difficultés des mois passés ne sont rien en comparaison de ce qui arrive aujourd’hui. Aujourd’hui, il s’agit d’une tornade, d’un tremblement de terre degré 9 sur l’échelle de Richter, d’un raz de marée dévastateur.

                      Dans ma tête défilent en un éclair les images des livres de mon enfance : les Wisigoths, les Ostrogoths et autres Vandales, les Huns, le terrible Attila, chevauchant à travers les grandes plaines, mettant sur leur passage tout à feu et à sang.

                     Heureusement, Gif n’en est pas encore là ! Les hordes sauvages de la vallée de Chevreuse n’ont que des pelles et des poêles ! Mais tout de même, la catastrophe a bien lieu: embouteillages monstres sur les routes communales, rixes et bagarres, rapines, vols et vitrines dévalisées par les voyous venus de partout à la fête – terrains de sports piétinés transformés en labours, véhicules stationnés n’importe où ! Et le prix à payer pour cet immense gâchis!

                        Le maire a appelé le Préfet pour demander des renforts de police, mais comment ces renforts pourraient-ils arriver jusqu’ici, les routes étant impraticables? Et combien d’hommes pour enrayer cette ruée plus nombreuse de minutes en minutes ?

            Depuis ce matin j’ai le sentiment  profond de vivre des évènements extraordinaires, et j’en demeure tout excité. Mais au fil des minutes ma fièvre tombe et la vue des gens qui m’entourent- en transe, qui ne s’appartiennent plus- et des dégâts qu’ils font m’attriste et me met peu à peu en colère. Je ressens le besoin impérieux d’ordre, que tout s’arrête maintenant et redevienne comme avant : la fête doit finir. D’autant qu’il n’y a plus d’or dans la Mérantaise : Gif n’est pas la Californie et les quelques grammes transportés par la rivière d’un glissement de terrain survenu aux Fonds Fanettes et au Bois des Roches comme j’ai appris tout à l’heure, ont été trouvés depuis longtemps.

                        Je ne suis guère présentable mais je n’hésite pas : je vais voir le maire et lui propose mes services ; en ce jour exceptionnel il doit avoir grand besoin de toutes les bonnes volontés. Il me remercie sans remarquer ma tenue et me demande de me présenter aux responsables de la cellule de crise qu’il vient d’installer en mairie.

                        La rue Amodru est toujours bloquée; la plupart des véhicules sont vides, leurs occupants partis comme tant d’autres à la recherche de l’or, ou voir ce qui se passe ou pour se dégourdir les jambes.

                       Approchant de la mairie, brusquement des CRS déboulent vers moi : des dizaines et des dizaines, casqués, tout de noir vêtus, bouclier à la main comme mes Wisigoths d’autrefois ; au ceinturon, la tonfa prête à servir; la vue soudaine de ces hommes noir- acier me frôlant en silence, et le cadencement des bottes sur le sol- symboles de violence et de drames tout proches- m’impressionne et je ne peux réprimer un frisson de frayeur ni un mouvement de recul.

                        Comment, par où sont-ils arrivés? Par le chemin de Moulon ? Je n’imagine pas d’autre possibilité, vu l’encombrement des routes, ou alors les hélicos sur les bassins de Coupières et de Bures, plus rapides et plus sûrs ? D’ailleurs, il m’a semblé entendre tout à l’heure des vrombissements vers l’Ouest. Oh! J’aurais aimé les voir, ces grands oiseaux d’acier, descendre du ciel de Gif dans un bruit d’enfer, et tous ces hommes casqués tout noirs sauter dehors, courbés pour éviter le souffle et les pales ! Quel beau spectacle se devait être !

                        Je me demande aussi comment le maire a pu obtenir du Préfet qu’il les envoie si rapidement? Quels arguments il a pu faire valoir pour faire engager une force de police d’une telle importance : menace à l’ordre public ? Violence sur la voie publique ? Tous les arguments en « ic » ou « ique » possibles certainement. Quoiqu’il en soit, le préfet a compris l’urgence et la gravité de la situation ; car aujourd’hui si Gif – à cause de son or- est touchée, toutes les communes proches, jusqu’à Rambouillet, Palaiseau, les Ulis, le sont aussi et puis la 306 et la 118 ; demain, qu’en sera-t-il? Et après-demain ? Il faut sans délai couper l’herbe sous le pied à cette mauvaise affaire ; prendre d’urgence les mesures nécessaires. Eh bien voilà, c’est fait!

                       Les CRS sont là et c’est tant mieux ! J’éprouve soudain à leur égard une sympathie que je ne me connaissais pas. Les voyant ainsi prêts à l’action, je me dis : « tant pis, ils attendront un peu en mairie- excusez- moi monsieur le maire »- et je les suis ; des petits groupes filent vers St Remi et rue Vatonne, d’autres le long de la rue Amodru et vers l’avenue du Gal Leclerc ; y en a–t-il déjà rue Dautry et à Courcelles ? J’emboîte le pas au gros du peloton qui se dirige à petite course vers le parc et vers la Mérantaise ; d’autres nombreux sont déjà sur place, venus par Coupières ou la gare sans doute : au jugé, ils sont 300; j’aperçois quelques gradés donnant des ordres par mégaphones: interdire l’accès à la rivière.

                        Les CRS s’y emploient aussitôt, tentant de stopper un par un les gens dans leur course vers l’eau ; mais la mission est difficile, les espaces sont grands, eux trop peu nombreux, si bien que beaucoup leur glissent dans les doigts comme anguilles ; et ceux pris, à peine l’attention relâchée, s’échappent et filent derechef vers la rivière ! 1 CRS pour 1 aventurier fiévreux à la recherche de l’or, la stratégie n’est pas bonne!

                         Alors très vite suivant les ordres des officiers les policiers en adoptent une nouvelle : immobiles côte à côte le long de la rivière ils dressent une barrière continue de leur corps en un rempart infranchissable; aussitôt mise en place cette chaîne humaine noir- acier soudainement dressée s’avère efficace : « on ne passe plus ! » ; personne ne tente ni n’ose la franchir car elle impressionne et fait peur et s’ils paraissent enfants sages à se tenir la main ainsi, chacun devine ou peut voir que ces flics casqués, bouclier et tonfa à la main, peuvent ne plus l’être; sans équivoque ils le montrent à tous ceux qui essayent : aie, la matraque !

          Du côté des tennis, le bouclage de la zone est rendu plus facile : les grillages des courts font obstacle, quelques hommes ici suffisent.

          Le long de la Mérantaise, j’en vois une trentaine sauter dans l’eau comme moi tout à l’heure : visière baissée, chacun sa matraque à la main déterminé à s’en servir s’il faut ; vraiment ils n’ont pas l’air gentil. La moitié vers l’amont et l’autre vers l’aval, lentement mais sans ménagement, brutalement parfois, un à un ils font sortir les chercheurs d’or de l’eau, repoussant ceux se tenant sur les rives. Les protestataires qui n’obtempèrent pas sur le champ et lèvent leur pelle ou leur poêle un peu haut reçoivent illico de rudes coups ; les CRS ont appris où frapper ; oh, ça fait mal ! Les velléités belliqueuses sont noyées dans l’eau de la Mérantaise ! La plupart calmés s’exécutent aussitôt, mais quelques irréductibles s’insurgent furieux de recevoir des coups- ils ne font rien de mal après tout en cherchant l’or de la rivière- furieux d’être chassés, furieux de perdre leur rêve et leur espoir ; et sans doute plus d’un a des comptes à régler avec la gente policière. Alors les pelles et les poêles deviennent armes : massues et gourdins pour taper sur les flics : « Saloperie de flic ! », « Tiens, prend ça sur la gueule, tu m’en diras des nouvelles !» sont les amabilités et les coups qui s’échangent; des ustensiles sifflent dans les airs vers les têtes casquées ; plusieurs ramassent des pierres.

            Les CRS ne font pas les fiers : ils se savent peu nombreux face à la foule hostile qui menace; après tout, l’Yvette est proche et vite ils pourraient s’y trouver balancés à tenir compagnie aux canards ! Cependant, avec ténacité, ils parviennent peu à peu à bouter hors de la rivière et repousser tout le monde au delà du cordon de police.

           Dans le même temps, les gradés haranguent la foule avec leur mégaphone : « Il n’y a plus d’or dans la Mérantaise, il n’y a plus d’or, c’est fini, rentrez chez vous ! » « Il n’y a plus d’or, rentrez chez vous !». Mais les chefs ont beau chanter leur chanson, personne ne les croie ni ne bouge d’un pouce ; comment d’ailleurs pourraient-ils être crus ? Pour chacun, le temps de renoncer à ses rêves d’or n’est pas encore venu.

                        Le maire arrivant sur les lieux lance le même message : « Je suis le maire, il n’y a plus d’or dans la Mérantaise, c’est fini, rentrez chez vous ! ». Sans plus de réussite, lui aussi recommence, et recommence encore : « Je suis le maire, croyez-moi, il n’y a plus d’or dans la Mérantaise, rentrez chez vous ! ».

                        Mais nul n’est convaincu : « J’en ai rien à foutre du maire ! », « Ils nous prennent pour des cons ! » « Ils veulent tout l’or pour eux, oui! » et la tension reste forte : à quelques mètres seulement des boucliers des CRS casqués, la foule se tient immobile et fiévreuse,  prête à s’élancer à l’assaut de la rivière malgré les coups.

                        La vision de ces masses d’hommes figées face à face, l’une brillante harnachée de cuir et d’acier, l’autre disparate et crottée, boueuse, humide, avec en main des objets dérisoires, est vraiment fantastique : un film surréaliste étonnant se tourne là devant moi, sans caméra ni scénario établi à l’avance et sans metteur en scène. Oh ! Combien je regrette de n’avoir pas mon appareil photo! Mais aussi comment prévoir ? Comment imaginer cette folle journée, l’or dans la Mérantaise, les CRS, ce face à face homérique sur la pelouse du stade? Ma boule de cristal ne m’a rien révélé ce matin au réveil ! Quelles photos choc pourtant à prendre ! Et à vendre ! Cédées à Paris Match, je ferais une fortune ! De quoi m’offrir un voyage 5 étoiles dans les îles !

                        Le face à face dure longtemps et semble interminable, interrompu par de rares tentatives de percée de quelques individus plus échauffés et hardis que les autres : sans succès, les flics tiennent bon et les matraques remettent promptement les intrépides en place ! C’est qu’ils sont habitués et entraînés, nos CRS ; ils en ont vu ailleurs de plus violents : boulons, cocktails Molotov, barres de fer… ; les chercheurs d’or de la Mérantaise pour eux sont des gentils!

                       Pendant ce temps, sans se lasser le maire et les gradés continuent d’adresser leur message : « Il n’y a plus d’or dans la Mérantaise, rentrez chez vous ! ».

                        Alors petit à petit, un changement lent survient ; la tension tombe, un mouvement en demi-tour s’amorce, à cause aussi du froid et de la fatigue qui gagnent. Certains n’ont rien mangé, ventre creux depuis l’aube, n’ayant pensé qu’à l’or !

                        Le message inlassablement répété finit par entrer dans les têtes ; c’est vrai que peu d’entre eux ont trouvé l’or, et les heureux élus n’ont trouvé qu’une misère, pas même de quoi payer l’essence : « Il n’y a plus d’or dans la Mérantaise, c’est fini, rentrez chez vous ! »

                        Il n’y a plus d’or, voilà, il faut rentrer.

                        Je vois les premiers qui repartent, la mine triste, tête basse, le dos courbé : une fatigue intense et une immense déception remplacent l’enthousiasme et l’excitation du matin. Adieu, veau, vache, cochon, couvée !

                        Voilà, c’est fini. Tout le monde s’en va maintenant, chacun s’en retourne chez soi. Un vaste mouvement de foule vide le parc, comme à la fin d’un match au Parc, mais plus lent, sans la joie et l’excitation habituelles; sans la colère aussi : nos chercheurs abattus sont sonnés ; leur beau rêve s’en est allé au fil de l’eau de la Mérantaise.

                        Campés devant la rivière, les CRS n’ont pas bougé malgré le reflux qui s’engage ; ils respirent toutefois plus à l’aise, leurs muscles se relâchent et quelques plaisanteries fusent. Pourtant rien n’est fini pour eux, bientôt une partie ira dégager les routes et régler le trafic.

                        J’aperçois le maire tout proche: lui aussi se sent mieux, son visage le dit ; à un moment, il sourit, mais déjà il doit faire le bilan : cher, très cher pour la commune ! Cette nuit, il dormira comme un sonneur ou fera d’horribles cauchemars.

                        La rive, les terrains du parc, et sans doute partout  dans Gif où la foule est passée, sont jonchés de papiers, de bouteilles, de détritus de toutes sortes et même de pelles et poêles abandonnées ; des branches cassées, des jeunes arbres piétinés, des barrières et des haies éventrées, il y a même des traces de pneus sur les pelouses de rugby et de foot : des voitures ont roulé jusque là, malgré toutes les interdictions et les obstacles. Ce n’est pas beau à voir!

                        Le parc est bientôt presque vide ; chacun a rejoint sa voiture ou s’en est retourné à pied. Rentrer chez soi, retrouver au plus vite sa vie tranquille sans histoire, voilà ce qui importe maintenant ; pourtant beaucoup n’y seront pas de sitôt. Les routes sont bloquées, il leur faudra des heures avant d’arriver à bon port. Pour les plus malchanceux, la nuit sera blanche. Ah ! Les chercheurs d’or de Gif se souviendront longtemps de cette journée !

                        Moi aussi, je décide de rentrer.

                        Je m’en retourne doucement, je suis complètement à plat. Ce n’est pas tous les jours qu’un événement pareil survient ni que je cherche de l’or. Je reviendrai tout à l’heure donner le coup de main promis à l’équipe de mairie, mais maintenant j’ai besoin de souffler un bon coup.

                        Et puis, il faut que je mette mon trésor en sûreté. Je ne l’ai pas oublié une seconde pendant toutes ces heures, gardant toujours une main sur ma poche de peur que je le perde.

                        Je sens qu’elle me brûle, cette poche, j’ai hâte d’en sortir son précieux contenu ; alors j’accélère le pas, je suis soudain pressé ; vers la fin je cours presque ; j’essaye d’ouvrir ma porte avec la clef, j’ai oublié qu’elle n’est pas verrouillée, et puis là, sur la table de cuisine, tout doucement, délicatement, je déplie ma feuille de papier protégeant mon trésor.

                        Elle est là, elle brille, ma poussière d’or. Oh ! Quelle est belle ! Elle est magnifique ! C’est mon or, l’or de la Mérantaise, c’est moi qui l’ai trouvé, j’ai trouvé de l’or !

                        Je n’arrive pas à en détacher mon regard.

                        Je la regarde de tous côtés, je l’ausculte, je la palpe, je l’admire, j’en suis totalement amoureux. A un moment, je vais chercher ma loupe pour mieux la voir ; c’est qu’elle n’est pas bien grosse ma pépite ; le serait-elle d’ailleurs que je n’en aurais pas plus de joie : sa valeur en argent n’a aucune importance. J’ai trouvé de l’or, voilà tout, c’est ce qui compte, comme si j’avais conquis l’Everest ou trouvé un inestimable trésor ; ma pépite d’or m’éblouit et me réchauffe comme un soleil.

                        Bien vite, je sais comment je vais m’y prendre pour en jouir tout le temps : une inclusion, voilà ce qu’il faut faire, oui, c’est la meilleure idée ; la pépite bien au centre, pareille à une étoile, ou à la pointe d’une petite pyramide ; je verrai avec l’artisan ce qui convient le mieux ; et puis je ferai graver sur le socle: « Or de la Mérantaise 27 avril 2002 ». Et tant pis si ça coûte, mon or vaut bien une dépense.

                         Je la mettrai dans mon salon, en évidence. Ainsi chaque fois en voyant ma petite pépite d’or briller dans son écrin, je sais que j’éprouverai à nouveau la même joie et le même bonheur, revivant totalement le film de cette folle journée :

  « L’or de la Mérantaise ».

Les nouvelles qui sont publiées ici ont été écrites dans le cadre du concours de nouvelles organisé chaque année depuis 2002 par la bibliothèque municipale de l’Abbaye de Gif sur Yvette en Essonne.

Celles dont je suis l’auteur n’ont pas été lauréates mais j’ai eu plaisir à les écrire et j’en éprouve encore à les relire de temps en temps.

J’espère que vous trouverez aussi de l’agrément à les parcourir ainsi que celles de François Nanquette et d’Evelyne Vijaya, auteurs giffois.

Si vous-même êtes auteur(e), n’hésitez pas à me proposer vos œuvres pour une publication sur mon site, sachant que :

-la publication de vos œuvres ne vous ouvrira aucun droit nouveau particulier,

-la protection de vos droits d’auteur et de propriété intellectuelle ne sera pas assurée,

-vous conserverez l’entière propriété intellectuelle et morale de vos œuvres, notamment vous demeurerez libre de les proposer à des éditeurs,

-je pourrai les retirer du site à tout moment sans avoir à solliciter au préalable votre accord,

-vous pourrez les faire retirer à tout moment sur simple demande.

Le jardin de monsieur Victor
  – Encore de vieux livres, ramassés dans les poubelles, à ce que je vois, monsieur Victor ?
  – Je ne peux m’en empêcher ! Chacun ses manies !
  – Vous devez en posséder des milliers ?
  – Vous savez, on ne possède pas les livres. Ce sont eux, qui bien souvent nous possèdent.
  – La solitude ne vous pèse pas ?
  – Pas du tout ! Je ne suis jamais seul ! J’ai mes livres ! Je m’occupe ! Je cultive mon jardin !
  – Vous êtes alors un familier de Voltaire ?
  – J’aurais bien aimé ! Un grand admirateur, assurément !
  – Mon cher bibliophile, je vous souhaite de belles lectures. A une prochaine fois !
  – A la prochaine ! N’oubliez pas ! Si certains de vos livres ne vous intéressent plus ? Pensez à moi !
  Monsieur Victor se dirigea vers l’entrée. La façade était quelconque.
Une maison comme tant d’autres dans ce quartier paisible.
  Le seuil franchi, cette impression fondait comme neige au soleil.
Cette demeure s’avérait unique. Impossible d’en trouver une, similaire ! Même ressemblante !
Des murs et des murs de livres !
Monsieur Victor avait savamment orchestré son affaire.
Comme certains égaient leurs murs de papiers à tapisserie, lui, avait quadrillé toutes les parois de son habitation, de rayonnages,  réglés aux dimensions exactes des différents ouvrages.
Pas le moindre pan de cloison, nu.
Des milliers et des milliers de volumes dont il connaissait, de chacun, la place exacte.
  Des romans bien sûr, en écrasante majorité. Mais aussi des essais, des nouvelles.
Des écrits philosophiques côtoyaient goulûment des manuels de cuisine, des ouvrages d’art cherchaient leur nord auprès de précis de géographie, des bandes dessinées tutoyaient des encyclopédies. L’hôte ayant horreur des étiquettes, que l’on colle par commodité, sur le front des auteurs, avait obéi au rangement par format.
Ainsi la barbe fournie de Léon Tolstoï venait chatouiller le sec catalan Ludovic Massé.
Le regard azuréen de Jean d’Ormesson, plus vif et pétillant que jamais, tentait de dérider le sombre Friedrich Nietzsche perdu dans ses aphorismes. L’aubagnais Marcel Pagnol expliquait dans un anglais, qu’il avait professé, le mystère des sources, au californien John Steinbeck.
Un éclectisme anachronique, à l’origine de débats secrets, aussi animés qu’insolubles.
  Quand Monsieur Victor affirmait qu’il n’était jamais seul, il disait vrai. La maison était pour le moins habitée, voire surpeuplée. Combien de locataires ?
Il ne s’était jamais posé la question. La situation évoluait d’un jour à l’autre. Quelques-uns changeaient de place. Certains entraient, tandis que d’autres sortaient.
Une lourde responsabilité que de gérer tout ce petit monde. Il le faisait avec autorité et bienveillance.
  Ce goût de lire ? D’où lui venait-il ? A soixante-dix-sept ans, il l’ignorait toujours.
Né à la campagne, dans une famille pauvre, il avait plus ou moins fréquenté l’école.
Très tôt, on le fit participer, contre quelques piécettes, aux travaux des champs.
Comment apprit-il à lire ?  Il ne savait l’analyser avec lucidité.
A chaque fois que la question lui avait été posée, il avait répondu de façon analogue :
  – J’ai  appris à lire, en lisant !
Ce qui faisait peu avancer son questionneur !
  Haut comme une petite pile de livres, il lisait tout ce qui lui tombait sous les yeux.
Son coin favori, en cette période, les toilettes.
Personne n’avait l’idée de l’y chercher. Percées par un clou planté dans le mur, des bandes de journaux quotidiens, étaient utilisées pour se refaire une propreté. Il s’installait et lisait.
Des extraits d’articles de politique, des bribes de compte-rendus sportifs, des avis
mortuaires…
  Dans les maisons paysannes, où on le faisait parfois entrer, pour se réchauffer d’un vin chaud, pas l’ombre d’un ouvrage. Il rêvait d’avoir  un livre bien à lui.
Il osa, un jour, demander à son père, si avec l’une de ces petites pièces qu’il venait de gagner, en travaillant durement, toute la journée dans la terre, il pouvait réaliser son rêve.
Il se heurta à une incompréhension totale. Un refus, bien sûr. Mais un rejet sans méchanceté
Aucune. Analphabète, celui-ci ne voyait strictement pas l’utilité, d’acquérir l’un de ces paquets
de feuilles de papier, remplies de chiures de mouches. Un plantoir, une bêche, une fourche, d’accord ! Mais un livre ?
La mère était malade. Il fallait contenter les bouches à nourrir de la maisonnée.
Ce désir le taraudait. Il y pensait en s’endormant. L’idée était toujours présente à son réveil.
  Prenant son courage à deux mains et il en fallait pour effectuer cette démarche, il alla frapper
à la porte du maître d’école. N’y venant que rarement, il s’attendait logiquement, à une fin de non recevoir. Il se trompait abondamment.
Sous une apparence bourrue, monsieur Cortade aimait profondément les enfants. Exigeait
beaucoup d’eux. Mais connaissait parfaitement la situation de chacun et savait adapter son
attitude en conséquence.
  – Excusez-moi de vous déranger, monsieur, mais je voudrais avoir un livre. Oh ! pas un livre
à moi. Je le lis. Je le rends !
  La démarche de ce petit bouseux, l’émut aux larmes. Il se reprit et demanda :
  – Mais tu sais lire ?
  – Oui, monsieur.
  – Et comment as-tu appris ?
  – Je ne sais pas monsieur. J’ai appris à lire en lisant.
– Alors celle-là, tu me la copieras ! J’ai des élèves tous les jours dans cette classe, qui
m’épuisent, tant ils résistent au moindre apprentissage et toi qui du matin au soir t’escrimes
dans les champs, tu saurais lire ?
  – Oui, monsieur.
  – Mais tu sais lire comment ? Un peu, tu annones, tu déchiffres ?
  – Je lis, monsieur.
  – Alors là,  j’avoue volontiers que tu m’en bouches un coin.
Monsieur Cortade ouvrit l’armoire de la classe et en tira un ouvrage. Un recueil de poésie. Il l’ouvrit au hasard. Plaça le livre bien à plat, sur le bureau, devant Victor.
– « Milly ou la terre natale – Pourquoi le prononcer ce nom de la patrie ? Dans son brillant
exil, mon cœur en a frémi …   – Objets inanimés avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? – Alphonse de Lamartine. »
  Il y eut un long silence que l’enfant rompit :
– C’est beau !
– Mais, tu es incroyable mon petit Victor. Non seulement tu sais lire, en respectant la ponctuation, les groupes de souffle, mais de plus, tu comprends ce que tu lis. Et le comble, tu aimes la poésie ! Je te félicite. Je n’y comprends rien, mais alors rien du tout, mais je suis fier de toi !
  Il venait de recevoir de nouveaux ouvrages pour la bibliothèque de classe. Il en choisit un et y écrivit quelques mots.
  – Tiens petit ! Celui-là je ne te le prête pas. Il est à toi. Quand tu l’auras terminé, reviens,
je t’en prêterai d’autres. Allez-file !
  Victor rentra à la maison son trésor caché sous sa blouse. Dès qu’il le put, il s’isola et osa
enfin lire le titre de l’ouvrage. « Les trois mousquetaires » d’Alexandre Dumas. Il l’ouvrit et
sur la page de garde, il put lire « A Victor, fier d’Artagnan de la lecture !»
Il passa sa première nuit blanche. Au matin, il était devant le portail de l’école.
  – Alors Victor tu nous reviens ? Tu reprends le chemin de l’école ?
  – Non, monsieur aujourd’hui, je suis loué pour les Arthaud. Vous m’avez dit que je pourrais revenir, quand j’aurai fini le livre !
  – Tu l’as lu dans la nuit ?
  – Oui monsieur.
– Ne bouge pas. J’arrive.
  Il revint avec un nouveau livre. Il faudrait le rendre celui-là. Avant de partir pour les champs, Victor en regarda rapidement la couverture. « Les lettres de mon moulin » d’Alphonse Daudet.
Il le fourra sous sa blouse et partit en courant.
  L’un après l’autre, il écuma tous les livres de la bibliothèque scolaire.
  Victor grandit. Pas de scolarité, pas de diplôme. Pas de diplôme, pas d’emploi autre que
ceux proposés par la terre. Hors, la crise touchait gravement un monde agricole qui n’embauchait plus. Il ne pouvait rester dans le milieu familial comme bouche à nourrir.
Monsieur Cortade conscient de sa situation, rédigea une lettre de recommandation pour le patron de la plus ancienne librairie de la ville, qu’il comptait parmi ses amis.
  Le jeune homme fut embauché comme magasinier.
Il déballait les ouvrages. Faisait office de commissionnaire,  apportant des volumes en
commande à de fidèles clients. Il  logeait dans l’arrière boutique. Son maigre salaire ne lui permettant pas de louer la moindre petite chambre. Il devint par la même occasion gardien de
nuit.
   Il avait voulu des livres, il était servi. De sept heures le matin à dix-neuf heures le soir, il accomplissait sans rechigner toutes les tâches qu’on lui confiait. A midi, il déjeunait sur place
avec tous les employés. A la fermeture du soir, monsieur Coste conscient d’avoir embauché
un vaillant parmi les vaillants, l’emmenait dîner dans le superbe appartement qu’il occupait au deuxième étage de la même bâtisse. Puis, il redescendait avec l’immense bonheur de plonger dans cet univers de livres.
  Dans les premiers temps, tant d’ouvrages l’appelaient qu’il se retrouva ballotté dans tous les
sens. Petit mousse peu amariné, dans un canot chahuté par la houle.
Il apprit à les connaître et sans les dompter, parvint à faire valoir son libre choix.
Dans les deux années qui suivirent, sans prétendre avoir lu tous les recueils, il prit le dessus
sur cette masse mouvante.
S’il ne connaissait pas intimement chaque livre, il connaissait toutes les familles, arrivait à tisser les bons liens de parenté.
  Le jeune homme avait surpris son patron.
Lorsqu’un vendeur se trouvait embarrassé par un client, demandeur d’un ouvrage, si rarement vendu, que le professionnel en ignorait jusqu’à son existence, Victor intervenait. Il faisait coulisser l’échelle sur son rail et allait dénicher le livre, tout en haut des rayonnages
bien tranquille, endormi dans son coin. D’autrefois, à des hésitations, il tranchait, apportant une réponse immédiate. Il connaissait parfaitement sa boutique.
  Il excellait dans les parutions. Les nombreux éditeurs, envoyaient quotidiennement, aux
Libraires, des ouvrages qui ne seraient mis sur le marché que dans les mois à venir. Comme il
était chargé d’ouvrir les cartons, systématiquement, la nuit, il s’offrait leur lecture.
Au dîner, rituellement, monsieur Coste interrogeait son magasinier sur les livres à paraître.
Non seulement Victor était capable de donner son opinion, mais de plus, il était apte à
en parler avec un avis de libraire.
  Tel auteur, pilier de telle maison d’édition, proposait son énième ouvrage. Il faudrait en commander en quantité, car les clients le demanderaient, se basant sur sa réputation ou dans le souci de compléter une suite. En fait,  il s’agissait visiblement d’une commande, que l’auteur avait honorée, en omettant d’y adjoindre envie et talent. Par contre, chez tel autre éditeur, plus modeste mais plus téméraire, un auteur nouveau venait de produire une pépite. Il faudrait pousser les habitués à le découvrir, en survendant le livre, en le mettant en valeur sur
les présentoirs.
  Très rapidement, Victor devint le conseiller référent de la librairie et fut chargé d’établir le carnet de commandes. Essentiel. Indispensable. Les lecteurs assidus venaient échanger leur point de vue avec lui. D’autres attendaient qu’il soit libre, faisant mine de feuilleter des
ouvrages, alors que des vendeurs disponibles se trouvaient à côté d’eux.  Chacun voulait être conseillé et servi par monsieur Victor.
Après quelques années de gestionnaire, conseiller, il fut en mesure d’acheter une maison avec
jardin aux abords de la ville. Il dépiautait toujours les envois d’éditeurs, marqués du tampon
« spécimen », avec la même frénésie. Etant interdits à la vente, le patron lui donna
l’autorisation de les conserver. Il continuait à lire beaucoup.
  Il lisait vite. S’en était aperçu, très tôt. Il avait cette faculté d’avaler les ouvrages en un rien de temps. Un don, qu’il avait inconsciemment, sans doute bonifié, au fil de ses innombrables lectures. Il s’en voulait d’ailleurs. Cette vitesse de lecture écourtait forcément son plaisir.
  Outre cet appétit qui lui permettait de dévorer comme personne, tout ce qui était lisible, il était doté d’une mémoire éléphantesque. Il n’oubliait rien de ce qu’il avait lu.
   Lentement mais sûrement, sa propre maison s’était transformée en une librairie privée.
Aux personnes qui le questionnaient sur ses facilités à lire autant, sur son aptitude à se rappeler tel détail, de tel livre, il répondait simplement : « je les aime ! »
  Sa vie professionnelle s’écoula comme la lecture d’un livre. La sensation d’avoir lu un instant. A peine avait-il passé l’incipit qu’il se retrouvait en quatrième de couverture.
Il vécut son départ avec simplicité. Sans regret, ni amertume.
  Sa demeure l’attendait. Il quittait la maison du livre pour s’installer dans sa maison de livres.
Avec le temps, les parois s’étaient intégralement recouvertes. Il avait même pu s’offrir le luxe d’opérer des choix. De ne conserver que les livres qu’il aimait ou qui l’intéressaient. Ceux qui ne le satisfaisaient pas repartaient dans des cartons.
  Impensable de jeter le moindre livre. Un acte au-dessus de ses forces. Il n’aurait jamais pu.
En faire don ? S’il trouvait ces ouvrages sans intérêt, en les offrant, il proposait un cadeau empoisonné. Alors, que faire ? Ce questionnement revenait de façon récurrente quand il
croisait ces cartons. Cette problématique le taraudait au point de le perturber dans ses lectures.
  Derrières la maison, à l’abri des regards, se trouvait le jardin.
A l’acquisition de la maison, il s’était totalement désintéressé d e cet espace. Chaque matin, il
Tombait sur cette terre redevenue sauvage. Une friche hideuse. Rapidement, elle lui fit éprouver un sentiment de culpabilité.
  Il décida donc de se mettre à l’ouvrage et nettoya cet espace.
Il trouva vite un équilibre entre l’activité physique fournie pour le débroussaillage et ses
lectures permanentes. L’une sollicitait son corps. L’autre son cerveau.
  Dans son élan, il s’initia au jardinage. Revenant à une activité qu’il avait exercée par
Obligation, étant jeune, il n’eut aucun mal à réussir. Très vite, son potager lui apporta quotidiennement, des légumes colorés et goûteux.
  Sans l’avoir prémédité, il se retrouvait avec les deux nourritures qui lui étaient essentielles.
Au jardin, il trouvait de quoi satisfaire les appétits du corps, dans les étagères les faims de
l’esprit.
Ces livres remisés dans les cartons continuaient à perturber sa tranquillité intérieure. Il savait
qu’il ne les jetterait pas et qu’il ne les donnerait pas. Il lui fallait trouver une solution pour retrouver la paix.
  C’est courbé sur un sillon, que l’idée lui vint. Une idée folle. Totalement loufoque. Pour
l’homme de mots qu’il était, une solution logique. Imparable.
Pendant quelque temps, il courut la campagne, une pioche sur l’épaule. Il était à la recherche d’arbres qui portaient beau. Des solides, des matures, bien équilibrés, bien plantés sur leurs
racines.
  Quand il en choisissait un, il s’approchait et fouillait les alentours à la recherche de rejetons.
Ces pousses incontrôlées, complètement sauvages, ces arbres en devenir. Il piochait large afin
de ne sectionner aucune racine, prélevant un pied chaussé d’une grosse motte de terre. Il les
prenait très jeunes.
  Le jardin était cerné sur les côtés et au fond par une haie de cyprès. Il garda la partie qui jouxtait la maison comme potager. Planta une haie de roseaux séparant le lopin en deux. De la maison, on ne pouvait discerner que le potager.
  La mise en place de son projet ne supportait pas les regards indiscrets.
Il remua profondément la terre, lui permettant une respiration qu’elle avait oubliée. Il planta
ensuite ses huit arbres sur deux lignes espacées de six mètres.
  C’est à partir de cette phase de l’opération qu’il valait mieux qu’il ne soit pas observé.
Il sortit un carton de ces livres, au rebut. Saisit un ouvrage, arracha page après page, les
répartissant sur la terre. Puis de sa bêche, patiemment il enfouit le tout. Il prit un second livre et procéda identiquement. Tout en enterrant les feuillets il murmurait « Travaillez, prenez de la peine : c’est le fonds qui manque le moins. » Cette phrase revenait comme ces rengaines,
 qui s’installent dans un coin de la tête et dont on n’arrive pas à se débarrasser.
  – Les petits si Jean de la Fontaine dit bien, de fonds vous ne manquerez point !
  Il consacra ainsi son temps à mêler, au plus intime, les pages de livres à la terre.
Il avait fait le pari, dans un esprit peut-être trop plein de récits et d’aventures, de nourrir la
terre, de littérature. Les racines de ses arbres puiseraient dans ces milliers et milliers de lettres enterrées. Il pensait arriver à dompter la sauvagerie des végétaux et les conduire, tout
naturellement à produire des feuilles.
Qu’un arbre produise des feuilles, jusque là, rien d’extraordinaire !
Mais, il n’escomptait pas de feuilles vertes, comme savent si bien en fabriquer les arbres les plus communs. Il voulait de belles feuilles blanches, emplies de lettres de l’alphabet. Des pages racontant des histoires que seuls ses arbres seraient capables d’inventer.
  Le temps passa. Tous les arbres s’enracinèrent, sans problème et poussèrent allègrement.
A force de recevoir des feuilles de papier encré, la terre était devenue quasiment noire.
Il continua à la nourrir d’essais, de romans, de contes…
  Un jour, courant janvier, alors qu’il allait apporter sa fumure littéraire, il remarqua que deux des arbres, bourgeonnaient, contre toute attente en cette saison. Sur toutes les branches, de petits boutons blancs étaient apparus durant la nuit. Il était en train d’obtenir le fruit d’un travail acharné. Il pouvait observer la réussite d’une entreprise insensée, mais réfléchie et désirée. Il fut pourtant surpris par cette éclosion. Comme s’il avait fait semblant de croire à son aventure, sans penser une seconde qu’elle fut possible ?
  Les bourgeons s’ouvrirent rapidement. Chacun donnant trois à quatre pages froissées ou l’on pouvait distinguer des soupçons de signes encrés parfaitement illisibles. Les feuilles s’épanouirent, s’ouvrant et se défroissant chaque jour un peu plus. D’heure en heure, les pattes de mouche devenaient des signes distincts. Sans oser toucher à ces merveilles, il passait ses journées à tenter de lire ce que ces pages au format d’un livre, pouvaient bien proposer.
  L’arbre le plus précoce, commença à perdre lentement ses feuillets. Ils se détachaient et tournoyaient pour se poser avec douceur sur le sol.
Monsieur Victor les ramassait au fur et à mesure. Les pages étant numérotées, il les mettait en ordre. Lorsque l’arbre eut perdu toutes ses feuilles,  il avait entre les mains, un livre de deux cent cinquante-deux pages. Il ne réalisait toujours pas. Pendant ce temps, les autres arbres s’étaient réveillés et imitaient leur compère. Il avait réussi.
  Il lut le premier livre et s’émerveilla. Un roman. Une aventure de marins sur une baleinière
au xix° siècle.
Ecrit avec une légèreté digne des plus grands auteurs. Un style à la fois fort et fragile. Un vocabulaire que seuls les hommes de la mer, de ce temps-là étaient à même de connaître.
Une qualité d’écriture qu’il n’avait que rarement rencontrée.
Le second arbre lui offrit un recueil de nouvelles. Plus originales les unes que les autres.
Il avait donc réussi.
Il avait créé des littératuriers.
  Ses arbres puisaient les outils d’écriture dans cette terre, enrichie de milliers et de milliers de lettres. Le tronc devait répartir le flux de signes entre les différentes branches. Dans leurs multiples divisions, elles devaient organiser la pagination.
Mais où allaient-ils puiser cette inventivité, ce pouvoir de création ?
A force de patience et d’observation, sans en être toutefois, pleinement assuré, il pensait avoir trouvé ce secret.
  Le vent… Malgré les hautes et épaisses haies de cyprès, le vent s’insinuait partout. Il venait
Même, par temps calme, faire trembloter la ramure des arbres. Une vieille et solide complicité existait entre eux, depuis la nuit des temps. Ce souffle, venant de tous les coins de la terre, savait effleurer les branches en entonnant de petites mélodies. Monsieur Victor essayait de s’approcher discrètement pour entendre leurs dialogues. Il percevait bien des sons, mais ne les décryptait pas. Il était pourtant sûr qu’Eole, fort de ses lointains voyages, venait narrer à ces végétaux sédentaires, d’extraordinaires aventures.
  Les oiseaux… Au petit jour, on entendait déjà leur gazouillis répétitif et enjoué.
Ils ne venaient pas se poser là par hasard ? A qui racontaient-ils leurs histoires ?
Ces deux pies qui chaque matin venaient jaser, passant d’un arbre à l’autre.
Que venaient- elles faire, sinon narrer les derniers échos du monde alentour, imitant un sac de galets qu’on agite ? Et la huppe qui s’approchait plutôt vers midi, sa couronne toujours bien posée sur un bec aiguisé, que disait-elle dans ces incessants, pou-pout, pou-pout ?
Et la mésange, aux yeux outrageusement maquillés et aux ailes bleutées qui venait régulièrement zinzinuler parmi les feuilles blanches ? Que pouvait-elle susurrer ?
Bien plus discrets, les papillons, les sauterelles et les infatigables abeilles venaient alimenter dans leur murmure l’imaginaire des littératuriers.
   Même la nuit les bavardages ne cessaient pas. Un grand-duc et une hulotte insomniaques faisaient de longs discours dans les branchages.
Le bibliophile avait épuisé les cartons de livres surnuméraires et n’aurait touché à aucun prix aux ouvrages qui lui étaient chers.
Il fallait bien nourrir sa terre, s’il voulait continuer à avoir de nouveaux livres.
Il fit alors savoir dans le quartier qu’il était preneur de tous les livres traînant dans les maisons, les caves et les greniers.
En rentrant de faire ses courses il jetait un coup d’œil dans les poubelles et n’hésitait pas à prendre comme cadeaux ce dont les gens se délestaient.
  Il continue à travailler sa terre. Y enfouit, toujours, des milliers et des milliers de lettres de l’alphabet.
Récolte les livres que lui offrent ses littératuriers.
  Si cette expérience vous tente et souhaitez quelques conseils, vous pouvez le joindre.
Pour l’adresse, rien de plus simple. Il est toujours dans son jardin. Son jardin secret.
Et comme son nom l’indique, il l’est !
Le testament (extraits)
En l’an trentiesme de mon aage,
Que toutes mes hontes j’euz beues,
Ne du tout fol, ne du tout sage,
Non obstant maintes peines eues,
Lesquelles j’ay toutes receues
Soubz la main Thibault d’Aussigny…
S’évesque il est, seignant les rues,
Qu’il soit le mien je le regny !….
….Pour ce que foible je me sens,
Trop plus de biens que de santé,
Tant que je suis en mon plain sens,
Si peu que Dieu m’en a presté,
Car d’autre ne l’ay emprunté,
J’ay ce Testament très estable
Faict, de dernière volonté,
Seul pour tout et irrévocable.
Escript l’ay l’an soixante et ung,
Que le bon roy me délivra
De la dure prison de Mehun,
Et que vie me recouvra,
Dont suis, tant que mon cœur vivra,
Tenu vers lui m’humilier,
Ce que feray tant qu’il mourra :
Bienfait ne se doit oublier….
….Je plaings le temps de ma jeunesse,
(Ouquel j’ay plus qu’autre gallé,
Jusqu’à l’entrée de viellesse),
Qui son partement m’a celé.
Il ne s’en est à pié allé,
N’a cheval ; hélas ! comment don ?
Soudainement s’en est vollé,
Et ne m’a laissié quelque don.
Allé s’en est, et je demeure
Povre de sens et de savoir,
Triste, failly, plus noir que meure,
Qui n’ay n’escus, rente, n’avoir ;
Des miens le mendre, je dis voir,
De me désavouer s’avance,
Oubliant naturel devoir,
Par faulte d’ung peu de chevance….
….Hé Dieu ! se j’eusse estudié
Ou temps de ma jeunesse folle
Et à bonnes meurs dédié,
J’eusse maison et couche molle !
Mais quoy ? Je fuyoie l’escolle,
Comme fait le mauvais enfant…
En escripvant ceste parolle,
A peu que le cuer ne me fent…..
….Où sont les gracieux gallans
Que je suivoye ou temps jadis,
Si bien chantans, si bien parlans,
Si plaisans en faiz et en diz ?
Les aucuns sont mors et roidiz ;
D’eulx n’est-il plus rien maintenant !
Repos aient en paradis
Et Dieu saulve le remenant !
Et les autres sont devenus
Dieu mercy ! grans seigneurs et maistres,
Les autres mendient tous nus
Et pain ne voient qu’aux fenestres,
Les autres sont entrés en cloistres
De Célestins et de Chartreux,
Botez, housez, com pescheurs d’oistres.
Voyez l’estat divers d’entre eux….
Je congnois que povres et riches,
Sages et folz, prestres et laiz,
Nobles, villains, larges et chiches,
Petiz et grans, et beaulx et laiz,
Dames à rebrassez colletz
De quelconque condicion,
Portans atours et bourrelez,
Mort saisit sans exception….
….Et meure Paris ou Hélaine,
Quiconques meurt, meurt à douleur
Telle qu’il pert vent et alaine ;
Son fiel se crève sur son cuer,
Puis sue, Dieu scet quel sueur !
Et n’est qui de ses maulx l’alège.
Car enfant n’a, frère ne seur,
Qui lors voulsist estre son plège.
La mort le fait frémir, pallir,
Le nez courber, les veines tendre,
Le col enfler, la chair mollir,
Joinctes et nerfs croistre et estendre.
Corps fémenin, qui tant es tendre,
Poly, souef, si précieux,
Te faudra-il ces maulx attendre ?
Oy, ou tout vif, aller ès cieulx.

La flûte (extraits)

« Un jour, je vis s’asseoir, au pied de ce grand arbre,

Un pauvre qui posa sur ce vieux banc de marbre

Son sac et son chapeau, s’empressa d’achever

Un morceau de pain noir, puis se mit à rêver.

Il paraissait chercher dans les longues allées

Quelqu’un pour écouter ses chansons désolées ;

Il suivait à regret la trace des passants

Rares et qui, pressés, s’en allaient en tous sens.

Avec eux s’enfuyait l’aumône disparue,

Prix douteux d’un lit dur en quelque étroite rue

Et d’un amer souper dans un logis malsain…. »

Le Mont des Oliviers (extraits)

« Alors il était nuit, Et Jésus marchait seul,

Vêtu de blanc ainsi qu’un mort de son linceul ;

Les disciples dormaient au pied de la colline….

…Connaissant les rochers mieux qu’un sentier uni,

Il s’arrête en un lieu nommé Gethsémani.

Il se courbe à genoux, le front contre la terre,

Puis regarde le ciel en appelant : « Mon père ! »

Mais le ciel reste noir, et Dieu ne répond pas.

Il se lève étonné, marche encore à grands pas,

Froissant les oliviers qui tremblent. Froide et lente

Découle de sa tête une sueur sanglante.

Il recule, il descend, il crie avec effroi :

«Ne pourriez-vous prier et veiller avec moi ? »

Mais un sommeil de mort accable les apôtres.

Pierre à la voix du maître est sourd comme les autres.

Le Fils de l’Homme alors remonte lentement ;

Comme un pasteur d’Egypte il cherche au firmament

Si l’Ange ne luit pas au fond de quelque étoile….. »

L’esprit pur (extraits)

« ….Ils furent opulents, seigneurs de vastes terres,

Grands chasseurs devant Dieu, comme Nemrod, jaloux

Des beaux cerfs qu’ils lançaient des bois héréditaires

Jusqu’où voulait la mort les livrer à leurs coups ;

Suivant leur forte meute à travers deux provinces,

Coupant les chiens du roi, déroutant ceux des princes,

Forçant les sangliers et détruisant les loups ;

Galants guerriers sur terre et sur mer, se montrèrent

Gens d’honneur en tout temps comme en tous lieux, cherchant

De la Chine au Pérou les Anglais qu’ils brûlèrent

Sur l’eau qu’ils écumaient du levant au couchant ;

Puis, sur leur talon rouge, en quittant les batailles,

Parfumés et blessés revenaient à Versailles

Jaser à l’Oeil-de-Bœuf avant de voir leur champ…

…Mais aucun, au sortir d’une rude campagne,

Ne sut se recueillir, quitter le destrier,

Dételer pour un jour ses palefrois d’Espagne,

Ni des coursiers de chasse enlever l’étrier,

Pour graver quelque page et dire en quelque livre

Comme son temps vivait et comment il sut vivre,

Dès qu’ils n’agissaient plus, se hâtant d’oublier…. »

La mort du loup (extraits)

Les nuages couraient sur la lune enflammée

Comme sur l’incendie on voit fuir la fumée,

Et les bois étaient noirs jusques à l’horizon.

Nous marchions, sans parler, dans l’humide gazon,

Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes,

Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes,

Nous avons aperçu les grands ongles marqués

Par les loups voyageurs que nous avions traqués.

Nous avons écouté, retenant notre haleine

Et le pas suspendu. Ni le bois ni la plaine

Ne poussaient un soupir dans les airs ; seulement

La girouette en deuil criait au firmament ;

Car le vent, élevé bien au-dessus des terres,

N’effleurait de ses pieds que les tours solitaires,

Et les chênes d’en bas, contre les rocs penchés,

Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.

Rien ne bruissait donc, lorsque, baissant la tête,

Le plus vieux des chasseurs qui s’étaient mis en quête

A regardé le sable en s’y couchant ; bientôt,

Lui que jamais ici on ne vit en défaut,

A déclaré tout bas que ces marques récentes

Annonçaient la démarche et les griffes puissantes

De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux.

Nous avons tous alors préparé nos couteaux,

Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,

Nous allions, pas à pas, en écartant les branches.

Trois s’arrêtent, et moi, cherchant ce qu’ils voyaient,

J’aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,

Et je vois au-delà quatre formes légères

Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,

Comme font chaque jour à grand bruit sous nos yeux,

Quand le maître revient, les lévriers joyeux.

Leur forme était semblable et semblable la danse ;

Mais les enfants du Loup se jouaient en silence

Sachant bien qu’à deux pas, ne dormant qu’à demi,

Se couche dans ses murs l’homme leur ennemi.

Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,

Sa louve reposait comme celle de marbre

Qu’adoraient les Romains et dont les flancs velus

Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus.

Le loup vient et s’assied, les deux jambes dressées,

Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.

Il s’est jugé perdu, puisqu’il était surpris,

Sa retraite coupée et tous ses chemins pris.

Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,

Du chien le plus hardi la gorge pantelante,

Et n’a pas desserré ses mâchoires de fer,

Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair,

Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,

Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,

Jusqu’au dernier moment où le chien étranglé,

Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.

Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.

Les couteaux lui restaient au flanc jusqu’à la garde,

Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ;

Nos fusils l’entouraient en sinistre croissant.

Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,

Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,

Et, sans daigner savoir comment il a péri,

Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.

J’ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,

Me prenant à penser, et n’ai pu me résoudre

A poursuivre sa Louve et ses fils, qui, tous trois,

Avaient voulu l’attendre, et, comme je le crois,

Sans ses deux louveteaux, la belle et sombre veuve

Ne l’eût pas laissé seul subir la grande épreuve…. »

La sauvage (extraits)

« Elle entre en une allée où d’abord elle voit

La barrière d’un parc. Un chemin large et droit

Conduit à la maison de forme britannique,

Où le bois est cloué dans les angles de brique,

Où le toit invisible entre un double rempart

S’enfonce, où le charbon fume de toute part,

Où tout est clos et sain, où vient blanche et luisante

S’unir à l’ordre froid la propreté décente.

Fermée à l’ennemi, la maison s’ouvre au jour,

Légère comme un kiosk, forte comme une tour…

… Deux filles de six ans aux lèvres ingénues

Attachaient des rubans sur leurs épaules nues ;

Mais, voyant l’Indienne, elles courent ; leur main

L’appelle et l’introduit par le large chemin

Dont elles ont ouvert, à deux bras, la barrière ;

Et caressant déjà la pâle aventurière :

« As-tu de beaux colliers d’azaléa pour nous ?

Ces mocassins musqués, si jolis et si doux,

Que ma mère à ses pieds ne veut d’autre chaussure ?

Et les peaux de castor, les a-t-on sans morsure ?

Vends-tu le lait des noix et la sagamité ?

Le pain anglais n’a pas tant de suavité.

C’est Noël aujourd’hui, Noël est notre fête,

A nous, enfants ; vois-tu ? la Bible est déjà prête ;

Devant l’orgue ma mère et nos sœurs vont s’asseoir,

Mon frère est sur la porte et mon père au parloir. »

L’Indienne aux grands yeux leur sourit sans répondre,

Regarde tristement cette maison de Londre

Que le vent malfaiteur apporta dans ses bois,

Au lieu d’y balancer le hamac d’autrefois.

Mais elle entre à grands pas, de cet air calme et grave

Près duquel tout regard est un regard d’esclave.

Le parloir est ouvert, un pupitre au milieu ;

Le père y lit la Bible à tous les gens du lieu,

Sa femme et ses enfants sont debout et l’écoutent,

Et des chasseurs de daims, que les Hurons redoutent,

Défricheurs de forêts et tueurs de bisons,

Valets et laboureurs, composent la maison….. »

Le combat (extraits)

« ….Mais il en resta trois.

Trois vaisseaux de haut bord combattre une frégate !

Est-ce l’art d’un marin ? le trait d’un amiral ?

Un écumeur des mers, un forban, un pirate,

N’eût pas agi si mal !

N’importe ! elle bondit dans son repos troublée,

Elle tourna trois fois jetant vingt-quatre éclairs,

Et rendit tous les coups dont elle était criblée,

Feux pour feux, fers pour fers.

Ses boulets enchaînés fauchaient des mâts énormes,

Faisaient voler le sang, la poudre et le goudron,

S’enfonçaient dans le bois, comme au cœur des grands ormes

Le coin du bûcheron.

Un brouillard de fumée où la flamme étincelle

L’entourait ; mais le corps brûlé, noir, écharpé,

Elle tournait, roulait, et se tordait sous elle,

Comme un serpent coupé.

Le soleil s’éclipsa dans l’air plein de bitume.

Ce jour entier passa dans le feu, dans le bruit ;

Et, lorsque la nuit vint, sous cette ardente brume

On ne vit pas la nuit.

Nous étions enfermés comme dans un orage :

Des deux flottes au loin le canon s’y mêlait ;

On tirait en aveugle à travers le nuage :

Toute la mer brûlait.

Mais quand le jour revint, chacun connut son œuvre.

Les trois vaisseaux flottaient démâtés et si las,

Qu’ils n’avaient plus de force assez pour la manœuvre.

Mais ma frégate, hélas !

Elle ne voulait plus obéir à son maître ;

Mutilée, impuissante, elle allait au hasard ;

Sans gouvernail, sans mât, on n’eût pu reconnaître

La merveille de l’art !

Engloutie à demi, son large pont à peine,

S’affaissant par degrés, se montrait sur les flots,

Et là ne restaient plus, avec moi capitaine,

Que douze matelots.

Je les fis mettre en mer à bord d’une chaloupe,

Hors de notre eau tournante et de son tourbillon,

Et je revins tout seul me coucher sur la poupe

Au pied du pavillon….. »

Les amants de Montmorency (extraits)

Elle allait en comptant les arbres du chemin,

Pour cueillir une fleur demeurait en arrière,

Puis revenait à lui, courant dans la poussière,

L’arrêtait par l’habit pour l’embrasser, posait

Un œillet sur sa tête, et chantait, et jasait

Sur les passants nombreux, sur la riche vallée

Comme un large tapis à ses pieds étalée ;

Beau tapis de velours chatoyant et changeant,

Semé de clochers d’or et de maisons d’argent,

Tout pareil aux jouets qu’aux enfants on achète

Et qu’au hasard pour eux par la chambre l’on jette.

Ainsi, pour lui complaire, on avait sous ses pieds

Répandu des bijoux brillants, multipliés,

En forme de troupeaux, de village aux toits roses

Ou bleus, d’arbres rangés, de fleurs sous l’onde écloses,

De murs blancs, de bosquets bien noirs, de lacs bien verts,

Et de chênes tordus, par la poitrine ouverts ;

Elle voyait ainsi tout préparé pour elle.

Enfant, elle jouait, en marchant, toute belle,

Toute blonde, amoureuse et fière ; et c’est ainsi

Qu’ils allèrent à pied jusqu’à Montmorency. »

La justification d’Othello (extraits)

« Son père alors m’aimait et, très souvent,

M’invitait ; nous parlions de ma vie, en suivant

Par année et par jour les sièges, les batailles,

Les désastres sur mer, les vastes funérailles

Où je m’étais trouvé ; je parcourais les temps

De mes plus grands périls, et ces rudes instants

Où la mort en passant nous effleure la tête ;

Je lui disais comment je devins la conquête

D’un barbare ennemi, comment je fus vendu,

Racheté, voyageur dans un pays perdu…. »

« ….Son beau visage

Pâlissait en prêtant l’oreille à mes propos.

Je l’avais remarqué. Dans un jour de repos,

Elle se trouvait seule et me fit la prière

De lui redire encor l’histoire toute entière.

Je voyais, en parlant, des larmes dans ses yeux,

Et, lorsque je me tus, les élevant aux cieux,

Elle rougit et dit que ce voyage étrange

Etait touchant, et puis ajouta qu’en échange

D’un tel récit, son cœur donnerait de l’amour,

Si quelqu’un en faisait un pareil quelque jour.

Je pus à cet aveu parler sans crime extrême.

Pour mes périls passés elle m’aima ; de même

Je l’aimai…. ».

La frégate « La Sérieuse »

« Qu’elle était belle, ma frégate,

Lorsqu’elle voguait dans le vent !

….Dix fois plus vive qu’un pirate,

En cent jours du Havre à Surate

Elle nous emporta souvent.

Qu’elle était belle ma frégate,

Lorsqu’elle voguait dans le vent ! »

« Brest vante son beau port et cette rade insigne

Où peuvent manœuvrer trois cents vaisseaux de ligne ;

Boulogne, sa cité haute et double, et Calais,

Sa citadelle assise en mer comme un palais ;

Dieppe a son vieux château soutenu par la dune,

Ses baigneuses cherchant la vague au clair de lune

Et ses deux monts en vain par la mer insultés ;

Cherbourg a ses fanaux de bien loin consultés,

Et gronde en menaçant Guernsey, la sentinelle

Debout près de Jersey, presque en France ainsi qu’elle.

Lorient, dans sa rade au mouillage inégal

Reçoit la poudre d’or des noirs du Sénégal ;

Saint-Malo dans son port tranquillement regarde

Mille rochers debout qui lui servent de garde ;

Le Havre a pour parure ensemble et pour appui

Notre-Dame-de-Grâce et Honfleur devant lui ;

Bordeaux de ses longs quais parés de maisons neuves,

Porte jusqu’à la mer ses vins sur deux grands fleuves ;

Toute ville à Marseille aurait droit d’envier

Sa ceinture de fruits, d’orange et d’olivier ;

D’or et de fer Bayonne en tout temps fut prodigue,

Du grand cardinal-duc La Rochelle a la digue,

Tous nos ports ont leur gloire ou leur luxe à nommer ;

Mais Toulon a lancé la Sérieuse en mer. »

La jeunesse du monde (extraits)
« La terre était riante et dans sa fleur première…
Et la beauté du monde attestait son enfance…
C’était l’heure où la nuit laisse le ciel au jour :
Les constellations pâlissaient tour à tour ;
Et, jetant à la terre un regard triste encore,
Couraient vers l’orient se perdre dans l’aurore… »
Le cor (extraits)
J’aime le son du Cor, le soir, au fond des bois,
Soit qu’il chante les pleurs de la biche aux abois,
Ou l’adieu du chasseur que l’écho faible accueille
Et que le vent du nord porte de feuille en feuille.
Que de fois, seul dans l’ombre à minuit demeuré,
J’ai souri de l’entendre, et plus souvent pleuré !
Car je croyais ouïr de ces bruits prophétiques
Qui précédaient la mort des Paladins antiques.
Ô montagnes d’azur ! ô pays adoré !
Rocs de la Frazona, cirque du Marboré,
Cascades qui tombez des neiges entraînées,
Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Pyrénées ;
Monts gelés et fleuris, trône des deux saisons,
Dont le front est de glace et le pied de gazons !
C’est là qu’il faut s’asseoir, c’est là qu’il faut entendre
Les airs lointains d’un Cor mélancolique et tendre.
Souvent un voyageur, lorsque l’air est sans bruit,
De cette voix d’airain fait retentir la nuit ;
A ses chants cadencés autour de lui se mêle
L’harmonieux grelot du jeune agneau qui bêle.
Une biche attentive, au lieu de se cacher,
Se suspend immobile au sommet du rocher,
Et la cascade unit, dans une chute immense,
Son éternelle plainte au chant de la romance.
Âmes des Chevaliers, revenez-vous encor ?
Est-ce vous qui parlez avec la voix du Cor ?
Roncevaux ! Roncevaux ! dans ta sombre vallée
L’ombre du grand Roland n’est donc pas consolée !
……….
« ..Tous les preux étaient morts, mais aucun n’avait fui.
Il reste seul debout, Olivier près de lui ;
L’Afrique sur le mont l’entoure et tremble encore.
« Roland, tu vas mourir, rends-toi » criait le More ;
« Tous tes pairs sont couchés dans les eaux des torrents. »
Il rugit comme un tigre, et dit : « Si je me rends,
Africain, ce sera lorsque les Pyrénées
Sur l’onde avec leurs corps rouleront entraînées. »
« Rends-toi donc, répond-il, ou meurs, car les voilà. »
Et du plus haut des monts un grand rocher roula.
Il bondit, il roula jusqu’au fond de l’abîme,
Et de ses pins, dans l’onde, il vint briser la cime.
….Tranquille cependant, Charlemagne et ses preux
Descendaient la montagne et se parlaient entre eux.
A l’horizon déjà, par leurs eaux signalées,
De Luz et d’Argelès se montraient les vallées.
L’armée applaudissait. Le luth du troubadour
S’accordait pour chanter les saules de l’Adour ;
Le vin français coulait dans la coupe étrangère ;
Le soldat, en riant, parlait à la bergère.
Roland gardait les monts ; tous passaient sans effroi.
Assis nonchalamment sur un noir palefroi
Qui marchait revêtu de housses violettes
Turpin disait, tenant les saintes amulettes :
« Sire, on voit dans le ciel des nuages de feu ;
Suspendez votre marche ; il ne faut tenter Dieu.
Par monsieur Saint Denis, certes ce sont des âmes
Qui passent dans les airs sur ces vapeurs de flammes.
Deux éclairs ont relui, puis deux autres encor. »
Ici l’on entendit le son lointain du cor.
L’empereur, étonné, se jetant en arrière,
Suspend du destrier la marche aventurière.
« Entendez-vous » dit-il « Oui, ce sont des pasteurs
Rappelant les troupeaux épars sur les hauteurs »
Répondit l’archevêque « ou la voix étouffée
Du nain vert Obéron, qui parle avec sa Fée. »
Et l’empereur poursuit ; mais son front soucieux
Est plus sombre et plus noir que l’orage des cieux.
Il craint la trahison, et tandis qu’il y songe,
Le cor éclate et meurt, renaît et se prolonge.
« Malheur ! c’est mon neveu ! malheur ! car, si Roland
Appelle à son secours, ce doit être en mourant.
Arrière, chevaliers, repassons la montagne !
Tremble encor sous nos pieds, sol trompeur de l’Espagne ! »
Sur le plus haut des monts s’arrêtent les chevaux :
L’écume les blanchit ; sous leurs pieds, Roncevaux
Des feux mourants du jour à peine se colore.
A l’horizon lointain fuit l’étendard du More.
« Turpin, n’as-tu rien vu dans le fond du torrent ? »
« J’y vois deux chevaliers, l’un mort, l’autre expirant.
Tous deux sont écrasés sous une roche noire ;
Le plus fort, dans sa main, élève un cor d’ivoire,
So n âme en s’exhalant nous appela deux fois. »
Dieu ! que le son du cor est triste au fond des bois !

Beauté d’Eloa (extraits)

Lazare, qu’il aimait et ne visitait plus,

Vint à mourir, ses jours étant tous révolus.

Mais l’amitié de Dieu n’est-elle pas la vie ?

Il partit dans la nuit ; sa marche était suivie

Par les deux jeunes sœurs du malade expiré,

Chez qui dans ses périls il s’était retiré.

C’étaient Marthe et Marie ; or Marie était celle

Qui versa les parfums et fît blâmer son zèle.

Tous s’affligeaient ; Jésus disait en vain : « il dort. »

Et lui-même, en voyant le linceul et le mort,

Il pleura. Larme sainte à l’amitié donnée…. »

Eloa, chant d’amour (extraits)

« …je ne sais, mais depuis l’heure qui te vit naître,

Dans tout être crée j’ai cru te reconnaître.

J’ai trois fois en pleurant passé dans l’Univers ;

Je te cherchais partout : dans un souffle des airs,

Dans un rayon tombé du disque de la lune,

Dans l’étoile qui fuit le ciel qui l’importune,

Dans l’arc-en-ciel, passage aux Anges familier,

Ou sur le lit moelleux des neiges du glacier.

Des parfums de ton vol je respirais la trace.

En vain j’interrogeai les globes de l’espace,

Du char des astres purs j’obscurcis les essieux,

Je voilai leurs rayons pour attirer tes yeux,

J’osai même, enhardi par mon nouveau délire,

Toucher les fibres d’or de la céleste lyre,

Mais tu n’entendis rien, mais tu ne me vis pas.

Eloa, remords de Satan (extraits)

« …Tel, retrouvant ses maux au fond de sa mémoire,

L’Ange maudit pencha sa chevelure noire,

Et se dit, pénétré d’un chagrin infernal :

« Triste amour du péché ! sombres désirs du mal ! »

« …Je souffre et mon esprit par le mal abattu,

Ne peut plus remonter jusqu’à tant de vertu.

Qu’êtes-vous devenus, jours de paix, jours célestes ?

Quand j’allais, le premier de ces Anges modestes,

Prier à deux genoux devant l’antique loi,

Et ne pensais jamais au-delà de la foi ?

L’éternité pour moi s’ouvrait comme une fête ;

Et, des fleurs dans mes mains, des rayons sur ma tête,

Je souriais, j’étais…J’aurais peut-être aimé ! »

Le tentateur lui-même était presque charmé.

Il avait oublié son art et sa victime,

Et son cœur un moment se reposa du crime.

Il répétait tout bas, et le front dans ses mains :

« Si je vous connaissais, ô larmes des humains ! »

Ah ! si dans ce moment la vierge eût pu l’entendre,

Si sa céleste main qu’elle eût osé lui tendre

L’eût saisi repentant, docile à remonter…

Qui sait ? le mal peut-être eût cessé d’exister. »

Moïse (extraits)

Le soleil prolongeait sur la cime des tentes

Ces obliques rayons, ces flammes éclatantes,

Ces larges traces d’or qu’il laisse dans les airs,

Lorsqu’en un lit de sable il se couche aux déserts.

La pourpre et l’or semblaient revêtir la campagne.

Du stérile Nébo gravissant la montagne,

Moïse, homme de Dieu, s’arrête et, sans orgueil,

Sur le vaste horizon promène un long coup d’œil.

Il voit d’abord Phasga que des figuiers entourent,

Puis, au-delà des monts que ses regards parcourent,

S’étend tout Galaad, Ephraïm, Manassé,

Dont le pays fertile à sa droite est placé ;

Vers le midi, Juda, grand et stérile, étale

Ses sables où s’endort la mer occidentale ;

Plus loin, dans un vallon que le soir a pâli,

Couronné d’oliviers se montre Nephtali ;

Dans des plaines de fleurs magnifiques et calmes,

Jéricho s’aperçoit : c’est la ville des palmes ;

Et, prolongeant ses bois, des plaines de Phogor

Le lentisque touffu s’étend jusqu’au Ségor.

Il voit tout Chanaan et la terre promise,

Où sa tombe, il le sait, ne sera point admise.

Il voit, sur les Hébreux étend sa grande main,

Puis vers le haut du mont il reprend son chemin.

…Prophète centenaire, environné d’honneur,

Moïse était parti pour trouver le Seigneur.

On le suivait des yeux aux flammes de sa tête,

Et, lorsque du grand mont il atteignit le faîte,

Lorsque son front perça le nuage de Dieu

Qui couronnait d’éclairs la cime du haut lieu,

L’encens brûla partout sur les autels de pierre,

Et six cent mille Hébreux, courbés dans la poussière,

A l’ombre du parfum par le soleil doré,

Chantèrent d’une voix le cantique sacré. »

« …Et, debout devant Dieu, Moïse, ayant pris place,

Dans le nuage obscur lui parlait face à face.

Il disait au Seigneur : « Ne finirai-je pas ?

Où voulez-vous encor que je porte mes pas ?

Je vivrai donc toujours puissant et solitaire ?

Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre.

Que vous ai-je donc fait pour être votre élu ?

J’ai conduit votre peuple où vous avez voulu.

Voilà que son pied touche à la terre promise.

De vous à lui qu’un autre accepte l’entremise…. »

« …Lorsque mon peuple souffre ou qu’il lui faut des lois,

J’élève mes regards, votre esprit me visite ;

La terre alors chancelle et le soleil hésite,

Vos anges sont jaloux et m’admirent entre eux.

Et cependant, Seigneur, je ne suis pas heureux ;

Vous m’avez fait vieillir puissant et solitaire,

Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre ! »

« …M’enveloppant alors de la colonne noire,

J’ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloire,

Et j’ai dit dans mon cœur : « Que vouloir à présent ? »

Pour dormir sur un sein mon front est trop pesant,

Ma main laisse l’effroi sur la main qu’elle touche ;

L’orage est dans ma voix, l’éclair est sur ma bouche ;

Aussi, loin de m’aimer, voilà qu’ils tremblent tous,

Et, quand j’ouvre les bras, on tombe à mes genoux.

O Seigneur ! j’ai vécu puissant et solitaire,

Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre !… »

Le voyage d’Héléna (extraits)

« ..Le spectacle des mers est grand et solennel ;

Ce mobile désert, bruyant et monotone,

Attriste la pensée encor plus qu’il n’étonne ;

Et l’homme, entre le ciel et les ondes jeté,

Se plaint d’être si peu devant l’immensité.. »

« ..Vois cet astre si pur dont la nuit se décore..

Elle vient, le vent tombe et la terre fleurit ;

La mer, sous ses pieds blancs, s’apaise et lui sourit.. »

La tristesse d’Héléna (extraits)

« ..Des maux non mérités je me suis étonnée,

Et je n’ai pas compris d’abord ma destinée.. »

La Dryade (extraits)

« ..L’un parait son front blanc de myrte et de lotus ;

L’autre, ses cheveux bruns de pampres revêtus,

Offrait à la Dryade une coupe d’argile…

J’entendis leur prière, et de leur simple histoire

Les Muses et le temps m’ont laissé la mémoire . »

« …Ainsi, quand je te vois, ô modeste bergère,

Fouler de tes pieds nus la riante fougère,

J’appelle autour de moi les pâtres nonchalants…

..Et crie, en te suivant dans ta course rebelle :

« Venez ! oh ! venez voir comme Glycère est belle ! »

Symétha (extraits)

« ..Tu pars ; et cependant m’as-tu toujours haï,

Symétha ? Non, ton cœur quelquefois s’est trahi ;

Car, lorsqu’un mot flatteur abordait ton oreille,

La pudeur souriait sur ta lèvre vermeille ;

Je l’ai vu, ton sourire aussi beau que le jour ;

Et l’heure du sourire est l’heure de l’amour… »

« …Dans le port du Pirée, un jour fut entendue

Cette plainte innocente, et cependant perdue ;

Car la vierge enfantine, auprès des matelots,

Admirait et la rame et l’écume des flots ;

Puis, sur la haute poupe accourue et couchée

Saluait, dans la mer, son image penchée,

Et lui jetait des fleurs et des rameaux flottants

Et riait de leur chute et les suivait longtemps ;

Ou, tout à coup rêveuse, écoutait le Zéphyre,

Qui, d’une aile invisible, avait ému sa lyre.. »

Le bain (extraits)

« ..C’était près d’une source à l’ombre pure et sombre ;

Le large sycomore y répandait son ombre.

Là, Suzanne, cachée aux cieux déjà brûlants,

Suspend sa rêverie et ses pas indolents ;

Sur une jeune enfant que son amour protège

S’appuie, et sa voix douce appelle le cortège

Des filles de Juda, de Gad et de Ruben,

Qui doivent la servir et la descendre au bain ;

Et toutes à l’envi, rivales attentives,

Détachent sa parure entre leurs mains actives.

L’une ôte la tiare où brille le saphir

Dans l’éclat arrondi de l’or poli d’Ophir ;

Aux cheveux parfumés dérobe leurs longs voiles,

Et la gaze brodée en tremblantes étoiles ;

La perle, sur son front enlacée en bandeau,

Ou pendante à l’oreille en mobile fardeau ;

Les colliers de rubis, et, par des bandelettes,

L’ambre au cou suspendu dans l’or des cassolettes… »

Ode au malheur (extraits)

« Suivi du Suicide impie,

A travers les pâles cités,

Le Malheur rôde, il nous épie,

Près de nos seuils épouvantés…

..Où fuir ? Sur le seuil de ma porte

Le Malheur un jour s’est assis ;

Et depuis ce jour je l’emporte

A travers mes jours obscurcis.

Au soleil, et dans les ténèbres,

En tous lieux ses ailes funèbres

Me couvrent comme un noir manteau ;

De mes douleurs ses bras avides

M’enlacent ; et ses mains livides

Sur mon cœur tiennent le couteau…

Il me parle dans le silence,

Et mes nuits entendent sa voix ;

Dans les arbres il se balance

Quand je cherche la paix des bois ;

Près de mon oreille il soupire

On dirait qu’un mortel expire :

Mon cœur se serre épouvanté.

Vers les astres mon œil se lève,

Mais il y voit pendre le glaive

De l’antique fatalité… »

La prison (extraits)

« … Dans l’escalier tournant on dirige ses pas ;

Il monte à la prison que lui seul ne voit pas,

Et, les bras étendus, le vieux prêtre timide

Tâte les murs épais du corridor humide.

On s’arrête ; il entend le bruit des pas mourir,

Sous de bruyantes clés des gonds de fer s’ouvrir ;

Il descend trois degrés sur la pierre glissante,

Et, privé du secours de sa vue impuissante,

La chaleur l’avertit qu’on éclaire ces lieux ;

Enfin, de leur bandeau l’on délivre ses yeux.

Dans un étroit cachot dont les torches funèbres

Ont peine à dissiper les épaisses ténèbres,

Un vieillard expirant attendait ses secours.

Du moins ce fut ainsi qu’en un brusque discours

Ses sombres conducteurs le lui firent entendre.

« Mon prince, dit quelqu’un, le saint homme est venu.

-Eh ! que m’importe, à moi ! » soupira l’inconnu.

Cependant, vers le lit que deux lourdes tentures

Voilent du luxe ancien de leurs pâles peintures,

Le prêtre s’avança lentement, et sans voir

Le malade caché, se mit à son devoir.

L’agonisant du lit se soulève et lui dit :

« …Oui, regardez-moi bien, et puis dites après

Qu’un Dieu de l’innocent défend les intérêts…

Je meurs tout chargé d’ans, et je n’ai pas vécu.

Du récit de mes maux vous êtes bien avide :

Pourquoi venir fouiller dans ma mémoire vide

Où, stérile de jours, le temps dort effacé ?

Je n’eus point d’avenir et n’ai point de passé ;

J’ai tenté d’en avoir ; dans mes longues journées,

Je traçais sur les murs mes lugubres années ;

Mais je ne pus les suivre en leur douloureux cours.

Les murs étaient remplis et je vivais toujours.

Tout me devins alors obscurité profonde ;

Je n’étais rien pour lui, qu’était pour moi le monde ?

Que m’importaient des temps où je ne comptais pas ?

L’heure que j’invoquais, c’est l’heure du trépas :

Ecoutez, écoutez : quand je tiendrais la vie

De l’homme qui toujours tint la mienne asservie,

J’hésiterais, je crois, à le frapper des maux

Qui rongèrent mes jours, brûlèrent mon repos… »

Retour de Naples
Don Luis Maria Juan José Benito,
Marquis de Santarem y Peñas en Castilles,
Borgne- écoute la messe en croquant des pastilles
Et croise sur son sein cuirassé son manteau.
Sa lame que son poing étreint d’un rude étau
A coutume, terreur des plus âpres bastilles,
D’être aux cimiers revêche et courtoise aux mantilles,
Et sur sa dague on lit en rouge : « Yo mato. »
Il revient de très loin, le haut marquis ! Les îles
Illyriaques, et l’une des deux Siciles
Ont souvent retenti de son nom exalté.
Depuis lors un « souci » mystérieux le ronge.
Bien que parfois l’amour encor le berce en songe
D’une Napolitaine au beau rire effronté !
Promenades et intérieurs
I
Bien souvent dédaigneux des plaisirs de mon âge,
J’évoque le bonheur des femmes de ménage.
Ayant changé de sexe en esprit bien souvent,
Un cabas à mon bras et mon nez digne au vent,
J’ai débattu les prix avec les revendeuses.
Bien souvent j’ai, sous l’œil des bourgeoises grondeuses,
Et non sans quelque aplomb qu’on ne saurait nier,
Dirigé cette danse exquise du panier
Dont Paul de Kock nous parle en mainte parabole.
La nuit vient : je m’endors et j’aime Rocambole.
II
Le sous-chef est absent du bureau, j’en profite
Pour aller au café le plus proche au plus vite,
J’y bois à petits coups, en clignotant des yeux,
Un mazagran avec un doigt de cognac vieux
Puis je lis- (et quel sage à ces excès résiste ?)-
Le Journal des Débats, étant orléaniste.
Quand j’ai lu mon journal et bu mon mazagran,
Je rentre à pas de loup au bureau. Mon tyran
N’est pas là, par bonheur, sans quoi mon escapade

M’eût valu les brocards de plus d’un camarade

15
Puisque encore déjà la sottise tempête,
Explique alors la chose, ô malheureux poète.
Je connus cet enfant, mon amère douceur,
Dans un pieux collège où j’étais professeur.
Ses dix-sept ans mutins et maigres, sa réelle
Intelligence, et la pureté vraiment belle
Que disaient et ses yeux et son geste et sa voix,
Captivèrent mon cœur et discrètement mon choix
De lui pour fils, puisque mon vrai fils, mes entrailles,
On me le cache en manière de représailles
Pour je ne sais quels torts charnels et surtout pour
Un fier départ à la recherche de l’amour
Loin d’une vie aux platitudes résignée !
Oui, surtout et plutôt pour ma fuite indignée
En compagnie illustre et fraternelle vers
Tous les points du physique et moral univers,
-Il paraît que les gens dirent jusqu’à Sodome-
Où mourussent les cris de Madame Prudhomme !
Je lui fis part de mon dessein. Il accepta.
Il avait des parents qu’il aimait, qu’il quitta
D’esprit pour être mien, tout en restant son maître,
Et maître de son cœur, de son âme peut-être,
Mais de son esprit, plus.
Ce fut bien, ce fut beau,
Et c’eût été trop bon, n’eût été le tombeau.
Jugez .
En même temps que toutes mes idées
(Les bonnes !) entraient dans son esprit, précédées
De l’Amitié jonchant leur passage de fleurs,
De lui, simple et blanc comme un lys calme aux couleurs
D’innocence candide et d’espérance verte,
L’Exemple descendait sur mon âme entr’ouverte
Et sur mon cœur qu’il pénétrait, plein de pitié,
Par un chemin semé des fleurs de l’Amitié ;
Exemple des vertus joyeuses, la franchise,
La chasteté, la foi naïve dans l’Eglise,
Exemple des vertus austères, vivre en Dieu,
Le chérir en tout temps et le craindre en tout lieu,
Sourire, que l’instant soit léger ou sévère,
Pardonner, qui n’est pas une petite affaire !
Cela dura six ans, puis l’ange s’envola,
Dès lors je vais hagard et comme ivre. Voilà.
25 (extraits)
….Et vous tous, la meilleure part
De mon âme, dont le départ
Flétrit mon heure la meilleure,
Amis que votre heure faucha,
Ô mes morts, voyez que déjà
Il se fait temps qu’aussi je meure….
Batignolles
Un grand bloc de grès ; quatre noms : mon père
Et ma mère et moi, puis mon fils bien tard
Dans l’étroite paix du plat cimetière
Blanc et noir et vert, au long du rempart.
Cinq tables de grès ; le tombeau nu, fruste,
Et un carré long, haut d’un mètre et plus,
Qu’une chaîne entoure et décore juste,
Au bas du faubourg qui ne bruit plus.
C’est de là que la trompette de l’ange
Fera se dresser nos corps ranimés
Pour la vie enfin qui jamais ne change
Ô vous, père et mère et fils bien-aimés.
Impression fausse
Dame souris trotte,
Noire dans le gris du soir,
Dame souris trotte,
Grise dans le noir.
On sonne la cloche :
Dormez, les bons prisonniers,
On sonne la cloche :
Faut que vous dormiez.
Pas de mauvais rêve,
Ne pensez qu’à vos amours,
Pas de mauvais rêve :
Les belles toujours !
Le grand clair de lune !
On ronfle ferme à côté.
Le grand clair de lune
En réalité !
Un nuage passe,
Il fait noir comme en un four.
Un  nuage passe.
Tiens, le petit jour !
Dame souris trotte,
Rose dans les rayons bleus,
Dame souris trotte :
Debout, paresseux !
Autre
La cour se fleurit de souci
Comme le front
De tous ceux-ci
Qui vont en rond
En flageolant sur leur fémur
Débilité
Le long du mur
Fou de clarté.
Tournez, Samsons sans Dalila,
Sans Philistin,
Tournez bien la
Meule au destin.
Vaincu risible de la loi,
Mouds tour à tour
Ton cœur, ta foi
Et ton amour !
Ils vont ! et leurs pauvres souliers
Font un bruit sec,
Humiliés,
La pipe au bec.
Pas un mot ou bien le cachot,
Pas un soupir.
Il fait si chaud
Qu’on croit mourir.
J’en suis de ce cirque effaré,
Soumis d’ailleurs
Et préparé
A tous malheurs :
Et pourquoi si j’ai contristé
Ton vœu têtu,
Société,
Me choierais-tu ?
Allons, frères, bons vieux voleurs,
Doux vagabonds,
Filous en fleurs,
Mes chers, mes bons,
Fumons philosophiquement,
Promenons-nous
Paisiblement :
Rien faire est doux.
A la manière de Paul Verlaine
C’est à cause du clair de lune
Que j’assume ce masque nocturne
Et de Saturne penchant son urne
Et de ces lunes l’une après l’une.
Des romances sans paroles ont,
D’un accord discord ensemble et frais,
Agacé ce cœur fadasse exprès ;
O le son, le frisson qu’elles ont !
Il n’est pas que vous ayez fait grâce
A quelqu’un qui vous jetait l’offense :
Or, moi, je pardonne à mon enfance
Revenant fardée et non sans grâce.
Je pardonne à ce mensonge-là
En faveur, en somme, du plaisir
Très banal drôlement qu’un loisir
Douloureux un peu m’inocula.
Kaléidoscope
Dans une rue, au cœur d’une ville de rêve,
Ce sera comme quand on a déjà vécu :
Un instant à la fois très vague et très aigu…
O ce soleil parmi la brume qui se lève !
Ô ce cri sur la mer, cette voix dans les bois !
Ce sera comme quand on ignore les causes ;
Un lent réveil après bien des métempsychoses :
Les choses seront plus les mêmes qu’autrefois
Dans cette rue, au cœur de la ville magique
Où des orgues moudront des gigues dans les soirs,
Où les cafés auront des chats sur les dressoirs,
Et que traverseront des bandes de musique.
Ce sera si fatal qu’on en croira mourir :
Des larmes ruisselant douces le long des joues,
Des rires sanglotés dans le fracas des roues,
Des invocations à la mort de venir,
Des mots anciens comme un bouquet de fleurs fanées !
Les bruits aigres des bals publics arriveront,
Et des veuves avec du cuivre après leur front,
Paysannes, fendront la foule des traînées
Qui flânent là, causant avec d’affreux moutards
Et des vieux sans sourcils que la dartre enfarine,
Cependant qu’à deux pas, dans des senteurs d’urine,
Quelque fête publique enverra des pétards.
Ce sera comme quand on rêve et qu’on s’éveille,
Et que l’on se rendort et que l’on rêve encor
De la même féerie et du même décor,
L’été, dans l’herbe, au bruit moiré d’un vol d’abeille.
Art poétique
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Il faut aussi que tu n’ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Ou l’Indécis au Précis se joint.
C’est des beaux yeux derrière des voiles,
C’est le grand jour tremblant de midi,
C’est, par un ciel d’automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles !
Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !
Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L’Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l’Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine !
Prends l’éloquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d’énergie,
De rendre un peu la Rime assagie :
Si l’on n’y veille, elle ira jusqu’où ?
O qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d’un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?
De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée
Vers d’autres cieux à d’autres amours.
Que ton vers soit la bonne aventure
Eparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym…
Et tout le reste est littérature.
Le pitre
Le tréteau qu’un orchestre emphatique secoue
Grince sous les grands pieds du maigre baladin
Qui harangue non sans finesse et sans dédain
Les badauds piétinant devant lui dans la boue.
Le plâtre de son front et le fard de sa joue
Font merveille. Il pérore et se tait tout soudain,
Reçoit des coups de pieds au derrière, badin,
Baise au cou sa commère énorme, et fait la roue.
Ses boniments, de cœur et d’âme approuvons-les.
Son court pourpoint de toile à fleurs et ses mollets
Tournants jusqu’à l’abus valent que l’on s’arrête.
Mais ce qu’il sied à tous d’admirer, c’est surtout
Cette perruque où se dresse sur la tête,
Preste, une queue avec un papillon au bout.
Allégorie
Despotique, pesant, incolore, l’Eté,
Comme un roi fainéant présidant un supplice,
S’étire par l’ardeur blanche du ciel complice
Et bâille. L’homme dort loin du travail quitté.
L’alouette au matin, lasse, n’a pas chanté,
Pas un nuage, pas un souffle, rien qui plisse
Ou ride cet azur implacablement lisse
Où le silence bout dans l’immobilité.
L’âpre engourdissement a gagné les cigales
Et sur leur lit étroit de pierres inégales
Les ruisseaux à moitié taris ne sautent plus.
Une rotation incessante des moires
Lumineuses étend ses flux et ses reflux…
Des guêpes, çà et là, volent, jaunes et noires.
Circonspection
Donne ta main, retiens ton souffle, asseyons-nous
Sous cet arbre géant où vient mourir la brise
En soupirs inégaux sous la ramure grise
Que caresse le clair de lune blême et doux.
Immobiles, baissons nos yeux vers nos genoux.
Ne pensons pas, rêvons. Laissons faire à leur guise
Le bonheur qui s’enfuit et l’amour qui s’épuise,
Et nos cheveux frôlés par l’aile des hiboux.
Oublions d’espérer. Discrète et contenue,
Que l’âme de chacun de nous deux continue
Ce calme et cette mort sereine du soleil.
Restons silencieux parmi la paix nocturne :
Il n’est pas bon d’aller troubler dans son sommeil
La nature, ce dieu féroce et taciturne.
Crimen amoris (extraits)
Dans un palais, soie et or, dans Ecbatane,
De beaux démons, des satans adolescents,
Au son d’une musique mahométane,
Font litière aux Sept Péchés de leur cinq sens.
C’est la fête aux Sept Péchés : ô qu’elle est belle !
Tous les Désirs rayonnaient en feux brutaux ;
Les Appétits, pages prompts que l’on harcèle,
Promenaient des vins roses dans des cristaux.
Des danses sur des rythmes d’épithalames
Bien doucement se pâmaient en longs sanglots
Et de beaux chœurs de voix d’hommes et de femmes
Se déroulaient, palpitaient comme des flots,
Et la bonté qui s’en allait des choses
Etait puissante et charmante tellement
Que la campagne autour se fleurit de roses
Et que la nuit paraissait en diamant.
Or, le plus beau d’entre tous ces mauvais anges
Avait seize ans sous sa couronne de fleurs.
Les bras croisés sur les colliers et les franges,
Il rêve, l’œil plein de flammes et de pleurs.
En vain la fête autour se faisait plus folle,
En vain les satans, ses frères et ses sœurs,
Pour l’arracher au souci qui le désole,
L’encourageaient d’appels de bras caresseurs :
Il résistait à toutes câlineries,
Et le chagrin mettait un papillon noir
A son cher front brûlant d’orfèvreries.
Ô l’immortel et terrible désespoir !
Il leur disait : « Ô vous, laissez-moi tranquille ! »
Puis, les ayant baisés tous bien tendrement,
Il s’évada d’avec eux d’un geste agile,
Leur laissant aux mains des pans de vêtement.
Le voyez-vous sur la tour la plus céleste
Du haut palais avec une torche au poing ?
Il la brandit comme un héros fait d’un ceste :
D’en bas on croit que c’est une aube qui point.
Qu’est-ce qu’il dit de sa voix profonde et tendre
Qui se marie au claquement clair du feu
Et que la lune est extatique d’entendre ?
« Oh ! je serai celui-là qui créera Dieu ! »…..
11
La bise se rue à travers
Les buissons tout noirs et tout verts,
Glaçant la neige éparpillée
Dans la campagne ensoleillée.
L’odeur est aigre près des bois,
L’horizon chante avec des voix,
Les coqs des clochers des villages
Luisent crûment sur les nuages.
C’est délicieux de marcher
A travers ce brouillard léger
Qu’un vent taquin parfois retrousse.
Ah ! fi de mon vieux feu qui tousse
J’ai des fourmis plein les talons.
Debout, mon âme, vite, allons !
C’est le printemps sévère encore,
Mais qui par instant s’édulcore
D’un souffle tiède juste assez
Pour mieux sentir les froids passés
Et penser au Dieu de clémence….
Va, mon âme, à l’espoir immense !
12
Vous voilà, vous voilà, pauvres bonnes pensées !
L’espoir qu’il faut, regret des grâces dépensées,
Douceur de cœur avec sévérité d’esprit,
Et cette vigilance, et le calme prescrit,
Et toutes ! Mais encor lentes, bien éveillées,
Bien d’aplomb, mais encor timides, débrouillées
A peine du lourd rêve et de la tiède nuit.
C’est à qui de vous va plus gauche ; l’une suit
L’autre, et toutes ont peur du vaste clair de lune.
« Telles, quand les brebis sortent d’un clos. C’est une,
Puis deux, puis trois. Le reste est là, les yeux baissés,
La tête à terre, et l’air des plus embarrassés,
Faisant ce que fait leur chef de file : il s’arrête,
Elles s’arrêtent tour à tour, posant leur tête
Sur son dos, simplement et sans savoir pourquoi. »
Votre pasteur, ô mes brebis, ce n’est pas moi,
C’est un meilleur, un bien meilleur, qui sait les causes,
Lui qui vous tint longtemps et si longtemps là closes,
Mais qui vous délivra de sa main au temps vrai.
Suivez-le. Sa houlette est bonne.
Et je serai,
Sous sa voix toujours douce à votre ennui qui bêle,
Je serai, moi, par nos chemins, son chien fidèle.
21 (extraits)
C’est la fête du blé, c’est la fête du pain
Aux chers lieux d’autrefois revus après ces choses !
Tout bruit, la nature et l’homme, dans un bain
De lumière si blanc que les ombres sont roses.
L’or des pailles s’effondre au vol siffleur des faux
Dont l’éclair plonge, et va luire, et se réverbère.
La plaine, tout au loin couverte de travaux,
Change de face à chaque instant, gaie et sévère.
Tout halète, tout n’est qu’effort et mouvement
Sous le soleil, tranquille auteur des moissons mûres,
Et qui travaille encore, imperturbablement,
A gonfler, à sucrer- là-bas !- les grappes sures.
Travaille, vieux soleil, pour le pain et le vin,
Nourris l’homme du lait de la terre, et lui donne
L’honnête verre où rit un peu d’oubli divin…
Moissonneurs, -vendangeurs là-bas !- votre heure est bonne !….
3
L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable.
Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou ?
Vois, le soleil toujours poudroie à quelque trou.
Que ne t’endormais-tu, le coude sur la table ?
Pauvre âme pâle, au moins cette eau du puits glacée,
Bois-la. Puis dors après. Allons, tu vois, je reste,
Et je dorloterai les rêves de ta sieste,
Et tu chantonneras comme un enfant bercé.
Midi sonne. De grâce éloignez-vous, madame.
Il dort. C’est étonnant comme les pas des femmes
Résonnent au cerveau des pauvres malheureux.
Midi sonne. J’ai fait arroser dans la chambre.
Va, dors ! L’espoir luit comme un caillou dans un creux.
Ah ! quand refleuriront les roses de septembre !
5
Un grand sommeil noir
Tombe sur ma vie :
Dormez, tout espoir,
Dormez, toute envie !
Je ne vois plus rien,
Je perds la mémoire
Du mal et du bien….
O la triste histoire !
Je suis un berceau
Qu’une main balance
Au creux d’un caveau :
Silence, silence !
6
Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
La cloche, dans le ciel qu’on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l’arbre qu’on voit
Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.
-Qu’as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?
7
Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D’une aile inquiète et folle vole sur la mer.
Tout ce qui m’est cher,
D’une aile d’effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?
Mouette à l’essor mélancolique,
Elle suit la vague, ma pensée,
A tous les vents du ciel balancée,
Et biaisant quand la marée oblique,
Mouette à l’essor mélancolique.
Ivre de soleil
Et de liberté,
Un instinct la guide à travers cette immensité.
La brise d’été
Sur le flot vermeil
Doucement la porte en un tiède demi-sommeil.
Parfois si tristement elle crie
Qu’elle alarme au lointain le pilote,
Puis au gré du vent se livre et flotte
Et plonge, et l’aile toute meurtrie
Revole, et puis si tristement crie !
Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D’une aile inquiète et folle vole sur la mer.
Tout ce qui m’est cher,
D’une aile d’effroi,
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?
1
Bon chevalier masqué qui chevauche en silence,
Le Malheur a percé mon vieux cœur de sa lance.
Le sang de mon vieux cœur n’a fait qu’un jet vermeil,
Puis s’est évaporé sur les fleurs, au soleil.
L’ombre éteignit mes yeux, un cri vint à ma bouche,
Et mon vieux cœur est mort dans un frisson farouche.
Alors le chevalier Malheur s’est approché,
Il a mis pied à terre et sa main m’a touché.
Son doigt ganté de fer entra dans ma blessure
Tandis qu’il attestait sa loi d’une voix dure.
Et voici qu’au contact glacé du doigt de fer
Un cœur me renaissait, tout un cœur pur et fier.
Et voici que, fervent d’une candeur divine,
Tout un cœur jeune et bon battit dans ma poitrine.
Or, je restais tremblant, ivre, incrédule un peu,
Comme un homme qui voit des visions de Dieu.
Mais le bon chevalier, remonté sur sa bête,
En s’éloignant, me fit un signe de la tête
Et me cria (j’entends encore cette voix) :
« Au moins, prudence ! Car c’est bon pour une fois. »
7
Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme,
Et les voici vibrer aux cuivres du couchant.
Ferme les yeux, pauvre âme, et rentre sur-le-champ ;
Une tentation des pires. Fuis l’infâme.
Ils ont lui tout le jour en longs grêlons de flamme,
Battant toute vendange aux collines, couchant
Toute moisson de la vallée, et ravageant
Le ciel tout bleu, le ciel chanteur qui te réclame.
Ô pâlis, et va-t-en, lente et joignant les mains.
Si ces hiers allaient manger nos beaux demains ?
Si la vieille folie était encore en route ?
Ces souvenirs, va-t-il falloir les retuer ?
Un assaut furieux, le suprême sans doute !
Ô, va prier contre l’orage, va prier.
10
Non. Il fut gallican, ce siècle, et janséniste !
C’est vers le Moyen Age, énorme et délicat,
Qu’il faudrait que mon cœur en panne naviguât,
Loin de nos jours d’esprit charnel et de chair triste.
Roi, politicien, moine, artisan, chimiste,
Architecte, soldat, médecin, avocat,
Quel temps ! Oui, que mon cœur naufragé rembarquât
Pour toute cette force ardente, souple, artiste !
Et là que j’eusse part- quelconque, chez les rois,
Ou bien ailleurs, n’importe,- à la chose vitale,
Et que je fusse un saint, actes bons, pensers droits,
Haute théologie et solide morale,
Guidé par la folie unique de la Croix,
Sur tes ailes de pierre, ô folle Cathédrale !
16
Ecoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire.
Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d’eau sur de la mousse !
La voix vous fut connue (et chère ?)
Mais à présent elle est voilée
Comme une veuve désolée,
Pourtant comme elle encore fière,
Et dans les longs plis de son voile
Qui palpite aux brises d’automne,
Cache et montre au cœur qui s’étonne
La vérité comme une étoile.
Elle dit, la voix reconnue,
Que la bonté c’est notre vie,
Que de la haine et de l’envie
Rien ne reste, la mort venue.
Elle parle aussi de la gloire
D’être simple sans plus attendre,
Et de noces d’or et du tendre
Bonheur d’une paix sans victoire.
Accueillez la voix qui persiste
Dans son naïf épithalame.
Allez, rien n’est meilleur à l’âme
Que de faire une âme moins triste !
Elle est en peine et de passage
L’âme qui souffre sans colère.
Et comme sa morale est claire !….
Ecoutez la chanson bien sage.
19
Voix de l’Orgueil : un cri puissant comme d’un cor,
Des étoiles de sang sur des cuirasses d’or ;
On trébuche à travers des chaleurs d’incendie….
Mais en somme la voix s’en va comme d’un cor.
Voix de la Haine : cloche en mer, fausse, assourdie
De neige lente. Il fait froid ! Lourde, affadie,
La vie a peur et court follement sur le quai
Loin de la cloche qui devient plus assourdie.
Voix de la Chair : un gros tapage fatigué ;
Des gens ont bu ; l’endroit fait semblant d’être gai ;
Des yeux, des noms, et l’air plein de parfums atroces
Où vient mourir le gros tapage fatigué.
Voix d’Autrui : des lointains dans les brouillards ; des noces
Vont et viennent ; des tas d’embarras ; des négoces,
Et tout le cirque des civilisations
Au son trotte-menu du violon des noces.
Colères, soupirs noirs, regrets, tentations,
Qu’il a fallu pourtant que nous entendissions
Pour l’assourdissement des silences honnêtes,
Colères, soupirs noirs, regrets, tentations,
Ah ! les Voix, mourez donc, mourantes que vous êtes !
Sentences, mots en vain, métaphores mal faites,
Toute la rhétorique en fuite des péchés,
Ah ! les Voix, mourez donc, mourantes que vous êtes !
Nous ne sommes plus ceux que vous auriez cherchés.
Mourez à nous, mourez aux humbles vœux cachés
Que nourrit la douceur de la Parole forte,
Car notre cœur n’est plus de ceux que vous cherchez !
Mourez parmi la voix que la Prière emporte
Au ciel, dont elle seule ouvre et ferme la porte
Et dont elle tiendra les sceaux au dernier jour,
Mourez parmi la voix que la Prière apporte,
Mourez parmi la voix terrible de l’Amour !
Birds in the night
Vous n’aves pas eu toute patience,
Cela se comprend par malheur, de reste ;
Vous êtes si jeune ! et l’insouciance,
C’est le lot amer de l’âge céleste !
Vous n’avez pas eu toute la douceur,
Cela par malheur d’ailleurs se comprend ;
Vous êtes si jeune, ô ma froide sœur
Que votre cœur doit être indifférent !
Aussi me voici plein de pardons chastes,
Non, certes ! joyeux, mais très calme, en somme,
Bien que je déplore, en ces mois fastes,
D’être, grâce à vous, le moins heureux homme.
Et vous voyez bien que j’avais raison
Quand je vous disais, dans mes moments noirs,
Que vos yeux, foyers de mes vieux espoirs,
Ne couvraient plus rien que la trahison.
Vous juriez alors que c’était mensonge
Et votre regard qui mentait lui-même
Flambait comme un feu mourant qu’on prolonge,
Et de votre voix vous disiez :  « Je t’aime ! »
Hélas ! on se prend toujours au désir
Qu’on a d’être heureux malgré la saison…
Mais ce fut un jour plein d’amer plaisir,
Quand je m’aperçus que j’avais raison.
Aussi bien pourquoi me mettrais-je à geindre ?
Vous ne m’aimiez pas, l’affaire est conclue,
Et, ne voulant pas qu’on ose me plaindre,
Je souffrirai d’une âme résolue.
Oui, je souffrirai, car je vous aimais !
Mais je souffrirai comme un bon soldat
Blessé, qui s’en va dormir à jamais,
Plein d’amour pour quelque pays ingrat.
Vous qui fûtes ma Belle, ma Chérie,
Encor que de vous vienne ma souffrance,
N’êtes-vous donc pas toujours ma Patrie,
Aussi jeune, aussi folle que la France ?
Or, je ne veux pas- le puis-je d’abord ?-
Plonger dans ceci mes regards mouillés.
Pourtant mon amour que vous croyez mort
A peut-être enfin les yeux desillés.
Mon amour qui n’est que ressouvenance,
Quoique sous vos coups il saigne et qu’il pleure
Encore et qu’il doive, à ce que je pense,
Souffrir longtemps jusqu’à ce qu’il en meure,
Peut-être a raison de croire entrevoir
En vous un remords qui n’est pas banal,
Et d’entendre dire en son désespoir,
A votre mémoire : ah ! fi ! que c’est mal !
Par instants je suis le pauvre navire
Qui court démâté parmi la tempête,
Et ne voyant pas Notre-Dame luire
Pour l’engouffrement en priant s’apprête.
Par instants je meurs la mort du pécheur
Qui se sait damné s’il n’est confessé,
Et, perdant l’espoir de nul confesseur,
Se tord dans l’enfer qu’il a devancé.
O mais ! par instants, j’ai l’extase rouge
Du premier chrétien, sous la dent rapace,
Qui rit à Jésus témoin, sans que bouge
Un poil de sa chair, un nerf de sa face !
Green
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches,
Et puis voici mon cœur, qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit doux.
J’arrive tout couvert encore de rosée
Que le vent du matin vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue, à vos pieds reposée,
Rêve des chers instants qui la délasseront.
Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encor de vos derniers baisers ;
Laissez-la s’apaiser de la bonne tempête,
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.
Streets
Dansons la gigue !
J’aimais surtout ses jolis yeux,
Plus clairs que l’étoile des cieux,
J’aimais ses yeux malicieux.
Dansons la gigue !
Elle avait des façons vraiment
De désoler un pauvre amant,
Que c’en était vraiment charmant !
Dansons la gigue !
Mais je trouve encore meilleur
Le baiser de sa bouche en fleur,
Depuis qu’elle est morte à mon cœur.
Dansons la gigue !
Je me souviens, je me souviens
Des heures et des entretiens,
Et c’est le meilleur de mes biens.
Dansons la gigue !
Child wife
Vous n’avez rien compris à ma simplicité,
Rien, ô ma pauvre enfant !
Et c’est avec un front éventé, dépité,
Que vous fuyez devant.
Vos yeux qui ne devaient refléter que douceur,
Pauvre cher bleu miroir,
Ont pris un ton de fiel, ô lamentable sœur,
Qui nous fait mal à voir.
Et vous gesticulez avec vos petits bras
Comme un héros méchant,
En poussant d’aigres cris poitrinaires, hélas !
Vous qui n’étiez que chant !
Car vous avez eu peur de l’orage et du cœur
Qui grondait et sifflait,
Et vous bêlâtes vers votre mère- ô douleur !-
Comme un triste agnelet.
Et vous n’avez pas su la lumière et l’honneur
D’un amour brave et fort,
Joyeux dans le malheur, grave dans le bonheur,
Jeune jusqu’à la mort !
A poor young sheperd
J’ai peur d’un baiser
Comme d’une abeille.
Je souffre et je veille
Sans me reposer.
J’ai peur d’un baiser !
Pourtant j’aime Kate
Et ses yeux jolis.
Elle est délicate
Aux longs traits pâlis.
Oh ! que j’aime Kate !
C’est Saint-Valentin !
Je dois et je n’ose
Lui dire au matin….
La terrible chose
Que Saint-Valentin !
Elle m’est promise,
Fort heureusement !
Mais quelle entreprise
Que d’être un amant
Près d’une promise !
J’ai peur d’un baiser
Comme d’une abeille.
Je souffre et je veille
Sans me reposer.
J’ai peur d’un baiser !
3
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville.
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?
Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s’ennuie,
O le chant de la pluie !
Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s’écoeure.
Quoi ! nulle trahison ?
Ce deuil est sans raison.
C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi,
Sans amour et sans haine,
Mon cœur a tant de peine.
5
Le piano que baise une main frêle
Luit dans le soir rose et gris vaguement,
Tandis qu’avec un très léger bruit d’aile
Un air bien vieux, bien faible et bien charmant,
Rôde discret, épeuré quasiment,
Par le boudoir longtemps parfumé d’Elle.
Qu’est-ce que c’est que ce berceau soudain
Qui lentement dorlote mon pauvre être ?
Que voudrais-tu de moi, doux chant badin ?
Qu’as-tu voulu, fin refrain incertain
Qui vas tantôt mourir vers la fenêtre
Ouverte un peu sur le petit jardin ?
6
C’est le chien de Jean de Nivelle
Qui mord sous l’œil même du guet
Le chat de la mère Michel ;
François-les-bas-bleus s’en égaie .
La lune à l’écrivain public
Dispense sa lumière obscure
Où Médor avec Angélique
Verdissent sur le pauvre mur.
Et voici venir La Ramée
Sacrant en bon soldat du Roi.
Sous son habit blanc mal famé,
Son cœur ne se tient pas de joie,
Car la boulangère….-Elle ?- Oui dam !
Bernant Lustucru, son vieil homme,
A tantôt couronné sa flamme….
Enfants, Dominus vobis-cum !
Place ! en sa longue robe bleue
Toute en satin qui fait frou-frou,
C’est une impure, palsambleu !
Dans sa chaise qu’il faut qu’on loue,
Fût-on philosophe ou grigou,
Car tant d’or s’y relève en bosse,
Que ce luxe insolent bafoue
Tout le papier de monsieur Loss !
Arrière, robin crotté ! place,
Petit courtaud, petit abbé,
Petit poète jamais las
De la rime non attrapée !
Voici que la nuit vraie arrive…
Cependant, jamais fatigué
D’être inattentif et naïf,
François-les-bas-bleus s’en égaie.
7
Ô triste, triste était mon âme
A cause, à cause d’une femme.
Je ne me suis pas consolé
Bien que mon cœur s’en soit allé,
Bien que mon cœur, bien que mon âme
Eussent fui loin de cette femme.
Je ne me suis pas consolé,
Bien que mon cœur s’en soit allé.
Et mon cœur, mon cœur trop sensible
Dit à mon âme : Est-il possible,
Est-il possible- le fût-il ?-
Ce fier exil, ce triste exil ?
Mon âme dit à mon cœur : Sais-je,
Moi-même, que nous veut ce piège
D’être présents bien qu’exilés,
Encore que loin en allés ?
3
En robe grise et verte avec des ruches,
Un jour de juin que j’étais soucieux,
Elle apparut souriante à mes yeux
Qui l’admiraient sans redouter d’embûches.
Elle alla, vint, revint, s’assit, parla,
Légère et grave, ironique, attendrie :
Et je sentais en mon âme assombrie
Comme un joyeux reflet de tout cela ;
Sa voix, étant de la musique fine,
Accompagnait délicieusement
L’esprit sans fiel de son babil charmant
Où la gaîté d’un cœur bon se devine.
Aussi soudain fus-je, après le semblant
D’une révolte aussitôt étouffée,
Au plein pouvoir de la petite Fée
Que depuis lors je supplie en tremblant.
5
Avant que tu ne t’en ailles,
Pâle étoile du matin,
-Mille cailles
Chantent, chantent dans le thym-
Tourne devers le poète,
Dont les yeux sont pleins d’amour,
-L’alouette
Monte au ciel avec le jour-
Tourne ton regard que noie
L’aurore dans son azur ;
-Quelle joie
Parmi les champs de blé mur !-
Puis fais luire ma pensée
Là-bas, bien loin, oh ! bien loin !
-La rosée
Gaîment brille sur le foin-
Dans le doux rêve où s’agite
Ma mie endormie encor…
-Vite ! vite,
Car voici le soleil d’or !-
13
Hier, on parlait de choses et d’autres,
Et mes yeux allaient recherchant les vôtres ;
Et votre regard recherchait le mien
Tandis que courait toujours l’entretien.
Sous le sens banal des choses pesées
Mon amour errait après vos pensées ;
Et quand vous parliez, à dessein distrait,
Je prêtais l’oreille à votre secret :
Car la voix, ainsi que les yeux de Celle
Qui vous fait joyeux et triste, décèle,
Malgré tout effort morose ou rieur,
Et met au plein jour l’être intérieur.
Or, hier je suis parti plein d’ivresse :
Est-ce un espoir vain que mon cœur caresse,
Un vain espoir, faux et doux compagnon ?
Oh ! non ! n’est-ce pas ? n’est-ce pas que non ?
14
Le foyer, la lueur étroite de la lampe ;
La rêverie avec le doigt contre la tempe
Et les yeux se perdant parmi les yeux aimés ;
L’heure du thé fumant et des livres fermés ;
La douceur de sentir la fin de la soirée ;
La fatigue charmante et l’attente adorée
De l’ombre nuptiale et de la douce nuit,
Oh ! tout cela, mon rêve attendri le poursuit
Sans relâche, à travers toutes remises vaines,
Impatient des mois, furieux des semaines !
Fantoches
Scaramouche et Pulcinella
Qu’un mauvais dessein rassembla
Gesticulent, noirs sur la lune.
Cependant l’excellent docteur
Bolonais cueille avec lenteur
Des simples parmi l’herbe brune.
Lors sa fille, piquant minois,
Sous la charmille, en tapinois,
Se glisse demi-nue, en quête
De son beau pirate espagnol,
Dont un langoureux rossignol
Clame la détresse à tue-tête.
Le faune
Un vieux faune de terre cuite
Rit au centre des boulingrins,
Présageant sans doute une suite
Mauvaise à ces instants sereins
Qui m’ont conduit et t’ont conduite
-Mélancoliques pèlerins-
Jusqu’à cette heure dont la fuite
Tournoie au son des tambourins.
Mandoline
Les donneurs de sérénades
Et les belles écouteuses
Echangent des propos fades
Sous les ramures chanteuses.
C’est Tircis et c’est Aminte,
Et c’est l’éternel Clitandre.
Et c’est Damis qui pour mainte
Cruelle fait maint vers tendre.
Leurs courtes vestes de soie,
Leurs longues robes à queues,
Leur élégance, leur joie
Et leurs molles ombres bleues
Tourbillonnent dans l’extase
D’une lune rose et grise,
Et la mandoline jase
Parmi les frissons de brise.
Les indolents
« Bah ! malgré les Destins jaloux,
Mourons ensemble, voulez-vous ?-
-La proposition est rare-
-Le rare est le bon. Donc mourons
Comme dans les Décamérons.
-Hi ! hi ! hi ! quel amant bizarre !_
-Bizarre, je ne sais. Amant
Irréprochable, assurément.
Si vous voulez, mourons ensemble ?
-Monsieur, vous raillez mieux encor
Que vous n’aimez, et parlez d’or ;
Mais taisons-nous, si bon vous semble ? »
Si bien que ce soir-là Tircis
Et Dorimène, à deux assis
Non loin de deux silvains hilares,
Eurent l’inexpiable tort
D’ajourner une exquise mort.
Hi ! hi ! hi ! les amants bizarres !
Colombine
Léandre le sot,
Pierrot qui d’un saut
De puce
Franchit le buisson,
Cassandre sous son
Capuce,
Arlequin aussi,
Cet aigrefin si
Fantasque,
Aux costumes fous,
Ses yeux luisants sous
Son masque,
-Do, mi, sol, mi, fa,-
Tout ce monde va,
Rit, chante
Et danse devant
Une belle enfant
Méchante
Dont les yeux pervers
Comme les yeux verts
Des chattes
Gardent ses appas
Et disent : « A bas
Les pattes ! »
-Eux ils vont toujours !-
Fatidique cours
Des astres,
Oh ! dis-moi vers quels
Mornes ou cruels
Désastres
L’implacable enfant,
Preste et relevant
Ses jupes,
La rose au chapeau,
Conduit son troupeau
De dupes ?
Colloque sentimental
Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux formes ont tout à l’heure passé.
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l’on entend à peine leurs paroles.
Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux spectres ont évoqué le passé.
-Te souvient-il de notre extase ancienne ?
-Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne ?
-Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom ?
Toujours vois-tu mon âme en rêve ?- Non.
-Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches !- C’est possible.
-Qu’il était bleu, le ciel, et grand, l’espoir !
-L’espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.
Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.
Clair de lune
Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmants masques et bergamasques
Jouant du luth, et dansant, et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.
Tout en chantant sur le mode mineur
L’amour vainqueur et la vie opportune,
Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,
Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d’extase les jets d’eau,
Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres.
Pantomine
Pierrot, qui n’a rien d’un Clitandre,
Vide un flacon sans plus attendre,
Et, pratique, entame un pâté ;
Cassandre, au fond de l’avenue,
Verse une larme méconnue
Sur son neveu déshérité.
Ce faquin d’arlequin combine
L’enlèvement de Colombine
Et pirouette quatre fois.
Colombine rêve, surprise
De sentir un cœur dans la brise
Et d’entendre en son cœur des voix.
Sur l’herbe
L’abbé divague- Et toi, marquis,
Tu mets de travers ta perruque.
-Ce vieux vin de Chypre est exquis,
Moins, Camargo, que votre nuque.
-Ma flamme….-Do, mi, sol, la, si.
-L’abbé, ta noirceur se dévoile !
-Que je meure, Mesdames, si
Je ne vous décroche une étoile !
-Je voudrais être petit chien !
-Embrassons nos bergères, l’une
Après l’autre.-Messieurs, eh bien,
-Do, mi, sol.- Hé ! bonsoir, la lune !
L’allée
Fardée et peinte comme au temps des bergeries,
Frêle parmi les nœuds énormes de rubans,
Elle passe, sous les ramures assombries,
Dans l’allée où verdit la mousse des vieux bancs,
Avec mille façons et mille afféteries
Qu’on garde d’ordinaire aux perruches chéries.
Sa longue robe à queue est bleue, et l’éventail
Qu’elle froisse en ses doigts fluets aux larges bagues
S’égaie en des sujets érotiques, si vagues
Qu’elle sourit, tout en rêvant, à maint détail.
-Blonde en somme. Le nez mignon avec la bouche
Incarnadine, grasse, et divine d’orgueil
Inconscient.-  D’ailleurs plus fine que la mouche
Qui ravive l’éclat un peu niais de l’œil.
Les ingénus
Les hauts talons luttaient avec les longues jupes,
En sorte que, selon le terrain et le vent,
Parfois luisaient des bas de jambes, trop souvent
Interceptés !- et nous aimions ce jeu de dupes.
Parfois aussi le dard d’un insecte jaloux
Inquiétait le col des belles sous les branches,
Et c’étaient des éclairs soudains de nuques blanches,
Et ce régal comblait nos jeunes yeux de fous.
Le soir tombait, un soir équivoque d’automne :
Les belles, se pendant rêveuses à nos bras,
Dirent alors des mots si spécieux, tout bas,
Que notre âme depuis ce temps tremble et s’étonne.

La mort de Philippe II (extraits)

….Par les cours du palais, où l’ombre met ses plombs,

Circule- tortueux serpent hiératique-

Une procession de moines aux frocs blonds

Qui marchent un par un, suivant l’ordre ascétique,

Et qui, pieds nus, la corde aux reins, un cierge en main,

Ululent d’une voix formidable un cantique.

Qui donc ici se meurt ? Pour qui sur le chemin

Cette paille épandue et ces croix long-voilées

Selon le rituel catholique romain ?

….Riches, les vêtements des seigneurs et des dames,

Velours, panne, satin, soie, hermine et brocart,

Chantent l’ode du luxe en chatoyantes gammes,

Et, trouant par éclairs distancés avec art

L’opaque demi-jour, les cuirasses de cuivre

Des gardes alignés scintillent de trois quart.

Un homme en robe noir, à visage de cuivre,

Se penche, en caressant de la main ses fémurs,

Sur un lit, comme l’on se penche sur un livre.

…Dans le lit, un vieillard d’une maigreur insigne

Egrène un chapelet, qu’il baise par moment,

Entre ses doigts crochus comme des brins de vigne.

Ses lèvres font ce sourd et long marmottement,

Dernier signe de vie et premier d’agonie,

Et son haleine pue épouvantablement.

….C’est le Roi, ce mourant qu’assiste un mire chauve,

Le Roi Philippe Deux d’Espagne, -saluez !-

Et l’aigle autrichien s’effare dans l’alcôve,

….La porte s’ouvre. Un flot de lumière brutale

Jaillit soudain, déferle et bientôt s’établit

Par l’ampleur de la chambre en nappe horizontale ;

Porteurs de torches, roux, et que l’extase emplit,

Entrent dix capucins qui restent en prière :

Un d’entre eux se détache et marche droit au lit.

Il est grand, jeune et maigre, et son pas est de pierre,

Et les élancements farouches de la Foi

Rayonnent à travers les cils de sa paupière ;

….Et tous sur son trajet dans un geste extatique

S’agenouillent, frappant trois fois du poing leur sein

Car il porte avec lui le sacré Viatique.

Du lit s’écarte avec respect le matassin,

Le médecin du corps, en pareille occurrence,

Devant céder la place, Ame, à ton médecin.

La figure du Roi, qu’étire la souffrance,

A l’approche du fray se rassérène un peu,

Tant la religion est grosse d’espérance !

Le moine, cette fois, ouvrant son œil de feu,

Tout brillant de pardons mêlés à des reproches,

S’arrête, messager des justices de Dieu.

-Sinistrement dans l’air du soir tintent les cloches.

Et la Confession commence. Sur le flanc

Se retournant, le Roi, d’un ton sourd, bas et grêle,

Parle de feux, de juifs, de bûchers et de sang.

« Vous repentiriez-vous par hasard de ce zèle ?

Brûler des juifs, mais c’est une dilection !

Vous fûtes, ce faisant, orthodoxe et fidèle. »

Ayant repris haleine, et d’une voix cassée,

Péniblement, et comme arrachant par lambeaux

Un remord douloureux du fond de sa pensée,

Le Roi, dont la lueur tragique des flambeaux

Eclaire le visage osseux et le front blême,

Prononce ces mots : Flandre, Albe, morts, sacs, tombeaux.

« Les Flamands, révoltés contre l’Eglise même,

Furent très justement punis, à votre los,

Et je m’étonne, ô Roi, de ce doute suprême,

Poursuivez. » Et le Roi parla de don Carlos,

Et deux larmes coulaient tremblantes sur sa joue

Palpitante et collée affreusement à l’os.

« Vous déplorez cet acte, et moi je vous en loue.

L’Infant, certes, était coupable au dernier point,

Ayant voulu tirer l’Espagne dans la boue

De l’hérésie anglaise, et de plus n’ayant point

Frémi de conspirer- ô ruses abhorrées-

Et contre un Père, et contre un Maître, et contre un Oint ! »

Le moine ensuite dit les formules sacrées

Par quoi tous nos péchés nous sont remis, et puis,

Prenant l’Hostie avec ses deux mains timorées,

Sur la langue du Roi la déposa. Tous bruits

Se sont tus, et la Cour, pliant dans la détresse,

Pria, muette et pâle, et nul n’a su depuis

Si sa prière fut sincère ou bien traîtresse.

Qui dira les pensers obscurs que protégea

Ce silence, brouillard complice qui se dresse ?

Ayant communié, le Roi se replongea

Dans l’ampleur des coussins, et la Béatitude

De l’Absolution reçue ouvrant déjà

L’œil de son âme au jour clair de la certitude,

Epanouit ses traits en un sourire exquis

Qui tenait de la fièvre et de la quiétude.

Et tandis qu’alentour ducs, comtes et marquis,

Pleins d’angoisse, fichaient leurs yeux sous la courtine,

L’âme du Roi montait, sereine, aux cieux conquis.

Puis le râle des morts hurla dans la poitrine

De l’auguste malade avec des sursauts fous :

Tel l’ouragan passe à travers une ruine.

Et puis plus rien ; et puis, sortant par mille trous,

Ainsi que des serpents frileux de leur repaire,

Sur le corps froid les vers se mêlèrent aux poux.

Philippe Deux était à la droite du Père.

Dans les bois (extraits)

D’autres, -des innocents ou bien des lymphatiques,-

Ne trouvent dans les bois que charmes langoureux,

Souffles frais et parfums tièdes. Ils sont heureux !

D’autres s’y sentent pris- rêveurs- d’effrois mystiques.

Ils sont heureux ! Pour moi, nerveux, et qu’un remords

Epouvantable et vague affole sans relâche,

Par les forêts je tremble à la façon d’un lâche

Qui craindrait une embûche ou qui verrait des morts.

….La nuit vient. Le hibou s’envole. C’est l’instant

Où l’on songe aux récits des aïeules naïves…

Sous un fourré, là-bas, là-bas, des sources vives

Font un bruit d’assassins postés se concertant.

Nocturne parisien (extraits)

…Toi, Seine, tu n’as rien. Deux quais, et voilà tout,

Deux quais crasseux, semés de l’un à l’autre bout

D’affreux bouquins moisis et d’une foule insigne

Qui fait dans l’eau des ronds et qui pêche à la ligne.

Oui, mais quand vient le soir, raréfiant enfin

Les passants alourdis de sommeil ou de faim,

Et que le couchant met au ciel des taches rouges,

Qu’il fait bon aux rêveurs descendre de leurs bouges

Et, s’accoudant au pont de la Cité, devant

Notre-Dame, songer, cœur et cheveux au vent !

Les nuages, chassés par la brise nocturne,

Courent, cuivreux et roux, dans l’azur taciturne.

Sur la tête d’un roi du portail, le soleil

Au moment de mourir, pose un baiser vermeil.

L’hirondelle s’enfuit à l’approche de l’ombre

Et l’on voit voleter la chauve-souris sombre.

Tout bruit s’apaise autour. A peine un vague son

Dit que la ville est là qui chante sa chanson,

Qui lèche ses tyrans et qui mord ses victimes ;

Et c’est l’aube des vols, des amours et des crimes.

Puis, tout à coup, ainsi qu’un ténor effaré

Lançant dans l’air bruni son cri désespéré,

Son cri qui se lamente, et se prolonge, et crie,

Eclate en quelque coin l’orgue de Barbarie :

Il brame un de ces airs, romances ou polkas,

Qu’enfants nous tapotions sur nos harmonicas

Et qui font, lents ou vifs, réjouissants ou tristes,

Vibrer l’âme aux proscrits, aux femmes, aux artistes.

C’est écorché, c’est faux, c’est horrible, c’est dur,

Et donnerait la fièvre à Rossini, pour sûr ;

Ces rires sont traînés, ces plaintes sont hachées ;

Sur une clef de sol impossible juchées,

Les notes ont un rhume et les do sont des la,

Mais qu’importe ! l’on pleure en entendant cela !

Mais l’esprit, transporté dans le pays des rêves,

Sent à ces vieux accords couler en lui des sèves ;

La pitié monte au cœur et les larmes aux yeux,

Et l’on voudrait pouvoir goûter la paix des cieux….

….Et puis l’orgue s’éloigne, et puis c’est le silence

Et la nuit terne arrive et Vénus se balance

Sur une molle nue au fond des cieux obscurs ;

On allume les becs de gaz le long des murs.

Et l’astre et les flambeaux font des zigzags fantasques

Dans le fleuve plus noir que le velours des masques…..

Monsieur Prudhomme

Il est grave : il est maire et père de famille.

Son faux col engloutit son oreille. Ses yeux

Dans un rêve sans fin flottent, insoucieux,

Et le printemps en fleur sur ses pantoufles brille.

Que lui fait l’astre d’or, que lui fait la charmille

Où l’oiseau chante à l’ombre, et que lui font les cieux,

Et les prés verts et les gazons silencieux ?

Monsieur Prudhomme songe à marier sa fille.

Avec monsieur Machin, un jeune homme cossu.

Il est juste milieu, botaniste et pansu.

Quant aux faiseurs de vers, ces vauriens, ces maroufles,

Ces fainéants barbus, mal peignés, il les a

Plus en horreur que son éternel coryza,

Et le printemps en fleur brille sur ses pantoufles.

Initium

Les violons mêlaient leur rire au chant des flûtes

Et le bal tournoyait quand je la vis passer

Avec ses cheveux blonds jouant sur les volutes

De son oreille où mon Désir comme un baiser

S’élançait et voulait lui parler sans oser.

Cependant elle allait, et la mazurque lente

La portait dans son rythme indolent comme un vers,

-Rime mélodieuse, image étincelante,-

Et son âme d’enfant rayonnait à travers

La sensuelle ampleur de ses yeux gris et verts.

Et depuis, ma Pensée- immobile- contemple

Sa Splendeur évoquée, en adoration,

Et dans son Souvenir, ainsi que dans un temple,

Mon Amour entre, plein de superstition.

Et je crois que voici venir la Passion.

Cavitrî

Pour sauver son époux, Cavitrî fit le vœu

De se tenir trois jours entiers, trois nuits entières,

Debout, sans remuer jambes, buste ou paupières :

Rigide, ainsi que dit Vyaça, comme un pieu.

Ni Curya, tes rais cruels, ni la langueur

Que Tchandra vient épandre à minuit sur les cimes

Ne firent défaillir, dans leurs efforts sublimes,

La pensée et la chair de la femme au grand cœur.

Que nous cerne l’Oubli, noir et morne assassin,

Ou que l’Envie aux traits amers nous ait pour cibles,

Ainsi que Cavitri faisons-nous impassibles,

Mais, comme elle, dans l’âme ayons un haut dessein.

Une grande dame

Belle « à damner les saints », à troubler sous l’aumusse

Un vieux juge ! Elle marche impérialement,

Elle parle- et ses dents font un miroitement-

Italien, avec un léger accent russe.

Ses yeux froids où l’émail sertit le bleu de Prusse

Ont l’éclat insolent et dur du diamant.

Pour la splendeur du sein, pour le rayonnement

De la peau, nulle reine ou courtisane, fût-ce

Cléopâtre la lynce ou la chatte Ninon,

N’égale sa beauté patricienne, non !

Vois, ô bon Buridan : « C’est une grande dame ! »

Il faut- pas de milieu !- l’adorer à genoux,

Plat, n’ayant d’astre aux cieux que ses lourds cheveux roux,

Ou bien lui cravacher la face, à cette femme !

Sub urbe (extraits)

….Silencieux comme les fleuves,

Mais gros de pleurs comme eux de flots,

Les fils, les mères et les veuves,

Par les détours du triste enclos,

S’écoulent- lente théorie,-

Au rythme heurté des sanglots.

Le sol sous les pieds glisse et crie,

Là-haut de grands nuages tors

S’échevèlent avec furie.

Pénétrant comme le remord,

Tombe un froid lourd qui vous écoeure

Et qui doit filtrer chez les morts,

Chez les pauvres morts, à toute heure

Seuls, et sans cesse grelottants,

Qu’on les oublie ou qu’on les pleure !

Ah ! vienne le Printemps,

Et son clair soleil qui caresse,

Et ses doux oiseaux caquetants !

Refleurisse l’enchanteresse

Gloire des jardins et des champs

Que l’âpre hiver tient en détresse !

Et que- des levers aux couchants,-

L’or dilaté d’un ciel sans bornes

Berce de parfums et de chants,

Chers endormis, vos sommeils mornes !

Nevermore

Allons, mon pauvre cœur, allons, mon vieux complice,

Redresse et peins à neuf tous tes arcs triomphaux ;

Brûle un encens ranci sur tes autels d’or faux ;

Sème de fleurs les bords béants du précipice ;

Allons, mon pauvre cœur, allons, mon vieux complice !

Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni ;

Entonne, orgue enroué, des Te Deum splendides ;

Vieillard prématuré, mets du fard sur tes rides ;

Couvre-toi de tapis mordorés, mur jauni ;

Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni.

Sonnez, grelots ; sonnez, clochettes ; sonnez, cloches !

Car mon rêve impossible a pris corps et je l’ai

Entre mes bras pressé : le Bonheur, cet ailé

Voyageur qui de l’Homme évite les approches,

Sonnez, grelots ; sonnez, clochettes ; sonnez, cloches !

Le Bonheur a marché côte à côte avec moi ;

Mais la FATALITE ne connaît point de trêve ;

Le ver est dans le fruit, le réveil dans le rêve,

Et le remords est dans l’amour : telle est la loi.

Le Bonheur a marché côte à côte avec moi.

Chanson d’automne

Les sanglots longs

Des violons

De l’automne

Blessent mon cœur

D’une langueur

Monotone.

Tout suffocant

Et blême, quand

Sonne l’heure,

Je me souviens

Des jours anciens

Et je pleure ;

Et je m’en vais

Au vent mauvais

Qui m’emporte

Deçà, delà

Pareil à la

Feuille morte.

Femme et chatte

Elle jouait avec sa chatte

Et c’était merveille de voir

La main blanche et la blanche patte

S’ébattre dans l’ombre noire.

Elle cachait- la scélérate !-

Sous ses mitaines de fil noir

Ses meurtriers ongles d’agate,

Coupants et clairs comme un rasoir.

L’autre aussi faisait la sucrée

Et rentrait sa griffe acérée.

Mais le diable n’y perdait rien…

Et dans le boudoir où, sonore,

Tintait son rire aérien,

Brillaient quatre points de phosphore.

La chanson des ingénues

Nous sommes les Ingénues,

Aux bandeaux plats, à l’œil bleu,

Qui vivons, presque inconnues,

Dans les romans qu’on lit peu.

Nous allons entrelacées,

Et le jour n’est pas plus pur

Que le fond de nos pensées,

Et nos rêves sont d’azur ;

Et nous courons par les prés

Et nous rions et babillons

Des aubes jusqu’aux vesprées,

Et chassons aux papillons ;

Et des chapeaux de bergères

Défendent notre fraîcheur,

Et nos robes- si légères-

Sont d’une extrême blancheur ;

Les Richelieux, les Caussades

Et les chevaliers Faublas

Nous prodiguent les œillades,

Les saluts et les « hélasl ».

Mais en vain, et leurs mimiques

Se viennent casser le nez

Devant les plis ironiques

De nos jupons détournés ;

Et notre candeur se raille

Des imaginations

De ces raseurs de muraille,

Bien que parfois nous sentions

Battre nos cœurs sous nos mantes

A des pensers clandestins,

En nous sachant les amantes

Futures des libertins.

Croquis parisien

La lune plaquait ses teintes de zinc

Par angles obtus.

Des bouts de fumée en forme de cinq

Sortaient drus et noirs des hauts toits pointus.

Le ciel était gris. La bise pleurait

Ainsi qu’un basson.

Au loin, un matou frileux et discret

Miaulait d’étrange et grêle façon.

Moi, j’allais, rêvant du divin Platon

Et de Phidias,

Et de Salamine et de Marathon,

Sous l’œil clignotant des bleus becs de gaz.

Grotesques (extraits)

Leurs jambes pour toutes montures,

Pour tous biens l’or de leurs regards,

Par le chemin des aventures

Ils vont haillonneux et hagards.

Le sage, indigné, les harangue ;

Le sot plaint ces fous hasardeux ;

Les enfants leur tirent la langue

Et les filles se moquent d’eux.

C’est qu’odieux et ridicules,

Et maléfiques en effet,

Ils ont l’air, sur les crépuscules,

D’un mauvais rêve que l’on fait ;

C’est que, sur leurs aigres guitares

Crispant la main des libertés,

Ils nasillent des chants bizarres,

Nostalgiques et révoltés…. »

Vœu

Ah ! les oaristys ! les premières maîtresses !

L’or des cheveux, l’azur des yeux, la fleur des chairs,

Et puis, parmi l’odeur des corps jeunes et chers,

La spontanéité craintive des caresses !

Sont-elles assez loin, toutes ces allégresses

Et toutes ces candeurs ! Hélas ! toutes devers

Le Printemps des regrets ont fui les noirs hivers

De mes ennuis, de mes dégoûts, de mes détresses !

Si que me voilà seul à présent, morne et seul,

Morne et désespéré, plus glacé qu’un aïeul,

Et tel qu’un orphelin pauvre sans sœur aînée.

O la femme à l’amour câlin et réchauffant,

Douce, pensive et brune, et jamais étonnée,

Et qui parfois vous baise au front, comme un enfant !

Lassitude

De la douceur, de la douceur, de la douceur !

Calme un peu ces transports fébriles, ma charmante.

Même au fort du déduit parfois, vois-tu, l’amante

Doit avoir l’abandon paisible de la sœur.

Sois langoureuse, fais ta caresse endormante,

Bien égaux tes soupirs et ton regard berceur.

Va, l’éteinte jalouse et le spasme obsesseur

Ne valent pas un long baiser, même qui mente !

Mais dans ton cher cœur d’or, me dis-tu, mon enfant,

La fauve passion va sonnant l’olifant !…

Laisse-la trompetter à son aise, la gueuse !

Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main,

Et fais-moi des serments que tu rompras demain,

Et pleurons jusqu’au jour, ô petite fougueuse !

Mon rêve familier

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant

D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,

Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même

Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon cœur transparent

Pour elle seule, hélas! cesse d’être un problème

Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,

Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? Je l’ignore,

Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore

Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues

Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a

L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

L’angoisse

Nature, rien de toi ne m’émeut, ni les champs

Nourriciers, ni l’écho vermeil des pastorales

Siciliennes, ni les pompes aurorales,

Ni la solennité dolente des couchants.

Je ris de l’Art, je ris de l’Homme aussi, des chants,

Des vers, des temples grecs et des tours en spirales

Qu’étirent dans le ciel vide les cathédrales,

Et je vois du même œil les bons et les méchants.

Je ne crois pas en Dieu, j’abjure et je renie

Toute pensée, et quant à la vieille ironie,

L’Amour, je voudrais bien qu’on ne m’en parlât plus.

Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareille

Au brick perdu jouet du flux et du reflux,

Mon âme pour d’affreux naufrages appareille.

A Eugène Carrière

« Les Sages d’autrefois, qui valaient bien ceux-ci,

Crurent, et c’est un point encor mal éclairci,

Lire au ciel les bonheurs ainsi que les désastres,

Et que chaque âme était liée à l’un des astres.

(On a beaucoup raillé, sans penser que souvent

Le rire est ridicule autant que décevant,

Cette explication du mystère nocturne)

Or ceux-là qui sont nés sous le signe SATURNE,

Fauve planète, chère aux nécromanciens,

Ont entre tous, d’après les grimoires anciens,

Bonne part de malheur et bonne part de bile.

L’Imagination, inquiète et débile,

Vient rendre nul en eux l’effort de la Raison.

Dans leurs veines le sang, subtil comme un poison,

Brûlant comme une lave, et rare, coule et roule

En grésillant leur triste Idéal qui s’écroule.

Tels les Saturniens doivent souffrir et tels

Mourir, en admettant que nous soyons mortels,

Leur plan de vie étant dessiné ligne à ligne

Par la logique d’une Influence maligne.»

Résignation (extraits)

Tout enfant, j’allais rêvant Ko-Hinnor,

Somptuosité persane et papale

Héliogabale et Sardanapale !

Mon désir créait sous des toits en or,

Parmi les parfums, au son des musiques,

Des harems sans fins, paradis physiques !

Aujourd’hui, plus calme et non moins ardent,

Mais sachant la vie et qu’il faut qu’on plie,

J’ai dû refréner ma belle folie,

Sans me résigner par trop cependant… »

Nevermore (extraits)

« …Nous étions seul et seule et marchions en rêvant,

Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent.

Soudain, tournant vers moi son regard émouvant :

« Quel fut ton plus beau jour ? » fit sa voix d’or vivant,

Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.

Un sourire discret lui donna la réplique,

Et je baisai sa main blanche, dévotement.

Ah ! les premières fleurs, qu’elles sont parfumées !

Et qu’il bruit avec un murmure charmant

Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées !

Après trois ans

Ayant poussé la porte qui chancelle,

Je me suis promené dans le petit jardin

Qu’éclairait doucement le soleil du matin,

Pailletant chaque fleur d’une humide étincelle.

Rien n’a changé. J’ai tout revu : l’humble tonnelle

De vigne folle avec les chaises de rotin…

Le jet d’eau fait toujours son murmure argentin

Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.

Les roses comme avant palpitent ; comme avant,

Les grands lys orgueilleux se balancent au vent,

Chaque alouette qui va et vient m’est connue.

Même j’ai retrouvé debout la Velléda,

Dont le plâtre s’écaille au bout de l’avenue,

Grêle, parmi l’odeur fade du réséda.

25 Le bazar (extraits)
…Toutes ardeurs, tous souvenirs, toutes prières
Sont là, sur des étaux et s’empoussièrent ;
Des mots qui renfermaient l’âme du monde
Et que les prêtres seuls disaient au nom de tous
Sont charriés et ballottés, dans la faconde
Des camelots et des voyous…..
Lettres jusques au ciel, lettres en or qui bougent,
C’est un bazar au bout des faubourgs rouges !
La foule et ses flots noirs
S’y bousculent près des comptoirs ;
La foule- oh ses désirs multipliés,
Par centaines et par milliers !-
Y tourne, y monte, au long des escaliers,
Et s’érige folle et sauvage,
En spirale, vers les étages.
…C’est un bazar tout en vertiges
Que bat, continûment, la foule, avec ses houles
Et ses vagues d’argent et d’or ;
C’est un bazar tout en décors,
Avec des tours, avec des rampes de lumières ;
C’est un bazar bâti si haut que, dans la nuit,
Il apparaît la bête et de flamme et de bruit
Qui monte épouvanter le silence stellaire.
26 L’étal (extraits)
Au soir tombant, lorsque déjà l’essor
De la vie agitée et rapace s’affaisse,
Sous un ciel bas et mou et gonflé d’ombre épaisse,
Le quartier fauve et noir dresse son vieux décor
De chair, de sang, de vice et d’or.
Des commères, blocs de viande tassée et lasse,
Interpellent, du seuil de portes basses,
Les gens qui passent ;
Derrière elles, au fond de couloirs rouges
Des feux luisent, un rideau bouge
Et se soulève et permet d’entrevoir
De beaux corps nus en des miroirs.
Le port est proche. A gauche, au bout des rues,
L’emmêlement des mâts et des vergues obstrue
Un pan de ciel énorme ;
A droite, un tas grouillant de ruelles difformes
Choit de la ville- et les foules obscures
S’y dépêchent vers leurs destins de pourriture.
C’est l’étal flasque et monstrueux de la luxure
Dressé, depuis toujours, sur les frontières
De la cité et de la mer.
Là-bas, parmi les flots et les hasards,
Ceux qui veillent, mélancoliques, aux bancs de quart
Et les mousses dont les hardes sont suspendues
A des mâts abaissés ou des cordes tendues,
Tous en rêvent et l’évoquent, tels soirs ;
Le cru désir les tord en effrénés vouloirs ;
Les baisers mous du vent sur leur torse circulent ;
La vague éveille en eux des images qui brûlent ;
Et leurs deux mains et leurs deux bras se désespèrent
Ou s’exaltent, tendus du côté de la terre.
Et ceux d’ici, ceux des bureaux et des bazars,
Chiffreurs têtus, marchands précis, scribes hagards,
Fronts assouplis, cerveaux loués et mains vendues,
Quand les clefs de la caisse au mur sont appendues,
Sentent le même rut mordre leur corps, tels soirs ;
On les entend descendre en troupeaux noirs,
Comme des chiens chassés, du fond du crépuscule,
Et la débauche en eux si fortement bouscule
Leur avarice et leur prudence routinière
Qu’elle les use et les ruine, avec colère.
C’est l’étal flasque et monstrueux de la luxure
Dressé, depuis toujours, sur les frontières
De la cité et de la mer.
….Leurs compagnes, reins fatigués, croupes qui dorment,
Sur des fauteuils et des divans sont empilées,
La chair morne déjà d’avoir été foulée
Par les premiers passants de la vigne banale.
L’une d’elle coule en son bas un morceau d’or,
Une autre baille et s’étire, d’autres encor
-Flambeaux défunts, thyrses usés des bacchanales-
Sentant l’âge et la fin les flairer du museau,
Les yeux fixes, se caressent la peau,
D’une main lente et machinale.
C’est l’étal flasque et monstrueux de la luxure
Dressé, depuis toujours, sur les frontières
Deb la cité et de la mer.
D’après l’argent qui tinte dans les poches,
La promesse s’échange ou le reproche ;
Un cynisme tranquille, une ardeur lasse
Préside à la tendresse ou bien à la menace.
L’étreinte et les baisers ennuient. Souvent,
Lorsque les poings s’entrecognent, au vent
Des insultes et des jurons, toujours les mêmes,
Quelque gaîté s’essore et jaillit des blasphèmes,
Mais aussitôt retombe- et parfois l’on entend,
Dans le silence inquiétant,
Un clocher proche et haletant
Sonner l’heure lourde et funèbre,
Sur la ville, dans les ténèbres.
….Dans la grand’salle, où les marins affluent,
Poussant au-devant d’eux quelque bouffon des rues
Qui se convulse en mimiques obscènes,
Les vins d’écume et d’or bondissent de leur gaine ;
Les hommes saouls braillent comme des fous,
Les femmes se livrent- et, tout à coup,
Les ruts flambent, les bras se nouent, les corps se tordent,
On ne voit plus que des instincts qui s’entremordent,
Des seins offerts, des ventres pris et l’incendie
Des yeux hagards en des buissons de chair brandie.
C’est l’étal flasque et monstrueux de la luxure,
….C’est l’étal flasque et monstrueux,
Dressé, depuis toujours, sur les frontières
Tributaires de la cité et de la mer.
27 La révolte (extraits)
….La toux des canons lourds,
Les lourds hoquets des canons sourds
Mesurent seuls les pleurs et les abois de l’heure.
Les hauts cadrans des horloges publiques,
Comme des yeux en des paupières,
Sont défoncées à coups de pierre :
Le temps normal n’existant plus
Pour les cœurs fous et résolus
Des multitudes faméliques.
….Les soldats clairs, casqués de cuivre,
Ne sachant plus où sont les droits, où sont les torts,
Las d’obéir, chargent, mollassement,
Le peuple énorme et véhément
Qui veut enfin que sur sa tête
Luisent les ors sanglants et violents de la conquête.
Voici des docks et des maisons qui brûlent,
En façades de sang, sur le fond noir du crépuscule ;
L’eau des canaux en réfléchit les fumantes splendeurs,
De haut en bas, jusqu’en ses profondeurs ;
….Les bras des feux, ouvrant leurs mains funèbres,
Eparpillent des lambeaux d’or par les ténèbres ;
Et les brasiers des toits sautent en bonds sauvages,
Hors d’eux-mêmes, jusqu’aux nuages.
…Les clefs sautent, les gonds cèdent et les verrous ;
Des armoires de fer ouvrent de larges trous
Où s’empilent par tas les lois et les harangues ;
Une torche soudain les lèche avec sa langue,
Et tout leur passé noir s’envole et s’éparpille,
Tandis que dans la cave et les greniers on pille
Et qu’on jette dans les fossés du vieux rempart
Des morts coupant le vide avec leurs bras épars.
…Tous les joyaux du meurtre et des désastres
Etincellent ainsi, sous l’œil des astres ;
La ville entière éclate
En pays d’or coiffé de flammes écarlates.
….Toute la rage et toute la folie
Brassent la vie avec leur lie,
Si fort que, par instants, le sol semble trembler,
Et l’espace brûler
Et la fumée et ses fureurs s’écheveler et s’envoler
Et balayer les grands cieux froids.
Tuer, pour rajeunir et pour créer ;
Ou pour tomber et pour mourir, qu’importe !
Passer ; ou se casser les poings contre la porte !
Et puis- que son printemps soit vert ou qu’il soit rouge-
N’est-elle point, dans le monde, toujours
Haletante, par à travers les jours,
La puissance profonde et fatale qui bouge !
28 La Mort (extraits)
Avec ses larges corbillards
Ornés de plumes majuscules
Par les matins, dans les brouillards,
La Mort circule.
Parée et noire et opulente,
Tambours voilés, musiques lentes,
Avec ses larges corbillards,
Flanqués de quatre lampadaires,
La Mort s’étale et exagère.
Pareils aux nocturnes trésors,
Les gros cercueils écussonnés
-Larmes d’argent et blasons d’or-
Ecoutent l’heure éclatante des glas
Que les cloches jettent, là-bas ;
….Parée et noire et opulente,
Au cri des orgues violentes
Qui la célèbrent,
La Mort tout en ténèbres
Règne, comme une idole assise,
Sous la coupole des églises……
22 Les promeneuses (extraits)
….La ville est colossale et luit comme une mer
De phares merveilleux et d’ondes électriques,
Et ses mille chemins de bars et de boutiques
Aboutissent, soudain, aux promenoirs de fer,
Où ces femmes- opale et nacre,
Satin nocturne et cheveux roux-
Avec en main des fleurs de macre,
A longs pas clairs, foulent des tapis mous.
Ce sont de très lentes marcheuses solennelles
Qui se croisent, sous les minuits inquiétants,
Et se savent- depuis quels temps ?-
Douloureuses et mutuelles.
En pleurs encor d’un trop grand deuil,
Tels yeux obstinés et hagards
Dans un nouveau destin ont rivé leurs regards,
Comme des clous dans un cercueil.
….J’en sais dont les robes funèbres
Voilent de pâles souliers d’or
Et dont un serpent d’argent mord
Les longues tresses de ténèbres.
Des houx rouges de leur tourment
D’autres ont fait leurs diadèmes ;
J’en vois : des veuves d’elles-mêmes
Qui se pleurent, comme un amant.
…Au long des promenoirs qui dominent la nuit,
De lentes femmes,
En deuil immense de leur âme,
Entrecroisent leurs pas sans bruit.
23 Les usines (extraits)
Se regardant avec les yeux cassés de leurs fenêtres,
Et se mirant dans l’eau de poix et de salpêtre
D’un canal droit, marquant sa barre à l’infini,
Face à face, le long des quais d’ombre et de nuit,
Par à travers les faubourgs lourds
Et la misère en pleurs de ces faubourgs,
Ronflent terriblement usines et fabriques.
Rectangles de granit et monuments de briques,
Et longs murs noirs pendant des lieues,
Immensément, par les banlieues ;
Et sur les toits, dans le brouillard, aiguillonnées
De fers et de paratonnerres,
Les cheminées.
Se regardant de leurs yeux noirs et symétriques,
Par la banlieue, à l’infini,
Ronflent le jour, la nuit,
Les usines et les fabriques.
Oh les quartiers rouillés de pluie et leurs grand’rues !
Et les femmes et leurs guenilles apparues
Et les squares, où s’ouvre, en des caries
De plâtras blanc et de scories,
Une flore pâle et pourrie.
Aux carrefours, porte ouverte, les bars :
Etains, cuivres, miroirs hagards,
Dressoirs d’ébène et flacons fols
D’où luit l’alcool
Et sa lueur vers les trottoirs.
Et des pintes qui tout à coup rayonnent,
Sur le comptoir, en pyramides de couronnes ;
Et des gens soûls, debout,
Dont les larges langues lapent, sans phrases,
Les ales d’or et le whisky, couleur topaze.
Par à travers les faubourgs lourds
Et la misère en pleurs de ces faubourgs,
Et les troubles et mornes voisinages,
Et les haines s’entrecroisant de gens à gens
Et de ménages à ménages,
Et de vol même entre indigents,
Grondent, au fond des cours, toujours,
Les haletants battements sourds
Des usines et des fabriques symétriques.
Ici, sous de grands toits où scintille le verre,
La vapeur se condense en force prisonnière :
Des mâchoires d’acier mordent et fument ;
De grands marteaux monumentaux
Broient des blocs d’or sur des enclumes,
Et, dans un coin, s’illuminent les fontes
En brasiers tors et effrénés qu’on dompte.
Là-bas, les doigts méticuleux des métiers prestes,
A bruits menus, à petits gestes,
Tissent des draps, avec des fils qui vibrent
Légers et fins comme des fibres.
Des bandes de cuir transversales
Courent de l’un à l’autre bout des salles
Et les volants larges et violents
Tournent, pareils aux ailes dans le vent
Des moulins fous, sous les rafales.
Un jour de cour avare et ras
Frôle, par à travers les carreaux gras
Et humides d’un soupirail,
Chaque travail.
Automatiques et minutieux,
Des ouvriers silencieux
Règlent le mouvement
D’universel tictaquement
Qui fermente de fièvre et de folie
Et déchiquète, avec ses dents d’entêtement,
La parole humaine abolie.
….Et tout autour, ainsi qu’une ceinture,
Là-bas, de nocturnes architectures,
Voici les docks, les ports, les ponts, les phares
Et les gares folles de tintamarres ;
Et plus lointains encor des toits d’autres usines
Et des cuves et des forges et des cuisines
Formidables de naphte et de résines
Dont les meutes de feu et de lueurs grandies
Mordent parfois le ciel, à coups d’abois et d’incendies.
Au long du vieux canal à l’infini,
Par à travers l’immensité de la misère
Des chemins noirs et des routes de pierre,
Les nuits, les jours, toujours,
Ronflent les continus battements sourds,
Dans les faubourgs,
Des fabriques et des usines symétriques.
L’aube s’essuie
A leurs carrés de suie ;
Midi et son soleil hagard
Comme un aveugle, errent dans le brouillard ;
Seul, quand au bout de la semaine, au soir,
La nuit se laisse en ses ténèbres choir,
L’âpre effort s’interrompt, mais demeure en arrêt,
Comme un marteau sur une enclume,
Et l’ombre, au loin, parmi les carrefours, paraît
De la brume d’or qui s’allume.
24 La Bourse (extraits)
….Tant de rêves, tels des feux roux
Entremêlent leur flamme et leurs remous
De haut en bas du palais fou !
Le gain coupable et monstrueux
S’y resserre comme des nœuds.
On croit y voir une âpre fièvre
Voler, de front en front, de lèvre en lèvre,
Et s’ameuter et éclater
Et crépiter sur les paliers
Et les marches des escaliers.
Une fureur réenflammée
Au mirage du moindre espoir
Monte soudain de l’entonnoir
De bruit et de fumée,
Où l’on se bat, à coups de vols, en bas.
Langues sèches, regards aigus, gestes inverses,
Et cervelles, qu’en tourbillons les millions traversent,
Echangent là leur peur et leur terreur.
La hâte y simule l’audace
Et les audaces se dépassent ;
Les uns confient à des carnets
Leurs angoisses et leurs secrets ;
Cyniquement, tel escompte l’éclair
Qui tue un peuple au bout du monde ;
Les chimères volent dans l’air ;
Les chances fuient ou surabondent ;
Marchés conclus, marchés rompus
Luttent et s’entrebutent en disputes….
…Aus fins des mois, quand les débâcles se décident,
La mort les paraphes de suicides
Et les chutes s’effritent en ruines
Qui s’illuminent
En obsèques exaltatives.
Mais le jour même, aux heures blêmes,
Les volontés, dans la fièvre, revivent ;
L’acharnement sournois
Reprend, comme autrefois.
On se trahit, on se sourit et l’on se mord
Et l’on travaille à d’autres morts……
19 Une statue
Au carrefour des abattoirs et des casernes,
Il apparaît, foudroyant et vermeil,
Le sabre en bel éclair dans le soleil.
Masque d’airain, bicorne d’or ;
Et l’horizon, là-bas, où le combat se tord,
Devant ses yeux hallucinés de gloire !
Un élan fou, un bond brutal
Jette en avant son geste et son cheval
Vers la victoire.
Il est volant comme une flamme,
Ici, plus loin, au bout du monde,
Qui le redoute et qui l’acclame.
Il entraîne, pour qu’en son rêve ils se confondent,
Dieu, son peuple, ses soldats ivres ;
Les astres mêmes semblent suivre,
Si bien que ceux
Qui se liguent pour le maudire
Restent béants : et son vertige emplit les yeux.
Il est de calcul froid, mais de force soudaine :
Des fers de volonté barricadent le seuil
Infrangible de son orgueil.
Il croit en lui- et qu’importe le reste !
Pleurs, cris, affres et noire et formidable fête,
Avec lesquels l’histoire est faite.
Il est la mort fastueuse et lyrique,
Montrée, ainsi qu’une conquête,
Au bout d’une existence eu feu et en tempête.
Il ne regrette rien de ce qu’il accomplit,
Sinon que les ans brefs aillent trop vite
Et que la terre immense soit petite.
Il est l’idole et le fléau :
Le vent qui souffle autour de son front clair
Toucha celui des Dieux armés d’éclairs.
Il sent qu’il passe en brusque orage et que sa destinée
Est de tomber comme un écroulement,
Le jour où son étoile étrange et effrénée,
Cristal rouge, se cassera au firmament.
Au carrefour des abattoirs et des casernes,
Il apparaît, foudroyant et vermeil,
Le sabre en bel éclair dans le soleil.
20 Le port (extraits)
Toute la mer va vers la ville !
Son port est surmonté d’un million de croix :
Vergues transversales barrant de grands mâts droits.
…Son port est ameuté de steamers noirs qui fument
Et mugissent, au fond du soir, sans qu’on les voie.
….Son port est tourmenté de chocs et de fracas
Et de marteaux tonnant dans l’air leurs tintamarres.
Toute la mer va vers la ville !
Les flots qui voyagent comme les vents,
Les flots légers, les flots vivants,
Pour que la ville en feu l’absorbe et le respire
Lui rapportent le monde en leurs navires.
Les Orients et les Midis tanguent vers elle
Et les Nords blancs et la folie universelle
Et tous nombres dont le désir prévoit la somme.
Et tout ce qui s’invente et tout ce que les hommes
Tirent de leurs cerveaux puissants et volcaniques
Tend vers elle, cingle vers elle et vers ses luttes :
Elle est le brasier d’or des humaines disputes,
Elle est le réservoir des richesses uniques
Et les marins naïfs peignent son caducée
Sur leur peau rousse et crevassée,
A l’heure où l’ombre emplit les soirs océaniques.
Toute la mer va vers la ville !
O les Babels enfin réalisées !
Et cent peuples fondus dans la cité commune ;
Et les langues se dissolvant en une ;
Et la ville comme une main, les doigts ouverts,
Se refermant sur l’univers !
Dites ! les docks bondés jusques au faîte
Et la montagne, et le désert, et les forêts,
Et leurs siècles captés comme en des rets ;
Dites ! leurs blocs d’éternité : marbres et bois,
Que l’on achète,
Et que l’on vend au poids ;
Et puis, dites ! les morts, les morts, les morts
Qu’il a fallu pour ces conquêtes.
Toute la mer va vers la ville !….
21 Le spectacle (extraits)
…La scène brille, ainsi qu’un éventail,
Au fond, luisent des minarets d’émail
Et des maisons et des terrasses claires.
Sous les feux bleus des lampadaires,
En rythmes lents d’abord, mais violents soudain,
Se cueillant des baisers et se frôlant les seins,
Se rencontrent les bayadères ;
Des négrillons, coiffés de plumes,
-les dents blanches, couleur d’écume,
En leurs bouches, vulves ouvertes-
Bougent, tous les mêmes, d’après un branle inerte.
Un tambour bat, un son de cor s’entête,
Un fifre cru chatouille un refrain bête,
Et c’est enfin, pour la suprême apothéose,
Un assaut fou débordant sur les planches,
Un étagement d’or, de gorges et de hanches,
D’enlacements crispés et de terribles poses
Et des torses offerts et des robes fendues
Et des grappes de vice entre des fleurs pendues.
Et l’orchestre se meurt ou brusquement halète
Et monte et s’enfle et roule en aquilons ;
Des spasmes sourds sortent des violons ;
Des chiens lascifs semblent japper dans la tempête
Des bassons forts et des gros cuivres ;
Mille désirs naissent, gonflés, pesants, goulus.
On les dirait si lourds que tous, n’en pouvant plus,
Se prostituent en hâte et choient et se délivrent.
16 L’âme de la ville (extraits)
….Et par les quais uniformes et mornes,
Et par les ponts et par les rues,
Se bousculent, en leurs cohues,
Sur des écrans de brumes crues,
Des ombres et des ombres.
….O les siècles et les siècles sur cette ville,
Grande de son passé
Sans cesse ardent- et traversé,
Comme à cette heure, de fantômes !
O les siècles et les siècles sur elle,
Avec leur vie immense et criminelle
Battant- depuis quels temps ?-
Chaque demeure et chaque pierre
De désirs fous ou de colères carnassières !
…Puis l’ébauche, lente à naître, de la cité :
Forces qu’on veut dans le droit seul planter ;
Ongles du peuple et mâchoires de rois ;
Mufles crispés dans l’ombre et souterrains abois
Vers on ne sait quel idéal au fond des nues ;
Tocsins brassant, le soir, des rages inconnues ;
Flambeaux de délivrance et de salut, debout
Dans l’atmosphère énorme où la révolte bout ;
Livres dont les pages, soudain intelligibles,
Brûlent la vérité, comme jadis les Bibles ;
Hommes divins et clairs, tels des monuments d’or
D’où les évènements sortent armés et forts ;
Vouloirs nets et nouveaux, consciences nouvelles
Et l’espoir fou, dans toutes les cervelles,
Malgré les échafauds, malgré les incendies
Et les têtes en sang au bout des poings brandies.
Elle a mille ans la ville,
La ville âpre et profonde ;
Et sans cesse, malgré l’assaut des jours
Et des peuples minant son orgueil lourd,
Elle résiste à l’usure du monde.
Quel océan, ses cœurs ! quel orage, ses nerfs !
Quels nœuds de volontés serrés en son mystère !
Victorieuse, elle absorbe la terre,
Vaincue, elle est l’attrait de l’univers ;
Toujours, en son triomphe ou ses défaites,
Elle apparaît géante, et son cri sonne et son nom luit,
Et la clarté que font ses feux d’or dans la nuit
Rayonne au loin, jusqu’aux planètes !
O les siècles et les siècles sur elle !
….O ce monde de fièvre et d’inlassable essor
Rué, à poumons lourds et haletants,
Vers on ne sait quels buts inquiétants ?
Monde promis pourtant à des lois d’or,
A des lois claires, qu’il ignore encor
Mais qu’il faut, un jour, qu’on exhume,
Une à une, du fond des brumes.
Monde aujourd’hui têtu, tragique et blême
Qui met sa vie et son âme dans l’effort même
Qu’il projette, le jour, la nuit,
A chaque heure, vers l’infini.
O les siècles et les siècles sur cette ville !
Le rêve ancien est mort et le nouveau se forge.
Il est fumant dans la pensée et la sueur
Des bras fiers de travail, des fronts fiers de lueurs,
Et la ville l’entend monter du fond des gorges
De ceux qui le portent en eux
Et le veulent crier et sangloter aux cieux.
Et de partout on vient vers elle,
Les uns des bourgs et les autres des champs,
Depuis toujours, du fond des loins ;
Et les routes éternelles sont les témoins
De ces marches, à travers temps,
Qui se rythment comme le sang
Et s’avivent, continuelles.
….Et qu’importent les maux et les heures démentes,
Et les cuves de vice où la cité fermente,
Si quelque jour, du fond des brouillards et des voiles,
Surgit un nouveau Christ, en lumière sculpté,
Qui soulève vers lui l’humanité
Et la baptise au feu de nouvelles étoiles.
17 Une statue
On le croyait fondateur de la ville,
Venu de pays clairs et lointains,
Avec sa crosse entre les mains,
Et, sur son corps, une bure servile.
Pour se faire écouter il parlait par miracles,
En des clairières d’or, le soir, dans les forêts,
Où Loge et Thor carraient leurs symboles épais
Et tonnaient leurs oracles.
Il était la tristesse et la douceur
Descendue autrefois, à genoux, du calvaire,
Vers les hommes et leur misère
Et vers leur cœur.
Il accueillait l’humanité fragile :
Il lui chantait le paradis sans fin
Et l’endormait dans un rêve divin,
Le front posé sur l’évangile.
Plus tard, le roi, le juge, et le bourreau
Prirent son verbe et le faussèrent ;
Et les textes autoritaires
Apparurent, tels des glaives, hors du fourreau.
Contre la paix qu’il avait inclinée
Vers tous, de son geste clément,
La vie, avec des cris et des sursauts déments,
Brusque et rouge, fut dégainée
Mais lui resta le clair apôtre au front vermeil,
Aux yeux remplis de patience et d’indulgence,
Et la pieuse et populaire intelligence
Puisait auprès de lui la force et le conseil.
On l’invoquait pour les fièvres et pour les peines,
On le fêtait en mai, au soir tombant,
Et les mères et les vieillards et les enfants
Venaient baigner leurs maux dans l’eau de sa fontaine.
Son nom large et sonore d’amour
Marquait la fin des longues litanies
Et des complaintes infinies
Que l’on chantait, depuis toujours.
Il se perpétuait près d’un portail roman,
En une image usée et tremblotante,
Qui écoutait, dans la poitrine
Haletante des tours,
Les bourdons lourds clamer au firmament.
18 Les cathédrales extraits)
…O ces foules, ces foules,
Et la misère et la détresse qui les foulent !
Voici les corps usés, voici les cœurs fendus,
Voici les cœurs lamentables des veuves
En qui les larmes pleuvent
Continûment, depuis des ans.
O ces foules, ces foules,
Et la misère et la détresse qui les foulent !
Voici les mousses et les marins du port
Dont les vagues monstrueuses bercent le sort.
O ces foules, ces foules,
Et la misère et la détresse qui les foulent !
Voici les travailleurs cassés de peine,
Aux six coups de marteaux des jours de la semaine.
O ces foules, ces foules
Et la misère et la détresse qui les foulent !
Voici les enfants las de leur sang morne
Et qui mendient et qui s’offrent au coin des bornes.
…Pourtant, dès que s’éteignent les grands cierges
Et les lampes veillant le cœur des saintes vierges,
Un deuil d’encens évaporé flotte et s’empreint
Sur les châsses d’argent et les tombeaux d’airain ;
Et les vitraux, peuplés de siècles rassemblés
Devant le Christ- avec leurs papes immobiles
Et leurs martyrs et leurs héros- semblent trembler
Au bruit d’un train lointain qui roule sur la ville.
13 Le fléau (extraits)
La Mort a bu du sang
Au cabaret des Trois Cercueils.
La Mort a mis sur le comptoir
Un écu noir,
-« C’est pour les cierges et pour les deuils. »
Des gens s’en sont allés
Tout lentement
Chercher le sacrement.
On a vu cheminer le prêtre
Et les enfants de chœur,
Vers les maisons de l’affre et du malheur
Dont on fermait toutes fenêtres.
La Mort a bu du sang.
Elle en est soûle.
-« Notre Mère la Mort, pitié ! pitié !
Ne bois ton verre qu’à moitié,
Notre Mère la Mort, c’est nous les mères.
C’est nous les vieilles à manteaux,
Avec nos cœurs, avec nos maux,
Qui marmonnons du désespoir
En chapelets interminables ;
Notre Mère la Mort, pitié ! pitié !
C’est nous les béquillantes et minables
Vieilles, tannées
Par la misère et les années :
Nos corps sont prêts pour tes tombeaux,
Nos seins sont prêts pour tes couteaux. »
-La Mort, dites, les bonnes gens,
La Mort est soûle :
Sa tête oscille et roule
Comme une boule.
La Mort a bu du sang
Comme un vin frais et bienfaisant ;
La Mort a mis sur le comptoir
Un écu noir,
Elle en voudra pour ses argents
Au cabaret des pauvres gens.
….La Mort, dites, les vieux verbeux ,
La Mort est soûle,
Comme un flacon qui roule
Sur la pente des chemins creux.
La Mort n’a pas besoin
De votre mort au bout du monde,
C’est au pays qu’elle enfonce la bonde
Du tonneau rouge.
…« Dame la Mort, c’est moi, la Sainte Vierge
Qui fis promesse aux gens d’ici
De m’en venir crier merci
Dans leurs détresses et leurs peines ;
Dame la Mort, c’est moi la Sainte Vierge. »
-La Mort, dites, la bonne Dame,
Se sent au cœur comme une flamme
Qui, de là, monte à son cerveau.
La Mort a soif de sang nouveau.
La Mort est soûle,
Un seul désir comme une houle,
Remplit sa brumeuse pensée.
La Mort n’est point celle qu’on éconduit
Avec un peu de prière et de bruit,
La Mort s’est lentement lassée
D’avoir pitié du désespoir ;
Bonne Vierge des reposoirs,
La Mort est soûle
Et sa fureur, hors des ornières,
Par les chemins des cimetières,
Bondit et roule
Comme une boule.
-« La Mort, c’est moi, Jésus, le Roi,
Qui te fis grande ainsi que moi
Pour que s’accomplisse la loi
Des choses en ce monde…… »
-La Mort, dites, le Seigneur Dieu,
Est assise, près d’un bon feu,
Dans une auberge où le vin coule
Et n’entend rien, tant elle est soûle.
Elle a sa faux et Dieu a son tonnerre.
En attendant, elle aime à boire et le fait voir
A quiconque voudrait s’asseoir,
Côte à côte, devant un verre.
Jésus, les temps sont vieux,
Et chacun boit comme il le peut
Et qu’importent les vêtements sordides
Lorsque le sang nous fait les dents splendides.
Et la Mort s’est mise à boire, les pieds au feu ;
Elle a même laissé s’en aller Dieu
Sans se lever sur son passage ;
Si bien que ceux qui la voyaient assise
Ont cru leur âme compromise.
Durant des jours et puis des jours encor, la Mort
A fait des dettes et des deuils,
Au cabaret des Trois cercueils ;
Puis, au matin, elle a ferré son cheval d’os,
Mis son bissac au creux du dos
Pour s’en aller à travers la campagne.
De chaque bourg et de chaque village,
Les gens s’en sont venus vers elle avec du vin,
Pour qu’elle n’ait ni soif, ni faim,
Et ne fît halte au coin des routes ;
Les vieux portaient de la viande et du pain,
Les femmes des paniers et des corbeilles
Et les fruits clairs de leur verger,
Et les enfants portaient des miels d’abeilles.
La Mort a cheminé longtemps,
Par le pays des pauvres gens,
Sans trop vouloir, sans trop songer,
La tête soûle
Comme une boule.
Elle portait une loque de manteau roux,
Avec de grands boutons de veste militaire,
Un bicorne piqué d’un plumet réfractaire
Et des bottes jusqu’aux genoux.
Son fantôme de cheval blanc
Cassait un vieux petit trop lent
De bête ayant la goutte
Sur les pierres de la grand’route ;
Et les foules suivaient vers n’importe où
Le grand squelette aimable et soûl
Qui souriait à leur panique
Et qui sans crainte et sans horreur
Voyait se tordre, au creux de sa tunique,
Un trousseau de vers blancs qui lui tétaient le cœur.
14 Le départ (extraits)
Traînant leurs pas après leurs pas
Le front pesant et le cœur las,
S’en vont, le soir, par la grand’route,
Les gens d’ici, buveurs de pluie,
Lécheurs de vent, fumeurs de brume.
Les gens d’ici n’ont rien de rien,
Rien devant eux
Que l’infini de la grand’route.
….Les gens d’ici ont peur de l’ombre sur leurs champs,
De la lune sur leurs étangs,
D’un oiseau mort contre une porte ;
Les gens d’ici ont peur des gens.
…Avec leur chat, avec leur chien,
Avec l’oiseau dans une cage,
Avec, pour vivre, un seul moyen :
Boire son mal, taire sa rage ;
Les pieds usés, le cœur moisi,
Les gens d’ici,
Quittant leur gîte et leur pays,
S’en vont, ce soir, vers l’infini.
…Suivent les gars des bordes,
Les bras maigres comme des cordes,
Sans plus d’orgueil, sans même plus
Le moindre élan vers les temps révolus
Et le bonheur des autrefois,
Sans plus la force en leurs dix doigts
De se serrer en poing contre le sort
Et la colère de la mort.
Les gens des champs, les gens d’ici
Ont du malheur à l’infini.
…Ainsi s’en vont bêtes et gens d’ici,
Par le chemin de ronde
Qui fait dans la détresse et dans la nuit,
Immensément le tour du monde,
Venant, dites, de quels lointains,
Par à travers les vieux destins,
Passant les bourgs et les bruyères,
Avec, pour seul repos, l’herbe des cimetières,
Allant, roulant, faisant des nœuds
De chemins noirs et tortueux,
Hiver, automne, été, printemps,
Toujours lassés, toujours partant
De l’infini pour l’infini.
Tandis qu’au loin, là-bas,
Sous les cieux lourds, fuligineux et gras,
Avec son front comme un Thabor,
Avec ses suçoirs noirs et ses rouges haleines
Hallucinant et attirant les gens des plaines,
C’est la ville que la nuit formidable éclaire,
La ville en plâtre, en stuc, en bois, en fer, en or,
-Tentaculaire.
15 La plaine
La plaine est morne, avec ses clos, avec ses granges
Et ses fermes dont les pignons sont vermoulus,
La plaine est morne et lasse et ne se défend plus,
La plaine est morne et morte- et la ville la mange.
Formidables et criminels,
Les bras des machines diaboliques,
Fauchant les blés évangéliques,
Ont effrayé le vieux semeur mélancolique
Dont le geste semblait d’accord avec le ciel.
L’ordre fumée et ses haillons de suie
Ont traversé le vent et l’ont sali :
Un soleil pauvre et avili
S’est comme usé en de la pluie.
Et maintenant, où s’étageaient les maisons claires
Et les vergers et les arbres parsemés d’or,
On aperçoit, à l’infini, du sud au nord,
La noire immensité des usines rectangulaires.
Telle une bête énorme et taciturne
Qui bourdonne derrière un mur,
Le ronflement s’entend, rythmique et dur,
Des chaudières et des meules nocturnes ;
Le sol vibre, comme s’il fermentait,
Le travail bout comme un forfait,
L’égout charrie une fange velue
Vers la rivière qu’il pollue ;
Un supplice d’arbres écorchés vifs
Se tord, bras convulsifs,
En façade, sur le bois proche ;
L’ortie épuise au cœur les sablons et les oches,
Et des fumiers, toujours plus hauts, de résidus
-Ciments huileux, plâtras pourris, moellons fendus-
Au long de vieux fossés et de berges obscures
Lèvent, le soir, des monuments de pourriture.
Sous des hangars tonnants et lourds,
Les nuits, les jours,
Sans air ni sans sommeil,
Des gens peinent loin du soleil :
Morceaux de vie en l’énorme engrenage,
Morceaux de chair fixée, ingénieusement,
Pièce par pièce, étage par étage,
De l’un à l’autre bout du vaste tournoiement.
Leurs yeux sont devenus les yeux de la machine ;
Leur corps entier : front, col, torse, épaules, échine,
Se plie aux jeux réglés du fer et de l’acier ;
Leurs mains et leurs dix doigts courent sur des claviers
Où cent fuseaux de fil tournent et se dévident ;
Et mains promptes et doigts rapides
S’usent si fort,
Dans leur effort
Sur la matière carnassière,
Qu’ils y laissent, à tout moment,
Des empreintes de rage et des gouttes de sang.
Dites ! l’ancien labeur pacifique, dans l’Août
Des seigles mûrs et des avoines rousses,
Avec les bras au clair, le front debout,
Quand l’or des blés ondule et se retrousse
Vers l’horizon torride où le silence bout.
Dites ! le repos tiède et les midis élus,
Tressant de l’ombre pour les siestes,
Sous les branches, dont les vents prestes
Rythment, avec lenteur, les grands gestes feuillus.
Dites, la plaine entière ainsi qu’un jardin gras,
Toute folle d’oiseaux éparpillés dans la lumière,
Qui la chantent, avec leurs voix plénières,
Si près du ciel qu’on ne les entend pas.
Mais aujourd’hui, la plaine ?- elle est finie ;
La plaine est morne et ne se défend plus :
Le flux des ruines et leur reflux
L’ont submergée, avec monotonie.
On ne rencontre, au loin, qu’enclos rapiécés
Et chemins noirs de houille et de scories
Et squelettes de métairies
Et trains coupant soudain les villages en deux.
Les Madones ont tu leurs voix d’oracle
Au coin du bois, parmi les arbres ;
Et les vieux saints et leurs socles de marbre
Ont chu dans les fontaines à miracles.
Et tout est là, comme des cercueils vides,
-Seuils et murs lézardés et toitures fendues-
Et tout se plaint ainsi que les âmes perdues
Qui sanglotent le soir dans la bruyère humide.
Hélas ! la plaine, hélas ! elle est finie !
Et ses clochers sont morts et ses moulins perclus.
La plaine, hélas ! elle a toussé son agonie
Dans les derniers hoquets d’un angelus.
10 Chanson de fou
Vous aurez beau crier contre la terre,
La bouche dans le fossé,
Jamais aucun des trépassés
Ne répondra à vos clameurs amères.
Ils sont bien morts, les morts,
Ceux qui firent jadis la campagne féconde ;
Ils font l’immense entassement de morts
Qui pourrissent, aux quatre coins du monde,
Les morts.
Alors
Les champs étaient maîtres des villes,
Le même esprit servile
Ployait partout les fronts et les échines,
Et nul encor ne pouvait voir
Dressés, au fond du soir,
Les bras hagards et formidables des machines.
Vous aurez beau crier contre la terre,
La bouche dans le fossé :
Ceux qui jadis étaient les trépassés
Sont aujourd’hui, jusqu’au fond de la terre,
Les morts.
11 Les mendiants (extraits)
….Dans le matin, lourds de leur nuit,
Ils s’enfoncent au creux des routes,
Avec leur pain trempé de pluie
Et leur chapeau comme la suie
Et leurs grands dos comme des voûtes
Et leurs pas lents rythmant l’ennui ;
Midi les arrête dans les fossés
Pour leur repas ou leur sieste ;
On les dirait immensément lassés
Et résignés aux mêmes gestes ;
Pourtant, au seuil des fermes solitaires,
Ils surgissent, parfois, tels des filous,
Le soir, dans la brusque lumière
D’une porte ouverte tout à coup.
Les mendiants ont l’air de fous.
Ils s’avancent, par l’âpreté
Et la stérilité du paysage,
Qu’ils reflètent, au fond des yeux
Tristes de leur visage ;
Avec leurs hardes et leurs loques
Et leur marche qui les disloque,
L’été, parmi les champs nouveaux,
Ils épouvantent les oiseaux ;
Et maintenant que Décembre sur les bruyères
S’acharne et mord
Et gèle, au fond des bières,
Les morts,
Un à un, ils s’immobilisent
Sur des chemins d’église,
Mornes, têtus et droits,
Les mendiants, comme des croix.
Avec leur dos comme un fardeau
Et leur chapeau comme la suie,
Ils habitent les carrefours
Du vent et de la pluie.
Ils sont le monotone pas
-Celui qui vient et qui s’en va
Toujours le même et jamais las-
De l’horizon vers l’horizon.
Ils sont l’angoisse et le mystère
Et leurs bâtons sont les battants
Des cloches de misère
Qui sonnent à mort sur la terre.
Aussi, lorsqu’ils tombent enfin,
Séchés de soif, troués de faim,
Et se terrent comme des loups,
Au fond d’un trou,
Ceux qui s’en viennent
Après les besognes quotidiennes,
Ensevelir à la hâte leur corps
Ont peur de regarder en face
L’éternelle menace
Qui luit sous leur paupière, encor.
12 Chanson de fou
Je suis celui qui vaticine
Comme les tours tocsinent.
J’ai vu passer à travers champs
Trois linceuls blancs
Qui s’avançaient, comme des gens.
Ils portaient des torches ignées,
Des faux blanches et des cognées.
Peu importe l’homme qu’on soit,
Moi seul je vois
Les maux qui dans les cieux flamboient.
Le sol et les germes sont condamnés,
-Vœux et larmes sont superflus-
Bientôt,
Les corbeaux noirs n’en voudront plus,
Ni la taupe ni le mulot.
Je suis celui qui vaticine
Comme les tours tocsinent.
Les fruits des espaliers se tuméfient
Dans les feuillages noirs ;
Les pousses jeunes s’atrophient ;
Les grains dans les semoirs,
Subitement, fermentent ;
Le soleil ment, les saisons mentent ;
Le soir, sur les plaines envenimées,
C’est un vol d’ailes allumées
De soufre roux et de fumées.
J’ai vu des linceuls blancs
Entrer, comme des gens,
Qu’un même vouloir coalise,
L’un après l’autre, dans l’église ;
Ceux qui priaient au chœur,
Manquant de force et de ferveur,
Les mains lâches s’en sont allés.
Et depuis lors, moi seul j’entends
Baller
La nuit, le jour, toujours,
La fête
Des tocsins fous contre ma tête.
Je suis celui qui vaticine
Ce que les tours tocsinent.
Au long des soirs et des années
Les fronts et les bras obstinés
Se buteront en vain aux destinés ;
Irrémissiblement
Le sol et les germes sont damnés.
Dire le temps que durera leur mort ?
Et si l’heure resurgira
Où le vrai pain vaudra,
Sous les cieux purs de la vieille nature,
L’antique effort ?
Mais il ne faut jamais conclure.
En attendant voici que passent
A travers champs,
D’autres linceuls vides et blancs
Qui se parlent comme des gens.
07 Chanson de fou (extraits)
Brisez-leur pattes et vertèbres,
Chassez les rats, les rats.
Et puis versez du froment noir,
Le soir,
Dans les ténèbres.
Jadis, lorsque mon cœur cassa,
Une femme le ramassa
Pour le donner aux rats.
Brisez-leur pattes et vertèbres.
L’un deux, je l’ai senti
Grimper sur moi la nuit,
Et mordre encor le fond du trou
Que fit, dans ma poitrine,
L’arrachement de mon cœur fou.
Brisez-leur pattes et vertèbres.
Ma tête à moi les vents y passent,
Les vents qui passent sous la porte,
Et les rats noirs de haut en bas
Peuplent ma tête morte….
08 Les fièvres (extraits)
….Sous leurs torchis qui se lézardent,
Les chaumières, là-bas, regardent
Comme des bêtes qui ont peur,
Et seuls les grands oiseaux d’espace
Jettent sur les enclos sans fleurs
Le cri des angoisses qui passent.
L’heure est venue où les soirs mous
Pèsent sur les terres gangrenées,
Où les marais visqueux et blancs,
Dans leurs remous,
A longs bras lents,
Brassent les fièvres empoisonnées.
…Des crapauds noirs, à fleur de boue,
Gonflent leur peau que deux yeux trouent…
…De la vase profonde et jaune
D’où s’érigent, longues d’une aune,
Les herbes d’eaux,
Des brouillards lents comme des traînes
Déplient leur flottement, parmi les draines ;
On les peut suivre, à travers champs,
Vers les chaumes et les murs blancs ;
Leurs fils subtils de pestilence
Tissent la robe de silence,
Gaze verte, tulle blême,
Avec laquelle, au loin, la fièvre se promène,
La fièvre,
Elle est celle qui marche,
Sournoisement, courbée en arche,
Et personne n’entend son pas.
Si la poterne des fermes ne s’ouvre pas,
Si la fenêtre est close,
Elle pénètre quand même et se repose,
Sur la chaise des vieux que les ans ploient,
Dans les berceaux où les petits larmoient
Et quelquefois elle se couche
Aux lits profonds où l’on fait souche.
Avec ses vieilles mains dans l’âtre encor rougeâtres,
Elle attise les maladies
Non éteintes, mais engourdies ;
Elle se mêle au pain qu’on mange,
A l’eau morne changée en fange ;
Elle monte jusqu’aux greniers,
Dort dans les sacs et les paniers
Où s’entassent mille loques à vendre ;
Puis, un matin, de palier en palier
On écoute son pas sinistre et régulier
Descendre.
Inutiles, vœux et pèlerinages
Et seins où l’on abrite les petits
Et bras en croix vers les images
Des bons anges et des vieux Christs.
Le mal hâve s’est installé dans la demeure.
Il vient, chaque vesprée, à tel moment,
Déchiqueter la plainte et le tourment,
Au régulier tic-tac de l’heure ;
Et l’horloge surgit déjà
Comme quelqu’un qui sonnera,
Lorsque viendra l’instant de la raison finie,
L’agonie.
En attendant, les mois se passent à languir.
Les malades rapetissés,
Leurs genoux lourds, leurs bras cassés,
Avec, en main, leurs chapelets,
Quittant leur lit, s’y recouchant,
Fuyant la mort et la cherchant,
Bégaient et vacillent leurs plaintes,
Pauvres lumières, presque éteintes.
Ils se traînent de chaumière en chaumière
Et d’âtre en âtre,
Se voir et doucement s’apitoyer,
Sur la dîme d’hommes qu’il faut payer,
Atrocement, à leur terre marâtre ;
Des silences profonds coupent les litanies
De leurs misères infinies ;
Et quelquefois, ils se regardent
Au jour douteux de la fenêtre,
Sans rien se dire, avec des pleurs,
Comme s’ils voulaient se reconnaître
Lorsque leurs yeux seront ailleurs.
Ils se sentent de trop autour des tables
Où l’on mange rapidement
Un repas pauvre et lamentable ;
Leur cœur se serre, atrocement,
On les isole et les bêtes les flairent
Et les jurons et les colères
Volent autour de leur tourment.
Aussi, lorsque la nuit, ne dormant pas,
Ils s’agitent entre leurs draps,
Songeant qu’aux alentours, de village en village,
Les brouillards blancs sont en voyage,
Voudraient-ils ouvrir la porte
Pour que d’un coup la fièvre les emporte,
Vers les marais des landes
Où les mousses et les herbes s’étendent
Comme un tissu pourri de muscles et de glandes
Où s’écoute, comme un hoquet,
Un flot pâteux miner la rive,
Où leur corps mort, comme un paquet,
Choirait dans l’eau de bile et de salive…..
09 Le péché
Sur sa butte que le vent gifle,
Il tourne et fauche et ronfle et siffle,
Le vieux moulin des péchés vieux
Et des forfaits astucieux.
Il geint des pieds jusqu’à la tête,
Sur fond d’orage et de tempête,
Lorsque l’automne et les nuages
Frôlent son toit de leurs voyages.
Sur la campagne abandonnée
Il apparaît une araignée
Colossale, tissant ses toiles
Jusqu’aux étoiles.
C’est le moulin des vieux péchés.
Qui l’écoute, parmi les routes,
Entend battre le cœur du diable,
Dans sa carcasse insatiable.
Un travail d’ombre et de ténèbres
S’y fait, pendant les nuits funèbres
Quand la lune fendue
Gît là, sur le carreau de l’eau,
Comme une hostie atrocement mordue.
C’est le moulin de la ruine
Quii moud le mal et le répand aux champs
Infini, comme une bruine.
Ceux qui sournoisement écornent
Le champ voisin en déplaçant les bornes ;
Ceux qui, valets d’autrui, sèment l’ivraie
Au lieu de l’orge vraie ;
Ceux qui jettent les poisons verts dans l’eau
Où l’on amène le troupeau ;
Ceux qui, par les nuits seules,
En brasiers d’or font éclater les meules,
Tous passèrent par le moulin.
Encore :
Les vieux jeteurs de sorts et les sorcières
Que vont trouver les filles-mères ;
Ceux qui cachent dans les fourrés
Leurs ruts sinistrement vociférés ;
Ceux qui n’aiment la chair que si le sang
Gicle aux yeux, frais et luisant ;
Ceux qui s’entr’égorgent, à couteaux rouges,
Volets fermés, au fond des bouges :
Ceux qui scrutent l’espace
Avec, au bout du poing, la mort pour tel qui passe,
Tous passèrent par le moulin.
Aussi :
Les vagabonds qui habitent des fosses
Avec leurs filles qu’ils engrossent ;
Les fous qui choisissent des bêtes
Pour assouvir leur rage et ses tempêtes ;
Les mendiants qui déterrent les mortes
Atrocement et les emportent ;
Les couples noirs, pervers et vieux,
Qui instruisent l’enfant à coucher entre eux deux ;
Tous passèrent par le moulin.
Tous sont venus, sournoisement,
Choisissant l’heure et le moment,
Avec leurs chiens et leurs brouettes,
Et leurs ânes et leurs charrettes ;
Tous sont venus, jeunes et vieux,
Pour emporter jusque chez eux
Le mauvais grain, coûte que coûte ;
Et quand ils sont redescendus
Par les sentes du haut talus,
Les grand’routes charriaient toutes
Infiniment, comme des veines,
Le sang du mal, parmi les plaines.
Et le moulin tournait au fond des soirs
La grande croix de ses bras noirs,
Avec des feux, comme des yeux,
Dans l’orbite de ses lucarnes
Dont les rayons gagnaient les loins.
Parfois s’illuminaient des coins,
Là-bas, dans la campagne morne,
Et l’on voyait les porteurs gourds,
Ployant au faix des péchés lourds,
Hagards et las, buter de borne en borne.
04 Le donneur de mauvais conseils (extraits)
Par les chemins bordés de pueils
Rôde en maraude
Le donneur de mauvais conseils.
La vieille carriole aux tons groseille
Qui l’emmena, on ne sait d’où,
Une folle la garde et la surveille,
Au carrefour des chemins mous.
Le cheval paît l’herbe d’automne,
Près d’une mare monotone,
Dont l’eau livide réverbère
Le ciel de pluie et de misère
Qui tombe en loques sur la terre.
Le donneur de mauvais conseils
Est attendu dans le village,
A l’heure où tombe le soleil.
Il est le visiteur oblique et louche
Qui, de ferme en ferme, s’abouche,
Quand la détresse et la ruine
Se rabattent sur les chaumines.
Il est celui qui frappe à l’huis,
Tenacement, et vient s’asseoir
Lorsque le hâve désespoir
Fixe ses regards droits
Sur le feu mort des âtres froids.
Il vaticine et il marmonne,
Toujours ardent et monotone,
Prenant à part chacun de ceux
Dont les arpents sont cancéreux
Et les épargnes infécondes
Et les poussant à tout quitter,
Pour un peu d’or qu’ils entendent tinter
En les villes, là-bas, au bout du monde.
A qui, devant sa lampe éteinte,
Seul avec soi, quand minuit tinte,
S’en va tâtant aux murs de sa chaumière
Les trous qu’y font les vers de la misère,
Sans qu’un secours ne lui vienne jamais,
Il conseille d’aller, au fond de l’eau,
Mordre soudain les exsangues reflets
De sa face dans un marais.
Il pousse au mal la fille ardente,
Avec du crime au bout des doigts,
Avec des yeux comme la poix
Et des regards qui violentent.
Il attise en son cœur le vice
A mots cuisants et rouges,
Pour qu’en elle la femelle et la gouge
Biffent la mère et la nourrice
Et que sa chair soit aux amants,
Morte, comme ossements et pierres,
Au cimetière.
…Et pour conclure il verse à tous
Un peu du fiel de son vieux cœur
Pourri de haine et de rancœur ;
Et désigne le rendez-vous,
-Quand ils voudront- au coin des bordes,
Où, près de l’arbre, ils trouveront
Pour se brancher un bout de corde.
Ainsi va-t-il de ferme en ferme ;
Plus volontiers, lorsque le terme
Au bahut vide inscrit sa date,
Le corps craquant comme des lattes,
Le cou maigre, le pas traînant,
Mais inusable et permanent,
Avec sa pauvre carriole,
Avec sa bête, avec sa folle,
Qui l’attendent, jusqu’au matin,
Au carrefour des vieux chemins.
05 Chanson de fou
Je les ai vus, je les ai vus,
Ils passaient, par les sentes,
Avec leurs yeux, comme des fentes,
Et leurs barbes, comme du chanvre.
Deux bras de paille,
Un dos de foin,
Blessés, troués, disjoints,
Ils s’en venaient des loins,
Comme d’une bataille.
Un chapeau mou sur leur oreille,
Un habit vert comme l’oseille ;
Ils étaient deux, ils étaient trois,
J’en ai vu dix, qui revenaient du bois.
L’un deux a pris mon âme
Et mon âme comme une cloche
Vibre en sa poche.
L’autre a pris ma peau
-Ne le dites à personne-
Ma peau de vieux tambour
Qui sonne.
Un paysan est survenu
Qui nous piqua dans le sol nu,
Eux tous et moi, vieilles défroques,
Dont les enfants se moquent.
06 Pèlerinage (extraits)
Où sont les vieux paysans noirs
Par les chemins en or des soirs ?
A grands coups d’ailes affolées,
En leurs toujours folles volées,
Les moulins fous fauchent le vent.
…Par la campagne en grand deuil d’or,
Où sont les vieux silencieux ?
Quelqu’un a dû frapper l’été
De mauvaise fécondité :
Le blé haut ne fut que paille,
Les bonnes eaux n’ont point coulé
Par les veines du champ brûlé ;
Quelqu’un a dû frapper les sources ;
Quelqu’un a dû sécher la vie,
Comme une gorge inassouvie
Vide d’un trait le fond d’un verre.
Par la campagne en grand deuil d’or,
Où sont les vieux et leur misère ?
….Le Satan noir des champs brûlés
Et des fermiers ensorcelés
Qui font des croix de la main gauche,
Ce soir, à l’heure où l’horizon est rouge
Contre un arbre dont rien ne bouge,
Depuis une heure est accoudé.
Les vieux ont pu l’apercevoir,
Avec ses yeux dardés vers eux,
D’entre ses cils de chardons morts.
Ils ont senti qu’il écoutait
Les silences de leur souhait
Et leur prière uniquement pensée.
….La bête est morte atrocement,
Pendant qu’au long des champs muets,
Sous le gel rude et le vent froid,
Chacun, par un chemin à soi,
Sans rien savoir s’en revenait.
01 La ville (extraits)
Tous les chemins vont vers la ville.
Du fond des brumes,
Avec tous ses étages en voyage
Jusques au ciel, vers de plus hauts étages,
Comme d’un rêve elle s’exhume.
Là-bas,
Ce sont des ponts musclés de fer,
Lancés, par bonds, à travers l’air ;
Ce sont des blocs et des colonnes
Que dévorent Sphinx et Gorgones ;
Ce sont des tours sur des faubourgs ;
Ce sont des millions de toits
Dressant au ciel leurs angles droits :
C’est la ville tentaculaire,
Debout,
Au bout des plaines et des domaines.
Des clartés rouges
Qui bougent
Sur des poteaux et des grands mâts,
Même à midi, brûlent encor
Comme des oeufs de pourpre et d’or ;
Le haut soleil ne se voit pas :
Bouche de lumière, fermée
Par le charbon et la fumée.
Un fleuve de naphte et de poix
Bat les môles de pierre et les pontons de bois ;
Les sifflets crus des navires qui passent
Hurlent de peur dans le brouillard ;
Un fanal vert est leur regard
Vers l’océan et les espaces…….
Les bars ouvrent sur les trottoirs
Leurs tabernacles de miroir….
Places, bazars, gares, marchés,
Exaspèrent si fort leur vaste turbulence
Que les mourants cherchent en vain le moment de silence
Qu’il faut aux yeux pour se fermer….
La ville au loin s’étale et domine la plaine
Comme un nocturne et colossal espoir ;
Elle surgit : désir, splendeur, hantise ;
Sa clarté se projette en lueurs jusqu’aux cieux….
Ses murs se dessinent pareils à une armée
Et ce qui vient d’elle encor de brume et de fumée
Arrive en appels clairs vers les campagnes.
C’est la ville tentaculaire,
La pieuvre ardente et l’ossuaire
Et la carcasse solennelle.
Et les chemins d’ici s’en vont à l’infini
Vers elle.
02 Les plaines (extraits)
Sous la tristesse et l’angoisse des cieux
Les lieues
S’en vont autour des plaines ;
Sous les cieux bas
Dont les nuages traînent
Immensément, les lieues
Se succèdent, là-bas….
…Ils vont de plaine en plaine,
Depuis toujours, à travers temps.
Les précèdent ou bien les suivent
Les charrettes dont les convois dérivent
Vers les hameaux et les venelles,
Les charrettes perpétuelles,
Grinçant le lamentable cri,
Le jour, la nuit
De leurs essieux vers l’infini.
C’est la plaine, la plaine.
Immensément, à perdre haleine.
…Aux alentours, ni trèfle vert, ni luzerne rougie,
Ni lin, ni blé, ni frondaisons, ni germes ;
Depuis longtemps, l’arbre, par la foudre cassé,
Monte, devant le seuil usé,
Comme un malheur en effigie.
C’est la plaine, la plaine blême,
Interminablement, toujours la même.
Par au-dessus, souvent,
Rage si fort le vent
Que l’on dirait le ciel fendu
Aux coups de boxe
De l’équinoxe.
Novembre hurle, ainsi qu’un loup
Au coin des bois, par le soir fou.
Les ramilles et les feuilles gelées
Passent giflées
Sur la mare, dans les allées….
C’est la plaine, la plaine
Où ne vague que crainte et peine.
…Comme le sol, les eaux sont mortes ;
Parmi les îles, en escortes
Vers la mer, où les anses encor se mirent,
Les haches et les marteaux voraces
Dépècent les carcasses
Lamentables des vieux navires.
C’est la plaine, la plaine
Sinistrement, à perdre haleine,
C’est la plaine et sa démence
Que sillonnent des vols immenses
De cormorans criant la mort
A travers l’ombre et la brume des Nords….
03 Chanson de fou
Le crapaud noir sur le sol blanc
Me fixe indubitablement
Avec des yeux plus grands que n’est grande sa tête ;
Ce sont les yeux qu’on m’a volés
Quand mes regards s’en sont allés,
Un soir, que je tournai la tête.
Mon frère ? – il est quelqu’un qui ment,
Avec de la farine entre ses dents ;
C’est lui, jambes et bras en croix,
Qui tourne au loin, là-bas,
Qui tourne au vent,
Sur ce moulin de bois.
Et celui-ci, c’est mon cousin
Qui fut curé et but si fort du vin
Que le soleil en devint rouge ;
J’ai su qu’il habitait un bouge,
Avec des morts, dans ses armoires.
Car nous avons pour génitoires
Deux cailloux
Et pour monnaie un sac de poux,
Nous, les trois fous,
Qui épousons, au clair de lune,
Trois folles dames, sur la dune.

La fileuse

Assise, la fileuse au bleu de la croisée

Où le jardin mélodieux se dodeline ;

Le rouet ancien qui ronfle l’a grisée.

Lasse, ayant bu l’azur, de filer la câline

Chevelure, à ses doigts si faibles évasive,

Elle songe, et sa tête petite s’incline.

Un arbuste et l’air pur font une source vive

Qui, suspendue au jour, délicieuse arrose

De ses pertes de fleurs le jardin de l’oisive.

Une tige, où le vent vagabond se repose,

Courbe le salut vain de sa grâce étoilée,

Dédiant magnifique, au vieux rouet, sa rose.

Mais la dormeuse file une laine isolée ;

Mystérieusement l’ombre frêle se tresse

Au fil de ses doigts longs et qui dorment, filée.

Le songe se dévide avec une paresse

Angélique, et sans cesse, au doux fuseau crédule,

La chevelure ondule au gré de la caresse…

Derrière tant de fleurs, l’azur se dissimule,

Fileuse de feuillage et de lumière ceinte :

Tout le ciel vert se meurt. Le dernier arbre brûle.

Ta sœur, la grande rose où sourit une sainte,

Parfume ton front vague au vent de son haleine

Innocente, et tu crois languir… Tu es éteinte

Au bleu de la croisée où tu filais la laine.

L’ingénue
D’une amitié passionnée
Vous me parlez encor,
Azur, aérien décor,
Montagne Pyrénée,
Où me trompa si tendrement
Cette ardente ingénue
Qui mentait, fût-ce toute nue,
Sans rougir seulement.
Au lieu que toi, sublime enceinte,
Tu es couleur du temps :
Neige en Mars ; roses du printemps….
Août, sombre hyacinthe.
L’immortelle, et l’œillet de mer
Qui pousse dans le sable,
La pervenche trop périssable,
Ou ce fenouil amer
Qui craquait sous la dent des chèvres
Ne vous en souvient-il,
Ni de la brise au sel subtil
Qui nous brûlait aux lèvres ?
Toute allégresse a son défaut
Et se brise elle-même.
Si vous voulez que je vous aime,
Ne riez pas trop haut.
C’est à voix basse qu’on enchante
Sous la cendre d’hiver
Ce cœur, pareil au feu couvert,
Qui se consume et chante.
Romances sans musique
a-En Arles
Dans Arle, où sont les Aliscams,
Quand l’ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,
Prends garde à la douceur des choses.
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton cœur trop lourd ;
Et que se taisent les colombes :
Parle tout bas, si c’est d’amour,
Au bord des tombes.
b-Les trois dames d’Albi
Filippa, Faïs, Esclarmonde,
Les plus rares, que l’on put voir,
Beautés du monde ;
Mais toi si pâle encor d’avoir
Couru la lune l’autre soir
Aux quatrerues,
Ecoute : au bruit noir des chansons
Satan flagelle tes sœurs nues ;
Viens, et dansons.
c-Plus oultre
Au mois d’aimer, au mois de Mai,
Quand Zo’ va cherchant sous les branches
Le bien-aimé,
Son jupon, tendu sur les hanches,
Me fait songer à l’aile blanche
Du voilier :
Mers qui battez au pied des mornes
Et dont un double Pilier
Dressa les bornes.
d-Le temps d’Adonis
Dans la saison qu’Adonis fut blessé,
Mon cœur aussi de l’atteinte soudaine
D’un regard lancé.
Hors de l’abyme où le temps nous entraîne,
T’évoquerai-je, ô belle, en vain- ô vaines
Ombres, souvenirs.
Ah ! dans mes bras qui pleurais demi-nue,
Certe serais encore, à revenir,
Ah ! la bienvenue.
Sans titre
Puisque tes jours ne t’ont laissé
Qu’un peu de cendre dans la bouche,
Avant qu’on ne tende la couche
Où ton cœur dorme, enfin glacé,
Retourne, comme au temps passé,
Cueillir, près de la dune instable,
Le lys qu’y courbe un souffle amer,
-Et grave ces mots sur le sable :
Le rêve de l’homme est semblable
Aux illusions de la mer.
Sans titre
Voici que j’ai touché les confins de mon âge.
Tandis que mes désirs sèchent sous le ciel nu,
Le temps passe et m’emporte à l’abyme inconnu,
Comme un grand fleuve noir, où s’engourdit la nage
–
Extraits
…..Le premier soir je me suis donc endormi sur le sable à mille milles de toute terre habitée. J’étais bien plus isolé qu’un naufragé sur un radeau au milieu de l’Océan. Alors vous imaginez ma surprise, au lever du jour, quand une drôle de petite voix m’a réveillé. Elle disait :
-S’il vous plait…dessine-moi un mouton !
…Et j’ai vu un petit bonhomme tout à fait extraordinaire qui me considérait gravement….
…N’oubliez pas que je me trouvais à mille milles de toute région habitée. Or mon petit bonhomme ne me semblait ni égaré, ni mort de fatigue, ni mort de faim, ni mort de soif, ni mort de peur. Il n’avait en rien l’apparence d’un enfant perdu au milieu du désert…
…Alors, faute de patience, comme j’avais hâte de commencer le démontage de mon moteur, je griffonnai ce dessin-ci.
Et je lançai :
-ça c’est la caisse. Le mouton que tu veux est dedans.
Mais je fus bien surpris de voir s’illuminer le visage de mon jeune juge :
-c’est tout à fait comme ça que je le voulais ! Crois-tu qu’il faille beaucoup d’herbe à ce mouton ?
-pourquoi ?
-parce que chez moi c’est tout petit…
-ça suffira sûrement. Je t’ai donné un tout petit mouton.
Il pencha la tête vers le dessin :
-pas si petit que ça… Tiens ! Il s’est endormi…
Et c’est ainsi que je fis la connaissance du petit prince.
…J’avais ainsi appris une seconde chose très importante : c’est que sa planète d’origine était à peine plus grande qu’une maison !
Ça ne pouvait pas m’étonner beaucoup. Je savais bien qu’en dehors des grosses planètes comme la Terre, Jupiter, Mars, Vénus, auxquelles on a donné des noms, il y en a des centaines d’autres qui sont quelquefois si petites qu’on a beaucoup de mal à les apercevoir au télescope…
J’ai de sérieuses raisons de croire que la planète d’où venait le petit prince est l’astéroïde B 612…
…Or il y avait des graines terribles sur la planète du petit prince…c’étaient les graines de baobabs. Le sol de la planète en était infesté. Or un baobab, si l’on s’y prend trop tard, on ne peut jamais plus s’en débarrasser. Il encombre toute la planète. Il la perfore de ses racines. Et si la planète est trop petite, et si les baobabs sont trop nombreux, ils la font éclater.
« C’est une question de discipline, me disait plus tard le petit prince. Quand on a terminé sa toilette du matin, il faut faire soigneusement la toilette de la planète. Il faut s’astreindre régulièrement à arracher les baobabs… ».
…Ah ! petit prince, j’ai compris, peu à peu, ainsi, ta petite vie mélancolique. Tu n’avais eu longtemps pour distraction que la douceur des couchers de soleil. J’ai appris ce détail nouveau, le quatrième jour au matin, quand tu m’as dit :
-J’aime bien les couchers de soleil. Allons voir un coucher de soleil…
-Mais il faut attendre…
-Attendre quoi ?
-Attendre que le soleil se couche.
…Mais, sur ta si petite planète, il te suffisait de tirer ta chaise de quelques pas. Et tu regardais le crépuscule chaque fois que tu le désirais…
-Un jour, j’ai vu le soleil se coucher quarante-trois fois !
Le cinquième jour.. il me demanda avec brusquerie, sans préambule, comme le fruit d’un problème longtemps médité à l’avance :
-Un mouton, s’il mange les arbustes, il mange aussi les fleurs ?
-Un mouton mange tout ce qu’il rencontre.
-Même les fleurs qui ont des épines ?
-Oui. Même les fleurs qui ont des épines….
-Si quelqu’un aime une fleur qui n’existe qu’à un exemplaire dans les millions et les millions d’étoiles, ça suffit pour qu’il soit heureux quand il les regarde. Il se dit : « Ma fleur est là quelque part… » Mais si le mouton mange la fleur, c’est pour lui comme si, brusquement, toutes les étoiles s’éteignaient !…
Il ne put rien dire de plus. Il éclata brusquement en sanglots….Il y avait, sur une étoile, une planète, la mienne, la Terre, un petit prince à consoler ! Je le pris dans les bras. Je le berçai. Je lui disais : « La fleur que tu aimes n’est pas en danger.. Je lui dessinerai une muselière, à ton mouton..Je te dessinerai une armure pour ta fleur..Je.. » Je ne savais pas trop quoi dire. Je me sentais très maladroit. Je ne savais comment l’atteindre, où le rejoindre..C’est tellement mystérieux, le pays des larmes….
Il y avait toujours eu, sur la planète du petit prince, des fleurs très simples, ornées d’un seul rang de pétales, et qui ne tenaient point de place, et qui ne dérangeaient personne. Elles apparaissaient un matin dans l’herbe, et puis elles s’éteignaient le soir. Mais celle-là avait germé un jour, d’une graine apportée d’on ne sait où…
Le petit prince, qui assistait à l’installation d’un bouton énorme, sentait bien qu’il en sortirait une apparition miraculeuse, mais la fleur n’en finissait pas de se préparer à être belle, à l’abri de sa chambre verte. Elle choisissait avec soin ses couleurs. Elle s’habillait lentement, elle ajustait un à un ses pétales. Elle ne voulait pas sortir toute fripée comme les coquelicots. Elle ne voulait apparaître que dans le plein rayonnement de sa beauté. Eh ! oui. Elle était très coquette ! Sa toilette mystérieuse avait donc duré des jours et des jours. Et puis voici qu’un matin, justement à l’heure du lever du soleil, elle s’était montrée. Et elle, qui avait travaillé avec tant de précision, dit en baillant :
-Ah ! je me réveille à peine… Je vous demande pardon… Je suis encore toute décoiffée..
Le petit prince, alors, ne put contenir son admiration :
-Que vous êtes belle !…..
Je crois qu’il profita, pour son évasion, d’une migration d’oiseaux sauvages. Au matin du départ il mit sa planète bien en ordre. Il ramona soigneusement ses volcans en activité. Il possédait deux volcans en activité. Et c’était bien commode pour faire chauffer le petit déjeuner du matin. Il possédait aussi un volcan éteint….. S’ils sont bien ramonés, les volcans brûlent doucement et régulièrement, sans éruptions. Les éruptions volcaniques sont comme des feux de cheminée. Evidemment sur notre terre nous sommes beaucoup trop petits pour ramoner nos volcans. C’est pourquoi ils nous causent des tas d’ennuis…..
Il se trouvait dans la région des astéroïdes 325, 326, 327, 328, 329 et 330. Il commença donc par les visiter pour y chercher une occupation et pour s’instruire.
Le premier était habité par un roi….
La seconde planète était habitée par un vaniteux…
La planète suivante était habitée par un buveur…
La quatrième planète était celle du businessman…
La cinquième planète était très curieuse. C’était la plus petite de toutes. Il y avait là juste assez de place pour loger un réverbère et un allumeur de réverbères. Le petit prince ne parvenait pas à s’expliquer à quoi pouvait servir, quelque part dans le ciel, sur une planète sans maison, ni population, un réverbère et un allumeur de réverbères….
-Je fais là un métier terrible. C’était raisonnable autrefois. J’éteignais le matin et j’allumais le soir. J’avais le reste du jour pour me reposer, et le reste de la nuit pour dormir…
-Et, depuis cette époque, la consigne a changé ?
-La consigne n’a pas changé, dit l’allumeur. C’est bien là le drame ! La planète d’année en année a tourné de plus en plus vite, et la consigne n’a pas changé !
-Alors ? dit le petit prince.
-Alors maintenant qu’elle fait un tour par minute, je n’ai plus une seconde de repos. J’allume et j’éteins une fois par minute !…
-Ta planète est tellement petite que tu en fais le tour en trois enjambées. Tu n’as qu’à marcher assez lentement pour rester toujours au soleil. Quand tu voudras te reposer tu marcheras… et le jour durera aussi longtemps que tu voudras.
-ça ne m’avance pas à grand-chose, dit l’allumeur. Ce que j’aime dans la vie, c’est dormir.
-Ce n’est pas de chance, dit le petit prince…
« Celui-là est le seul dont j’eusse pu faire mon ami. Mais sa planète est vraiment trop petite. Il n’y a pas de place pour deux.. »
Ce que le petit prince n’osait pas s’avouer, c’est qu’il regrettait cette planète bénie à cause, surtout, des mille quatre cent quarante couchers de soleil par vingt-quatre heures !
La sixième planète était une planète dix fois plus vaste. Elle était habitée par un vieux Monsieur qui écrivait d’énormes livres….
-mais qu’est-ce que signifie « éphémère » ? répéta le petit prince…
-ça signifie « qui est menacé de disparition prochaine ».
-ma fleur est menacée de disparition prochaine ?
-bien sûr.
« Ma fleur est éphémère, se dit le petit prince, et elle n’a que quatre épines pour se défendre contre le monde ! Et je l’ai laissée toute seule chez moi ! »
Ce fut là son premier mouvement de regret. Mais il reprit courage :
-que me conseillez-vous d’aller visiter ? demanda-t-il.
-la planète Terre, lui répondit le géographe. Elle a une bonne réputation…
Et le petit prince s’en fut, songeant à sa fleur.
La septième planète fut donc la Terre….
Pour vous donner une idée des dimensions de la Terre je vous dirai qu’avant l’invention de l’électricité on y devait entretenir, sur l’ensemble des six continents, une véritable armée de quatre cent soixante-deux mille cinq cent onze allumeurs de réverbères.
Vu d’un peu loin ça faisait un effet splendide. Les mouvements de cette armée étaient réglés comme ceux d’un ballet d’opéra. D’abord venait le tour des allumeurs de réverbères de Nouvelle-Zélande et d’Australie. Puis ceux-ci, ayant allumé leurs lampions, s’en allaient dormir. Alors entraient à leur tour dans la danse les allumeurs de réverbères de Chine et de Sibérie. Puis eux aussi s’escamotaient dans les coulisses. Alors venait le tour des allumeurs de réverbères de Russie et des Indes. Puis de ceux d’Afrique et d’Europe. Puis de ceux d’Amérique du Sud. Puis de ceux d’Amérique du Nord. Et jamais ils ne se trompaient dans leur ordre d’entrée en scène. C’était grandiose. Seul, l’allumeur de l’unique réverbère du pôle Nord, et son confrère de l’unique réverbère du pôle Sud, menaient des vies d’oisiveté et de nonchalance : ils travaillaient deux fois par an….
Le petit prince, une fois sur terre, fut donc bien surpris de ne voir personne. Il avait déjà peur de s’être trompé de planète, quand un anneau couleur de lune remua dans le sable.
-Bonne nuit, fit le petit prince à tout hasard.
-Bonne nuit, fit le serpent.
-Sur quelle planète suis-je tombé ? demanda le petit prince.
-Sur la Terre, en Afrique, répondit le serpent
-Ah !… Il n’y a donc personne sur la Terre ?
-Ici c’est le désert. Il n’y a personne dans les déserts. La Terre est grande, dit le serpent. ..
Le petit prince le regarda longtemps :
-Tu es une drôle de bête, lui dit-il enfin, mince comme un doigt…
-Mais je suis plus puissant que le doigt d’un roi, dit le serpent.
Le petit prince eut un sourire :
-Tu n’es pas bien puissant… tu n’as même pas de pattes… tu ne peux même pas voyager.
-Je puis t’emporter plus loin qu’un navire, dit le serpent.
Il s’enroula autour de la cheville du petit prince, comme un bracelet d’or :
-Celui que je touche, je le rends à la terre dont il est sorti, dit-il encore. Mais tu es pur et tu viens d’une étoile…
Le petit prince ne répondit rien.
-Tu me fais pitié, toi si faible, sur cette Terre de granit. Je puis t’aider un jour si tu regrettes trop ta planète. Je puis…
Le petit prince traversa le désert et ne rencontra qu’une fleur. Une fleur à trois pétales, une fleur de rien du tout…
-Bonjour, dit le petit prince.
-Bonjour, dit la fleur.
-Où sont les hommes ? demanda poliment le petit prince.
La fleur, un jour, avait vu passer une caravane :
-Les hommes ? Il en existe, je crois, six ou sept. Je les ai aperçus il y a des années. Mais on ne sait jamais où les trouver. Le vent les promène. Ils manquent de racines, ça les gène beaucoup.
-Adieu, fit le petit prince.
-Adieu, dit la fleur.
Le petit prince fit l’ascension d’une haute montagne… Les seules montagnes qu’il eût jamais connues étaient les trois volcans qui lui arrivaient au genou. Et il se servait du volcan éteint comme d’un tabouret….
Mais il arriva que le petit prince, ayant longtemps marché à travers les sables, les rocs et les neiges, découvrit enfin une route. Et les routes vont toutes chez les hommes.
-Bonjour, dit-il.
C’était un jardin fleuri de roses.
-Bonjour, dirent les roses.
Le petit prince les regarda. Elles ressemblaient toutes à sa fleur.
-Qui êtes-vous ? leur demanda-t-il, stupéfait.
-Nous sommes des roses, dirent les roses.
-Ah ! fit le petit prince…
Et il se sentit très malheureux. Sa fleur lui avait raconté qu’elle était seule de son espèce dans l’univers. Et voici qu’il en était cinq mille, toutes semblables, dans un seul jardin !
C’est alors qu’apparut le renard.
-Bonjour, dit le renard.
-Bonjour, répondit poliment le petit prince….
Je ne suis pour toi qu’un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde…
-Je commence à comprendre, dit le petit prince. Il y a une fleur… je crois qu’elle m’a apprivoisé…
Mais le renard revint à son idée :… si tu m’apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaîtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous terre. Le tien m’appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde ! Tu vois, là-bas, les champs de blé ?… Tu as des cheveux couleur d’or. Alors ce sera merveilleux quand tu m’auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j’aimerai le bruit du vent dans le blé…
Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince :
-S’il te plaît, apprivoise-moi ! dit-il
-Je veux bien, répondit le petit prince, mais je n’ai pas beaucoup de temps…
-On ne connaît que les choses que l’on apprivoise, dit le renard. Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus d’amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !…
Ainsi le petit prince apprivoisa le renard. Et quand l’heure du départ fut proche :
-Ah ! dit le renard… Je pleurerai.
-C’est ta faute, dit le petit prince, je ne te souhaitais point de mal, mais tu as voulu que je t’apprivoise…
-Bien sûr, dit le renard.
-Mais tu vas pleurer ! dit le petit prince.
-Bien sûr, dit le renard.
-Alors tu n’y gagne rien !
-J’y gagne, dit le renard, à cause de la couleur du blé…
-Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux…
Comme le petit prince s’endormait, je le pris dans mes bras, et me remis en route. J’étais ému. Il me semblait porter un trésor fragile…  « Ce qui m’émeut si fort de ce petit prince endormi, c’est sa fidélité pour une fleur, c’est l’image d’une rose qui rayonne en lui comme la flamme d’une lampe, même quand il dort.. » Et je le devinais plus fragile encore. Il faut bien protéger les lampes : un coup de vent peut les éteindre..
Et, marchant ainsi, je découvris le puits au lever du jour…
-J’ai soif de cette eau-là, dit le petit prince, donne-moi à boire…
Et je compris ce qu’il avait cherché !
Je soulevai le seau jusqu’à ses lèvres. Il but, les yeux fermés. C’était doux comme une fête. Cette eau était bien autre chose qu’un aliment. Elle était née de la marche sous les étoiles, du chant de la poulie, de l’effort de mes bras. Elle était bonne pour le cœur, comme un cadeau. Lorsque j’étais petit garçon, la lumière de l’arbre de Noël, la musique de la messe de minuit, la douceur des sourires faisaient ainsi tout le rayonnement du cadeau de Noël que je recevais.
-Les hommes de chez toi, dit le petit prince, cultivent cinq mille roses dans un même jardin… et ils n’y trouvent pas ce qu’ils cherchent..
-Ils ne le trouvent pas, répondis-je
-Et cependant ce qu’ils cherchent pourrait être trouvé dans une seule rose ou un peu d’eau…
-Bien sûr, répondis-je
Et le petit prince ajouta :
-Mais les yeux sont aveugles. Il faut chercher avec le cœur….
-Il faut que tu tiennes ta promesse, me dit doucement le petit prince, qui, de nouveau, s’était assis auprès de moi.
-Quelle promesse ?
-Tu sais… une muselière pour mon mouton… je suis responsable de cette fleur !…
Je crayonnai donc une muselière. Et j’eus le cœur serré en le lui donnant… Je n’étais pas rassuré. Je me souvenais du renard. On risque de pleurer un peu si l’on s’est laissé apprivoiser…
Le petit prince dit encore, après un silence :
-Tu as du bon venin ? Tu es sûr de ne pas me faire souffrir longtemps ?..
Alors j’abaissai moi-même les yeux vers le pied du mur, et je fis un bond ! Il était là, dressé vers le petit prince, un de ces serpents jaunes qui vous exécutent en trente secondes… Au bruit que je fis, le serpent se laissa doucement couler dans le sable, comme un jet d’eau qui meurt, et, sans trop se presser, se faufila entre les pierres avec un léger bruit de métal.
Je parvins au mur juste pour y recevoir dans les bras mon petit bonhomme de prince, pâle comme la neige.
-Quelle est cette histoire-là ! Tu parles maintenant avec les serpents !…
Je sentais battre son cœur comme celui d’un oiseau qui meurt, quand on l’a tiré à la carabine…
-Moi aussi, aujourd’hui, je rentre chez moi…
Puis, mélancolique :
-C’est bien plus loin… c’est bien plus difficile…
Je sentais bien qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire. Je le serrais dans les bras comme un petit enfant, et cependant il me semblait qu’il coulait verticalement dans un abîme sans que je pusse rien pour le retenir…
De nouveau je me sentis glacé par le sentiment de l’irréparable. Et je compris que je ne supportais pas l’idée de ne plus jamais entendre ce rire. C’était pour moi comme une fontaine dans le désert.
-Petit bonhomme, je veux encore t’entendre rire…
Mais il me dit :
-Cette nuit, ça fera un an. Mon étoile se trouvera juste au-dessus de l’endroit où je suis tombé l’année dernière…
-Petit bonhomme, n’est-ce pas que c’est un mauvais rêve cette histoire de serpent et de rendez-vous et d’étoile…
-Tu regarderas, la nuit, les étoiles. C’est trop petit chez moi pour que je te montre où se trouve la mienne. C’est mieux comme ça. Mon étoile, ça sera pour toi une des étoiles. Alors, toutes les étoiles, tu aimeras les regarder… Elles seront toutes tes amies….
-Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j’habiterai dans l’une d’elles, puisque je rirai dans l’une d’elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras, toi, des étoiles qui savent rire !…
Et il rit encore. Puis il redevint sérieux :
-Cette nuit…tu sais…ne viens pas.
-Je ne te quitterai pas.
-J’aurai l’air d’avoir mal… j’aurai un peu l’air de mourir. C’est comme ça. Ne viens pas voir ça, ce n’est pas la peine.
-Je ne te quitterai pas….
-Tu comprends. C’est trop loin. Je ne peux pas emporter ce corps-là. C’est trop lourd….
-Mais ce sera comme une vieille écorce abandonnée. Ce n’est pas triste les vieilles écorces…
-Moi aussi je regarderai les étoiles. Toutes les étoiles seront des puits avec  une poulie rouillée. Toutes les étoiles me verseront à boire…
Il dit encore :
-Tu sais… ma fleur… j’en suis responsable ! Et elle est tellement faible ! Et elle est tellement naïve. Elle a quatre épines de rien du tout pour la protéger contre le monde…
Il n’y eut  rien qu’un éclair jaune près de sa cheville. Il demeura un instant immobile. Il ne cria pas. Il tomba doucement comme tombe un arbre. Ca ne fit même pas de bruit, à cause du sable.
Maintenant je me suis un peu consolé. C’est-à-dire…pas tout à fait. Mais je sais bien qu’il est revenu à sa planète, car, au lever du jour, je n’ai pas retrouvé son corps. Ce n’était pas un corps tellement lourd… Et j’aime la nuit écouter les étoiles. C’est comme cinq cents millions de grelots….

Stenka Razine

En ce temps-là vivait, puissant par le fer, le feu, le sang,

Un autre star qu’on appelait celui des brigands.

Il allumait le long de la Volga, notre mère,

Les signaux d’une délivrance sauvage, hérissée de faux,

De potences et de têtes coupées.

Liberté, égalité, fraternité,

Nommez les fruits de l’espérance la plus amère,

Lavez, lavez, sur les couteaux, sur les épées

Le sang versé depuis l’éternité.

Stenka le Juste savait traiter les maîtres

Comme les esclaves sont traités par les maîtres

Et ne se doutait pas qu’un homme meilleur pût naître.

Les petites Cosaques de ce village chantent encore le soir

En s’accompagnant de la guitare

La complainte de Stenka Razine ; mais ce qu’ont fait leurs pères

Et leurs oncles, ici même, il y a simplement seize ans,

Elles l’ont oublié, oublions-le, guitare

Chante pour leur cœur,

Enchante l’oubli, fait chanter les chœurs

Accordés par l’oubli.

Une faucille d’argent monte au ciel de juillet

Au-dessus du petit minaret rouge d’Orenpossad.

J’écoute ces voix grêles et la guitare

Et le coassement des crapauds dans la mare.

Je pense obscurément, moi seul, en face de la steppe

A tous ceux de par le monde dont je ne suis point séparé,

Aux chômeurs d’Amsterdam, à Tom Mooney dans sa prison californienne

Depuis quinze ou dix-huit ans, qu’en savons-nous ?

Et qui peut savoir le compte juste de telles années ?

A l’étonnante victoire de la grève générale de Saragosse, hier,

En juin 34,

Au prochain Congrès de la Fédération unitaire de l’Enseignement,

A la tombe fraîche, mais est-elle fleurie, est-elle fleurie ?

A la tombe fraîche de Koloman Wallisch,

A la fenêtre à barreaux, mais est-elle fleurie, est-elle fleurie ?

De sa femme Paula dans une prison d’Autriche.

Les jeunes voix montent sans savoir ni ce qu’elles chantent

Ni les vivants et les morts pour lesquels elles chantent,

Unis, unies à travers le temps, les chaînes, l’espace.

Et quand elles annoncent que débouchent sur le fleuve aux rives de lointain

Les barques enluminées de Stepan le brigand,

Le libérateur,

Le héros, le bourreau, le bourreau des bourreaux,

L’annonciateur,

Je vois grandir sur la moire des eaux

L’ombre vivifiante

D’une liberté barbare ivre de ses sanglots.

Stenka fut roué vif le six juin mil six cent soixante-dix,

En face du Kremlin,

Devant l’église de Saint-Basile le Bienheureux

Et la Tour du Sauveur.

Tandis qu’on lui casse les os, Stenka crie à son frère le lâche qui se lamente :

Tais-toi, chien !

Ce sont ses dernières paroles, ses fières paroles, ses seules paroles sous la hache,

Elles fendent la douleur fulgurante de ses membres coupés,

Le bras droit, la jambe gauche,

Elles coulent de ses lèvres avec une bave sanglante,

Un peuple les ramasse dans l’odeur écoeurante

Qui stagne sous l’échafaud.

L’histoire les gardera comme les paroles du Christ.

Mais les chiens ne sont pas des bêtes lâches,

Les chiens gardent très bien leur dignité canine

Dans cette chienne de vie

Et pourtant voilà des siècles que nous les dressons à notre image.

Frère lâche, tais-toi !

Devant le supplice de celui qui, plus fort que toi,

Meilleur que toi,

Mourant pour toi, meurt plus que toi.

Faction
On a décidé de faire la nuit
Pour une petite étoile problématique
A-t-on le droit de faire la nuit
Nuit sur le monde et sur notre cœur
Pour une étincelle
Luira-t-elle
Dans le ciel immense désert
On a décidé de faire la nuit
Pour sa part
De lâcher la nuit sur la terre
Quand on sait ce que c’est
Quelle bête c’est
Quand on a connu quel désert
Elle fait à nos yeux sur son passage
On a décidé de lâcher la nuit sur la terre
Quand on sait ce que c’est
Et de prendre sa faction solitaire
Pour une étoile
Encore qui n’est pas sûre
Qui sera peut-être une étoile filante
Ou bien le faux éclair d’une illusion
Dans la caverne que creusent en nous
Nos avides prunelles.
Cage d’oiseau
Je suis une cage d’oiseau
Une cage d’os
Avec un oiseau
L’oiseau dans ma cage d’os
C’est la mort qui fait son nid
Lorsque rien n’arrive
On entend froisser ses ailes
Et quand on a rit beaucoup
Si l’on cesse tout à coup
On l’entend qui roucoule
Au fond
Comme un grelot
C’est un oiseau tenu captif
La mort dans ma cage d’os
Voudrait-il pas s’envoler
Est-ce vous qui le retiendrez
Est-ce moi
Qu’est-ce que c’est
Il ne pourra s’en aller
Qu’après avoir tout mangé
Mon cœur
La source du sang
Avec la vie dedans
Il aura mon âme au bec.
Sans titre
Un bon coup de guillotine
Pour accentuer les distances
Je place ma tête sur la cheminée
Et le reste vaque à ses affaires
Mes pieds s’en vont à leurs voyages
Mes mains à leurs pauvres ouvrages
Sur la console de la cheminée
Ma tête a l’air d’être en vacances
Un sourire est sur ma bouche
Tel que si je venais de naître
Mon regard passe, calme et léger
Ainsi qu’une âme délivrée
On dirait que j’ai perdu la mémoire

Et cela fait une douce tête de fou..

Elégie
Contre les bûcherons de la forêt de Gastine (extraits)

Ecoute, bûcheron, arrête un peu le bras ;
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas ;
Ne vois-tu pas le sang lequel dégoutte à force
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?
Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses
Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses ?
Forêt, haute maison des oiseaux bocagers !
Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers
Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus du soleil d’été ne rompra la lumière.
Plus l’amoureux pasteur sur un tronc adossé
Enflant son flageolet à quatre trous percé,
Son mâtin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l’ardeur de sa belle Janette.
Tout deviendra muet, Echo sera sans voix ;
Tu deviendras campagne, et, en lieu de tes bois,
Dont l’ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue ;
Tu perdras le silence, et haletants d’effroi
Ni Satyres ni Pans ne viendront plus chez toi .
Adieu, vieille forêt, le jouet de Zéphire,
Où premier j’accordai les langues de ma lyre,
Où premier j’entendis les flèches résonner
D’Apollon, qui me vint tout le cœur étonner,
Où premier, admirant ma belle Calliope,
Je devins amoureux de sa neuvaine trope,
Quand sa main sur le front cent roses me jeta,
Et de son propre lait Euterpe m’allaita.
Adieu, vieille forêt, adieu têtes sacrées,
De tableaux et de fleurs autrefois honorées,
Maintenant le dédain des passants altérés,
Qui, brûlés en l’été des rayons éthérés,
Sans plus trouver le frais de tes douces verdures,
Accusent tes meurtriers et leur disent injures.
Adieu, chênes, couronne aux vaillants citoyens,
Arbres de Jupiter, germes Dodonéens,
Qui premier aux humains donnâtes à repaître ;
Peuples vraiment ingrats, qui n’ont su reconnaître
Les biens reçus de vous, peuples vraiment grossiers
De massacrer ainsi leurs pères nourriciers !
Que l’homme est malheureux qui au monde se fie !
O dieux, que véritable est la philosophie,
Qui dit que toute chose à la fin périra,
Et qu’en changeant de forme une autre vêtira !
De Tempé la vallée un jour sera montagne,
Et la cime d’Athos une large campagne ;
Neptune quelquefois de blé sera couvert :
La matière demeure et la forme se perd.

Stances
I

Je n’ai plus que les os, un squelette je semble,
Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé,
Que le trait de la mort sans pardon a frappé ;
Je n’ose voir mes bras, de peur que je ne tremble.

Apollon et son fils, deux grands maîtres ensemble,
Ne me sauraient guérir, leur métier m’a trompé ;
Adieu, plaisant soleil ! mon œil est étoupé,
Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble.

Quel ami, me voyant à ce point dépouillé,
Ne remporte au logis un œil triste et mouillé,
Me consolant au lit, et me baisant la face,

En essuyant mes yeux par la mort endormi ?
Adieu, chers compagnons ! adieu, mes chers amis !
Je m’en vais le premier vous préparer la place.

Stances
II

Méchantes nuits d’hiver, nuits filles de Cocyte
Que la terre engendra, d’Encelade les sœurs,
Serpentes d’Alecton, et fureur des fureurs,
N’approchez de mon lit, ou bien tournez plus vite.

Que fait tant le Soleil au giron d’Amphitrite ?
Lève-toi, je languis accablé de douleurs :
Mais ne pouvoir dormir c’est bien de mes malheurs
Le plus grand, qui ma vie et chagrine et dépite.

Seize heures pour le moins je meurs les yeux ouverts,
Me tournant, me virant de droit et de travers,
Sus l’un, sus l’autre flanc je tempête, je crie.

Inquiet je ne puis en un lieu me tenir,
J’appelle en vain le jour, et la mort je supplie,
Mais elle fait la sourde, et ne veut pas venir.

Stances (extraits)
III

Ah ! longues nuits d’hiver, de ma vie bourelles,
Donnez-moi patience et me laissez dormir !
Votre nom seulement et suer et frémir
Me fait par tout le corps, tant vous m’êtes cruelles.

Le sommeil tant soit peu n’évente de ses ailes
Mes yeux toujours ouverts, et ne puis affermir
Paupière sur paupière, et ne fais que gémir,
Souffrant, comme Ixion, des peines éternelles….

…Pour chasser mes douleurs amène-moi la mort ;
Ha, Mort ! le port commun, des hommes le confort,
Viens enterrer mes maux, je t’en prie à mains jointes.

Sur la mort de Marie (extraits)

Ainsi, en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque t’a tuée, et cendre tu reposes.

Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs ;
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses.

Sonnets pour Hélène
I

Otez votre beauté, ôtez votre jeunesse,
Otez ces rares dons que vous tenez des cieux,
Otez ce docte esprit, ôtez-moi ces beaux yeux,
Cet aller, ce parler digne d’une déesse.

Je ne vous serai plus d’une importune presse,
Fâcheux comme je suis ; vos dons si précieux
Me font, en les voyant, devenir furieux,
Et par le désespoir l’âme prend hardiesse.

Pour ce, si quelquefois je vous touche la main,
Par courroux votre teint n’en doit devenir blême ;
Je suis fol, ma raison n’obéit plus au frein,

Tant je suis agité d’une fureur extrême ;
Ne prenez, s’il vous plait, mon offense à dédain ;
Mais, douce, pardonnez mes fautes à vous-même.

Sonnets pour Hélène
II

« Il ne faut s’ébahir, disaient ces bons vieillards,
Dessus le mur troyen, voyant passer Hélène,
Si pour tant de beauté nous souffrons tant de peine :
Notre mal ne vaut pas un seul de ses regards.

Toutefois il vaut mieux, pour n’irriter point Mars,
La rendre à son époux, afin qu’il la ramène,
Que voir de tant de sang notre campagne pleine,
Notre havre gagné, l’assaut à nos remparts. »

Pères, il ne fallait, à qui la force tremble,
Par un mauvais conseil les jeunes retarder ;
Mais, et jeunes et vieux, vous deviez tous ensemble

Et le corps et les biens pour elle hasarder.
Ménélas fut bien sage et Pâris, ce me semble,
L’un de la demander, l’autre de la garder.

Sonnets pour Hélène
III

Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
« Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle. »

Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre, et fantôme sans os
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos :
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.

Sonnets pour Hélène
IV

Afin que ton honneur coule parmi la plaine
Avant qu’il monte au Ciel engravé dans un pin,
Invoquant tous les Dieux et répandant du vin,
Je consacre à ton nom cette belle fontaine.

Pasteurs, que vos troupeaux frisés de blanche laine
Ne paissent à ces bords : y fleurisse le thym,
Et la fleur, dont le maître eut si mauvais destin,
Et soit dite à jamais la fontaine d’Hélène.

Le passant en été s’y puisse reposer,
Et assis dessus l’herbe à l’ombre composer
Mille chansons d’Hélène, et de moi lui souvienne.

Quiconques en boira, qu’amoureux il devienne,
Et puisse en la humant une flamme puiser
Aussi chaude qu’au cœur je sens chaude la mienne.

Bergerie (extraits)
Dédiée à la reine d’Ecosse

…Puisque le lieu, le temps, la saison et l’envie,
Qui s’échauffent d’amour, à chanter nous convie,
Chantons donques, bergers, et en mille façons
A ces vertes forêts apprenons nos chansons.
Ici de cent couleurs s’émaille la prairie,
Ici la tendre vigne aux ormeaux se marie,
Ici l’ombrage frais va les feuilles mouvant
Errantes çà et là sous l’haleine du vent :
Ici de pré en pré les soigneuses avettes
Vont baisant et suçant les odeurs des fleurettes :
Ici le gazouillis enroué des ruisseaux
S’accorde doucement aux plaintes des oiseaux :
Ici entre les pins les Zéphires s’entendent…..
….L’autre jour que j’étais assis près d’un ruisseau,
Radoubant ma musette avecque mon alêne,
Je vis dessus le bord le tige d’un beau frêne
Droit, sans nœuds et sans plis : lors me levant soudain
J’empoignai d’allégresse un goy dedans la main,
Puis coupant par le pied le bois armé d’écorce,
Je le fis chanceler et trébucher à force
Dessus le pré voisin étendu de son long :
En quatre gros quartiers j’en fis scier le tronc,
Au soleil je séchai sa verdeur consumée,
Puis j’endurcis le bois pendu à la fumée.
A la fin le baillant à Jean, ce bon ouvrier
M’en fit une houlette, et si n’y a chevrier
Ni berger en ce bois qui ne donnât pour elle
La valeur d’un taureau, tant elle semble belle :
Elle a par artifice un million de nouds,
Pour mieux tenir la main, tous marquetés de clous ;
Et afin que son pied ne se gâte à la terre,
Un cercle fait d’airain de tous côtés le serre :
Une pointe de fer le bout du pied soutient….
….L’anse est faite de cuivre, et le haut de fer blanc
Un peu long et courbé, où pourraient bien de rang
Deux mottes pour jeter au troupeau qui s’égare,
Tant le fer est creusé d’un artifice rare….

La salade (extraits)
A Amadis Jamyn

….Puis, en lisant l’ingénieux Ovide
En ces beaux vers où d’amour il est guide,
Reguagnerons le logis pas à pas.
Là, recoursant jusqu’au coude nos bras,
Nous laverons nos herbes à main pleine
Au cours sacré de ma belle fontaine,
La blanchirons de sel en mainte part,
L’arroserons de vinaigre rosart,
L’engraisserons de l’huile de Provence :
L’huile qui vient aux oliviers de France
Rompt l’estomac et ne vaut du tout rien.
Voilà, Jamyn, voilà mon souv’rain bien,
En attendant que de mes veines parte
Cette exécrable, horrible fièvre quarte
Qui me consomme et le corps et le cœur
Et me fait vivre en extrême langueur.
Tu me diras que la fièvre m’abuse,
Que je suis fol, ma salade, et ma Muse ;
Tu diras vrai ; je le veux être aussi :
Telle fureur me guérit mon souci.
Tu me diras que la vie est meilleure
Des importuns, qui vivent à toute heure
Auprès des rois en crédit et bonheur,
Enorgueillis de pompes et d’honneur :
Je le sais bien ; mais je ne le veux faire,
Car telle vie à la mienne est contraire.
Il faut mentir, flatter et courtiser,
Rire sans ris, sa face déguiser
Au front d’autrui, et je ne le veux faire :
Car telle vie à la mienne est contraire.
Je suis, pour suivre à la trace la cour,
Trop maladif, trop paresseux et sourd,
Et trop craintif ; au reste je demande
Un doux repos et ne veux plus qu’on pende,
Comme un poignard, les soucis sur mon front.
En peu de temps les courtisans s’en vont
En chef grison, ou meurent sur un coffre.
Dieu pour salaire un tel présent leur offre
D’avoir gâté leur gentil naturel
Pour amasser trop de bien temporel,
Bien incertain, qui tout soudain se passe
Sans parvenir à la troisième race.
Car la Fortune aux retours inconstants
Ne peut souffrir l’ambitieux longtemps,
Montrant par lui d’une chute soudaine
Que c’est du vent que la farce mondaine…
…C’est trop prêché, donne-moi ma salade.
-Trop froide elle est, dis-tu, pour un malade.
-Hé quoi ! Jamyn, tu fais le médecin !
Laisse-moi vivre au moins jusqu’à la fin
Tout à mon aise, et ne sois triste augure
Soit à ma vie ou à ma mort future.
Car tu ne peux, ni moi, pour tout secours
Faire plus longs ou plus petits nos jours.
Il faut charger la barque charontée :
La barque, c’est une bière voûtée
Faite en bateau ; le naître est le trépas ;
Sans naître ici, l’homme ne mourrait pas.
Fol qui d’ailleurs autre bien se propose !
Naissance et mort est une même chose.

Remontrance au peuple de France (extraits)

…..Certes, si je n’avais une certaine foi
Que Dieu par son esprit de grâce à mis en moi,
Voyant la chrétienté n’être plus que risée,
J’aurais honte d’avoir la tête baptisée,
Je me repentirais d’avoir été chrétien,
Et comme les premiers je deviendrais païen.
La nuit, j’adorerais les rayons de la lune….
…J’adorerais Cérès qui les blés nous apporte,
Et Bacchus qui le cœur des hommes réconforte,
Neptune, le séjour des vents et des vaisseaux,
Les Faunes, et les Pans, et les Nymphes des eaux ….
….De tant de nouveautés je ne suis curieux,
Il me plait d’imiter le train de mes aïeux.
Je crois qu’en paradis ils vivent à leur aise,
Encor qu’ils n’aient suivi ni Calvin ni de Bèze…..
….Il ne faut pas avoir beaucoup d’expérience
Pour être exactement docte en votre science :
Les barbiers, les maçons en un jour y sont clercs,
Tant vos mystères saints sont cachés et couverts !
Il faut tant seulement avecques hardiesse
Détester le Papat, parler contre la messe,
Etre sobre en propos, barbe longue et le front
De rides labouré, l’œil farouche et profond,
Les cheveux mal peignés, le sourcil qui s’avale,
Le maintien renfrogné, le visage tout pâle,
Se montrer rarement, composer maint écrit,
Parler de l’Eternel, du Seigneur et de Christ,
Avoir d’un grand manteau les épaules couvertes,
Bref, être bon brigand et ne jurer que : Certes.
Il faut, pour rendre aussi les peuples étonnés,
Discourir de Jacob et des prédestinés,
Avoir Saint Paul en bouche et le prendre à la lettre,
Aux femmes, aux enfants l’Evangile permettre,
Les œuvres mépriser, et haut louer la foi.
Voilà tout le savoir de votre belle loi…..

Réponse aux injures et calomnies (extraits)
De je ne sais quels prédicants et ministres de Genève

….Tu dis en vomissant dessus moi ta malice
Que j’ai fait d’un grand bouc à Bacchus sacrifice.
Tu mens impudemment : cinquante gens de bien
Qui étaient au banquet diront qu’il n’en est rien….
…..Je fis des mots nouveaux, je rappelai les vieux,
Si bien que son renom je poussai jusqu’aux cieux.
Je fis d’autre façon que n’avaient les antiques,
Vocables composés et phrases poétiques,
Et mis la poésie en tel ordre qu’après
Le Français fut égal aux Romains et aux Grecs….
….Tu ne peux le nier ; car de ma plénitude
Vous êtes tous remplis, je suis seul votre étude ;
Vous êtes tous issus de la grandeur de moi ;
Vous êtes mes sujets, je suis seul votre loi.
Vous êtes mes ruisseaux, je suis votre fontaine,
Et plus vous m’épuisez, plus ma fertile veine,
Repoussant le sablon, jette une source d’eaux,
D’un surgeon éternel, pour vous autres ruisseaux……

Discours des misères de ce temps (extraits)
A la reine Catherine de Médicis

….Las ! Madame, en ce temps que le cruel orage
Menace les Français d’un si piteux naufrage,
Que la grêle et la pluie et la fureur des cieux
Ont irrité la mer de vents séditieux,
Et que l’astre jumeau ne daigne plus reluire,
Prenez le gouvernail de ce pauvre navire,
Et, malgré la tempête et le cruel effort
De la mer et des vents, conduisez-le à bon port.
La France à jointes mains vous en prie et reprie,
Las ! qui sera bientôt et proie et moquerie
Des Princes étrangers, s’il ne vous plaît en bref
Par votre autorité apaiser son méchef.
Ha ! que diront là-bas, sous les tombes poudreuses,
De tant de vaillants rois les âmes généreuses.
Que dira Pharamond, Clodion et Clovis !
Nos Pépins, nos Martels, nos Charles, nos Loïs,
Qui de leur propre sang à tous périls de guerre
Ont acquis à leurs fils une si belle terre ?
Que diront tant de ducs, et tant d’hommes guerriers
Qui sont morts d’une plaie au combat les premiers,
Et pour la France ont souffert tant de labeurs extrêmes,
La voyant aujourd’hui détruire par soi-même ?
Ils se repentiront d’avoir tant travaillé,
Assailli, défendu, guerroyé, bataillé,
Pour un peuple mutin divisé de courage,
Qui perd en se jouant un si bel héritage,
Héritage opulent, que toi, peuple qui bois
La Tamise albionne, et toi, More qui vois
Tomber le chariot du soleil sur ta tête,
Et toi, race gothique aux armes toujours prête,
Qui sens la froide bise en tes cheveux venter,
Par armes n’avez su ni froisser ni dompter…..
….Ce monstre arme le fils contre son propre père,
Et le frère (Ô malheur !) arme contre son frère,
La sœur contre la sœur, et les cousins germains
Au sang de leurs cousins veulent tremper leurs mains ;
L’oncle hait son neveu, le serviteur son maître ;
La femme ne veut plus son mari reconnaître ;
Les enfants sans raison disputent de la foi,
Et tout à l’abandon va sans ordre et sans loi.
L’artisan par ce monstre a laissé sa boutique,
Le pasteur ses brebis, l’avocat sa pratique,
Sa nef le marinier, sa foire le marchand,
Et par lui le prud’homme est devenu méchant.
L’écolier se débauche, et de sa faulx tortue
Le laboureur façonne une dague pointue,
Une pique guerrière il fait de son rateau,
Et l’acier de son coutre il change en un couteau.
Morte est l’autorité ; chacun vit à sa guise ;
Au vice déréglé la licence est permise ;
Le désir, l’avarice et l’erreur insensé
Ont c’en dessus dessous le monde renversé.
On a fait des lieux saints une horrible voirie
Une grange, une étable et une porcherie,
Si bien que Dieu n’est sûr en sa propre maison.
Au ciel est revolée et Justice et Raison,
Et en leur place, hélas ! règne le brigandage,
La force, le harnois, le sang et le carnage.
Tout va de pis en pis ; le sujet a brisé
Le serment qu’il devait à son roi méprisé ;
Mars, enflé de faux zèle et de fausse apparence,
Ainsi qu’une furie agite notre France,
Qui, farouche à son prince, opiniâtre suit
L’erreur d’un étranger et folle se détruit…….

Continuation des discours des misères de ce temps (extraits)
A la reine Catherine de Médicis

Madame, je serais ou du plomb ou du bois,
Si moi que la nature a fait naître François,
Aux races à venir je ne contais la peine
Et l’extrême malheur dont notre France est pleine.
Je veux de siècle en siècle au monde publier
D’une plume de fer sur un papier d’acier,
Que ses propres enfants l’ont prise et dévêtue,
Et jusques à la mort vilainement battue….
…..De Bèze, je te prie, écoute ma parole,
Que tu estimeras d’une personne folle :
S’il te plaît toutefois de juger sainement,
Après m’avoir ouï tu diras autrement.
La terre qu’aujourd’hui tu remplis toute d’armes,
Et de nouveaux chrétiens déguisés en gendarmes…
…Ce n’est pas une terre allemande ou gothique
Ni une région tartare ni scythique,
C’est celle où tu naquis, qui douce te reçut ;
Celle qui t’a nourri et qui t’a fait apprendre
La science et les arts dès ta jeunesse tendre,
Pour lui faire service et pour en bien user,
Et non, comme tu fais, à fin d’en abuser….
…Retire tes soldats, et au lac Genevois,
Comme chose exécrable, enfonce leur harnois.
Ne prêche plus en France une Evangile armée,
Un Christ empistolé tout noirci de fumée,
Qui comme un Méhémet va portant dans la main
Un large coutelas rouge de sang humain….

A Sinope

L’an se rajeunissait en sa verte jouvence,
Quand je m’épris de vous, ma Sinope cruelle :
Seize ans était la fleur de votre âge nouvelle,
Et votre teint sentait encore son enfance.

Vous aviez d’une infante encor la contenance,
La parole et les pas : votre bouche était belle,
Votre front et vos mains dignes d’une Immortelle,
Et votre œil qui me fait trépasser quand j’y pense.

Amour, qui ce jour-là si grandes beautés vit,
Dans un marbre, en mon cœur d’un trait les écrivit :
Et si pour le jour d’hui vos beautés si parfaites

Ne sont comme autrefois, je n’en suis moins ravi :
Car je n’ai pas égard à cela que vous êtes,
Mais au doux souvenir des beautés que je vi.

Elégie au seigneur Lhuillier (extraits)

Comme on voit en septembre aux tonneaux Angevins
Bouillir en écumant la jeunesse des vins,
Qui chaude en son berceau à toute force gronde,
Et voudroit tout d’un coup sortir hors de sa bonde,
Ardente, impatiente, et n’a point de repos
DE s’enfler, d’écumer, de jaillir à gros flots,
Tant que le froid d’Hiver lui ait dompté sa force,
Rembarrant sa puissance ès prisons d’une écorce,
Ainsi la Poësie en la jeune saison
Bouillonne dans nos cœurs, qui n’a soin de raison,
Serve de l’appétit, et brusquement anime
D’un Poëte gaillard la fureur magnanime :
Il devient amoureux, il suit les grands Seigneurs ;
Il aime les faveurs, il cherche les honneurs,
Et plein de passions, en l’esprit ne repose
Que de nuit et de jour ardent il ne compose :
Soupçonneux, furieux, superbe et dédaigneux,
Et de lui seulement curieux et soigneux,
Se feignant quelque Dieu : tant la rage félonne
De son jeune désir son courage aiguillonne.
Mais quand trente-cinq ans ou quarante ont perdu
Le sang chaud qui étoit ès veines répandu,
Et que les cheveux blancs de peu à peu s’avancent,
Et que nos genoux froids à trembloter commencent,
Et que le front se ride en diverses façons,
Lors la Muse s’enfuit et nos belles chansons.
Pégase se tarit, et n’y a plus de trace
Qui nous puisse conduire au sommet de Parnasse,
Nos lauriers sont séchés, et le train de nos vers
Se présente à nos yeux boiteux et de travers :
Toujours quelque malheur en marchant les retarde,
Et comme par dépit la Muse les regarde.
Car l’âme leur défaut, la force et la grandeur
Que produisait le sang en sa première ardeur….

Ode (extraits)

…Le temps s’en va, le temps s’en va, ma Dame ;
Las ! Le temps non, mais nous nous en allons,
Et tôt serons étendus sous la lame :

Et des amours desquelles nous parlons,
Quand serons morts, ne sera plus nouvelle !
Pource aimez-moi, cependant qu’êtes belle.

Ode

Rossignol mon mignon, qui par cette saulaie
Vas seul de branche en branche à ton gré voletant,
Et chantes à l’envi de moi qui vais chantant
Celle qu’il faut toujours que dans la bouche j’aie.

Nous soupirons tous deux ; ta douce voix s’essaie
De sonner l’amitié d’une qui t’aime tant,
Et moi triste je vais la beauté regrettant
Qui m’a fait dans le cœur une si aigre plaie.

Toutefois, Rossignol, nous différons d’un point,
C’est que tu es aimé, et je ne le suis point,
Bien que tous deux ayons les musiques pareilles :

Car tu fléchis t’amie au doux bruit de tes sons,
Mais la mienne qui prend à dépit mes chansons,
Pour ne les écouter se bouche les oreilles.

Hymne de la Mort (extraits)

…Que ta puissance, ô Mort, est grande et admirable :
Rien au monde par toi ne se dit perdurable ;
Mais tout ainsi que l’onde, à val des ruisseaux, fuit
Le pressant coulement de l’autre qui la suit,
Ainsi le temps se coule, et le présent fait place
Au futur importun qui les talons lui trace.
Ce qui fut se refait ; tout coule comme une eau,
Et rien dessous le ciel ne se voit de nouveau ;
Mais la forme se change en une autre nouvelle,
Et ce changement-là VIVRE au monde s’appelle,
Et MOURIR quand la forme en une autre s’en va…

Hymne de l’Or (extraits)

….On dit que Jupiter pour vanter sa puissance,
Montrait un jour sa foudre, et Mars montrait sa lance,
Saturne sa grande faux, Neptune son trident,
Apollon son bel arc, Amour son trait ardent,
Bacchus son beau vignoble, et Cérès ses campagnes,
Flore ses belles fleurs, le dieu Pan ses montagnes,
Hercule sa massue, et bref les autres dieux
L’un sur l’autre vantaient leurs biens à qui mieux mieux ;
Toutefois ils donnaient, par une voix commune,
L’honneur de ce débat au grand prince Neptune,
Quand la Terre leur mère, épointe de douleur
Qu’un autre par sus elle emportait cet honneur,
Ouvrit son large sein, et, au travers des fentes
De sa peau, leur montra les mines d’or luisantes,
Qui rayonnent ainsi que l’éclair du soleil
Reluisant au matin, lorsque son beau réveil
N’est point environné de l’épais d’un nuage,
Ou comme l’on voit luire au soir le beau visage
De Vesper la Cyprine allumant les beaux crins
De son chef bien lavé dedans les flots marins….

Ode (extraits)

…O le gentil loyer ! que sert au vieil Homère,
Ores qu’il n’est plus rien sous la tombe là-bas,
Et qu’il n’a plus ni chef, ni bras, ni jambe entière,
Si son renom fleurit, ou s’il ne fleurit pas ?….

Ode (extraits)

Quand je suis vingt ou trente mois
Sans retourner en Vendômois,
Plein de pensées vagabondes,
Plein d’un remord et d’un souci,
Aux rochers je me plains ainsi,
Aux bois, aux antres, et aux ondes :

Rochers, bien que soyez âgés
De trois mil ans, vous ne changez
Jamais ni d’état ni de forme :
Mais toujours ma jeunesse fuit,
Et la vieillesse qui me suit,
De jeune en vieillard me transforme.

Bois, bien que perdiez tous les ans
En l’hiver vos cheveux plaisans,
L’a d’après qui se renouvelle,
Renouvelle aussi votre chef :
Mais le mien ne peur derechef
R’avoir sa perruque nouvelle.

Antres, je me suis vu chez vous
Avoir jadis verts les genoux,
Le corps habile, et la main bonne :
Mais ores j’ai le corps plus dur,
Et les genoux, que n’est le mur
Qui froidement vous environne.

Ondes, sans fin vous promenez,
Et vous menez et ramenez
Vos flots d’un cours qui ne séjourne :
Et moi sans faire long séjour
Je m’en vais de nuit et de jour
Au lieu d’où plus on ne retourne….

Ode

Ma douce jouvence est passée,
Ma première force est cassée,
J’ai la dent noire et le chef blanc,
Mes nerfs sont dissous, et mes veines,
Tant j’ai le corps froid, ne sont pleines
Que d’une eau rousse en lieu de sang.

Adieu ma lyre, adieu, fillettes,
Jadis mes douces amourettes,
Adieu, je sens venir ma fin :
Nul passetemps de ma jeunesse
Ne m’accompagne en la vieillesse,
Que le feu, le lit et le vin.

J’ai la tête toute élourdie
De trop d’ans et de maladie ;
De tous côtés le soin me mord,
Et soit que j’aille ou que je tarde,
Toujours après moi je regarde
Si je verrai venir la Mort,

Qui doit, ce me semble, à toute heure
Me mener là-bas, où demeure
Je ne sais quel Pluton, qui tient
Ouvert à tous venants un antre
Où bien facilement on entre
Mais d’où jamais on ne revient.

A Pontus de Tyard

Tyard, on me blâmoit à mon commencement,
De quoi j’étais obscur au simple populaire :
Mais on dit aujourd’hui que je suis au contraire,
Et que je me démens, parlant trop bassement.

Toi, de qui le labeur enfante doctement
Des livres immortels, dis-moi, que dois-je faire ?
Dis-moi (car tu sais tout) comme dois-je complaire
A ce monstre têtu, divers en jugement ?

Quand je tonne en mes vers, il a peur de me lire :
Quand ma voix se désenfle, il ne fait qu’en médire.
Dis-moi de quels liens, force, tenaille et clous,

Tiendrai-je ce Proté, qui se change à tous coups ?
Tyard, je t’entends bien, il le faut laisser dire,
Et nous rire de lui, comme il se rit de nous.

Amour prisonnier des Muses

Les Muses lièrent un jour
De chaînes de roses Amour,
Et, pour le garder, le donnèrent
Aux Grâces et à la Beauté,
Qui, voyants sa déloyauté,
Sur Parnasse l’emprisonnèrent.

Sitôt que Vénus l’entendit,
Son beau ceston elle vendit
A Vulcain, pour la délivrance
De son enfant, et tout soudain,
Ayant l’argent dedans la main,
Fit aux Muses la révérence :

« Muses, déesses des chansons,
Quand il faudrait quatre rançons
Pour mon enfant, je les apporte ;
Délivrez mon fils prisonnier. »
Mais les Muses l’ont fait lier
D’une chaîne encore plus forte.

Courage donques, amoureux,
Vous ne serez plus langoureux :
Amour est au bout de ses ruses ;
Plus n’oserait ce faux garçon
Vous refuser quelque chanson,
Puisqu’il est prisonnier des Muses.

Ode à Corydon

J’ai l’esprit tout ennuyé
D’avoir trop étudié
Les phénomènes d’Arate.
Il est temps que je m’ébatte
Et que j’aille aux champs jouer.
Bons Dieux ! qui voudrait louer
Ceux qui collés sur un livre
N’ont jamais souci de vivre ?

Hé, que sert l’étudier,
Sinon de nous ennuyer,
Et soin dessus soin accroître,
A nous qui serons peut-être,
Ou ce matin, ou ce soir
Victime de l’Orque noir,
De l’Orque qui ne pardonne,
Tant il est fier, à personne ?

Corydon, marche devant,
Sache où le bon vin se vend :
Fais après à ma bouteille
Des feuilles de quelque treille
Un tapon pour la boucher ;
Ne m’achète point de chair,
Car, tant soit-elle friande,
L’été je hais la viande.

Achète des abricots,
Des pompons, des artichauts,
Des fraises et de la crème :
C’est en été ce que j’aime,
Quand, sur le bord d’un ruisseau,
Je les mange au bruit de l’eau,
Etendu sur le rivage
Ou dans un antre sauvage.

Ores que je suis dispos,
Je veux rire sans repos,
De peur que la maladie
Un de ces jours ne me die,
Me happant à l’impourvu :
« Meurs, galant : c’est assez bu. »

Ode ou songe

…Il était minuit, et l’Ourse
De son char tournait la course
Entre les mains du Bouvier,
Quand le somme vint lier
D’une chaîne sommeillière
Mes yeux clos sous la paupière.

Jà je dormais en mon lit
Lors que j’entr’ouis le bruit
D’un qui frappait à ma porte,
Et heurtait de telle sorte
Que mon dormir s’en alla :
Je demandai : »Qu’est-ce là
Qui fait à mon huis sa plainte ?
-Je suis enfant, n’aye crainte »,
Ce me dit-il ; et adonc
Je lui desserre le gond
De ma porte verrouillée.
« J’ai la chemise mouillée
Qui me trempe jusqu’aux os,
Ce disait ; dessus le dos,
Toute nuit, j’ai eu la pluie :
Et, pour ce, je te supplie
De me conduire à ton feu
Pour m’aller sécher un peu. »
Lors je pris sa main humide,
Et par pitié je le guide
En ma chambre, et le fis seoir
Au feu qui restait du soir ;
Puis allumant des chandelles,
Je vis qu’il portait des ailes,
Dans la main un arc turquois,
Et sous l’aisselle un carquois.
Adonc en mon cœur je pense
Qu’il avait grande puissance,
Et qu’il fallait m’apprêter
Pour le faire banqueter.

Cependant il me regarde
D’un œil, de l’autre il prend garde
Si son arc était séché ;
Puis, me voyant empêché
A lui faire bonne chère,
Me tire une flèche amère
Droit en l’œil, et qui de là
Plus bas au cœur dévala,
Et m’y fit telle ouverture
Qu’herbe, drogue ni murmure,
N’y serviraient plus de rien.

Voilà, Robertet, le bien
(Mon Robertet qui embrasses
Les neuf Muses et les Grâces)
Le bien qui m’est advenu
Pour loger un inconnu.

Ode à l’alouette

T’oserait bien quelque poète
Nier des vers, douce alouette ?
Quant à moi, je ne l’oserois :
Je veux célébrer ton ramage
Sut tous oiseaux qui sont en cage
Et sur tous ceux qui sont ès bois.

Qu’il te fait bon ouïr, à l’heure
Que le bouvier les champs labeure,
Quand la terre le Printemps sent,
Qui plus de ta chanson est gaie
Que courroucée de la plaie
Du soc, qui l’estomac lui fend !

Sitôt que tu es arrosée
Au point du jour, de la rosée,
Tu fais en l’air mille discours ;
En l’air des ailes tu frétilles,
Et pendue au ciel tu babilles
Et contes au vent tes amours.

Puis du ciel tu te laisses fondre,
Dans un sillon vert, soit pour pondre,
Soit pour éclore ou pour couver,
Soit pour apporter la béchée
A tes petits, ou d’une achée,
Ou d’une chenille, ou d’un ver.

Lors moi, couché dessus l’herbette,
D’une part j’oi ta chansonnette ;
De l’autre, sur du poliot,
A l’abri de quelque fougère,
J’écoute la jeune bergère
Qui dégoise son lerelot.

Lors je dis : « Tu es bienheureuse,
Gentille alouette amoureuse,
Qui n’as peur ni souci de riens,
Qui jamais au cœur n’a sentie
Les dédains d’une fière amie,
Ni le soin d’amasser des biens ;

Ou si quelque souci te touche,
C’est lors que le soleil se couche,
De dormir et de réveiller
De tes chansons, avec l’Aurore,
Et bergers et passants encore
Pour les envoyer travailler.

Mais je vis toujours en tristesse
Pour les fiertés d’une maîtresse
Qui paie ma foi de travaux
Et d’une plaisante mensonge,
Mensonge qui toujours allonge
La longue trame de mes maux. »

Ode au laboureur

Pourquoi, chétif laboureur,
Trembles-tu d’un Empereur
Qui doit bientôt, légère ombre,
Des morts accroître le nombre ?
Ne sais-tu qu’à tout chacun
Le port d’Enfer est commun,
Et qu’une âme Impériale
Aussitôt là-bas dévale
Dans le bateau de Charon
Que l’âme d’un bûcheron ?

Courage, coupeur de terre !
Ces grands foudres de la guerre
Non plus que toi n’iront pas
Armés d’un plastron là-bas
Comme ils allaient aux batailles :
Autant leur vaudront leurs mailles,
Leurs lances et leur estoc,
Comme à toi vaudra ton soc.

Car le juge Rhadamante
Assuré ne s’épouvante
Non plus de voir un harnois
Là-bas qu’un levier de bois,
Ou voir une souquenie
Qu’une cape bien gagnie,
Ou qu’un riche accoutrement
D’un Roi mort pompeusement.

Les amours (extraits)

…Dedans un pré je vis une Naïade
Qui comme fleur marchait dessus les fleurs,
Et mignottait un bouquet de couleurs,
Echevelée, en simple vertugade.

Dès ce jour-là ma raison fut malade,
Mon front pensif, mes yeux chargés de pleurs,
Moi triste et lent : tel amas de douleurs
En ma franchise imprima son œillade.

Là je sentis dedans mes yeux couler
Un doux venin, subtil à se mêler
Au fond de l’âme, et, depuis cet outrage,

Comme un beau lis, au mois de juin, blessé
D’un rais trop chaud, languit à chef baissé,
Je me consume au plus vert de mon âge.

Ciel, air et vents, plains et monts découverts,
Tertres fourchus, et forêts verdoyantes,
Rivages tors, et sources ondoyantes,
Taillis rasés, et vous, bocages verts ;

Antres moussus à demi-front ouverts,
Prés, boutons, fleurs et herbes rousoyantes,
Coteaux vineux et plages blondoyantes,
Gastine, Loir, et vous, mes tristes vers,

Puis qu’au partir, rongé de soin et d’ire,
A ce bel œil l’adieu je n’ai su dire,
Qui près et loin me détient en émoi,

Je vous suppli, ciel, air, vents, monts et plaines,
Taillis, forêts, rivages et fontaines,
Antres, prés, fleurs, dites-le lui pour moi…..

…Voici le bois, que ma sainte Angelette
Sur le printemps anime de son chant ;
Voici les fleurs que son pied va marchant,
Lors que pensive elle s’ébat seulette ;

Io, voici la prée verdelette
Qui prend vigueur de sa main la touchant,
Quand pas à pas pillarde va cherchant
Le bel émail de l’herbe nouvelette.

Ici chanter, là pleurer je la vi,
Ici sourire, et là je fus ravi
De ses beaux yeux par lesquels je dévie.

Ici s’asseoir, là je la vi danser :
Sur le métier d’un si vague penser
Amour ourdit les trames de ma vie.

Ode à Cassandre

Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil
A point perdu cette vêprée
Les plis de sa robe pourprée
Et son teint au vôtre pareil.

Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las, las, ses beautés laissé choir !
O vraiment marâtre Nature,
Puisqu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.

Ode de l’élection de son sépulcre

Antres, et vous fontaines
De ces roches hautaines
Dévalants contre-bas
D’un glissant pas ;

Et vous forêts, et ondes
Par ces prés vagabondes,
Et vous, rives et bois,
Oyez ma voix.

Quand le ciel et mon heure
Jugeront que je meure,
Ravi du doux séjour
Du commun jour,

Je veux, j’entends, j’ordonne,
Qu’un sépulcre on me donne,
Non près des rois levé,
Ni d’or gravé,

Mais en cette île verte
Où la course entr’ouverte
Du Loir autour coulant
Est accolant,

Là où Braye s’amie
D’une eau non endormie
Murmure à l’environ
De son giron.

Je défends qu’on ne rompe
Le marbre pour la pompe
De vouloir mon tombeau
Bâtir plus beau.

Mais bien je veux qu’un arbre
M’ombrage en lieu d’un marbre,
Arbre qui soit couvert
Toujours de vert.

De moi puisse la terre
Engendrer un lierre
M’embrassant en maint tour
Tout à l’entour ;

Et la vigne tortisse
Mon sépulcre embellisse,
Faisant de toutes parts
Un ombre épars .

Là viendront chaque année
A ma fête ordonnée,
Avecques leurs troupeaux,
Les pastoureaux ;

Puis, ayant fait l’office
De leur beau sacrifice,
Parlants à l’île ainsi,
Diront ceci :

« Que tu es renommée,
D’être tombeau nommée
D’un de qui l’univers
Ouira les vers,

Et qui oncque en sa vie
Ne fût brûlé d’envie,
Mendiant les honneurs
Des grands seigneurs,

Ni ne rapprit l’usage
De l’amoureux breuvage,
Ni l’art des anciens
Magiciens,

Mais bien à nos campaignes
Fit voir les Sœurs compaignes
Foulantes l’herbe aux sons
De ses chansons,

Car il sut sur sa lyre
Si bons accords élire
Qu’il orna de ses chants
Nous et nos champs !

La douce manne tombe
A jamais sur sa tombe,
Et l’humeur que produit
En mai la nuit !

Tout à l’entour l’emmure
L’herbe, et l’eau qui murmure,
L’un toujours verdoyant,
L’autre ondoyant !

Et nous, ayant mémoire
Du renom de sa gloire,
Lui ferons, comme à Pan,
Honneur chaque an. »

Ainsi dira la troupe,
Versant de mainte coupe
Le sang d’un agnelet,
Avec du lait,

Dessus moi, qui à l’heure
Serai par la demeure
Où les heureux esprits
Ont leur pourpris.

La grêle ni la neige
N’ont tels lieux pour leur siège,
Ni la foudre oncques là
Ne dévala.

Mais bien constante y dure
L’immortelle verdure,
Et constant en tout temps
Le beau printemps.

Et Zéphire y haleine
Les myrtes et la plaine
Qui porte les couleurs
De mille fleurs.

Le soin qui sollicite
Les rois ne les incite
Le monde ruiner
Pour dominer ;

Ains comme frères vivent,
Et, morts, encore suivent
Les métiers qu’ils avaient
Quand ils vivaient.

Là, là, j’oirai d’Alcée
La lyre courroucée,
Et Sapho, qui sur tous
Sonne plus doux.

Combien ceux qui entendent
Les odes qu’ils répandent
Se doivent réjouir
De les ouïr,

Quand la peine reçue
Du rocher est déçue
Sous les accords divers
De leurs beaux vers !

La seule lyre douce
L’ennui des cœurs repousse,
Et va l’esprit flattant
De l’écoutant.

Elégie à Pierre Lescot

Je fus souventes fois retancé de mon père
Voyant que j’aimais trop les deux filles d’Homère…
Et me disait ainsi : « Pauvre sot, tu t’amuses
A courtiser en vain Apollon et les Muses :
Que te saurait donner ce beau chantre Apollon,
Qu’une lyre, un archet, une corde, un fredon ?…. »
Pour menace ou prière ou courtoise requête
Que mon père me fit, il ne sut de ma tête
Oter la poésie, et plus il me tançait,
Plus à faire des vers la fureur me poussait.

Ode à la Fontaine Bellerie

O Fontaine Bellerie,
Belle fontaine chérie
De nos Nymphes, quand ton eau
Les cache au creux de ta source
Fuyantes le satyreau
Qui les pourchasse à la course
Jusqu’au bord de ton ruisseau,

Tu es la Nymphe éternelle
De ma terre paternelle :
Pource en ce pré verdelet
Vois ton poète qui t’orne
D’un petit chevreau de lait,
A qui l’une et l’autre corne
Sortent du front nouvelet.

L’été je dors ou repose
Sur ton herbe, où je compose,
Caché sous tes saules verts,
Je ne sais quoi, qui ta gloire
Enverra par l’univers,
Commandant à la mémoire
Que tu vives par mes vers.

L’ardeur de la Canicule
Ton vert rivage ne brûle,
Tellement qu’en toutes parts
Ton ombre est épaisse et drue
Aux pasteurs venant des parcs
Aux bœufs las de la charrue
Et au bestial épars.

Io ! tu seras sans cesse
Des fontaines la princesse,
Moi célébrant le conduit
Du rocher percé, qui darde
Avec un enroué bruit,
L’eau de ta source jasarde
Qui trépillante se suit.

Les pauvres à l’église

Parqués entre des bancs de chêne, aux coins d’église
Qu’attiédit puamment leur souffle, tous leurs yeux
Vers le chœur ruisselant d’orrie et la maîtrise
Aux vingt gueules gueulant les cantiques pieux ;

Comme un parfum de pain humant l’odeur de cire,
Heureux, humiliés comme des chiens battus,
Les Pauvres au bon Dieu, le patron et le sire,
Tendent leurs oremus risibles et têtus.

Aux femmes, c’est bien bon de faire des bancs lisses,
Après les six jours noirs où Dieu les fait souffrir !
Elles bercent, tordus dans d’étranges pelisses,
Des espèces d’enfants qui pleurent à mourir.

Leurs seins crasseux dehors, ces mangeuses de soupe,
Une prière aux yeux et ne priant jamais,
Regardent parader mauvaisement un groupe
De gamines avec leurs chapeaux déformés.

Dehors, la nuit, le froid, la faim, l’homme en ribote.
C’est bon. Encore une heure ; après les maux sans noms !
Cependant, alentour, geint, nasille, chuchote
Une collection de vieilles à fanons :

Ces effarés y sont et ces épileptiques
Dont on se détournait hier aux carrefours ;
Et, fringalant du nez dans des missels antiques,
Ces aveugles qu’un chien introduit dans les cours.

Et tous, bavant la foi mendiante et stupide,
Récitent la complainte infinie à Jésus
Qui rêve en haut, jauni par le vitrail livide,
Loin des maigres mauvais et des méchants pansus,

Loin des senteurs de viande et d’étoffes moisies,
Farce prostrée et sombre aux gestes repoussants ;
Et l’oraison fleurit d’expressions choisies,
Et les mysticités prennent des tons pressants,

Quand, des nefs où périt le soleil, plis de soie
Banals, sourires verts, les Dames des quartiers
Distingués, – ô Jésus !- les malades du foie
Font baiser leurs longs doigts jaunes aux bénitiers.

Les chercheuses de poux

Quand le front de l’enfant, plein de rouges tourmentes,
Implore l’essaim blanc des rêves indistincts,
Il vient près de son lit deux grandes sœurs charmantes
Avec de frêles doigts aux ongles argentins.

Elles assoient l’enfant devant une croisée
Grande ouverte où l’air bleu baigne un fouillis de fleurs,
Et dans ses lourds cheveux où tombe la rosée
Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.

Il écoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés,
Et qu’interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers.

Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfumés ; et leurs doigts électriques et doux
Font crépiter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.

Voilà que monte en lui le vin de la Paresse,
Soupir d’harmonica qui pourrait délirer ;
L’enfant se sent, selon la lenteur des caresses,
Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.

Le bateau ivre (extraits)

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J’étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots
Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots !

Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sures,
L’eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d’astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus forte que l’alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l’amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,
Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir !……

Les douaniers

Ceux qui disent : Cré Nom, ceux qui disent macache,
Soldats, marins, débris d’Empire, retraités,
Sont nuls, très nuls, devant les Soldats des Traités
Qui tailladent l’azur frontière à grands coups d’hache.

Pipe aux dents, lame en main, profonds, pas embêtés,
Quand l’ombre bave aux bois comme un mufle de vache,
Ils s’en vont, amenant leur dogue à l’attache,
Exercer nuitamment leurs terribles gaîtés !

Ils signalent aux lois modernes les faunesses.
Ils empoignent les Fausts et les Diavolos.
« Pas de ça, les anciens ! Déposez les ballots ! »

Quand sa sérénité s’approche des jeunesses,
Le Douanier se tient aux appas contrôlés !
Enfer aux Délinquants que sa paume a frôlés !

Oraison du soir

Je vis assis, tel qu’un ange aux mains d’un barbier,
Empoignant une chope à fortes cannelures,
L’hypogastre et le col cambrés, une Gambier
Aux dents, sous l’air gonflé d’impalpables voilures.

Tels que les excréments chauds d’un vieux colombier,
Mille rêves en moi font de douces brûlures :
Puis par instants mon cœur triste est comme un aubier
Qu’ensanglante l’or jeune et sombre des coulures.

Puis, quand j’ai ravalé mes rêves avec soin,
Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes,
Et me recueille, pour lâcher l’acre besoin :

Doux comme le Seigneur du cèdre et des hysopes,
Je pisse vers les cieux bruns, très haut et très loin,
Avec l’assentiment des grands héliotropes.

Les poètes de sept ans

Et la Mère, fermant le livre du devoir,
S’en allait satisfaite et très fière, sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d’éminences,
L’âme de son enfant livrée aux répugnances.

Tout le jour il suait d’obéissance ; très
Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits
Semblaient prouver en lui d’âcres hypocrisies.
Dans l’ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
A l’aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.
Une porte s’ouvrait sur le soir : à la lampe
On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe,
Sous un golfe de jour pendant du toit. L’été
Surtout, vaincu, stupide, il était entêté
A se renfermer dans la fraîcheur des latrines :
Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.
Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet
Derrière la maison, en hiver, s’illunait,
Gisant au pied d’un mur, enterré dans la marne
Et pour des visions écrasant son œil darne,
Il écoutait grouiller les galeux espaliers.
Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers
Qui, chétifs, fronts nus, œil déteignant sur la joue,
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue
Sous des habits puant la foire et tout vieillots,
Conversaient avec la douceur des idiots !
Et si, l’ayant surpris à des pitiés immondes,
Sa mère s’effrayait, les tendresses, profondes,
De l’enfant se jetaient sur cet étonnement.
C’était bon. Elle avait le bleu regard, – qui ment !

A sept ans, il faisait des romans, sur la vie
Du grand désert, où luit la Liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes !- Il s’aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rirent et des Italiennes.
Quand venait, l’œil brun, folle, en robes d’indiennes,
-Huit ans,- la fille des ouvriers d’à côté,
La petite brutale, et qu’elle avait sauté,
Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,
Et qu’il était sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons ;
Et, par elle meurtri des poings et des talons,
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.

Il craignait les blafards dimanches de décembre,
Où, pommadé, sur un guéridon d’acajou,
Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ;
Des rêves l’oppressaient chaque nuit dans l’alcôve.
Il n’aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu’au soir fauve,
Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg
Où les crieurs, en trois roulements de tambour,
Font autour des édits rire et gronder les foules.
Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles
Lumineuses, parfums sains, pubescences d’or,
Font leur remuement calme et prennent leur essor !

Et comme il savourait surtout les sombres choses,
Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,
Haute et bleue, âcrement prise d’humidité,
Il lisait son roman sans cesse médité
Plein de lourds cieux ocreux et de forêts noyées,
De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,
Vertige, écroulements, déroutes et pitié !
-Tandis que se faisait la rumeur du quartier,
En bas,- seul, et couché sur des pièces de toile
Ecrue, et pressentant violemment la voile !

La maline  

Dans la salle à manger brune, que parfumait
Une odeur de vernis et de fruits, à mon aise
Je ramassais un plat de je ne sais quel met
Belge, et je m’épatais dans mon immense chaise.

En mangeant, j’écoutais l’horloge, heureux et coi.
La cuisine s’ouvrit avec une bouffée,
Et la servante vint, je ne sais pourquoi,
Fichu moitié défait, malinement coiffée

Et, tout en promenant son petit doigt tremblant
Sur sa joue, un velours de pêche rose et blanc,
En faisant, de sa lèvre enfantine, une moue,

Elle arrangeait les plats, près de moi, pour m’aiser ;
Puis, comme çà,- bien sûr pour avoir un baiser,-
Tout bas : « Sens donc : j’ai pris « une » froid sur la joue… »

Le buffet

C’est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,
Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

Tout plein, c’est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d’enfants, de dentelles flétries,
De fichus de grand’mère où sont peints des griffons ;

C’est là qu’on trouverait les médaillons, les mèches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s’ouvrent lentement tes portes noires.

Ma bohême

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse !et j’étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.
-Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
-Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !

Rêvé pour l’hiver

L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.

Tu fermeras l’œil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.

Puis tu te sentiras la joue égratignée…
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou…

Et tu me diras : « Cherche ! » en inclinant la tête,
-Et nous prendrons du temps à chercher cette bête
Qui voyage beaucoup….

Le dormeur du val

C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Au cabaret vert

Depuis huit jours, j’avais déchiré mes bottines
Aux cailloux du chemin. J’entrais à Charleroi.
« Au Cabaret-Vert » : je demandai des tartines
De beurre et du jambon qui fût à moitié froid.

Bienheureux, j’allongeai les jambes sous la table
Verte : je contemplai les sujets très naïfs
De la tapisserie.-Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,

-Celle-là, ce n’est pas un baiser qui l’épeure !-
Rieuse, m’apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiède, dans un plat colorié,

Du jambon rose et blanc parfumé d’une gousse
D’ail, et m’emplit la chope immense, avec une mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré

Les effarés

Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s’allume,
Leurs culs en rond,

A genoux, cinq petits- misère !-
Regardent le Boulanger faire
Le lourd pain blond.

Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pâte grise et qui l’enfourne
Dans un trou clair.

Ils écoutent le bon pain cuire.
Le Boulanger au gras sourire
Grogne un vieil air.

Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge
Chaud comme un sein.

Quand pour quelque médianoche,
Façonné comme une brioche
On sort le pain,

Quand, sous les poutres enfumées,
Chantent les croûtes parfumées
Et les grillons,

Que ce trou chaud souffle la vie,
Ils ont leur âme si ravie
Sous leurs haillons,

Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres Jésus pleins de givre,
Qu’ils sont là tous,

Collant leurs petits museaux roses
Au treillage, grognant des choses
Entre les trous,

Tout bêtes, faisant leurs prières
Et repliés vers ces lumières
Du ciel rouvert,

Si fort, qu’ils crèvent leur culotte
Et que leur chemise tremblote
Au vent d’hiver.

Roman

On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruit,- la ville n’est pas loin,-
A des parfums de vigne et des parfums de bière…

Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon
D’azur sombre, encadré d’une petite branche,
Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche…

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête…
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête …

Le cœur fou Robinsonne à travers les romans,
Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l’ombre du faux-col effrayant de son père….

Et, comme elle vous trouve immensément naïf
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d’un mouvement vif…
Sur vos lèvres alors meurent les cavatines…

Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août.
Vous êtes amoureux- Vos sonnets la font rire.
Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût.-
Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire !…

Ce soir-là…-vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade…
-On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.

Le Mal

Tandis que les crachats rouges de la mitraille
Sifflent tout le jour par l’infini du ciel bleu ;
Qu’écarlates ou verts, près du Roi qui les raille,
Croulent les bataillons en masse dans le feu ;

Tandis qu’une folie épouvantable broie
Et fait de cent millier d’hommes un tas fumant ;
-Pauvres morts ! dans l’été, dans l’herbe, dans ta joie,
Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !….

-Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées
Des autels, à l’encens, aux grands calices d’or ;
Qui dans le bercement des hosannah s’endort,

Et se réveille, quand des mères, ramassées
Dans l’angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir,
Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !

Rages de Césars

L’Homme pâle, le long des pelouses fleuries,
Chemine, en habit noir, et le cigare aux dents ;
L’Homme pâle repense aux fleurs des Tuileries
-Et parfois son œil terne a des regards ardents…

Car l’Empereur est soûl de ses vingt ans d’orgie !
Il s’était dit : « Je vais souffler la Liberté
Bien délicatement, ainsi qu’une bougie ! »
La Liberté revit ! Il se sent éreinté !

Il est pris.- Oh ! quel nom sur ses lèvres muettes
Tressaille ? Quel regret implacable le mord ?
On ne le saura pas. L’Empereur a l’œil mort.

Il repense peut-être au Compère à lunettes….
-Et regarde filer de son cigare en feu,
Comme aux soirs de Saint-Cloud, un fin nuage bleu.

Première soirée

Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.

Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains ;
Sur le plancher frissonnaient d’aise
Ses petits pieds si fins, si fins.

Je regardai, couleur de cire,
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, mouche au rosier.

Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s’égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal.

Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : « Veux-tu finir ! »
La première audace permise,
Le rire feignait de punir !

Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : « Oh ! c’est encor mieux !…

« Monsieur, j’ai deux mots à te dire… »
Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D’un bon rire qui voulait bien…

Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.

Les réparties de Nina (extraits)

« … Dix-sept ans ! Tu seras heureuse !
Oh ! les grands prés,
La grande campagne amoureuse !
Dis, viens plus près !…

Ta poitrine sur ma poitrine,
Mêlant nos voix,
Lents, nous gagnerions la ravine,
Puis les grands bois !…

Puis, comme une petite morte,
Le cœur pâmé,
Tu me dirais que je te porte,
L’œil mi-fermé… »

« ….Nous regagnerons le village
Au ciel mi-noir ;
Et ça sentira le laitage
Dans l’air du soir ;

Ca sentira l’étable, pleine
De fumiers chauds,
Pleine d’un lent rythme d’haleine,
Et de grands dos

Blanchissant sous quelque lumière ;
Et, tout là-bas,
Une vache fientera, fière,
A chaque pas…

Les lunettes de la grand’mère
Et son nez long
Dans son missel ; le pot de bière
Cerclé de plomb,

Moussant entre les larges pipes
Qui, crânement,
Fument ; les effroyables lippes
Qui, tout fumant,

Happent le jambon aux fourchettes
Tant, tant et plus ;
Le feu qui claire les couchettes
Et les bahuts ;

Les fesses luisantes et grasses
D’un gros enfant
Qui fourre, à genoux, dans les tasses
Son museau blanc

Frôlé par un mufle qui gronde
D’un ton gentil,
Et pourlèche la face ronde
Du cher petit…

Noire, rogue au bord de sa chaise,
Affreux profil,
Une vieille devant la braise
Qui fait du fil ;

Que de choses verrons-nous, chère,
Dans ces taudis,
Quand la flamme illumine, claire,
Les carreaux gris…. »

A la musique

Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu’étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.

L’orchestre militaire, au milieu du jardin,
Balance ses schakos dans « la valse des fifres » ;
Autour, aux premiers rangs, parade le gandin ;
Le notaire pend à ses breloques à chiffres.

Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs ;
Les gros bureaux bouffis traînent leurs grosses dames
Auprès desquelles vont, officieux cornacs,
Celles dont les volants ont des airs de réclames ;

Sur les bancs verts, des clubs d’épiciers retraités
Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme,
Fort sérieusement discutent les traités,
Puis prisent en argent, et reprennent :  « En somme !… »

Epatant sur son banc les rondeurs de ses reins,
Un bourgeois à boutons clairs, bedaine flamande,
Savoure son onnaing d’où le tabac par brins
Déborde- vous savez, c’est de la contrebande ;-

Le long des gazons verts ricanent les voyous ;
Et rendus amoureux par le chant des trombones
Très naïfs, et fumant des roses, les pioupious
Caressent les bébés pour enjôler les bonnes…

Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
Elles le savent bien ; et tournent en riant,
Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes.

Je ne dis pas un mot : je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles ;
Je suis, sous le corsage et les frêles atours,
Le dos divin après la courbe des épaules.

J’ai bientôt déniché la bottine, le bas…
Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres ;
Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas…
Et mes désirs brutaux s’accrochent à leurs lèvres…

Ophélie

Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles

La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,

Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…

On entend dans les bois lointains des hallalis.

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie

Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir.

Voici plus de mille ans que sa douce folie

Murmure sa romance à la brise du soir.

Le vent baise ses seins et déploie en corolle

Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ;

Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,

Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux.

Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle ;

Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,

Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile :

Un chant mystérieux tombe des astres d’or.

O pâle Ophélia ! belle comme la neige !

Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !

C’est que les vents tombant des grands monts de Norwège

T’avaient parlé tout bas de l’âpre liberté ;

C’est qu’un souffle, tordant ta grande chevelure,

A ton esprit rêveur portait d’étranges bruits ;

Que ton cœur écoutait le chant de la Nature

Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits ;

C’est que la voix des mers folles, immense râle,

Brisait ton sein d’enfant, trop humain et trop doux ;

C’est qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle,

Un pauvre fou, s’assit muet à tes genoux !

Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !

Tu te fondais à lui comme une neige au feu ;

Tes grandes visions étranglaient ta parole

Et l’Infini terrible effara ton œil bleu !

Et le poète dit qu’aux rayons des étoiles

Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis,

Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles,

La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.

Bal des pendus

Au gibet noir, manchot aimable,

Dansent, dansent les paladins,

Les maigres paladins du diable,

Les squelettes de Saladins.

Messire Belzébuth tire par la cravate

Ses petits pantins noirs grimaçant sur le ciel,

Et, leur claquant au front un revers de savate,

Les fait danser, danser aux sons d’un vieux Noël !

Et les pantins choqués enlacent leurs bras grêles :

Comme des orgues noirs, les poitrines à jour

Que serraient autrefois les gentes demoiselles,

Se heurtent longuement dans un hideux amour.

Hurrah ! les gais danseurs, qui n’avez plus de panse !

On peut cabrioler, les tréteaux sont si longs !

Hop ! qu’on ne sache plus si c’est bataille ou danse !

Belzébuth enragé racle ses violons !

O durs talons, jamais on n’use sa sandale !

Presque tous ont quitté la chemise de peau ;

Le reste est peu gênant et se voit sans scandale.

Sur les crânes, la neige applique un blanc chapeau :

Le corbeau fait panache à ces têtes fêlées,

Un morceau de chair tremble à leur maigre menton :

On dirait, tournoyant dans les ombres mêlées,

Des preux, raides, heurtant armures de carton.

Hurrah ! La bise siffle au grand bal des squelettes !

Le gibet noir mugit comme un orgue de fer !

Les loups vont répondant des forêts violettes :

A l’horizon, le ciel est d’un rouge d’enfer….

Holà, secouez-moi ces capitans funèbres

Qui défilent, sournois, de leurs gros doigts cassés

Un chapelet d’amour sur leurs pâles vertèbres :

Ce n’est pas un moustier ici, les trépassés !

Oh ! voilà qu’au milieu de la danse macabre

Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou

Emporté par l’élan, comme un cheval se cabre :

Et, se sentant encor la corde raide au cou,

Crispe ses petits doigts sur son fémur qui craque

Avec des cris pareils à des ricanements,

Et, comme un baladin rentre dans la baraque,

Rebondit dans le bal au chant des ossements.

Au gibet noir, manchot aimable,

Dansent, dansent les paladins,

Les maigres paladins du diable

Les squelettes de Saladins.

Soleil et chair (extraits)

Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l’amour brûlant à la terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang ;
Que son immense sein, soulevé par une âme,
Est d’amour comme Dieu, de chair comme la femme,
Et qu’il renferme, gros de sève et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons !

Et tout croît, et tout monte !

O Vénus, ô Déesse !
Je regrette les temps de l’antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d’amour l’écorce des rameaux
Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde !
Je regrette les temps où la sève du monde,
L’eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers !
Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre ;
Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre
Modulait sous le ciel le grand hymne d’amour,
Où, debout sur la plaine, il entendait autour
Répondre à son amour la Nature vivante ;
Où les arbres muets, berçant l’oiseau qui chante,
La terre berçant l’homme, et tout l’Océan bleu
Et tous les animaux aimaient, aimaient en Dieu !
Je regrette les temps de la grande Cybèle
Qu’on disait parcourir, gigantesquement belle,
Sur un grand char d’airain, les splendides cités ;
Son double sein versait dans les immensités
Le pur ruissellement de la vie infinie.
L’Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie,
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux.
Parce qu’il était fort, l’Homme était chaste et doux.

Misère ! Maintenant il dit : « Je sais les choses »
Et va, les yeux fermés et les oreilles closes.
Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l’Homme est Roi
L’Homme est Dieu ! Mais l’Amour, voilà la grande Foi !
Oh ! si l’homme puisait encore à ta mamelle,
Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle ;
S’il n’avait pas laissé l’immortelle Astarté
Qui jadis, émergeant dans l’immense clarté
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume,
Montra son nombril rose où vint neiger l’écume,
Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs
Le rossignol aux bois et l’amour dans les cœurs !

Je crois en toi ! je crois en toi ! Divine mère,
Aphrodité marine !- Oh ! la route est amère
Depuis que l’autre Dieu nous attelle à sa croix ;
Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c’est en toi que je crois !
Oui, l’Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste.
Il a des vêtements, parce qu’il n’est plus chaste,
Parce qu’il a sali son fier buste de dieu,
Et qu’il a rabougri, comme une idole au feu,
Son corps Olympien aux servitudes sales !
Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles
Il veut vivre, insultant la première beauté !
Et l’Idole où tu mis tant de virginité,
Où tu divinisas notre argile, la Femme,
Afin que l’Homme pût éclairer sa pauvre âme
Et monter lentement, dans un immense amour,
De la prison terrestre à la beauté du jour,
La Femme ne sait plus même être courtisane !
C’est une bonne farce ! et le monde ricane
Au nom doux et sacré de la grande Vénus !

Si les temps revenaient, les temps qui sont venus !
Car l’Homme a fini ! l’Homme a joué tous les rôles !
Au grand jour, fatigué de briser des idoles
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !
L’Idéal, la pensée invincible, éternelle,
Tout ; le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brûlera sous son front !
Et quand tu le verras sonder tout l’horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte !
Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L’Amour infini dans un infini sourire !
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d’un immense baiser !

Le Monde a soif d’amour : tu viendras l’apaiser.

O ! L’Homme a relevé sa tête libre et fière !
Et le rayon soudain de la beauté première
Fait palpiter le dieu dans l’autel de la chair !
Heureux du bien présent, pâle du mal souffert,
L’Homme veut tout sonder, et savoir ! La Pensée,
La cavale longtemps, si longtemps oppressée
S’élance de son front ! Elle saura Pourquoi !…
Qu’elle bondisse libre, et l’Homme aura la Foi !
Pourquoi l’azur muet et l’espace insondable ?
Pourquoi les astres d’or fourmillant comme un sable ?
Si l’on montait toujours, que verrait-on là-haut ?
Un Pasteur mène-t-il cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l’horreur de l’espace ?
Et tous ces mondes-là, que l’éther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d’une éternelle voix ?
Et l’Homme, peut-il voir ? peut-il dire : Je crois ?
La voix de la pensée est-elle plus qu’un rêve ?
Si l’homme naît si tôt, si la vie est si brève,
D’où vient-il ? Sombre-t-il dans l’Océan profond
Des Germes, des Fœtus, des Embryons, au fond
De l’immense Creuset d’où la Mère-Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose, et croître dans les blés ?…

Nous ne pouvons savoir ! Nous sommes accablés
D’un manteau d’ignorance et d’étroites chimères !
Singes d’hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pâle raison nous cache l’infini !
Nous voulons regarder : le Doute nous punit !
Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile…
Et l’horizon s’enfuit d’une fuite éternelle !…

Le grand ciel est ouvert ! les mystères sont morts
Devant l’Homme, debout, qui croise ses bras forts
Dans l’immense splendeur de la riche nature !
Il chante… et le bois chante, et le fleuve murmure
Un chant plein de bonheur qui monte vers le jour !…
C’est la Rédemption ! c’est l’amour ! c’est l’amour !…

Le forgeron

Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant

D’ivresse et de grandeur, le front vaste, riant

Comme un clairon d’airain, avec toute sa bouche,

Et prenant ce gros-là dans son regard farouche,

Le Forgeron parlait à Louis Seize, un jour

Que le peuple était là, se tordant tout autour,

Et sur les lambris d’or traînant sa veste sale.

Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle,

Pâle comme un vaincu qu’on prend pour le gibet,

Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait,

Car ce maraud de forge aux énormes épaules

Lui disait de vieux mots et des choses si drôles,

Que cela l’empoignait au front, comme cela !

« Or, tu sais bien, Monsieur, nous chantions tra la la

Et nous piquions les bœufs vers les sillons des autres :

Le Chanoine au soleil filait des patenôtres

Sur des chapelets clairs grenés de pièces d’or.

Le Seigneur, à cheval, passait, sonnant du cor.

Et l’un avec la hart, l’autre avec la cravache

Nous fouaillaient.- Hébétés comme des yeux de vache,

Nos yeux ne pleuraient plus ; nous allions, nous allions,

Et quand nous avions mis le pays en sillons,

Quand nous avions laissé dans cette terre noire

Un peu de notre chair….nous avions un pourboire :

On nous faisait flamber nos taudis dans la nuit ;

Nos petits y faisaient un gâteau fort bien cuit.

« Oh ! je ne me plains pas. Je te dis mes bêtises,

C’est entre nous. J’admets que tu me contredises.

Or, n’est-ce pas joyeux de voir, au mois de juin,

Dans les granges entrer des voitures de foin

Enormes ? De sentir l’odeur de ce qui pousse,

Des vergers quand il pleut un peu, de l’herbe rousse ?

De voir des blés, des blés, des épis plein de grain,

De penser que cela prépare bien du pain ?…

Oh ! plus fort, on irait, au fourneau qui s’allume,

Chanter joyeusement en martelant l’enclume,

Si l’on était certain de pouvoir prendre un peu,

Etant homme, à la fin ! de ce que donne Dieu !

-Mais voilà, c’est toujours la même vieille histoire !

« Mais je sais, maintenant ! Moi, je ne peux plus croire,

Quand j’ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau,

Qu’un homme vienne là, dague sur le manteau,

Et me dise : Mon gars, ensemence ma terre ;

Que l’on arrive encor, quand ce serait la guerre,

Me prendre mon garçon comme cela, chez moi !

-Moi, je serais un homme, et toi, tu serais roi,

Tu me dirais : Je veux !…- Tu vois bien, c’est stupide.

Tu crois que j’aime voir ta baraque splendide,

Tes officiers dorés, tes mille chenapans,

Tes palsembleu bâtards tournant comme des paons :

Ils ont rempli ton nid de l’odeur de nos filles

Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles,

Et nous dirons : C’est bien : les pauvres à genoux !

Nous dorerons ton Louvre en donnant nos gros sous !

Et tu te soûleras, tu feras belle fête,

Et ces Messieurs riront, les reins sur notre tête !

« Non. Ces saletés-là datent de nos papas !

Oh ! Le Peuple n’est plus une putain. Trois pas

Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussière.

Cette bête suait du sang à chaque pierre

Et c’était dégoûtant, la Bastille debout

Avec ses murs lépreux qui nous racontaient tout

Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre !

Citoyen ! citoyen ! c’était le passé sombre

Qui croulait, qui râlait, quand nous prîmes la tour !

Nous avions quelque chose au cœur comme l’amour.

Nous avions embrassé nos fils sur nos poitrines.

Et, comme des chevaux, en soufflant des narines

Nous allions, fiers et forts, et ça nous battait là….

Nous marchions au soleil, front haut,- comme cela,-

Dans Paris ! On venait devant nos vestes sales.

Enfin ! Nous nous sentions Hommes ! Nous étions pâles,

Sire, nous étions soûls de terribles espoirs :

Et quand nous fûmes là, devant les donjons noirs,

Agitant nos clairons et nos feuilles de chêne,

Les piques à la main, nous n’eûmes pas de haine,

Nous nous sentions si forts, nous voulions être doux !

« Et depuis ce jour là, nous sommes comme fous !

Le tas des ouvriers a monté dans la rue,

Et ces maudits s’en vont, foule toujours accrue

De sombres revenants, aux portes des richards.

Moi, je cours avec eux assommer les mouchards :

Et je vais dans Paris, noir, marteau sur l’épaule,

Farouche, à chaque coin balayant quelque drôle,

Et, si tu me riais au nez, je te tuerais !

Puis, tu peux y compter, tu te feras des frais

Avec tes hommes noirs, qui prennent nos requêtes

Pour se les renvoyer comme sur des raquettes

Et, tout bas, les malins ! se disent :  « Qu’ils sont sots ! »

Pour mitonner des lois, coller de petits pots

Pleins de jolis décrets roses et de droguailles,

S’amuser à couper proprement quelques tailles,

Puis se boucher le nez quand nous marchons près d’eux.

Nos doux représentants qui nous trouvent crasseux !

Pour ne rien redouter, rien, que les baïonnettes….

C’est très bien. Foin de leur tabatière à sornettes !

Nous en avons assez, là, de ces cerveaux plats

Et de ces ventres-dieux. Ah ! ce sont là les plats

Que tu nous sers, bourgeois, quand nous sommes féroces,

Quand nous brisons déjà les sceptres et les crosses !….

« Il le prend par le bras, arrache le velours

Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours

Où fourmille, où fourmille, où se lève la foule

La foule épouvantable avec des bruits de houle,

Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer,

Avec ses bâtons forts et ses piques de fer,

Ses tambours, ses grands cris de halles et de bouges,

Tas sombre de haillons saignant de bonnets rouges :

L’Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout

Au roi pâle et suant qui chancelle debout,

Malade à regarder cela ! « C’est la Crapule,

Sire. Ca bave aux murs, ça monte, ça pullule :

Puisqu’ils ne mangent pas, Sire, ce sont des gueux !

Je suis un forgeron : ma femme est avec eux,

Folle ! Elle croit trouver du pain aux Tuileries !

On ne veut pas de nous dans les boulangeries.

J’ai trois petits. Je suis crapule . Je connais

Des vieilles qui s’en vont pleurant sous leurs bonnets

Parce qu’on leur a pris leur garçon ou leur fille :

C’est la crapule. Un homme était à la Bastille,

Un autre était forçat : et tous deux, citoyens

Honnêtes. Libérés, ils sont comme des chiens :

On les insulte ! Alors, ils ont là quelque chose

Qui leur fait mal, allez ! C’est terrible, et c’est cause

Que se sentant brisés, que, se sentant damnés,

Ils sont là, maintenant, hurlant sous votre nez !

Crapule. Là-dedans sont des filles, infâmes

Parce que- vous saviez que c’est faible, les femmes-

Messeigneurs de la cour, – que ça veut toujours bien,-

Vous leur avez craché sur l’âme, comme rien !

Vos belles, aujourd’hui, sont là. C’est la crapule.

« Oh ! tous les Malheureux, tous ceux dont le dos brûle

Sous le soleil féroce, et qui vont, et qui vont,

Qui dans ce travail-là sentent crever leur front…

Chapeau bas, mes bourgeois ! Oh ! ceux-là sont les Hommes !

Nous sommes Ouvriers, Sire ! Ouvriers ! Nous sommes

Pour les grands temps nouveaux où l’on voudra savoir,

Où l’Homme forgera du matin jusqu’au soir,

Chasseur des grands effets, chasseur des grandes causes,

Où, lentement vainqueur, il domptera les choses

Et montera sur Tout, comme sur un cheval !

Oh ! splendides lueurs des forges ! Plus de mal,

Plus ! Ce qu’on ne sait pas, c’est peut-être terrible :

Nous saurons ! Nos marteaux en main, passons au crible

Tout ce que nous savons : puis, Frères, en avant !

Nous faisons quelquefois ce grand rêve émouvant

De vivre simplement, ardemment, sans rien dire

De mauvais, travaillant sous l’auguste sourire

D’une femme qu’on aime avec un noble amour :

Et l’on travaillerait fièrement tout le jour,

Ecoutant le devoir comme un clairon qui sonne :

Et l’on se sentirait très heureux ; et personne,

Oh ! personne, surtout, ne vous ferait ployer !

On aurait un fusil au-dessus du foyer…

« Oh ! mais l’air est tout plein d’une odeur de bataille.

Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille !

Il reste des mouchards et des accapareurs.

Nous sommes libres, nous ! Nous avons des terreurs

Où nous nous sentons grands, oh, si grands ! Tout à l’heure

Je parlais de devoir calme, d’une demeure…

Regarde donc le ciel ! C’est trop petit pour nous,

Nous crèverions de chaud, nous serions à genoux !

Regarde donc le ciel ! Je rentre dans la foule,

Dans la grande canaille effroyable, qui roule,

Sire, tes vieux canons sur les sales pavés :

Oh ! quand nous serons morts, nous les aurons lavés !

Et si, devant nos cris, devant notre vengeance,

Les pattes des vieux rois mordorés, sur la France

Poussent leurs régiments en habits de gala,

Eh bien, n’est-ce-pas, vous tous ? Merde à ces chiens-là ! »

Il reprit son marteau sur l’épaule. La foule

Près de cet homme-là se sentait l’âme soûle,

Et, dans la grande cour, dans les appartements,

Où Paris haletait avec des hurlements,

Un frisson secoua l’immense populace.

Alors, de sa main large et superbe de crasse,

Bien que le roi ventru suât, le Forgeron

Terrible, lui jeta le bonnet rouge au front !

Les étrennes des orphelins

La chambre est pleine d’ombre ; on entend vaguement

De deux enfants le triste et doux chuchotement.

Leur front se penche, encore alourdi par le rêve,

Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève….

Au dehors les oiseaux se rapprochent  frileux ;

Leur aile s’engourdit sous le ton gris des cieux ;

Et la nouvelle Année, à la suite brumeuse,

Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse,

Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant…

Or les petits enfants, sous le rideau flottant,

Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure.

Ils écoutent, pensifs, comme un lointain murmure…

Ils tressaillent souvent à la claire voix d’or

Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor

Son refrain métallique en son globe de verre….

Puis, la chambre est glacée….on voit traîner à terre,

Epars autour des lits, des vêtements de deuil :

L’âpre bise d’hiver qui se lamente au seuil

Souffle dans le logis son haleine morose !

On sent, dans tout cela, qu’il manque quelque chose…

Il n’est donc point de mère à ces petits enfants,

De mère au frais sourire, aux regards triomphants ?

Elle a donc oublié, le soir, seule et penchée,

D’exciter une flamme à la cendre arrachée,

D’amonceler sur eux la laine et l’édredon

Avant de les quitter en leur criant : pardon.

Elle n’a point prévu la froideur matinale,

Ni bien fermé le seuil à la bise hivernale ?

Le rêve maternel, c’est le tiède tapis,

C’est le nid cotonneux où les enfants tapis,

Comme de beaux oiseaux que balancent les branches,

Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches !….

Et là, c’est comme un nid sans plumes, sans chaleur,

Où les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur ;

Un nid que doit avoir glacé la bise amère…

Votre cœur l’a compris : ces enfants sont sans mère,

Plus de mère au logis !…. et le père est bien loin !….

Une vieille servante, alors, en a pris soin.

Les petits sont tout seuls en la maison glacée ;

Orphelins de quatre ans, voilà qu’en leur pensée

S’éveille, par degrés, un souvenir riant….

C’est comme un chapelet qu’on égrène en priant :

Ah ! quel beau matin, que ce matin des étrennes !

Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes

Dans quelque songe étrange où l’on voyait joujoux,

Bonbons habillés d’or, étincelants bijoux,

Tourbillonner, danser une danse sonore,

Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore !

On s’éveillait matin, on se levait joyeux,

On allait, les cheveux emmêlés sur la tête,

Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fête,

Et les petits pieds nus effleurant le plancher,

Aux portes des parents tout doucement toucher…

On entrait !….Puis alors les souhaits… en chemise,

Les baisers répétés, et la gaîté permise !

Ah ! C’était si charmant, ces mots dits tant de fois !

Mais comme il est changé, le logis d’autrefois :

Un grand feu pétillait, clair, dans la cheminée,

Toute la vieille chambre était illuminée ;

Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,

Sur les meubles vernis aimaient à tournoyer….

L’armoire était sans clefs !… sans clefs, la grande armoire !

On regardait souvent sa porte brune et noire…

Sans clefs !…. c’était étrange !…. on rêvait bien des fois

Aux mystères dormant entre ses flancs de bois,

Et l’on croyait ouïr, au fond de la serrure

Béante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure…

La chambre des parents est bien vide, aujourd’hui :

Aucun reflet vermeil sous la porte n’a lui ;

Il n’est point de parents, de foyer, de clefs prises :

Partant, point de baisers, point de douces surprises !

Oh ! que le jour de l’an sera triste pour eux !

Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus

Silencieusement tombe une larme amère,

Ils murmurent : « Quand donc reviendra notre mère ? »

Maintenant, les petits sommeillent tristement :

Vous diriez, à les voir, qu’ils pleurent en dormant,

Tant leurs yeux sont gonflés et leur souffle pénible !

Les tout petits enfants ont le cœur si sensible !

Mais l’ange des berceaux vient essuyer leurs yeux,

Et dans ce lourd sommeil met un rêve joyeux,

Un rêve si joyeux, que leur lèvre mi-close,

Souriante, semblait murmurer quelque chose…

Ils rêvent que, penchés sur leur petit bras rond,

Doux geste du réveil, ils avancent le front,

Et leur vague regard tout autour d’eux se pose…

Ils se croient endormis dans un paradis rose…

Au foyer plein d’éclairs chante gaîment le feu…

Par la fenêtre on voit là-bas un beau ciel bleu ;

La nature s’éveille et de rayons s’enivre…

La terre, demi-nue, heureuse de revivre,

A des frissons de joie aux baisers du soleil…

Et dans le vieux logis tout est tiède et vermeil :

Les sombres vêtements ne jonchent plus la terre,

La bise sous le seuil a fini par se taire…

On dirait qu’une fée a passé dans tout cela !…

Les enfants, tout joyeux, ont jetés deux cris… Là,

Près du lit maternel, sous un beau rayon rose,

Là, sur le grand tapis, resplendit quelque chose…

Ce sont des médaillons argentés, noirs et blancs,

De la nacre et du jais aux reflets scintillants ;

Des petits cadres noirs, des couronnes de verre,

Ayant trois mots gravés en or :  « A NOTRE MERE ».

Sensation

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,

Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :

Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.

Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :

Mais l’amour infini me montera dans l’âme,

Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,

Par la Nature,- heureux comme avec une femme.

Le petit village

Ce jour-là, quand je t’ai vue,

J’étais comme quand on regarde le soleil ;

J’avais un grand feu dans la tête,

Je ne savais plus ce que je faisais,

J’allais tout de travers comme un qui a trop bu,

Et mes mains tremblaient.

Je suis allé tout seul par le sentier des bois,

Je croyais te voir marcher devant moi,

Et je te parlais,

Mais tu ne me répondais pas.

J’avais peur de te voir, j’avais peur de t’entendre,

J’avais peur du bruit de tes pieds dans l’herbe,

J’avais peur de ton rire dans les branches ;

Et je me disais : « Tu es fou,

Ah ! si on te voyait, comme on se moquerait de toi ! »

Ca ne servait à rien du tout.

Et quand je suis rentré, c’était minuit passé,

Mais je n’ai pas pu m’endormir.

Et le lendemain, en soignant mes bêtes,

Je répétais ton nom, je disais : « Marianne… »

Les bêtes tournaient la tête pour entendre ;

Je me fâchais, je leur criais : « Ca vous regarde ?

Allons, tranquilles, eh ! Comtesse, eh ! la Rousse. »

Et je les prenais par les cornes.

Ca a duré ainsi trois jours

Et puis je n’ai plus eu la force.

Il a fallu que je la revoie.

Elle est venue, elle a passé,

Elle n’a pas pris garde à moi.

Le jour de notre noce, j’y pense tout le temps,

Il fera un soleil comme on n’a jamais vu ;

Il fera bon aller en char

A cause du vent frais qui vous souffle au visage,

Quand la bonne jument va trottant sur la route

Et qu’on claque du fouet pour qu’elle aille plus fort.

On lui donnera de l’avoine,

En veux-tu, en voilà ;

On l’étrillera bien qu’elle ait l’air d’un cheval

Comme ceux de la ville ;

Et trotte ! et tu auras ton voile qui s’envole,

Et tu souriras au travers

Parce qu’il aura l’air

De faire signe aux arbres,

Comme quand on agite un mouchoir au départ.

On se regardera, on dira : « On s’en va,

On commence le grand voyage ;

Heureusement qu’il n’y a pas

Des océans à traverser. »

Et quand nous serons arrivés,

La cloche sonnera, la porte s’ouvrira,

L’orgue se mettra à jouer ;

Tu diras oui, je dirai oui ;

Et nos voix trembleront un peu

Et hésiteront à cause du monde

Et parce qu’on n’aime à se dire ces choses

Que tout doucement à l’oreille.

Acte III
Scène I Aman, Zarès
… Aman : « Il sait qu’il me doit tout, et que pour sa grandeur
J’ai foulé sous les pieds remords, crainte, pudeur ;
Qu’avec un cœur d’airain exerçant sa puissance,
J’ai fait taire les lois et gémir l’innocence… »
Zarès : « Seigneur, nous sommes seuls. Que sert de se flatter ?
Ce zèle que pour lui vous fîtes éclater,
Ce soin d’immoler tout à son pouvoir suprême,
Entre nous, avaient-ils d’autre objet que vous-même ?
Et sans chercher plus loin, tous ces Juifs désolés,
N’est-ce pas à vous seul que vous les immolez ?
Et ne craignez-vous point que quelque avis funeste…
Enfin la cour nous hait, le peuple nous déteste.
Ce Juif même, il le faut confesser malgré moi,
Ce Juif, comblé d’honneurs, me cause quelque effroi.
Les malheurs sont souvent enchaînés l’un à l’autre,
Et sa race toujours fut fatale à la vôtre.
De ce léger affront songez à profiter.
Peut-être la fortune est prête à vous quitter ;
Aux plus affreux excès son inconstance passe.
Prévenez son caprice avant qu’elle se lasse.
Où tendez-vous plus haut ? Je frémis quand je voi
Les abîmes profonds qui s’offrent devant moi :
La chute désormais ne peut être qu’horrible.
Osez chercher ailleurs un destin plus paisible.
Regagnez l’Hellespont, et ces bords écartés
Où vos aïeux errants jadis furent jetés,
Lorsque des Juifs contre la vengeance allumée
Chassa tout Amalec de la triste Idumée.
Aux malices du sort enfin dérobez-vous.
Nos plus riches trésors marcheront devant nous.
Vous pouvez du départ me laissez la conduite ;
Surtout de vos enfants j’assurerai la fuite.
N’ayez soin cependant que de dissimuler.
Contente, sur vos pas vous me verrez voler :
La mer la plus terrible et la plus orageuse
Est plus sûre pour nous que cette cour trompeuse….. »
Scène IV Assuérus, Esther, Aman, Elise
….Esther : « Esther, Seigneur, eut un Juif pour son père.
De vos ordres sanglants vous savez la rigueur. »
… Assuérus : « Ah ! de quel coup me percez-vous le cœur ?
Vous la fille d’un Juif ? Hé quoi ? tout ce que j’aime,
Cette Esther, l’innocence et la sagesse même,
Que je croyais du ciel les plus chères amours,
Dans cette source impure aurait puisé ses jours ?
Malheureux ! »
Esther : « Vous pourrez rejeter ma prière.
Mais je demande au moins que pour grâce dernière,
Jusqu’à la fin, Seigneur, vous m’entendiez parler,
Et que surtout Aman n’ose point me troubler. »
Assuérus : « Parlez. »
Esther : « O Dieu, confonds l’audace et l’imposture.
Ces Juifs, dont vous voulez délivrer la nature,
Que vous croyez, Seigneur, le rebut des humains,
D’une riche contrée autrefois souverains,
Pendant qu’ils n’adoraient que le Dieu de leurs pères
Ont vu bénir le cours de leurs destins prospères.
Ce Dieu, maître absolu de la terre et des cieux,
N’est point tel que l’erreur le figure à vos yeux.
L’Eternel est son nom. Le monde est son ouvrage ;
Il entend les soupirs de l’humble qu’on outrage,
Juge tous les mortels avec d’égales lois,
Et du haut de son trône interroge les rois.
Des plus fermes Etats la chute épouvantable,
Quand il veut, n’est qu’un jeu de sa main redoutable.
Les Juifs à d’autres dieux osèrent s’adresser :
Roi, peuple, en un jour tout se vit disperser.
Sous les Assyriens leur triste servitude
Devint le juste prix de leur ingratitude.
Mais pour punir enfin nos maîtres à leur tour,
Dieu fit choix de Cyrus, avant qu’il vit le jour,
L’appela par son nom, le promit à la terre,
Le fit naître, et soudain l’arma de son tonnerre,
Brisa les fiers remparts et les portes d’airain,
Mit des superbes rois la dépouille en sa main,
De son temple détruit vengea sur eux l’injure.
Babylone paya nos pleurs avec usure.
Cyrus, par lui vainqueur, publia ses bienfaits,
Regarda notre peuple avec des yeux de paix,
Nous rendit et nos lois et nos fêtes divines ;
Et le temple déjà sortait de ses ruines.
Mais de ce roi si sage héritier insensé,
Son fils interrompit l’ouvrage commencé,
Fut sourd à nos douleurs. Dieu rejeta sa race,
Le retrancha lui-même, et vous mit en sa place….
…Ciel ! verra-t-on toujours par de cruels esprits
Des princes les plus doux l’oreille environnée,
Et du bonheur public la source empoisonnée ?
Dans le fond de la Thrace un barbare enfanté
Est venu dans ces lieux souffler la cruauté.
Un ministre ennemi de votre propre gloire…
… Notre ennemi cruel devant vous se déclare :
C’est lui. C’est ce ministre infidèle et barbare,
Qui d’un zèle trompeur à vos yeux revêtu,
Contre notre innocence arma votre vertu.
Et quel autre, Grand Dieu, qu’un Scythe impitoyable
Aurait de tant d’horreurs dicté l’ordre effroyable ?
Partout l’affreux signal en même temps donné
De meurtres remplira l’univers étonné.
On verra, sous le nom du plus juste des princes,
Un perfide étranger désoler vos provinces,
Et dans ce palais même, en proie à son courroux,
Le sang de vos sujets regorger jusqu’à vous.
Et que reproche aux Juifs sa haine envenimée ?
Quelle guerre intestine avons-nous allumée ?
Les a-t-on vus marcher parmi vos ennemis ?
Fut-il jamais au joug esclaves plus soumis ?
Adorant dans leurs fers le Dieu qui les châtie,
Pendant que votre main sur eux appesantie
A leurs persécuteurs les livrait sans secours,
Ils conjuraient ce Dieu de veiller sur vos jours,
De rompre des méchants les trames criminelles,
De mettre votre trône à l’ombre de ses ailes.
N’en doutez point, Seigneur, il fut votre soutien….
…Lui seul aux yeux d’un Juif découvrit le dessein
De deux traîtres tout prêts à vous percer le sein… »
Assuérus : « Quel jour mêlé d’horreur vient effrayer mon âme ?
Tout mon sang de colère et de honte s’enflamme.
J’étais donc le jouet… Ciel, daigne m’éclairer. »….

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Acte II
Scène I Aman, Hydaspe
…Hydaspe : « Seigneur, de vos bienfaits mille fois honoré,
Je me souviens toujours que je vous ai juré
D’exposer à vos yeux par des avis sincères
Tout ce que ce palais renferme de mystères.
Le Roi d’un noir chagrin paraît enveloppé.
Quelque songe effrayant cette nuit l’a frappé.
Pendant que tout gardait un silence paisible,
Sa voix s’est fait entendre avec un cri terrible.
J’ai couru. Le désordre était dans ses discours.
Il s’est plaint d’un péril qui menaçait ses jours :
Il parlait d’ennemi, de ravisseur farouche ;
Même le nom d’Esther est sorti de sa bouche.
Il a dans ces horreurs passé toute la nuit.
Enfin, las d’appeler un sommeil qui le fuit,
Pour écarter de lui ces images funèbres,
Il s’est fait apporter ses annales célèbres
Où les faits de son règne, avec soin amassés,
Par de fidèles mains chaque jour sont tracés.
On y conserve écrits le service et l’offense,
Monuments éternels d’amour et de vengeance.
Le Roi, que j’ai laissé plus calme dans son lit,
D’une oreille attentive écoute ce récit ?….
….Entre tous les devins fameux dans la Chaldée,
Il a fait assembler ceux qui savent le mieux
Lire en un songe obscur les volontés des cieux.
Mais quel trouble vous-même aujourd’hui vous agite ?
Votre âme, en m’écoutant, paraît toute interdite.
L’heureux Aman a-t-il quelques secrets ennuis ? »….
….Aman : «L’insolent devant moi ne se courba jamais.
En vain de la faveur du plus grand des monarques
Tout révère à genoux les glorieuses marques.
Lorsque d’un saint respect tous les Persans touchés
N’osent lever leurs fronts à la terre attachés,
Lui, fièrement assis, et la tête immobile,
Traite tous ces honneurs d’impiété servile,
Présente à mes regards un front séditieux,
Et ne daignerait pas au moins baisser les yeux.
Du palais cependant il assiège la porte :
A quelque heure que j’entre, Hydaspe, ou que je sorte,
Son visage odieux m’afflige et me poursuit ;
Et mon esprit troublé le voit encor la nuit.
Ce matin j’ai voulu devancer la lumière :
Je l’ai trouvé couvert d’une affreuse poussière,
Revêtu de lambeaux, tout pâle. Mais son œil
Conservait sous la cendre encor le même orgueil.
D’où lui vient, cher ami, cette impudente audace ?
Toi, qui dans ce palais vois tout ce qui se passe,
Crois-tu que quelque voix ose parler pour lui ?
Sur quel roseau fragile a-t-il mis son appui ? »….
… « Ah ! que ce temps est long à mon impatience !
C’est lui, je te veux bien confier ma vengeance,
C’est lui qui, devant moi refusant de ployer,
Les a livrés au bras qui va les foudroyer.
C’était trop peu pour moi d’une telle victime :
La vengeance trop faible attire un second crime.
Un homme tel qu’Aman, lorsqu’on l’ose irriter,
Dans sa juste fureur ne peu trop éclater.
Il faut des châtiments dont l’univers frémisse ;
Qu’on tremble en comparant l’offense et le supplice ;
Que les peuples entiers dans le sang soient noyés.
Je veux qu’on dise un jour aux siècles effrayés :
« Il fut des Juifs, il fut une insolente race ;
Répandus sur la terre, ils en couvraient la face ;
Un seul osa d’Aman attirer le courroux,
Aussitôt de la terre ils disparurent tous. »
Hydaspe : « Ce n’est donc pas, Seigneur, le sang amalécite
Dont la voix à les perdre en secret vous excite ? »
Aman : « Je sais que descendu de ce sang malheureux,
Une éternelle haine a dû m’armer contre eux ;
Qu’ils firent d’Amalec un indigne carnage ;
Que jusqu’aux vils troupeaux, tout éprouva leur rage ;
Qu’un déplorable reste à peine fut sauvé.
Mais, crois-moi, dans le rang où je suis élevé,
Mon âme, à ma grandeur toute entière attachée,
Des intérêts du sang est faiblement touchée.
Mardochée est coupable ; et que faut-il de plus ?
Je prévins donc contre eux l’esprit d’Assuérus :
J’inventai des couleurs ; j’armai la calomnie ;
J’intéressai sa gloire ; il trembla pour sa vie.
Je les peignis puissants, riches, séditieux ;
Leur dieu même ennemi de tous les autres dieux.
« Jusqu’à quand souffre-t-on que ce peuple respire,
Et d’un culte profane infecte votre empire ?
Etrangers dans la Perse, à nos lois opposés,
Du reste des humains ils semblent divisés,
N’aspirent qu’à troubler le repos où nous sommes,
Et, détestés partout, détestent tous les hommes.
Prévenez, punissez leurs insolents efforts ;
De leur dépouille enfin grossissez vos trésors. »
Je dis, et l’on me crut. Le Roi, dès l’heure même,
Mit dans ma main le sceau de son pouvoir suprême :
« Assure, me dit-il, le repos de ton Roi :
Va, perds ces malheureux : leur dépouille est à toi. »
Toute la nation fut ainsi condamnée.
Du carnage avec lui je réglai la journée.
Mais de ce traître enfin le trépas différé
Fait trop souffrir mon cœur de son sang altéré.
Un je ne sais quel trouble empoisonne ma joie.
Pourquoi dix jours encor faut-il que je le voie ? »
Hydaspe : « Et ne pouvez-vous pas d’un mot l’exterminer ?
Dites au Roi, Seigneur, de vous l’abandonner. »
Aman : « Je viens pour épier le moment favorable….. »
Scène VII
Assuérus : « Croyez-moi, chère Esther, ce sceptre, cet empire,
Et ces profonds respects que la terreur inspire,
A leur pompeux éclat mêlent peu de douceur,
Et fatiguent souvent leur triste possesseur.
Je ne trouve qu’en vous je ne sais quelle grâce
Qui me charme toujours et jamais ne me lasse.
De l’aimable vertu doux et puissants attraits !
Tout respire en Esther l’innocence et la paix.
Du chagrin le plus noir elle écarte les ombres,
Et fait des jours sereins de mes jours les plus sombres.
Que dis-je ? sur ce trône assis auprès de vous,
Des astres ennemis j’en crains moins le courroux,
Et crois que votre front prête à mon diadème
Un éclat qui le rend respectable aux Dieux même.
Osez donc me répondre, et ne me cachez pas
Quel sujet important conduit ici vos pas.
Quel intérêt, quels soins vous agitent, vous pressent ?
Je vois qu’en m’écoutant vos yeux au ciel s’adressent.
Parlez : de vos désirs le succès est certain,
Si ce succès dépend d’une mortelle main.
Esther : « O bonté qui m’assure, autant qu’elle m’honore !
Un intérêt pressant veut que je vous implore.
J’attends ou mon malheur ou ma félicité ;
Et tout dépend, Seigneur, de votre volonté.
Un mot de votre bouche, en terminant mes peines,
Peut rendre Esther heureuse entre toutes les reines. »
Assuérus : « Ah ! que vous enflammez mon désir curieux »….

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Esther (extraits)
Acte I
Scène I Esther, Elise
Elise :…. « Le fier Assuérus couronne sa captive,
Et le Persan superbe est aux pieds d’une Juive.
Par quels secrets ressorts, par quel enchaînement
Le ciel a-t-il conduit ce grand évènement ? »
Esther : « Peut-être on t’a conté la fameuse disgrâce
De l’altière Vasthi, dont j’occupe la place,
Lorsque le Roi, contre elle enflammé de dépit,
La chassa de son trône, ainsi que de son lit.
Mais il ne put sitôt en bannir la pensée.
Vasthi régna longtemps dans son âme offensée.
Dans ses nombreux Etats il fallut donc chercher
Quelque nouvel objet qui l’en pût détacher.
De l’Inde à l’Hellespont ses esclaves coururent.
Les filles de l’Egypte à Suse comparurent.
Celles même du Parthe et du Scythe indompté
Y briguèrent le sceptre offert à la beauté.
On m’élevait alors, solitaire et cachée,
Sous les yeux vigilants du sage Mardochée.
Tu sais combien je dois à ses heureux secours.
La mort m’avait ravi les auteurs de mes jours.
Mais lui, voyant en moi la fille de son frère,
Me tint lieu, chère Elise, et de père et de mère.
Du triste état des Juifs jour et nuit agité,
Il me tira du sein de mon obscurité,
Et sur mes faibles mains fondant leur délivrance,
Il me fit d’un empire accepter l’espérance.
A ses desseins secrets tremblante j’obéis.
Je vins. Mais je cachai ma race et mon pays.
Qui pourrait cependant t’exprimer les cabales
Que formait en ces lieux ce peuple de rivales,
Qui toutes disputant un si grand intérêt,
Des yeux d’Assuérus attendaient leur arrêt ?
Chacune avait sa brigue et de puissants suffrages :
L’une d’un sang fameux vantait les avantages ;
L’autre, pour se parer de superbes atours,
Des plus adroites mains empruntait le secours.
Et moi, pour toute brigue et pour tout artifice,
De mes larmes au ciel j’offrais le sacrifice.
Enfin on m’annonça l’ordre d’Assuérus.
Devant ce fier monarque, Elise, je parus.
Dieu tient le cœur des rois entre ses mains puissantes ;
Il fait que tout prospère aux âmes innocentes,
Tandis qu’en ses projets l’orgueilleux est trompé.
De mes faibles attraits le Roi parut frappé.
Il m’observa longtemps dans un sombre silence ;
Et le ciel, qui pour moi fit pencher la balance,
Dans ce temps-là sans doute agissait sur son cœur.
Enfin avec des yeux où régnait la douceur :
« Soyez reine », dit-il ; et, dès ce moment même
De sa main sur mon front posa son diadème.
Pour mieux faire éclater sa joie et son amour,
Il combla de présents tous les grands de sa cour ;
Et même ses bienfaits, dans toutes ses provinces,
Invitèrent le peuple aux noces de leurs princes.
Hélas ! durant ces jours de joie et de festins,
Quelle était en secret ma honte et mes chagrins !
« Esther, disais-je, Esther dans la pourpre est assise,
La moitié de la terre à son sceptre est soumise,
Et de Jérusalem l’herbe cache les murs !
Sion, repaire affreux de reptiles impurs,
Voit de son temple saint les pierres dispersées,
Et du Dieu d’Israël les fêtes sont cessées ! »…..
Scène III Esther, Mardochée, Elise
Esther : « Quel profane en ce lieu s’ose avancer vers nous ?
Que vois-je ? Mardochée ? O mon père, est-ce vous ?
Un ange du Seigneur, sous son aile sacrée,
A donc conduit vos pas et caché votre entrée ?
Mais d’où vient cet air sombre, et ce cilice affreux,
Et cette cendre enfin qui couvre vos cheveux ?
Que nous annoncez-vous ? »
Mardochée : « O Reine infortunée !
O d’un peuple innocent barbare destinée !
Lisez, lisez l’arrêt détestable, cruel.
Nous sommes tous perdus, et c’est fait d’Israël.
Esther : « Juste ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace ».
Mardochée : « On doit de tous les Juifs exterminer la race.
Au sanguinaire Aman nous sommes tous livrés.
Les glaives, les couteaux sont déjà préparés.
Toute la nation à la fois est proscrite.
Aman, l’impie Aman, race d’Amalécite,
A pour ce coup funeste armé tout son crédit,
Et le Roi, trop crédule, a signé cet édit.
Prévenu contre nous par cette bouche impure,
Il nous croit en horreur à toute la nature.
Ses ordres sont donnés ; et dans tous ses Etats,
Le jour fatal est pris pour tant d’assassinats.
Cieux, éclairerez-vous cet horrible carnage ?
Le fer ne connaîtra ni le sexe ni l’âge ;
Tout doit servir de proie aux tigres, aux vautours ;
Et ce jour effroyable arrive dans dix jours. »…..
…  « Laissez les pleurs, Esther, à ces jeunes enfants.
En vous est tout l’espoir de vos malheureux frères.
Il faut les secourir. Mais les heures sont chères :
Le temps vole, et bientôt amènera le jour
Où le nom des Hébreux doit périr sans retour.
Toute pleine du feu de tant de saints prophètes,
Allez, osez au Roi déclarer qui vous êtes. »…
…  « Quoi ? Lorsque vous voyez périr votre patrie,
Pour quelque chose, Esther, vous comptez votre vie !
Dieu parle, et d’un mortel vous craignez le courroux !
Que dis-je ?
Votre vie, Esther, est-elle à vous ?
N’est-elle pas au sang dont vous êtes issue ?
N’est-elle pas à Dieu dont vous l’avez reçue ?
Et qui sait, lorsqu’au trône il conduisit vos pas,
Si pour sauver son peuple il ne vous gardait pas ?
Songez-y bien : ce Dieu ne vous a pas choisie
Pour être un vain spectacle aux peuples de l’Asie,
Ni pour charmer les yeux des profanes humains.
Pour un plus noble usage il réserve ses saints.
S’immoler pour son nom et pour son héritage,
D’un enfant d’Israël voilà le vrai partage :
Trop heureuse pour lui de hasarder vos jours !…. »
Scène V Le chœur
Une israélite : « Quel carnage de toutes parts !
On égorge à la fois les enfants, les vieillards,
Et la sœur et le frère,
Et la fille et la mère,
Le fils dans les bras de son père.
Que de corps entassés ! Que de membres épars,
Privés de sépulture !
Grand Dieu ! tes saints sont la pâture
Des tigres et des léopards.
Une des plus jeunes israélites : « Hélas ! si jeune encore,
Par quel crime ai-je pu mériter mon malheur ?
Ma vie à peine a commencé d’éclore.
Je tomberai comme une fleur
Qui n’a vu qu’une aurore.
Hélas ! si jeune encore,
Par quel crime ai-je pu mériter mon malheur ? »……
Une israélite : « Arme-toi, viens nous défendre :
Descends, tel qu’autrefois la mer te vit descendre.
Que les méchants apprennent aujourd’hui
A craindre ta colère.
Qu’ils soient comme la poudre et la paille légère
Que le vent chasse devant lui. »….

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Acte 5 Scène 1 (extraits)

Britannicus

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Junie

 

 

Britannicus

Junie

 

 

 

Junie

 

 

 

 

 

 

 

 

Junie

Britannicus

Junie

Oui, Madame, Néron (qui l’aurait pu penser ?)

Dans son appartement m’attend pour m’embrasser.

Il y fait de sa cour inviter la jeunesse ;

Il veut que d’un festin la pompe et l’allégresse

Confirment à leurs yeux la foi de nos serments,

Et réchauffent l’ardeur de nos embrassements ;

Il éteint cet amour, source de tant de haine ;

Il vous fait de mon sort arbitre souveraine.

Pour moi, quoique banni du rang de mes aïeux,

Quoique de leur dépouille il se pare à mes yeux,

Depuis qu’à mon amour cessant d’être contraire

Il semble me céder la gloire de vous plaire,

Mon cœur, je l’avoûrai, lui pardonne en secret,

Et lui laisse le reste avec moins de regret.

……

Ah ! Madame !….Mais quoi ! quelle nouvelle crainte

Tient parmi mes transports votre joie en contrainte ?

D’où vient qu’en m’écoutant, vos yeux, vos tristes yeux,

Avec de longs regards se tournent vers les cieux ?

Qu’est-ce que vous craignez ?

Je l’ignore moi-même

Mais je crains

………

Quoi ? vous le soupçonnez d’une haine couverte ?

Néron m’aimait tantôt, il jurait votre perte ;

Il me fuit, il vous cherche ; un si grand changement

Peut-il être, Seigneur, l’ouvrage d’un moment ?

……

Seigneur, ne jugez pas de son cœur par le vôtre ;

Sur des pas différents vous marchez l’un et l’autre.

Je ne connais Néron et la cour que d’un jour ;

Mais (si je l’ose dire) hélas ! dans cette cour

Combien tout ce qu’on dit est loin de ce qu’on pense !

Que la bouche et le cœur sont peu d’intelligence !

Avec combien de joie on y trahit sa foi !

Quel séjour étranger et pour vous et pour moi !

……

Mais Narcisse, Seigneur, ne vous trahit-il point ?

Et pourquoi voulez-vous que mon cœur s’en défie ?

Et que sais-je ? Il y va, Seigneur, de votre vie.

Tout m’est suspect : je crains que tout ne soit séduit :

Je crains Néron ; je crains le malheur qui me suit.

D’un noir pressentiment malgré moi prévenue,

Je vous laisse à regret éloigner de ma vue.

Hélas ! si cette paix dont vous vous repaissez

Couvrait contre vos jours quelques pièges dressés !

Si Néron, irrité de notre intelligence,

Avait choisi la nuit pour cacher sa vengeance !

S’il préparait ses coups tandis que je vous vois !

Et si je vous parlais pour la dernière fois !

Ah ! Prince !

…..

Acte 5 Scène 3 (extraits)

Agrippine Madame, ou je me trompe, ou durant vos adieux

Quelques pleurs répandus ont obscurci vos yeux.

Puis-je savoir quel trouble a formé ce nuage ?

Doutez-vous d’une paix dont je fais mon ouvrage ?

….

Acte 5 Scène 6 (extraits)

 

Agrippine

 

 

Néron

Agrippine

Néron

 

 

 

 

 

Agrippine

 

 

Agrippine

….

Arrêtez, Néron ; j’ai deux mots à vous dire.

Britannicus est mort, je reconnais les coups ;

Je connais l’assassin.

Et, qui, Madame ?

Vous.

Moi ! voilà les soupçons dont vous êtes capable.

Il n’est point de malheurs dont je ne sois coupable :

Et, si l’on veut, Madame, écouter vos discours,

Ma main de Claude même aura tranché les jours.

Son fils vous étais cher : sa mort peut vous confondre ;

Mais des coups du destin je ne puis pas répondre.

Non, non, Britannicus est mort empoisonné :

Narcisse a fait le coup, vous l’avez ordonné.

….

Poursuis, Néron, avec de tels ministres.

Par des faits glorieux tu te vas signaler.

Poursuis. Tu n’as pas fait ce pas pour reculer.

Ta main a commencé par le sang de ton frère ;

Je prévois que tes coups viendront jusqu’à ta mère.

Dans le fond de ton cœur je sais que tu me hais ;

Tu voudras t’affranchir du joug de mes bienfaits.

Mais je veux que ma mort te soit même inutile.

Ne crois pas qu’en mourant je te laisse tranquille.

Rome, ce ciel, ce jour que tu reçus de moi,

Partout, à tout moment, m’offriront devant toi.

Tes remords te suivront comme autant de furies ;

Tu croiras les calmer par d’autres barbaries ;

Ta fureur, s’irritant soi-même dans son cours,

D’un sang toujours nouveau marquera tous tes jours.

Mais j’espère qu’enfin le ciel, las de tes crimes,

Ajoutera ta perte à tant d’autres victimes,

Qu’après t’être couvert de leur sang et du mien,

Tu te verras forcé de répandre le tien ;

Et ton nom paraîtra, dans la race future,

Aux plus cruels tyrans une cruelle injure.

Voilà ce que mon cœur se présage de toi,

Adieu, tu peux sortir.

…..

Acte 5 Scène 7 (extraits)

 

Agrippine

 

 

 

 

 

Burrhus

….

Burrhus, avez-vous vu quels regards furieux

Néron en me quittant m’a laissés pour adieux ?

C’en est fait : le cruel n’a plus rien qui l’arrête :

Le coup qu’on m’a prédit va tomber sur ma tête.

Il vous accablera vous-même à votre tour.

…..

Son crime seul n’est pas ce qui me désespère ;

Sa jalousie a pu l’armer contre son frère ;

Mais s’il vous faut, Madame, expliquer ma douleur,

Néron l’a vu mourir sans changer de couleur.

Ses yeux indifférents ont déjà la constance

D’un tyran dans le crime endurci dès l’enfance.

…..

Acte 5 Scène 8 (extraits)

 

Albine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Agrippine

 

 

 

Burrhus

…….

César les voit partir sans oser les distraire.

Narcisse, plus hardi, s’empresse pour lui plaire.

Il vole vers Junie, et, sans s’épouvanter,

D’une profane main commence à l’arrêter.

De mille coups mortels son audace est punie ;

Son infidèle sang rejaillit sur Junie.

César, de tant d’objets en même temps frappé,

Le laisse entre les mains qui l’ont enveloppé.

Il rentre. Chacun fuit son silence farouche.

Le seul nom de Junie échappe de sa bouche.

Il marche sans dessein ; ses yeux mal assurés

N’osent lever au ciel leurs regards égarés ;

Et l’on craint, si la nuit jointe à la solitude

Vient de son désespoir aigrir l’inquiétude,

Si vous l’abandonnez plus longtemps sans secours,

Que sa douleur bientôt n’attente sur ses jours.

Le temps presse : courez. Il ne faut qu’un caprice,

Il se perdrait, Madame.

Il se ferait justice.

Mais, Burrhus, allons voir jusqu’où vont ses transports.

Voyons quels changements produiront ses remords,

S’il voudra désormais suivre d’autres maximes.

Plût aux dieux que ce fût le dernier de ses crimes !

Acte 4 Scène 1 (extraits)

Burrhus

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Agrippine

Oui, Madame, à loisir vous pourrez vous défendre :

César lui-même ici consent de vous entendre.

Si son ordre au palais vous a fait retenir,

C’est peut-être à dessein de vous entretenir.

Quoi qu’il en soit, si j’ose expliquer ma pensée,

Ne vous souvenez plus qu’il vous ait offensée :

Préparez-vous plutôt à lui tendre les bras ;

Défendez-vous, Madame, et ne l’accusez pas.

Vous voyez, c’est lui seul que la cour envisage.

Quoiqu’il soit votre fils, et même votre ouvrage,

Il est votre empereur. Vous êtes comme nous

Sujette à ce pouvoir qu’il a reçu de vous.

Selon qu’il vous menace, ou bien qu’il vous caresse,

La cour autour de vous ou s’écarte ou s’empresse ;

C’est son appui qu’on cherche en cherchant votre appui.

Mais voici l’Empereur.

Qu’on me laisse avec lui.

Acte 4 Scène 2 (extraits)

 

Agrippine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Néron

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Agrippine

…….

C’est le sincère aveu que je voulais vous faire.

Voilà tous mes forfaits. En voici le salaire.

Du fruit de tant de soins à peine jouissant

En avez-vous six mois paru reconnaissant,

Que, lassé d’un respect qui vous gênait peut-être,

Vous avez affecté de ne plus me connaître.

….

J’ai vu favoriser de votre confiance

Othon, Sénécion, jeunes voluptueux

Et de tous vos plaisirs flatteurs respectueux ;

Et lorsque, vos mépris excitant mes murmures,

Je vous ai demandé raison de tant d’injures

(Seul recours d’un ingrat qui se voit confondu)

Par de nouveaux affronts vous m’avez répondu.

Aujourd’hui je promets Junie à votre frère ;

Ils se flattent tous deux du choix de votre mère :

Que faites-vous ? Junie, enlevée à la cour,

Devient en une nuit l’objet de votre amour ;

Je vois de votre cœur Octavie effacée,

Prête à sortir du lit où je l’avais placée ;

Je vois Pallas banni, votre frère arrêté ;

Vous attentez enfin jusqu’à ma liberté

……

Je me souviens toujours que je vous dois l’empire,

Et sans vous fatiguer du soin de le redire,

Votre bonté, Madame, avec tranquillité

Pouvait se reposer sur ma fidélité.

Aussi bien ces soupçons, ces plaintes assidues,

Ont fait croire à tous ceux qui les ont entendues

Que jadis (j’ose ici vous le dire entre nous)

Vous n’aviez, sous mon nom, travaillé que pour vous.

« Tant d’honneurs, disaient-ils, et tant de déférences,

Sont-ce de ses bienfaits de faibles récompenses ?

Quel crime a donc commis ce fils tant condamné ?

Est-ce pour obéir qu’elle la couronné ?

N’est-il de son pouvoir que le dépositaire ? »

Non que, si jusque-là j’avais pu vous complaire,

Je n’eusse pris plaisir, Madame, à vous céder

Ce pouvoir que vos cris semblaient redemander.

Mais Rome veut un maître, et non une maîtresse.

Vous entendiez les bruits qu’excitait ma faiblesse.

Le sénat chaque jour et le peuple, irrités

De s’ouïr par ma vois dicter vos volontés,

Publiaient qu’en mourant Claude avec sa puissance

M’avait encor laissé sa simple obéissance.

Vous avez vu cent fois nos soldats en courroux

Porter en murmurant leurs aigles devant vous,

Honteux de rabaisser par cet indigne usage

Les héros dont encore elles portent l’image.

Toute autre se serait rendue à leurs discours,

Mais si vous ne régnez, vous vous plaignez toujours.

Avec Britannicus contre moi réunie,

Vous le fortifiez du parti de Junie ;

Et la main de Pallas trame tous ces complots.

Et, lorsque malgré moi j’assure mon repos,

On vous voit de colère et de haine animée.

Vous voulez présenter mon rival à l’armée :

Déjà jusques au camp le bruit en a couru.

Moi, le faire empereur, ingrat ! L’avez-vous cru ?

Quel serait mon dessein ? Qu’aurais-je pu prétendre ?

Quels honneurs dans sa cour, quel rang pourrais-je attendre ?

Ah ! si sous votre empire on ne m’épargne pas,

Si mes accusateurs observent tous mes pas,

Si de leur empereur ils poursuivent la mère,

Que ferais-je au milieu d’une cour étrangère ?

Ils me reprocheraient, non des cris impuissants,

Des desseins étouffés aussitôt que naissants,

Mais des crimes pour vous commis à votre vue,

Et dont je ne serais que trop tôt convaincue.

Vous ne me trompez point, je vois tous vos détours :

Vous êtes un ingrat, vous le fûtes toujours.

Dès vos plus jeunes ans mes soins et mes tendresses

N’ont arraché de vous que de feintes caresses.

Rien ne vous a pu vaincre ; et votre dureté

Aurait dû dans son cours arrêter ma bonté.

Que je suis malheureuse ! Et par quelle infortune

Faut-il que tous mes soins me rendent importune ?

Je n’ai qu’un fils. O ciel, qui m’entends aujourd’hui,

T’ai-je fait quelques vœux qui ne fussent pour lui ?

Remords, crainte, périls, rien ne m’a retenue ;

J’ai vaincu ses mépris ; j’ai détourné ma vue

Des malheurs qui dès lors me furent annoncés ;

J’ai fait ce que j’ai pu : vous régnez, c’est assez.

Avec ma liberté, que vous m’avez ravie,

Si vous le souhaitez, prenez encor ma vie,

Pourvu que par ma mort tout le peuple irrité

Ne vous ravisse pas ce qui m’a tant coûté.

…..

Acte 4 Scène 3 (extraits)

 

Néron

 

 

 

 

Burrhus

Néron

 

 

 

 

 

Burrhus

Néron

Burrhus

Néron

 

Burrhus

…..

Je ne vous flatte point, je me plaignais de vous,

Burrhus : je vous ai crus tous deux d’intelligence ;

Mais son inimitié vous rend ma confiance.

Elle se hâte trop, Burrhus, de triompher.

J’embrasse mon rival, mais c’est pour l’étouffer.

Quoi, Seigneur !

C’en est trop ; il faut que sa ruine

Me délivre à jamais des fureurs d’Agrippine.

Tant qu’il respirera je ne vis qu’à demi.

Elle m’a fatigué de ce nom ennemi ;

Et je ne prétends pas que sa coupable audace

Une seconde fois lui promette ma place.

Elle va donc bientôt pleurer Britannicus ?

Avant la fin du jour je ne le craindrai plus

Et qui de ce dessein vous inspire l’envie ?

Ma gloire, mon amour, ma sûreté, ma vie.

…..

Et ne suffit-il pas, Seigneur, à vos souhaits

Que le bonheur public soit un de vos bienfaits ?

C’est à vous à choisir, vous êtes encor maître.

Vertueux jusqu’ici, vous pouvez toujours l’être :

Le chemin est tracé, rien ne vous retient plus ;

Vous n’avez qu’à marcher de vertus en vertus.

Mais si de vos flatteurs vous suivez la maxime,

Il vous faudra, Seigneur, courir de crime en crime,

Soutenir vos rigueurs par d’autres cruautés,

Et laver dans le sang vos bras ensanglantés.

Britannicus mourant excitera le zèle

De ses amis, tout prêts à prendre sa querelle.

Ces vengeurs trouveront de nouveaux défenseurs,

Qui, même après leur mort, auront des successeurs.

Vous allumez un feu qui ne pourra s’éteindre.

Craint de tout l’univers, il vous faudra tout craindre,

Toujours punir, toujours trembler dans vos projets,

Et pour vos ennemis compter tous vos sujets.

…..

Tels étaient vos plaisirs. Quel changement, ô dieux !

Le sang le plus abject vous était précieux.

Un jour, il m’en souvient, le sénat équitable

Vous pressait de souscrire à la mort d’un coupable ;

Vous résistiez, Seigneur, à leur sévérité :

Votre cœur s’accusait de trop de cruauté ;

Et, plaignant les malheurs attachés à l’Empire,

« Je voudrais, disiez-vous, ne savoir pas écrire. »

Non, ou vous me croirez, ou bien de ce malheur

Ma mort m’épargnera la vue et la douleur :

On ne me verra point survivre à votre gloire,

Si vous allez commettre une action si noire.

…..

Acte 4 Scène 4

 

Narcisse

 

Néron

Narcisse

Néron

Narcisse

 

 

 

 

Néron

 

 

 

 

 

 

 

 

Narcisse

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Néron

……

Agrippine, Seigneur, se l’était bien promis ;

Elle a repris sur vous son souverain empire.

Quoi donc ? Qu’a-t-elle dit ? Et que voulez-vous dire ?

Elle s’en est vantée publiquement.

De quoi ?

Qu’elle n’avait qu’à vous voir un moment ;

Qu’à tout ce grand éclat, qu’à ce courroux funeste,

On verrait succéder un silence modeste ;

Que vous-même à la paix souscririez le premier,

Heureux que sa bonté daignât tout oublier.

Mais, Narcisse, dis-moi, que veux-tu que je fasse ?

Je n’ai que trop de pente à punir son audace ;

Et, si je m’en croyais, ce triomphe indiscret

Serait bientôt suivi d’un éternel regret.

Mais de tout l’univers quel sera le langage ?

Sur le pas des tyrans veux-tu que je m’engage,

Et que Rome, effaçant tant de titre d’honneur,

Me laisse pour tous noms celui d’empoisonneur ?

Ils mettront ma vengeance au rang des parricides.

Et prenez-vous, Seigneur, leurs caprices pour guides ?

Avez-vous prétendu qu’ils se tairaient toujours ?

Est-ce à vous de prêter l’oreille à leurs discours ?

De vos propres désirs perdez-vous la mémoire ?

Et serez-vous le seul que vous n’oserez croire ?

……

D’un empoisonnement vous craignez la noirceur ?

Faites périr le frère, abandonnez la sœur ;

Rome, sur ses autels prodiguant les victimes,

Fussent-ils innocents, leur trouvera des crimes ;

Vous verrez mettre au rang des jours infortunés

Ceux où jadis la sœur et le frère sont nés.

….

Burrhus ne pense pas, Seigneur, tout ce qu’il dit :

Son adroite vertu ménage son crédit ;

Ou plutôt ils n’ont tous qu’une même pensée :

Ils verraient par ce coup leur puissance abaissée ;

Vous seriez libre alors, Seigneur, et devant vous

Ces maîtres orgueilleux fléchiraient comme nous.

Quoi donc ! ignorez-vous tout ce qu’ils osent dire ?

« Néron, s’ils en sont crus, n’est point né pour l’Empire ;

Il ne dit, il ne fait que ce qu’on lui prescrit :

Burrhus conduit son cœur, Sénèque son esprit.

Pour toute ambition, pour vertu singulière,

Il excelle à conduire un char dans la carrière,

A disputer des prix indignes de ses mains,

A se donner lui-même en spectacle aux Romains,

A venir prodiguer sa voix sur un théâtre,

A réciter des chants qu’il veut qu’on idolâtre,

Tandis que des soldats, de moments en moments,

Vont arracher pour lui les applaudissements. »

Ah ! ne voulez-vous pas les forcer à se taire ?

Viens, Narcisse. Allons voir ce que nous devons faire.

Acte III Scène 1 (extraits)

 

Burrhus

 

 

 

 

 

 

 

Burrhus

…..

Agrippine, Seigneur, est toujours redoutable.

Rome et tous vos soldats révèrent ses aïeux ;

Germanicus son père est présent à leurs yeux.

Elle sait son pouvoir ; vous savez son courage ;

Et ce qui me la fait redouter davantage,

C’est que vous appuyez vous-même son courroux

Et que vous lui donnez des armes contre vous.

……

Surtout si de Junie évitant la présence

Vous condamniez vos yeux à quelques jours d’absence,

Croyez-moi, quelque amour qui semble vous charmer,

On n’aime point, Seigneur, si l’on ne veut aimer.

…….

Acte III Scène 3 (extraits)

 

Burrhus

……

Madame, jusqu’ici c’est trop tôt m’accuser.

L’Empereur n’a rien fait qu’on ne puisse excuser.

N’imputez qu’à Pallas un exil nécessaire :

Son orgueil dès longtemps exigeait ce salaire ;

Et l’Empereur ne fait qu’accomplir à regret

Ce que toute la cour demandait en secret.

Le reste est un malheur qui n’est point sans ressource :

Des larmes d’Octavie on peut tarir la source.

Mais calmez vos transports. Par un chemin plus doux,

Vous lui pourrez plutôt ramener son époux :

Les menaces, les cris, le rendront plus farouche.

………

Acte III Scène 4 (extraits)

 

Agrippine

…..

Quoi ! tu ne vois donc pas jusqu’où l’on me ravale,

Albine ? C’est à moi qu’on donne une rivale.

Bientôt, si je ne romps ce funeste lien,

Ma place est occupée, et je ne suis plus rien.

Jusqu’ici d’un vain titre Octavie honorée,

Inutile à la cour, en était ignorée.

Les grâces, les honneurs par moi seule versés,

M’attiraient des mortels les vœux intéressés.

Une autre de César a surpris la tendresse :

Elle aura le pouvoir d’épouse et de maîtresse.

Le fruit de tant de soins, la pompe des Césars,

Tout deviendra le prix d’un seul de ses regards.

Que dis-je ? l’on m’évite, et déjà délaissée….

Ah ! je ne puis , Albine, en souffrir la pensée.

Quand je devrais du ciel hâter l’arrêt fatal,

Néron, l’ingrat Néron…. Mais voici son rival.

Acte III Scène 6 (extraits)

 

Britannicus

……

Non, je la crois, Narcisse, ingrate, criminelle,

Digne de mon courroux ; mais je sens malgré moi

Que je ne le crois pas autant que je le doi.

Dans ses égarements mon cœur opiniâtre

Lui prête des raisons, l’excuse, l’idolâtre.

Je voudrais vaincre enfin mon incrédulité,

Je voudrais la haïr avec tranquillité.

…….

Acte III Scène 7 (extraits)

 

Junie

 

 

 

Britannicus

Junie

 

 

 

Britannicus

 

 

 

 

 

Junie

……

Mais Néron vous menace : en ce pressant danger,

Seigneur, j’ai d’autres soins que de vous affliger.

Allez, rassurez-vous, et cessez de vous plaindre :

Néron nous écoutait, et m’ordonnait de feindre.

Quoi ! le cruel….

Témoin de tout notre entretien,

D’un visage sévère examinait le mien,

Prêt à faire éclater sur vous la vengeance

D’un geste confident de notre intelligence.

Néron nous écoutait, Madame ! Mais, hélas !

Vos yeux auraient pu feindre, et ne m’abuser pas,

Ils pouvaient me nommer l’auteur de cet outrage.

L’amour est-il muet, ou n’a-t-il qu’un langage ?

De quel trouble un regard pouvait me préserver !

Il fallait…

Il fallait me taire et vous sauver.

Combien de fois, hélas ! puisqu’il faut vous le dire,

Mon cœur de son désordre allait-il vous instruire !

De combien de soupirs interrompant le cours

Ai-je évité vos yeux que je cherchais toujours !

Quel tourment de se taire en voyant ce qu’on aime,

De l’entendre gémir, de l’affliger soi-même,

Lorsque par un regard on peut le consoler !

Mais quels pleurs ce regard aurait-il fait couler !

Ah ! dans ce souvenir, inquiète, troublée,

Je ne me sentais pas assez dissimulée.

De mon front effrayé je craignais la pâleur ;

Je trouvais mes regards trop pleins de ma douleur.

Sans cesse il me semblait que Néron en colère

Me venait reprocher trop de soin de vous plaire ;

Je craignais mon amour vainement renfermé ;

Enfin j’aurais voulu n’avoir jamais aimé.

Hélas ! pour son bonheur, Seigneur, et pour le nôtre,

Il n’est que trop instruit de mon cœur et du vôtre !

Allez, encore un coup, cachez-vous à ses yeux ;

Mon cœur plus à loisir vous éclaicira mieux.

De mille autres secrets j’aurais compte à vous rendre.

…..

Acte III Scène 8 (extraits)

 

Néron

 

 

 

Britannicus

Néron

 

Britannicus

 

 

Néron

 

 

Britannicus

Néron

Britannicus

Néron

 

…….

Ainsi par le destin nos vœux sont traversés,

J’obéissais alors, et vous obéissez.

Si vous n’avez appris à vous laissez conduire,

Vous êtes jeune encore et l’on peut vous instruire.

Et qui m’en instruira ?

Tout l’Empire à la fois,

Rome.

Rome met-elle au nombre de vos droits

Tout ce qu’a de cruel l’injustice et la force,

Les empoisonnements, le rapt et le divorce ?

Rome ne porte point ses regards curieux

Jusque dans des secrets que je cache à ses yeux.

Imitez son respect.

On sait ce qu’elle en pense.

Elle se tait du moins ; imitez son silence.

Ainsi Néron commence à ne se plus forcer.

Néron de vos discours commence à se lasser.

…….

Acte III Scène 9 (extraits)

 

Néron

….

Arrêtez.

J’ignore quel projet, Burrhus, vous méditez ;

Mais depuis quelques jours, tout ce que je désire

Trouve en vous un censeur prêt à me contredire.

Répondez-m’en, vous dis-je ; ou, sur votre refus,

D’autres me répondront et d’elle et de Burrhus.

Acte 2 Scène 1 (extraits)

Néron

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

N’en doutez point, Burrhus : malgré ses injustices,

C’est ma mère, et je veux ignorer ses caprices.

Mais je ne prétends plus ignorer ni souffrir

Le ministre insolent qui les ose nourrir.

Pallas de ses conseille empoisonne ma mère ;

Il séduit chaque jour Britannicus mon frère.

Ils l’écoutent tout seul : et qui suivrait leurs pas

Les trouverait peut-être assemblés chez Pallas.

C’en est trop. De tous deux il faut que je l’écarte.

Pour la dernière fois, qu’il s’éloigne, qu’il parte :

Je le veux, je l’ordonne ; et que la fin du jour

Ne le retrouve pas dans Rome ou dans ma cour.

Allez : cet ordre importe au salut de l’Empire.

Vous, Narcisse, approchez. Et vous, qu’on se retire.

…..

Acte 2 Scène 2 (extraits)

 

Néron

Narcisse

 

 

 

 

 

 

 

Narcisse

 

 

 

 

 

Néron

……

Que dis-tu ? Sur son cœur il aurait quelque empire ?

Je ne sais ; mais, Seigneur, ce que je puis vous dire,

Je l’ai vu quelquefois s’arracher de ces lieux,

Le cœur plein d’un courroux qu’il cachait à vos yeux,

D’une cour qui le fuit pleurant l’ingratitude,

Las de votre grandeur et de sa servitude,

Entre l’impatience et la crainte flottant :

Il allait voir Junie, et revenait content.

……

N’êtes-vous pas, Seigneur, votre maître et le sien ?

Vous verrons-nous toujours trembler sous sa tutelle ?

Vivez, régnez pour vous : c’est trop régner pour elle.

Craignez-vous…. ? Mais, Seigneur, vous ne la craignez pas :

Vous venez de bannir le superbe Pallas,

Pallas dont vous savez qu’elle soutient l’audace.

Eloigné de ses yeux, j’ordonne, je menace,

J’écoute vos conseils, j’ose les approuver,

Je m’excite contre elle, et tâche à la braver.

Mais (je t’expose ici mon âme toute nue),

Sitôt que mon malheur me ramène à sa vue,

Soit que je n’ose encor démentir le pouvoir

De ces yeux où j’ai lu si longtemps mon devoir,

Soit qu’à tant de bienfaits ma mémoire fidèle

Lui soumette en secret tout ce que je tiens d’elle,

Mais enfin mes efforts ne me servent de rien,

Mon Génie étonné tremble devant le sien ;

Et c’est pour m’affranchir de cette dépendance

Que je la fuis partout, que même je l’offense,

……..

 

Acte 2 Scène 3 (extraits)

 

Néron

 

 

 

 

Junie

 

Néron

 

 

Junie

Néron

 

Junie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Néron

 

 

 

 

 

 

 

Junie

 

 

 

 

 

Néron

 

 

 

 

Junie

 

 

Néron

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Junie

 

 

 

Néron

……

Ma mère a ses desseins, Madame, et j’ai les miens.

Ne parlons plus ici de Claude et d’Agrippine :

Ce n’est point par leur choix que je me détermine.

C’est à moi seul, Madame, à répondre de vous ;

Et je veux de ma main vous choisir un époux.

Ah ! Seigneur, songez-vous que toute autre alliance

Fera honte aux Césars auteurs de ma naissance ?

Non, Madame, l’époux dont je vous entretiens

Peut sans honte assembler vos aïeux et les siens :

Vous pouvez, sans rougir, consentir à sa flamme.

Et quel est donc, Seigneur, cet époux ?

Moi, Madame.

……

Seigneur, avec raison je demeure étonnée.

Je me vois, dans le cours d’une même journée,

Comme une criminelle amenée en ces lieux,

Et, lorsque avec frayeur je parais à vos yeux,

Que sur mon innocence à peine je me fie,

Vous m’offrez tout d’un coup la place d’Octavie.

J’ose dire pourtant que je n’ai mérité

Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité.

Et pouvez-vous, Seigneur, souhaiter qu’une fille

Qui vit presqu’en naissant éteindre sa famille,

Qui, dans l’obscurité nourrissant sa douleur,

S’est fait une vertu conforme à son malheur,

Passe subitement de cette nuit profonde

Dans un rang qui l’expose aux yeux de tout le monde,

Dont je n’ai pu de loin soutenir la clarté,

Et dont une autre enfin remplit la majesté ?

Je vous ai déjà dit que je la répudie.

Ayez moins de frayeur, ou moins de modestie.

N’accusez point ici mon choix d’aveuglement ;

Je vous réponds de vous : consentez seulement.

Du sang dont vous sortez rappelez la mémoire ;

Et ne préférez point, à la solide gloire

Des honneurs dont César prétend vous revêtir,

La gloire d’un refus, sujet au repentir.

Le ciel connaît, Seigneur, le fond de ma pensée.

Je ne me flatte point d’une gloire insensée :

Je sais de vos présents mesurer la grandeur ;

Mais plus ce rang sur moi répandrait de splendeurs,

Plus il me ferait honte, et mettrait en lumière

Le crime d’en avoir dépouillé l’héritière.

C’est de ses intérêts prendre beaucoup de soins,

Madame ; et l’amitié ne peut aller plus loin.

Mais ne nous flattons point, et laissons le mystère.

La sœur vous touche ici beaucoup moins que le frère :

Et pour Britannicus…

Il a su me toucher,

Seigneur, et je n’ai point prétendu m’en cacher.

……

Je pouvais de ces lieux lui défendre l’entrée ;

Mais, Madame, je veux prévenir le danger

Où son ressentiment le pourrait engager.

Je ne veux point le perdre. Il vaut mieux que lui-même

Entende son arrêt de la bouche qu’il aime.

Si ses jours vous sont chers, éloignez-le de vous,

Sans qu’il ait aucun lieu de me croire jaloux.

De son bannissement prenez sur vous l’offense ;

Et, soit par vos discours, soit par votre silence,

Du moins par vos froideurs, faites-lui concevoir

Qu’il doit porter ailleurs ses vœux et son espoir.

Moi ! Que je lui prononce un arrêt si sévère !

Ma bouche mille fois lui jura le contraire.

Quand même jusque-là je pourrais me trahir,

Mes yeux lui défendront, Seigneur, de m’obéir.

Caché près de ces lieux, je vous verrai, Madame.

Renfermez votre amour dans le fond de votre âme.

Vous n’aurez pas pour moi de langages secrets :

J’entendrai des regards que vous croirez muets ;

Et sa perte sera l’infaillible salaire

D’un geste ou d’un soupir échappé pour lui plaire.

…….

 

Acte 2 Scène 6 (extraits)

Britannicus Ce discours me surprend, il le faut avouer.

Je ne vous cherchais pas pour l’entendre louer.

Quoi ! pour vous confier la douleur qui m’accable,

A peine je dérobe un moment favorable,

Et ce moment si cher, Madame, est consumé

A louer l’ennemi dont je suis opprimé !

Qui vous rend à vous-même, en ce jour, si contraire ?

Quoi ! même vos regards ont appris à se taire ?

Que vois-je ? Vous craignez de rencontrer mes yeux ?

Néron vous plairait-il ? vous serais-je odieux ?

Ah ! si je le croyais…. Au nom des dieux, Madame,

Eclaircissez le trouble où vous jetez mon âme.

Parlez. Ne suis-je plus dans votre souvenir ?

………

Acte 2 Scène 8 (extraits)

Néron He bien ! de leur amour tu vois la violence,

Narcisse, elle a paru jusque dans son silence.

Elle aime mon rival, je ne puis l’ignorer ;

Mais je mettrai ma joie à le désespérer.

…….

Acte 1er Scène 1 (extraits)

Agrippine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Albine

Agrippine

 

 

 

Agrippine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Agrippine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Agrippine

….. Albine, il ne faut pas s’éloigner un moment.

Je veux l’attendre ici. Les chagrins qu’il me cause

M’occuperont assez tout le temps qu’il repose.

Tout ce que j’ai prédit n’est que trop assuré.

Contre Britannicus Néron s’est déclaré.

L’impatient Néron cesse de se contraindre ;

Las de se faire aimer, il veut se faire craindre.

Britannicus le gêne, Albine, et chaque jour

Je sens que je deviens importune à mon tour.

……

….Il vous doit son amour.

Il me le doit, Albine.

Tout, s’il est généreux, lui prescrit cette loi ;

Mais tout, s’il est ingrat, lui parle contre moi.

……

Non, non, mon intérêt ne me rend point injuste :

Il commence, il est vrai, par où finit Auguste ;

Mais crains que, l’avenir détruisant le passé,

Il ne finisse ainsi qu’Auguste a commencé.

Il se déguise en vain. Je lis sur son visage

Des fiers Domitius l’humeur triste et sauvage.

Il mêle avec l’orgueil qu’il a pris dans leur sang

La fierté des Nérons qu’il puisa dans mon flanc.

Toujours la tyrannie a d’heureuses prémices :

De Rome, pour un temps, Caïus fut les délices ;

Mais, sa feinte bonté se tournant en fureur,

Les délices de Rome en devinrent l’horreur.

Que m’importe, après tout, que Néron, plus fidèle,

D’une longue vertu laisse un jour le modèle ?

Ai-je mis dans sa main le timon de l’Etat

Pour le conduire au gré du peuple et du sénat ?

Ah ! que de la patrie il soit, s’il veut, le père ;

Mais qu’il songe un peu plus qu’Agrippine est sa mère.

De quel nom cependant pouvons-nous appeler

L’attentat que le jour vient de nous révéler ?

Il sait, car leur amour ne peut être ignorée,

Que de Britannicus Junie est adorée :

Et ce même Néron que la vertu conduit

Fait enlever Junie au milieu de la nuit.

Que veut-il ? Est-ce haine, est-ce amour, qui l’inspire ?

Cherche-t-il seulement le plaisir de leur nuire ?

Ou plutôt n’est-ce point que sa malignité

Punit sur eux l’appui que je leur ai prêté ?

……

…..Tous ces présents, Albine, irritent mon dépit :

Je vois mes honneurs croître et tomber mon crédit.

Non, non, le temps n’est plus que Néron, jeune encore,

Me renvoyait les vœux d’une cour qui l’adore,

Lorsqu’il se reposait sur moi de tout l’Etat,

Que mon ordre au palais assemblait le sénat,

Et que, derrière un voile, invisible et présente,

J’étais de ce grand corps l’âme toute-puissante.

Des volontés de Rome alors mal assuré,

Néron de sa grandeur n’était point enivré.

Ce jour, ce triste jour, frappe encor ma mémoire,

Où Néron fut lui-même ébloui de sa gloire,

Quand les ambassadeurs de tant de rois divers

Vinrent le reconnaître au nom de l’univers.

Sur son trône avec lui j’allais prendre ma place.

J’ignore quel conseil prépara ma disgrâce ;

Quoi qu’il en soit, Néron, d’aussi loin qu’il me vit,

Laissa sur son visage éclater son dépit.

Mon cœur même en conçut un malheureux augure.

L’ingrat, d’un faux respect colorant son injure,

Se leva par avance, et, courant m’embrasser,

Il m’écarta du trône où je m’allais placer.

Depuis ce coup fatal le pouvoir d’Agrippine,

Vers sa chute, à grands pas, chaque jour s’achemine.

L’ombre seule m’en reste, et l’on implore plus

Que le nom de Sénèque et l’appui de Burrhus.

…..

César ne me voit plus, Albine, sans témoins.

En public, à mon heure, on me donne audience.

Sa réponse est dictée, et même son silence.

Je vois deux surveillants, ses maîtres et les miens,

Présider l’un ou l’autre à tous nos entretiens.

Mais je le poursuivrai d’autant plus qu’il m’évite.

De son désordre, Albine, il faut que je profite.

J’entends du bruit ; on ouvre. Allons subitement

Lui demander raison de cet enlèvement.

Surprenons, s’il se peut, les secrets de son âme.

…….

Acte 1er Scène 2 (extraits)

 

Burrhus

 

 

 

 

 

 

Agrippine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Burrhus

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Agrippine

…..

….De quoi vous plaignez-vous, Madame ? On vous révère.

Ainsi que par César, on jure par sa mère.

L’Empereur, il est vrai, ne vient plus chaque jour

Mettre à vos pieds l’empire et grossir votre cour.

Mais le doit-il, Madame ? et sa reconnaissance

Ne peut-elle éclater que dans sa dépendance ?

…..

Ainsi, sur l’avenir n’osant vous assurer,

Vous croyez que sans vous Néron va s’égarer.

Mais vous qui, jusqu’ici content de votre ouvrage,

Venez de ses vertus nous rendre témoignage,

Expliquez-nous pourquoi, devenu ravisseur,

Néron de Silanus fait enlever la sœur.

Ne tient-il qu’à marquer de cette ignominie

Le sang de mes aïeux qui brille dans Junie ?

De quoi l’accuse-t-il ? et par quel attentat

Devient-elle en un jour criminelle d’Etat,

Elle qui, sans orgueil jusqu’alors élevée,

N’aurait point vu Néron s’il ne l’eût enlevée,

Et qui même aurait mis au rang de ses bienfaits

L’heureuse liberté de ne le voir jamais ?

Je sais que d’aucun crime elle n’est soupçonnée,

Mais jusqu’ici César ne l’a point condamnée,

Madame ; aucun objet ne blesse ici ses yeux :

Elle est dans un palais tout plein de ses aïeux.

Vous savez que les droits qu’elle porte avec elle

Peuvent de son époux faire un prince rebelle ;

Que le sang de César ne se doit allier

Qu’à ceux à qui César le veut bien confier ;

Et vous-même avoûrez qu’il ne serait pas juste

Qu’on disposât sans lui de la nièce d’Auguste.

…..

A ma confusion, Néron veut faire voir

Qu’Agrippine promet par-delà son pouvoir.

Rome de ma faveur est trop préoccupée :

Il veut par cet affront qu’elle soit détrompée,

Et que tout l’univers apprenne avec terreur

A ne plus confondre mon fils et l’Empereur.

Il le peut. Toutefois j’ose encore lui dire

Qu’il doit avant ce coup affermir son empire ;

Et qu’en me réduisant à la nécessité

D’éprouver contre lui ma faible autorité,

Il expose la sienne, et que dans la balance

Mon nom peut-être aura plus de poids qu’il ne pense.

…..

 

Acte 1er Scène 4 (extraits)

Britannicus

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Britannicus

….

Mais je suis seul encor. Les amis de mon père

Sont autant d’inconnus que glace ma misère ;

Et ma jeunesse même écarte loin de moi

Tous ceux qui dans le cœur me réservent leur foi.

Pour moi, depuis un an qu’un peu d’expérience

M’a donné de mon sort la triste connaissance,

Que vois-je autour de moi, que des amis vendus

Qui sont de tous mes pas les témoins assidus,

Qui, choisis par Néron pour ce commerce infâme,

Trafiquent avec lui des secrets de mon âme ?

Quoiqu’il en soit, Narcisse, on me vend tous les jours :

Il prévoit mes desseins, il entend mes discours ;

Comme toi, dans mon cœur il sait ce qui se passe.

…..

Narcisse, tu dis vrai. Mais cette défiance

Est toujours d’un grand cœur la dernière science :

On le trompe longtemps. Mais enfin je te croi,

Ou plutôt je fais vœu de ne croire que toi.

Mon père, il m’en souvient, m’assura de ton zèle.

Seul de ses affranchis tu m’es toujours fidèle ;

Tes yeux, sur ma conduite, incessamment ouverts,

M’ont sauvé jusqu’ici de mille écueils couverts.

Va donc voir si le bruit de ce nouvel orage

Aura de nos amis excité le courage.

Examine leurs yeux, observe leurs discours ;

Vois si j’en puis attendre un fidèle secours.

Surtout dans ce palais remarque avec adresse

Avec quel soin Néron fait garder la princesse.

…..

Ave
Très haut amour, s’il se peut que je meure
Sans avoir su d’où je vous possédais,
En quel soleil était votre demeure
En quel passé votre temps, en quelle heure
Je vous aimais,
Très haut amour qui passez la mémoire,
Feu sans foyer dont j’ai fait tout mon jour,
En quel destin vous traciez mon histoire,
En quel sommeil se voyait votre gloire,
Ô mon séjour…
Quand je serai pour moi-même perdue
Et divisée à l’abîme infini,
Infiniment, quand je serai rompue,
Quand le présent dont je suis revêtue
Aura trahi,
Par l’univers en mille corps brisée,
De mille instants non rassemblés encor,
De cendre aux cieux jusqu’au néant vannée,
Vous referez pour une étrange année
Un seul trésor
Vous referez mon nom et mon image
De mille corps emportés par le jour,
Vive unité sans nom et sans visage,
Cœur de l’esprit, ô centre du mirage
Très haut amour.
La grosse dame chante
Manger le pianiste ? Entrer dans le Pleyel ?
Que va faire la dame énorme ? L’on murmure…
Elle racle sa gorge et bombe son armure :
La dame va chanter. Un œil fixant le ciel
-l’autre suit le papier, secours artificiel-
Elle chante. Mais quoi ? Le printemps ? La ramure ?
Ses rancoeurs d’incomprise et de femme trop mûre ?
Qu’importe ! C’est très beau, très long, substantiel.
La note de la fin monte, s’assied, s’impose.
Le buffet se prépare aux assauts de la pause.
« Après, le concerto ?…- Mais oui, deux clavecins. »
Des applaudissements à la dame bien sage…
Et l’on n’entendra pas le bruit que font les seins
Clapotant dans la vasque immense du corsage.
Quotidiennes
C’est vrai, j’aurais pu devenir
Fabricant d’élégies…
Je ne sais que me souvenir
De notoires orgies.
Mais je veux écrire- à Paris,
Un roman exotique.
– ?- Certes, vous aurez des houris
Dansant sous le portique !
Je peindrai l’eau, le ciel, le port
Et le désert « immense »
A l’heure grise où commence
A crier Paris-Sport.
La nuit d’avril
Je ne me suis pas fait la tête de Musset,
Je tartine des vers, je prépare un essai,
J’ai le quart d’un roman à sécher dans l’armoire.
…Mais que sont vos baisers, ô filles de mémoire !
Vous entendre dicter des mots après des mots,
Triste jeu !
…Le loisir d’été sous les ormeaux,
Une écharpe du soir qui se lève et qui glisse…
Des couplets sur ce bon Monsieur de La Palice
Que répète un enfant dans le jardin couvert.
Ce crépuscule rouge, et puis jaune, et puis vert…
…Une femme passant par le pont de la Concorde
…Le râle d’un archet pâmé sur une corde,
La danse, la chanson avec la danse, un son
De flûte, sur la danse entraînant la chanson,
Ce geste d’une femme et celui d’une branche…
Ah ! vains mots ! pauvres mots en habits du dimanche…
Ah ! vivre tout cela, le vivre et l’épuiser !…
Muse, reprends mon luth et garde ton baiser !
Sainte Geneviève patronne de Paris (extraits)
Bergère qui gardiez les moutons à Nanterre
Et guettiez au printemps la première hirondelle,
Vous seule vous savez combien elle est fidèle,
La ville vagabonde et pourtant sédentaire.
Vous qui la connaissez dans ses embrassements
Et dans sa turpitude et dans ses pénitences,
Et dans sa rectitude et dans ses inconstances,
Et dans le feu sacré de ses embrasements,
Vous qui la connaissez dans ses débordements,
Et dans le maigre jeu de ses incompétences,
Et dans le battement de ses intermittences,
Et dans l’anxiété de ses longs meuglements,
Vous seule vous savez comme elle est peu rebelle,
La ville indépendante et pourtant tributaire.
Vous qui la connaissez dans le sang des martyrs
Et la reconnaissez dans le sang des bourreaux,
Vous qui l’avez connue au fond des tombereaux
Et la reconnaissez dans ses beaux repentirs,
Et dans l’inimitié de ses chers souvenirs
Et dans ses fils plus durs que les durs hobereaux,
Et dans l’absurdité de ses godelureaux
Qui marchaient à la mort comme on ferait ses tirs,
Vous seule vous savez comme elle est jeune et belle,
La ville intolérante et pourtant libertaire.
Vous qui la connaissez dans ses gémissements
Et la reconnaissez dans ses inconsistances,
Dans ses atermoiements et dans ses résistances,
Dans sa peine et son deuil et ses désarmements,
Vous qui la connaissez dans ses mugissements
Et dans l’humilité de ses omnipotences,
Et dans la sûreté de ses inadvertances
Et dans le creux secret de ses tressaillements,
Vous seule vous savez comme elle est jouvencelle,
La ville incohérente et pourtant statutaire.
Vous qui la connaissez dans le luxe de Tyr
Et la reconnaissez dans la force de Rome,
Vous qui la retrouvez dans le cœur du pauvre homme
Et la froide équité de la pierre à bâtir,
Et dans la pauvreté de la chair à pâtir
Sous la dent qui la mord et le poing qui l’assomme
Et l’écrit qui la fixe et le nom qui la nomme
Et l’argent qui la paye et veut l’assujettir,
Vous seule vous savez combien elle est pucelle,
La ville exubérante et pourtant censitaire.
Vous qui la connaissez dans ses vieilles potences
Et la reconnaissez dans ses égarements,
Et dans la profondeur de ses recueillements,
Et dans ses échafauds et dans ses pestilences,
Et la solennité de ses graves silences,
Et dans l’ordre secret de ses fourmillements,
Et dans la nudité de ses dépouillements,
Et dans son ignorance et dans ses innocences,
Vous seule vous savez comme elle est pastourelle,
La ville assourdissante et pourtant solitaire.
Vous qui la connaissez dans ses guerres civiles
Et la reconnaissez dans ses égorgements,
Dans son courage unique et dans ses tremblements,
Dans son peuple sans peur et ses foules serviles,
Dans son gouvernement des hordes et des villes
Et dans la loyauté de ses enseignements,
Dans la fatalité de ses éloignements,
Dans l’honneur de sa face et dans ses tourbes viles,
Vous seule vous savez comme elle est colonelle,
La ville turbulente et pourtant militaire.
Vous qui la connaissez dans ses longues erreurs
Et la reconnaissez dans ses plus beaux retours,
Vous qui la connaissez dans ses longues amours
Et sa sourde tendresse et ses sourdes terreurs,
Et le commandement de ses lentes fureurs
Et le retournement des travaux et des jours,
Et le prosternement des palais et des tours,
Et le sang resté pur dans les mêmes horreurs,
Vous seule vous savez comme elle est maternelle,
La ville intempérante et pourtant salutaire……
…..Et quand aura volé la dernière hirondelle,
Et quand il s’agira d’un bien autre printemps,
Vous entrerez première et par les deux battants
Dans la cour de justice et dans la citadelle.
On vous regardera, comme étant la plus belle,
Le monde entier dira : C’est celle de Paris.
On ne verra que vous au céleste pourpris,
Et vous rendrez alors vos comptes de tutelle.
Les galopins diront : C’est une vieille femme.
Et les savants diront : Elle est de l’ancien temps.
Voici sa lourde ville et tous ses habitants.
Et voici sa houlette et le soin de son âme.
Vous vous avancerez dans votre antiquité.
On vous écoutera comme étant la doyenne
Et la plus villageoise et la plus citoyenne
Et comme ayant reçu la plus grande cité.
Seule vous parlerez lorsque tout se taira.
Et Dieu qui n’a jamais interloqué ses saints
Ni faussé sa parole et masqué ses desseins
Vous nommera sa fille et vous exaucera.
Car vous lui parlerez comme sa mandataire
Pour votre patronage et votre clientèle,
Et seule vous direz comme elle était fidèle,
La ville démocrate et pourtant feudataire.
Madame Gervaise
La foi que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’espérance.
La foi ça ne m’étonne pas.
Ce n’est pas étonnant.
J’éclate tellement dans ma création.
Dans le soleil et dans la lune et dans les étoiles.
Dans toutes mes créatures.
Dans les astres du firmament et dans les poissons de la mer.
Dans l’univers de mes créatures.
Sur la face de la terre et sur la face des eaux.
Dans le mouvement des astres qui sont dans le ciel.
Dans le vent qui souffle sur la mer et dans le vent qui souffle dans la vallée.
Dans la calme vallée.
Dans la recoite vallée.
Dans les plantes et dans les bêtes et dans les bêtes des forêts.
Et dans l’homme.
Ma créature.
Dans les peuples et dans les hommes et dans les rois et dans les peuples.
Dans l’homme et dans la femme sa compagne.
Et surtout dans les enfants.
Mes créatures.
Dans le regard et dans la voix des enfants.
Car les enfants sont plus mes créatures
Que les hommes.
Ils n’ont pas encore été défaits par la vie
De la terre.
Et entre tous ils sont mes serviteurs.
Avant tous.
Et la voix des enfants est plus pure que la voix du vent dans le calme de la vallée.
Dans la vallée recoite.
Et le regard des enfants est plus pur que le bleu du ciel, que le laiteux du ciel, et qu’un rayon d’étoile dans la calme nuit.
Or j’éclate tellement dans ma création.
Sur la face des montagnes et sur la face de la plaine.
Dans le pain et dans le vin et dans l’homme qui laboure et dans l’homme qui sème et dans la moisson et dans la vendange.
Dans la lumière et dans les ténèbres.
Et dans le cœur de l’homme, qui est ce qu’il y a de plus profond dans le monde.
Créé.
Si profond qu’il est impénétrable à tout regard.
Excepté à mon regard.
Dans la tempête qui fait bondir les vagues et dans la tempête qui fait bondir les feuilles.
Des arbres dans la forêt.
Et au contraire dans le calme d’un beau soir.
Dans les sables de la mer et dans les étoiles qui sont un sable dans le ciel.
Dans la pierre du seuil et dans la pierre du foyer et dans la pierre de l’autel.
Dans la prière et dans les sacrements.
Dans les maisons des hommes et dans l’église qui est ma maison sur la terre.
Dans l’aigle ma créature qui vole sur les sommets.
L’aigle royal qui a au moins deux mètres d’envergure et peut-être trois mètres.
Et dans la fourmi ma créature qui rampe et qui amasse petitement.
Dans la terre.
Dans la fourmi mon serviteur.
Et jusque dans le serpent.
Dans la fourmi ma servante, qui amasse péniblement, la parcimonieuse.
Qui travaille comme une malheureuse et qui n’a point de cesse et qui n’a point de repos.
Que la mort et que le long sommeil d’hiver.
Haussant les épaules de tant d’évidence.
Devant tant d’évidence.
J’éclate tellement dans toute ma création.
Dans l’infime, dans toute ma créature infime, dans ma servante infime, dans la fourmi infime.
Qui thésaurise petitement, comme l’homme.
Comme l’homme infime.
Et qui creuse des galeries dans la terre.
Dans les sous-sols de la terre.
Pour y amasser mesquinement des trésors.
Temporels.
Pauvrement.
Et jusque dans le serpent.
Qui a trompé la femme et qui pour cela rampe sur le ventre.
Et qui est ma créature et qui est mon serviteur.
Le serpent qui a trompé la femme.
Ma servante.
Qui a trompé l’homme mon serviteur.
J’éclate tellement dans ma création.
Dans tout ce qui arrive aux hommes et aux peuples, et aux pauvres.
Et même aux riches.
Qui ne veulent pas être mes créatures.
Et qui se mettent à l’abri.
D’être mes serviteurs.
Dans tout ce que l’homme fait et défait de mal et de bien.
(Et moi je passe par-dessus, parce que je suis le maître, et je fais ce qu’il a défait et je défais ce qu’il a fait)
Et jusque dans la tentation du péché.
Même.
Et dans tout ce qui est arrivé à mon fils.
A cause de l’homme.
Ma créature.
Que j’avais créé.
Dans l’incorporation, dans la naissance et dans la vie et dans la mort de mon fils.
Et dans le saint sacrifice de la messe.
Dans toute naissance et dans toute vie.
Et dans toute mort.
Et dans la vie éternelle qui ne finira point.
Qui vaincra toute mort.
J’éclate tellement dans ma création.
Que pour ne pas me voir vraiment il faudrait que ces pauvres gens fussent aveugles.
……………………………………………………..
Il fera longtemps clair ce soir
Il fera longtemps clair ce soir, les jours allongent.
La rumeur du jour vif se disperse et s’enfuit,
Et les arbres, surpris de ne pas voir la nuit,
Demeurent éveillés dans le soir blanc, et songent….
Les marronniers, sur l’air plein d’or et de lourdeur,
Répandent leurs parfums et semblent les étendre ;
On n’ose pas marcher ni remuer l’air tendre
De peur de déranger le sommeil des odeurs.
De lointains roulements arrivent de la ville…
La poussière qu’un peu de brise soulevait,
Quittant l’arbre mouvant et las qu’elle revêt,
Redescend doucement sur les chemins tranquilles ;
Nous avons tous les jours l’habitude de voir
Cette route si simple et si souvent suivie,
Et pourtant quelque chose est changé dans la vie ;
Nous n’aurons plus jamais notre âme de ce soir….
La vie profonde
Etre dans la nature ainsi qu’un arbre humain,
Etendre ses désirs comme un profond feuillage,
Et sentir, par la nuit paisible et par l’orage,
La sève universelle affluer dans ses mains !
Vivre, avoir les rayons du soleil sur la face,
Boire le sel ardent des embruns et des pleurs,
Et goûter chaudement la joie et la douleur
Qui font une buée humaine dans l’espace !
Sentir, dans son cœur vif, le feu et le sang
Tourbillonner ainsi que le vent sur la terre ;
S’élever au réel et pencher au mystère,
Etre le jour qui monte et l’ombre qui descend ;
Comme du pourpre soir aux couleurs de cerise,
Laisser du cœur vermeil couler la flamme et l’eau,
Et comme l’aube claire appuyée au coteau
Avoir l’âme qui rêve, au bord du monde assise….
Delfica
La connais-tu, Dafné, cette ancienne romance,
Au pied du sycomore, ou sous les lauriers blancs,
Sous l’olivier, le myrte, ou les saules tremblants,
Cette chanson d’amour…. qui toujours recommence ?…
Reconnais-tu le Temple au péristyle immense,
Et les citrons amers où s’imprimaient tes dents,
Et la grotte, fatale aux hôtes imprudents,
Où du dragon vaincu dort l’antique semence…
Ils reviendront, ces Dieux que tu pleures toujours !
Le temps va ramener l’ordre des anciens jours ;
La terre a tressailli d’un souffle prophétique…
Cependant la sibylle au visage latin
Est endormie encor sous l’arc de Constantin :
-Et rien n’a dérangé le sévère portique.
Vers dorés
Homme ! libre penseur- te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toute chose :
Des forces que tu tiens ta liberté dispose,
Mais de tous tes conseils l’univers est absent.
Respecte dans la bête un esprit agissant : ….
Chaque fleur est une âme à la Nature éclose ;
Un mystère d’amour dans le métal repose :
« Tout est sensible ! » – Et tout sur ton être est puissant !
Crains dans le mur aveugle un regard qui t’épie :
A la matière même un verbe est attaché….
Ne la fais pas servir à quelque usage impie !
Souvent dans l’être obscur habite un Dieu caché ;
Et comme un œil naissant couvert par ses paupières,
Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres !

Fantaisie

Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.

Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C’est sous Louis-Treize…. – et je crois voir s’étendre
Un coteau vert que le couchant jaunit ;

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs.

Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens….
Que, dans une autre existence, peut-être,
J’ai déjà vue- et dont je me souviens !

La nuit d’août (extraits)
La Muse
Depuis que le soleil, dans l’horizon immense,
A franchi le Cancer sur son axe enflammé,
Le bonheur m’a quittée, et j’attends en silence
L’heure où m’appellera mon ami bien-aimé.
Hélas ! depuis longtemps sa demeure est déserte ;
Des beaux jours d’autrefois rien n’y semble vivant.
Seule, je viens encor, de mon voile couverte,
Poser mon front brûlant sur sa porte entr’ouverte,
Comme une veuve en pleurs au tombeau d’un enfant.
Le Poète
Salut à ma fidèle amie !
Salut, ma gloire et mon amour !
La meilleure et la plus chérie
Est celle qu’on trouve au retour.
L’opinion et l’avarice
Viennent un temps de m’emporter.
Salut, ma mère et ma nourrice !
Salut, salut consolatrice !
Ouvre tes bras, je viens chanter.
La Muse
Pourquoi, cœur altéré, cœur lassé d’espérance,
T’enfuis-tu si souvent pour revenir si tard ?
Que t’en vas-tu chercher, sinon quelque hasard ?
Et que rapportes-tu, sinon quelque souffrance ?
Que fais-tu loin de moi, quand j’attends jusqu’au jour ?
Tu suis un pâle éclair dans une nuit profonde.
Il ne te restera de tes plaisirs du monde
Qu’un impuissant mépris pour notre honnête amour.
Ton cabinet d’étude est vide quand j’arrive ;
Tandis qu’à ce balcon, inquiète et pensive,
Je regarde en rêvant les murs de ton jardin,
Tu te livres dans l’ombre à ton mauvais destin.
Quelque fière beauté te retient dans sa chaîne,
Et tu laisses mourir cette pauvre verveine
Dont les derniers rameaux, en des temps plus heureux,
Devaient être arrosés des larmes de tes yeux.
Cette triste verdure est mon vivant symbole ;
Ami, de ton oubli nous mourrons toutes deux,
Et son parfum léger, comme l’oiseau qui vole,
Avec mon souvenir s’enfuira dans les cieux……
…Et que trouveras-tu, le jour où la misère
Te ramènera seul au paternel foyer ?
Quand tes tremblantes mains essuieront la poussière
De ce pauvre réduit que tu crois oublier,
De quel front viendras-tu, dans ta propre demeure,
Chercher un peu de calme et d’hospitalité ?
Une voix sera là pour crier à toute heure :
Qu’as-tu fait de ta vie et de ta liberté ?
Crois-tu donc qu’on oublie autant qu’on le souhaite ?
Crois-tu qu’en te cherchant tu te retrouveras ?
De ton cœur ou de toi lequel est le poète ?
C’est ton cœur, et ton cœur ne te répondra pas.
L’amour l’aura brisé ; les passions funestes
L’auront rendu de pierre au contact des méchants ;
Tu n’en sentiras plus que d’effroyables restes,
Qui remueront encor, comme ceux des serpents.
Ô ciel ! qui t’aidera ? que ferai-je moi-même
Quand celui qui peut tout défendra que je t’aime,
Et quand mes ailes d’or, frémissant malgré moi,
M’emporteront à lui pour me sauver de toi ?
Pauvre enfant ! nos amours n’étaient pas menacées,
Quand dans les bois d’Auteuil, perdu dans tes pensées,
Sous les verts marronniers et les peupliers blancs,
Je t’agaçais le soir en détours nonchalants ;
Ah ! j’étais jeune alors et nymphe, et les dryades
Entr’ouvraient pour me voir l’écorce des bouleaux,
Et les pleurs qui coulaient durant nos promenades
Tombaient, purs comme l’or, dans le cristal des eaux.
Qu’as-tu fait, mon amant, des jours de ta jeunesse ?
Qui m’a cueilli mon fruit sur mon arbre enchanté ?
Hélas ! ta joue en fleur plaisait à la déesse
Qui porte dans ses mains la force et la santé.
De tes yeux insensés les larmes l’ont pâlie ;
Ainsi que ta beauté, tu perdras ta vertu.
Et moi qui t’aimerai comme une unique amie,
Quand les dieux irrités m’ôteront ton génie,
Si je tombe des cieux, que me répondras-tu ?
Le Poète
Puisque l’oiseau des bois voltige et chante encor
Sur la branche où ses œufs sont brisés dans le nid ;
Puisque la fleur des champs entr’ouverte à l’aurore,
Voyant sur la pelouse une autre fleur éclore,
S’incline sans murmure et tombe avec la nuit ;
Puisqu’au fond des forêts, sous les toits de verdure,
On entend le bois mort craquer dans le sentier,
Et puisqu’en traversant l’immortelle nature
L’homme n’a su trouver de science qui dure,
Que de marcher toujours et toujours oublier ;
Puisque, jusqu’aux rochers, tout se change en poussière ;
Puisque tout meurt ce soir pour revivre demain ;
Puisque c’est un engrais que le meurtre et la guerre ;
Puisque sur une tombe on voit sortir de terre
Le brin d’herbe sacré qui nous donne le pain ;
Ô Muse ! que m’importe ou la mort ou la vie ?
J’aime, et je veux pâlir ; j’aime et je veux souffrir ;
J’aime, et pour un baiser je donne mon génie ;
J’aime, et je veux sentir sur ma joue amaigrie
Ruisseler une source impossible à tarir.
J’aime, et je veux chanter la joie et la paresse,
Ma folle expérience et mes soucis d’un jour,
Et je veux raconter et répéter sans cesse
Qu’après avoir juré de vivre sans maîtresse,
J’ai fait serment de vivre et de mourir d’amour.
Dépouille devant tous l’orgueil qui te dévore,
Cœur gonflé d’amertume et qui t’es cru fermé.
Aime, et tu renaîtras ; fais-toi fleur pour éclore.
Après avoir souffert, il faut souffrir encore ;
Il faut aimer sans cesse, après avoir aimé.
L’Andalouse
Avez-vous vu dans Barcelone,
Une Andalouse au sein bruni ?
Pâle comme un beau soir d’automne !
C’est ma maîtresse, ma lionne !
La marquesa d’Amaëgui !
J’ai fait bien des chansons pour elle,
Je me suis battu bien souvent.
Bien souvent j’ai fait sentinelle,
Pour voir le coin de sa prunelle,
Quand son rideau tremblait au vent.
Elle est à moi, moi seul au monde.
Ses grands sourcils noirs sont à moi,
Son corps souple, et sa jambe ronde,
Sa chevelure qui l’inonde,
Plus longue qu’un manteau de roi !
C’est à moi son beau col qui penche
Quand elle dort dans son boudoir,
Et sa basquina sur sa hanche,
Son bras dans sa mitaine blanche,
Son pied dans son brodequin noir !
Vrai Dieu ! Lorsque son œil pétille
Sous la frange de ses réseaux,
Rien que pour toucher sa mantille
De par tous les saints de Castille,
On se ferait rompre les os.
Qu’elle est superbe en son désordre,
Quand elle tombe, les seins nus,
Qu’on la voit, béante, se tordre
Dans un baiser de rage, et mordre
En criant des mots inconnus !
Et qu’elle est folle dans sa joie,
Lorsqu’elle chante le matin,
Lorsqu’en tirant son bas de soie,
Elle fait, sur son flanc qui ploie,
Craquer son corset de satin !
Allons, mon page, en embuscades !
Allons ! la belle nuit d’été !
Je veux ce soir des sérénades
A faire damner les alcades
De Tolose au Guadalété.
Les Nuits (extraits)
La Muse
Crois-tu donc que je sois comme le vent d’automne,
Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau,
Et pour qui la douleur n’est qu’une goutte d’eau ?
Ô poète ! un baiser, c’est moi qui te le donne.
L’herbe que je voulais arracher de ce lieu,
C’est ton oisiveté ; ta douleur est à Dieu.
Quel que soit le souci que ta jeunesse endure,
Laisse-la s’élargir, cette sainte blessure
Que les noirs séraphins t’ont faite au fond du cœur,
Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur,
Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,
Que ta voix ici-bas doive rester muette.
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots……
Le poète
Ô Muse ! spectre insatiable,
Ne m’en demande pas si long.
L’homme n’écrit rien sur le sable
A l’heure où passe l’aquilon.
J’ai vu le temps où ma jeunesse
Sur mes lèvres était sans cesse
Prête à chanter comme un oiseau ;
Mais j’ai souffert un dur martyre,
Et le moins que j’en pourrais dire,
Si je l’essayais sur ma lyre,
La briserait comme un roseau.
Souvenir (extraits)
J’espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir
En osant te revoir, place à jamais sacrée,
Ô la plus chère tombe et la plus ignorée
Où dorme un souvenir !
Que redoutiez-vous donc de cette solitude,
Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main,
Alors qu’une si douce et si vieille habitude
Me montrait ce chemin ?
Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries,
Et ces pas argentins sur le sable muet,
Ces sentiers amoureux, remplis de causeries,
Où son bras m’enlaçait.
Les voilà, ces sapins à la sombre verdure,
Cette gorge profonde aux nonchalants détours,
Ces sauvages amis, dont l’antique murmure
A bercé mes beaux jours.
Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse,
Comme un essaim d’oiseaux, chante au bruit de mes pas.
Lieux charmants, beau désert où passa ma maîtresse,
Ne m’attendiez-vous pas ?….
Que sont-ils devenus, les chagrins de ma vie ?
Tout ce qui m’a fait vieux est bien loin maintenant ;
Et rien qu’en regardant cette vallée amie
Je redeviens enfant.
Ô puissance du temps ! ô légères années !
Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets ;
Mais la pitié vous prend, et sur nos fleurs fanées
Vous ne marchez jamais.
Tout mon cœur te bénit, bonté consolatrice !
Je n’aurais jamais cru que l’on pût tant souffrir
D’une telle blessure, et que sa cicatrice
Fût si douce à sentir.
Loin de moi les vains mots, les frivoles pensées,
Des vulgaires douleurs linceul accoutumé,
Que viennent étaler sur leurs amours passées
Ceux qui n’ont point aimé !
Dante, pourquoi dis-tu qu’il n’est pire misère
Qu’un souvenir heureux dans les jours de douleur ?
Quel chagrin t’a dicté cette parole amère,
Cette offense au malheur ?
En est-il donc moins vrai que la lumière existe,
Et faut-il l’oublier du moment qu’il fait nuit ?
Est-ce bien toi, grande âme immortellement triste,
Est-ce toi qui l’as dit ?
Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m’éclaire,
Ce blasphème vanté ne vient pas de ton cœur.
Un souvenir heureux est peut-être sur terre
Plus vrai que le bonheur.

Les femmes savantes (extraits)

Acte V  Scène I (extraits)

Henriette

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Trissotin

 

 

 

 

Henriette

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Trissotin

 

 

 

Henriette

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Henriette

C’est sur le mariage où ma mère s’apprête

Que j’ai voulu, Monsieur, vous parler tête à tête ;

Et j’ai cru, dans le trouble où je vois la maison,

Que je pourrais vous faire écouter la raison.

Je sais qu’avec mes vœux vous me jugez capable

De vous porter en dot un bien considérable ;

Mais l’argent, dont on voit tant de gens faire cas,

Pour un vrai philosophe a d’indignes appas ;

Et le mépris du bien et des grandeurs frivoles

Ne doit point éclater dans vos seules paroles.

Aussi n’est-ce point là ce qui me charme en vous ;

Et vos brillants attraits, vos yeux perçants et doux,

Votre grâce, et votre air, sont les biens, les richesses,

Qui vous ont attiré mes vœux et mes tendresses :

C’est de ces seuls trésors que je suis amoureux.

Je suis fort redevable à vos feux généreux :

Cet obligeant amour a de quoi me confondre,

Et j’ai regret, Monsieur, de n’y pouvoir répondre.

Je vous estime autant qu’on saurait estimer ;

Mais je trouve un obstacle à vous pouvoir aimer :

Un cœur, vous le savez, à deux ne saurait être,

Et je sens que du mien Clitandre s’est fait maître.

Je sais qu’il a bien moins de mérite que vous,

Que j’ai de méchants yeux pour le choix d’un époux,

Que par cent beaux talents vous devriez me plaire ;

Je vois bien que j’ai tort, mais je n’y puis que faire ;

Et tout ce que sur moi peut le raisonnement,

C’est de me vouloir mal d’un tel aveuglement.

Le don de votre main où l’on me fait prétendre

Me livrera ce cœur que possède Clitandre :

Et par mille doux soins j’ai lieu de présumer

Que je pourrai trouver l’art de me faire aimer.

Non : à ses premiers vœux mon âme est attachée,

Et ne peut de vos soins, Monsieur, être touchée.

Avec vous librement j’ose ici m’expliquer,

Et mon aveu n’a rien qui vous doive choquer.

Cette amoureuse ardeur qui dans les cœurs s’excite

N’est point comme l’on sait un effet du mérite ;

Le caprice y prend part, et quand quelqu’un nous plaît,

Souvent nous avons peine à dire pourquoi c’est.

Si l’on aimait, Monsieur, par choix et par sagesse,

Vous auriez tout mon cœur et toute ma tendresse ;

Mais on voit que l’amour se gouverne autrement.

Laissez-moi, je vous prie, à mon aveuglement,

Et ne vous servez point de cette violence

Que pour vous on veut faire à mon obéissance.

Quand on est honnête homme, on ne veut rien devoir

A ce que des parents ont sur nous de pouvoir ;

On répugne à se faire immoler ce qu’on aime,

Et l’on veut n’obtenir un cœur que de lui-même.

Ne poussez point ma mère à vouloir par son choix

Exercer sur mes vœux la rigueur de ses droits ;

Otez-moi votre amour, et portez à quelque autre

Les hommages d’un cœur aussi cher que le vôtre.

……

Mais savez-vous qu’on risque un peu plus qu’on ne pense

A vouloir sur un cœur user de violence ?

Qu’il ne fait pas bien sûr, à vous le trancher net,

D’épouser une fille en dépit qu’elle en ait,

Et qu’elle peut aller, en se voyant contraindre,

A des ressentiments que le mari doit craindre ?

…….

Acte V  Scène III (extraits)

 

Martine

 

Chrysale

Martine

 

Chrysale

Martine

 

 

 

 

 

Chrysale

…..

Mon congé cent fois me fût-il hoc,

La poule ne doit point chanter devant le coq.

Sans doute.

Et nous voyons que d’un homme on se gausse,

Quand sa femme chez lui porte le haut-de-chausse.

Il est vrai

Si j’avais un mari, je le dis,

Je voudrais qu’il se fît le maître du logis ;

Je ne l’aimerais point, s’il faisait le jocrisse ;

Et si je contestais contre lui par caprice,

Si je parlais trop haut, je trouverais fort bon

Qu’avec quelques soufflets il rabaissât mon ton.

C’est parler comme il faut.

……

 

Acte V  Scène IV (extraits)

 

Philaminte

 

Clitandre

 

 

 

 

Henriette

 

 

 

 

 

 

Clitandre

 

Henriette

 

 

 

 

 

 

Ariste

….

Qu’il a bien découvert son âme mercenaire !

Et que peu philosophe est ce qu’il vient de faire !

Je ne me vante point de l’être, mais enfin

Je m’attache, Madame, à tout votre destin ,

Et j’ose vous offrir, avecque ma personne,

Ce qu’on sait que de bien la fortune me donne.

…..

Je sais le peu de bien que vous avez, Clitandre,

Et je vous ai toujours souhaité pour époux,

Lorsqu’en satisfaisant à mes vœux les plus doux,

J’ai vu que mon hymen ajustait vos affaires ;

Mais lorsque nous avons les destins si contraires,

Je vous chéris assez dans cette extrémité

Pour ne vous charger point de notre adversité.

Tout destin, avec vous, me peut être agréable ;

Tout destin me serait, sans vous, insupportable.

L’amour dans son transport parle toujours ainsi.

Des retours importuns évitons le souci :

Rien n’use tant l’ardeur de ce nœud qui nous lie,

Que les fâcheux besoins des choses de la vie ;

Et l’on en vient souvent à s’accuser tous deux

De tous les noirs chagrins qui suivent de tels feux.

…..

Laissez-vous donc lier par des chaînes si belles.

Je ne vous ai porté que de fausses nouvelles,

Et c’est un stratagème, un surprenant secours,

Que j’ai voulu tenter pour servir vos amours,

Pour détromper ma sœur, et lui faire connaître

Ce que son philosophe à l’essai pouvait être ?

…….

Les femmes savantes (extraits)

Acte IV  Scène II (extraits)

Armande

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Clitandre

 

 

 

 

 

 

 

Armande

 

 

 

 

 

 

 

Clitandre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Clitandre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Clitandre

 

Je ne souffrirais point, si j’étais que de vous,

Que jamais d’Henriette il pût être l’époux.

On me ferait grand tort d’avoir quelque pensée

Que là-dessus je parle en fille intéressée,

Et que le lâche tour que l’on voit qu’il me fait

Jette au fond de mon cœur quelque dépit secret :

Contre de pareils coups l’âme se fortifie

Du solide secours de la philosophie,

Et par elle on se peut mettre au-dessus de tout.

Mais vous traiter ainsi, c’est vous pousser à bout :

Il est de votre honneur d’être à ses vœux contraire,

Et c’est un homme enfin qui ne doit point vous plaire.

Jamais je n’ai connu, discourant entre nous,

Qu’il eût au fond du cœur de l’estime pour vous.

…..

Eh ! doucement de grâce : un peu de charité,

Madame, ou tout au moins un peu d’honnêteté.

Quel mal vous ai-je fait ? et quelle est mon offense,

Pour armer contre moi toute votre éloquence ?

Pour vouloir me détruire et prendre tant de soin

De me rendre odieux aux gens dont j’ai besoin ?

Parlez, dites, d’où vient ce courroux effroyable ?

Je veux bien que Madame en soit juge équitable.

Si j’avais le courroux dont on veut m’accuser,

Je trouverais assez de quoi l’autoriser :

Vous en seriez trop digne, et les premières flammes

S’établissent des droits si sacrés sur les âmes,

Qu’il faut perdre fortune, et renoncer au jour,

Plutôt que de brûler des feux d’un autre amour ;

Au changement des vœux nulle horreur ne s’égale,

Et tout cœur infidèle est un monstre en morale.

Appelez-vous, Madame, une infidélité

Ce que m’a de votre âme ordonné la fierté ?

Je ne fais qu’obéir aux lois qu’elle m’impose ;

Et si je vous offense, elle seule en est la cause.

Vos charmes ont d’abord possédé tout mon cœur :

Il a brûlé deux ans d’une constante ardeur ;

Il n’est soins empressés, devoirs, respects, services,

Dont il ne vous ai fait d’amoureux sacrifices.

Tous mes feux, tous mes soins ne peuvent rien sur vous ;

Je vous trouve contraire à mes vœux les plus doux.

Ce que vous refusez, je l’offre au choix d’une autre.

Voyez : est-ce, Madame, ou ma faute, ou la vôtre ?

Mon cœur court-il au change, ou si vous l’y poussez ?

Est-ce moi qui vous quitte, ou vous qui me chassez ?

….

Pour moi, par un malheur, je m’aperçois, Madame,

Que j’ai, ne vous déplaise, un corps tout comme une âme,

Je sens qu’il y tient trop, pour le laisser à part ;

De ces détachements je ne connais point l’art ;

Le Ciel m’a dénié cette philosophie,

Et mon âme et mon corps marchent de compagnie.

Il n’est rien de plus beau, comme vous avez dit,

Que ces vœux épurés qui ne vont qu’à l’esprit,

Ces unions de cœur, et ces tendres pensées

Du commerce des sens si bien débarrassées.

Mais ces amours pour moi sont trop subtilisés ;

Je suis un peu grossier, comme vous m’accusez ;

J’aime avec tout moi-même, et l’amour qu’on me donne

En veut, je le confesse, à toute la personne.

Ce n’est pas là matière à de grands châtiments ;

Et, sans faire de tort à vos bons sentiments,

Je vois que dans le monde on suit fort ma méthode,

Et que le mariage est assez à la mode,

Passe pour un lien assez honnête et doux,

Pour avoir désiré de me voir votre époux,

Sans que la liberté d’une telle pensée

Ait dû vous donner lieu d’en paraître offensée.

……

Mais Monsieur Trissotin n’a pu duper personne,

Et chacun rend justice aux écrits qu’il nous donne :

Hors céans, on le prise en tous lieux ce qu’il vaut ;

Et ce qui m’a vingt fois fait tomber de mon haut,

C’est de vous voir au ciel élever des sornettes

Que vous désavoueriez, si vous les aviez faites.

 

……

Acte IV  Scène III (extraits)

 

Philaminte

 

 

 

Clitandre

 

 

 

 

 

Trissotin

 

Clitandre

 

Trissotin

Clitandre

 

 

 

 

Trissotin

 

Clitandre

 

 

Trissotin

 

Clitandre

 

…..

Remettons ce discours pour une autre saison :

Monsieur n’y trouverait ni rime, ni raison ;

Il fait profession de chérir l’ignorance,

Et de haïr surtout l’esprit et la science.

Cette vérité veut quelque adoucissement.

Je m’explique, Madame ; et je hais seulement

La science et l’esprit qui gâtent les personnes.

Ce sont choses de soi qui sont belles et bonnes ;

Mais j’aimerais mieux être au rang des ignorants

Que de me voir savant comme certaines gens.

Pour moi, je ne tiens pas, quelque effet qu’on suppose,

Que la science soit pour gâter quelque chose.

Et c’est mon sentiment, qu’en faits comme en propos,

La science est sujette à faire de grands sots.

Le paradoxe est fort.

Sans être fort habile,

La preuve m’en serait, je pense, assez facile :

Si les raisons manquaient, je suis sûr qu’en tous cas

Les exemples fameux ne me manqueraient pas.

….

J’ai cru jusques ici que c’était l’ignorance

Qui faisait les grands sots, et non pas la science.

Vous avez cru fort mal, et je vous suis garant

Qu’un sot savant est sot plus qu’un sot ignorant.

…..

Il faut que l’ignorance ait pour vous de grands charmes,

Puisque pour elle ainsi vous prenez tant les armes.

Si pour moi l’ignorance a des charmes bien grands,

C’est depuis qu’à mes yeux s’offrent certains savants.

…..

Acte IV  Scène IV (extraits)

 

Philaminte

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Armande

…..

Voilà sur cet hymen que je me suis promis

Un mérite attaqué de beaucoup d’ennemis ;

Et ce déchaînement aujourd’hui me convie

A faire une action qui confonde l’envie,

Qui lui fasse sentir que l’effort qu’elle fait

De ce qu’elle veut rompre aura pressé l’effet.

Reportez tout cela sur l’heure à votre maître,

Et lui dites qu’afin de lui faire connaître

Quel grand état je fais de ses nobles avis,

Dès ce soir à Monsieur je marierai ma fille.

Vous, Monsieur, comme ami de toute la famille,

A signer leur contrat vous pourrez assister,

Et je vous y veux bien, de ma part, inviter.

Armande, prenez soin d’envoyer au Notaire

Et d’aller avertir votre sœur de l’affaire.

Pour avertir ma sœur, il n’en est pas besoin,

Et Monsieur que voilà saura prendre le soin

De courir lui porter bientôt cette nouvelle,

Et disposer son cœur à vous être rebelle.

…..

Acte IV  Scène V (extraits)

 

Henriette

 

 

 

Clitandre

….

Je vais tout essayer pour nos vœux les plus doux ;

Et si tous mes efforts ne me donnent à vous,

Il est une retraite où notre âme se donne,

Qui m’empêchera d’être à toute autre personne.

Veuille le juste Ciel me garder en ce jour

De recevoir de vous cette preuve d’amour.

Les femmes savantes (extraits)

Acte III  Scène II (extraits)

Philaminte

 

Armande

 

 

 

 

Philaminte

 

 

 

 

 

Armande

 

 

 

 

Armande

 

Trissotin

 

Philaminte

…. On se sent, à ces vers, jusques au fond de l’âme,

Couler je ne sais quoi qui fait que l’on se pâme.

Faites la sortir, quoi qu’on die,

De votre riche appartement,

Que riche appartement est là joliment dit !

Et que la métaphore est mise avec esprit !

……

….. Car enfin je me sens un étrange dépit

Du tort que l’on nous fait du côté de l’esprit,

Et je veux nous venger, toutes tant que nous sommes,

De cette indigne classe où nous rangent les hommes,

De borner nos talents à des futilités,

Et nous fermer la porte aux sublimes clartés.

C’est faire à notre sexe une trop grande offense,

De n’étendre l’effort de notre intelligence

Qu’à juger d’une jupe et de l’air d’un manteau,

Ou des beautés d’un point, ou d’un brocard nouveau.

…..

Il me tarde de voir notre assemblée ouverte,

Et de nous signaler par quelque découverte.

On en attend beaucoup de vos vives clartés,

Et pour vous la nature a peu d’obscurités.

Pour moi, sans me flatter, j’en ai déjà fait une,

Et j’ai vu clairement des hommes dans la lune.

…..

Acte III  Scène III

Vadius ….

Le défaut des auteurs dans leurs productions,

C’est d’en tyranniser les conversations,

D’être au Palais, au Cours, aux ruelles, aux tables,

De leurs vers fatigants lecteurs infatigables.

Pour moi je ne vois rien de plus sot à mon sens

Qu’un auteur qui partout va gueuser des encens,

Qui des premiers venus saisissant les oreilles,

En fait le plus souvent les martyrs de ses veilles.

On ne m’a jamais vu ce fol entêtement ;

Et d’un Grec , là-dessus, je suis le sentiment,

Qui par un dogme exprès défend à tous ses sages

L’indigne empressement de lire leurs ouvrages.

Voici de petits vers pour de jeunes amants,

Sur quoi je voudrais bien avoir vos sentiments.

…..

Acte III  Scène IV

 

Henriette

 

 

 

 

 

 

 

Philaminte

…

C’est prendre un soin pour moi qui n’est pas nécessaire :

Les doctes entretiens ne sont point mon affaire ;

J’aime à vivre aisément, et, dans tout ce qu’on dit,

Il faut trop se peiner pour avoir de l’esprit.

C’est une ambition que je n’ai point en tête :

Je me trouve fort bien, ma mère, d’être bête,

Et j’aime mieux n’avoir que de communs propos,

Que de me tourmenter pour dire de beaux mots .

Oui, mais j’y suis blessée, et ce n’est pas mon compte

De souffrir dans mon sang une pareille honte.

La beauté du visage est un frêle ornement,

Une fleur passagère, un éclat d’un moment,

Et qui n’est attaché qu’à la simple épiderme ;

Mais celle de l’esprit est inhérente et ferme.

J’ai donc cherché longtemps un biais de vous donner

La beauté que les ans ne peuvent moissonner,

De faire entrer chez vous le désir des sciences,

De vous insinuer les belles connaissances ;

Et la pensée enfin où mes vœux ont souscrit,

C’est d’attacher à vous un homme plein d’esprit ;

Et cet homme est Monsieur, que je vous détermine

A voir comme l’époux que mon choix vous destine.

…..

Acte III  Scène V

 

Armande

 

Henriette

….

Si l’hymen, comme à vous, me paraissait charmant,

J’accepterais votre offre avec ravissement.

Si j’avais, comme vous, les pédants dans la tête,

Je pourrais le trouver un parti fort honnête.

….

Acte III  Scène VI

 

Chrysale

 

 

 

 

 

Ariste

Clitandre

Chrysale

….

Taisez-vous, péronnelle !

Allez philosopher tout le soûl avec elle,

Et de mes actions ne vous mêlez en rien.

Dites-lui ma pensée, et l’avertissez bien

Qu’elle ne vienne pas m’échauffer les oreilles !

Allons vite.

Fort bien : vous faites des merveilles.

Quel transport ! quelle joie ! ah ! que mon sort est doux !

Allons, prenez sa main, et passez devant nous.

Menez-la dans sa chambre. Ah ! les douces caresses !

Tenez, mon cœur s’émeut à toutes ces tendresses,

Cela ragaillardit tout à fait mes vieux jours,

Et je me ressouviens de mes jeunes amours.

Les femmes savantes (extraits)

Acte II  Scène VII (extraits)

Chrysale

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chrysale

…… Qu’importe qu’elle manque aux lois de Vaugelas

Pourvu qu’à la cuisine elle ne manque pas ?

J’aime bien mieux, pour moi, qu’en épluchant ses herbes

Elle accommode mal les noms avec les verbes,

Et redise cent fois un bas ou méchant mot,

Que de brûler ma viande, ou saler trop mon pot.

Je vis de bonne soupe, et non de beau langage.

Vaugelas n’apprend point à bien faire un potage ;

Et Malherbe et Balzac, si savants en beaux mots,

En cuisine peut-être auraient été des sots.

….

…. C’est à vous que je parle, ma sœur.

Le moindre solécisme en parlant vous irrite ;

Mais vous en faites, vous, d’étranges en conduite.

Vos livres éternels ne me contente pas,

Et hors un gros Plutarque à mettre à mes rabats,

Vous devriez brûler tout ce meuble inutile,

Et laisser la science aux docteurs de la ville ;

M’ôter pour faire bien, du grenier de céans

Cette longue lunette à faire peur aux gens,

Et cent brimborions dont l’aspect importune ;

Ne point aller chercher ce qu’on fait dans la lune,

Et vous mêler un peu de ce qu’on fait chez vous,

Où nous voyons aller tout sens dessus dessous.

Il n’est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes,

Qu’une femme étudie et sache tant de choses.

Former aux bonnes mœurs l’esprit de ses enfants,

Faire aller son ménage, avoir l’œil sur ses gens,

Et régler la dépense avec économie,

Doit être son étude et sa philosophie.

Nos pères sur ce point étaient gens bien sensés,

Qui disaient qu’une femme en sait toujours assez

Quand la capacité de son esprit se hausse

A connaître un pourpoint d’avec un haut-de-chausse.

Les leurs ne lisaient point, mais elles vivaient bien.

Leurs ménages étaient tout leur docte entretien,

Et leurs livres, un dé, du fil et des aiguilles,

Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles.

Les femmes d’à présent sont bien loin de ces mœurs :

Elles veulent écrire et devenir auteurs.

Nulle science n’est pour elles trop profonde,

Et céans beaucoup plus qu’en aucun lieu du monde :

Les secrets les plus hauts s’y laissent concevoir,

Et l’on sait tout chez moi, hors ce qu’il faut savoir ;

On y sait comme vont lune, étoile polaire,

Vénus, Saturne et Mars, dont je n’ai point affaire ;

Et, dans ce vain savoir, qu’on va chercher si loin,

On ne sait comme va mon pot, dont j’ai besoin.

Mes gens à la science aspirent pour vous plaire

Et tous ne font rien moins que ce qu’ils ont à faire ;

Raisonner est l’emploi de toute ma maison,

Et le raisonnement en bannit la raison.

L’un me brûle mon rôt en lisant quelque histoire ;

L’autre rêve à des vers quand je demande à boire.

Enfin je vois par eux votre exemple suivi,

Et j’ai des serviteurs et ne suis point servi.

Une pauvre servante au moins m’était restée,

Qui de ce mauvais air n’était point affectée

Et voilà qu’on la chasse avec un grand fracas,

A cause qu’elle manque à parler Vaugelas.

Je vous le dis, ma sœur, tout ce train-là me blesse,

(Car c’est, comme j’ai dit, à vous que je m’adresse),

Je n’aime point céans tous vos gens à latin,

Et principalement ce Monsieur Trissotin :

C’est lui qui dans des vers vous a tympanisées ;

Tout les propos qu’il tient sont des billevesées ;

On cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé,

Et je lui crois, pour moi, le timbre un peu fêlé.

……

Acte Ier  Scène VIII (extraits)

Philaminte

Chrysale

 

 

 

 

 

 

 

Philaminte

…. Avez-vous à lâcher encore quelque trait ?

Moi ? Non. Ne parlons plus de querelle : c’est fait.

Discourons d’autre affaire. A votre fille aînée

On voit quelque dégoût pour les nœuds d’hyménée :

C’est une philosophe enfin, je n’en dis rien,

Elle est bien gouvernée, et vous faites fort bien.

Mais de toute autre humeur se trouve la cadette,

Et je crois qu’il est bon de pourvoir Henriette,

De choisir un mari…

C’est à quoi j’ai songé,

Et je veux vous ouvrir l’intention que j’ai.

Ce Monsieur Trissotin, dont on nous fait un crime,

Et qui n’a pas l’honneur d’être dans votre estime,

Est celui que je prends pour l’époux qu’il lui faut,

Et je sais mieux que vous juger de ce qu’il vaut :

La contestation est ici superflue,

Et de tout point chez moi l’affaire est résolue.

Au moins ne dites mot du choix de cet époux ;

J’ai des raisons à faire approuver ma conduite,

Et je connaîtrai bien si vous l’aurez instruite.

….

Acte Ier  Scène IX (extraits)

Ariste

 

 

 

 

Chrysale

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ariste

…. Certes, votre prudence est rare au dernier point !

N’avez-vous point de honte avec votre mollesse ?

Et se peut-il qu’un homme ait assez de faiblesse

Pour laisser à sa femme un pouvoir absolu,

Et n’oser attaquer ce qu’elle a résolu ?

Mon Dieu, vous en parlez, mon frère, bien à l’aise,

Et vous ne savez pas comme le bruit me pèse.

J’aime fort le repos, la paix et la douceur,

Et ma femme est terrible avecque son humeur.

Du nom de philosophe elle fait grand mystère ;

Mais elle n’en est pas pour cela moins colère ;

Et sa morale, faite à mépriser le bien,

Sur l’aigreur de sa bile opère comme rien.

Pour peu que l’on s’oppose à ce que veut sa tête,

On en a pour huit jours d’effroyable tempête.

Elle me fait trembler dès qu’elle prend son ton ;

Je ne sais où me mettre, et c’est un vrai dragon ;

Et cependant, avec toute sa diablerie,

Il faut que je l’appelle et « mon cœur » et « ma mie ».

Allez, c’est se moquer. Votre femme, entre nous,

Est par vos lâchetés souveraine sur vous.

Son pouvoir n’est fondé que sur votre faiblesse,

C’est de vous qu’elle prend le titre de maîtresse ;

Vous-même à ses hauteurs vous vous abandonnez,

Et vous faites mener en bête par le nez.

Quoi ? vous ne pouvez pas, voyant comme on vous nomme,

Vous résoudre une fois à vouloir être un homme ?

A faire condescendre une femme à vos vœux,

Et prendre assez de cœur pour dire un « Je le veux » ?

Vous laisserez sans honte immoler votre fille

Aux folles visions qui tiennent la famille,

Et de tout votre bien revêtir un nigaud,

Pour six mots de latin qu’il leur fait sonner haut,

Un pédant qu’à tous coups votre femme apostrophe

Du nom de bel esprit et de grand philosophe,

D’homme qu’en vers galants jamais on n’égala,

Et qui n’est, comme on sait, rien moins que tout cela ?

Allez, encore un coup c’est une moquerie,

Et votre lâcheté mérite qu’on en rie.

….

Acte Ier  Scène I (extraits)

Henriette

 

Armande

Henriette

Armande

 

 

 

 

 

 

Henriette

 

 

 

Armande

Henriette

…. Qu’a donc le mariage en soi qui vous oblige,

Ma sœur… ?

Ah ! mon Dieu ! fi !

Comment ?

Ah ! fi ! vous dis-je.

Ne concevez-vous point ce que, dès qu’on l’entend,

Un tel mot, à l’esprit, offre de dégoûtant ?

De quelle étrange image on est par lui blessée ?

Sur quelle sale vue il traîne la pensée ?

N’en frissonnez-vous point ? et pouvez-vous, ma sœur

Aux suites de ce mot résoudre votre cœur ?

Les suites de ce mot, quand je les envisage,

Me font voir un mari, des enfants, un ménage ;

Et je ne vois rien là, si j’en puis raisonner,

Qui blesse la pensée et fasse frissonner.

De tels attachements, ô Ciel ! sont pour vous plaire ?

Et qu’est-ce qu’à mon âge on a de mieux à faire,

Que d’attacher à soi, par le titre d’époux,

Un homme qui vous aime, et soit aimé de vous,

Et de cette union, de tendresse suivie,

Se faire les douceurs d’une innocente vie ?

Ce nœud, bien assorti, n’a-t-il pas des appas ?

……

Acte Ier  Scène II (extraits)

Armande

 

 

 

 

 

 

Henriette

 

 

 

 

 

 

 

 

Armande

 

Henriette

…. Mais vous qui m’en parlez, où la (morale) pratiquez-vous,

De répondre à l’amour que l’on vous fait paraître

Sans le congé de ceux qui vous ont donné l’être ?

Sachez que le devoir vous soumet à leurs lois,

Qu’il ne vous est permis d’aimer que par leur choix,

Qu’ils ont sur votre cœur l’autorité suprême,

Et qu’il est criminel d’en disposer vous-même.

Je rends grâce aux bontés que vous me faites voir

De m’enseigner si bien les choses du devoir ;

Mon cœur sur vos leçons veut régler sa conduite ;

Et pour vous faire voir, ma sœur, que j’en profite,

Clitandre, prenez soin d’appuyer votre amour

De l’agrément de ceux dont j’ai reçu le jour ;

Faites-vous sur mes vœux un pouvoir légitime,

Et me donnez moyen de vous aimer sans crime ?

…..

Vous triomphez, ma sœur, et faites une mine

A vous imaginer que cela me chagrine.

Moi, ma sœur, point du tout. Je sais que sur vos sens

Les droits de la raison sont toujours tout-puissants ;

Et que, par les leçons qu’on prend dans la sagesse,

Vous êtes au-dessus d’une telle faiblesse.

Loin de vous soupçonner d’un tel chagrin, je croi

Qu’ici vous daignerez vous employer pour moi

Appuyer sa demande, et de votre suffrage

Presser l’heureux moment de notre mariage.

……

Acte Ier  Scène III (extraits)

Henriette

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Clitandre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Henriette

 

 

 

 

 

 

 

Clitandre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Henriette

Clitandre

…. Le plus sûr est de gagner ma mère :

Mon père est d’une humeur à consentir à tout,

Mais il met peu de poids aux choses qu’il résout ;

Il a reçu du Ciel certaine bonté d’âme

Qui le soumet d’abord à ce que veut sa femme ;

C’est elle qui gouverne, et d’un ton absolu

Elle dicte pour loi ce qu’elle a résolu.

Je voudrais bien vous voir pour elle, et pour ma tante,

Une âme, je l’avoue, un peu plus complaisante,

Un esprit qui, flattant les visions du leur,

Vous pût de leur estime attirer la chaleur.

Mon cœur n’a jamais pu, tant il est né sincère,

Même dans votre sœur flatter leur caractère,

Et les femmes docteurs ne sont point de mon goût.

Je consens qu’une femme ait des clartés de tout ;

Mais je ne lui veux point la passion choquante

De se rendre savante afin d’être savante ;

Et j’aime que souvent, aux questions qu’on fait,

Elle sache ignorer les choses qu’elle sait ;

De son étude enfin je veux qu’elle se cache

Et qu’elle ait du savoir sans vouloir qu’on le sache,

Sans citer les auteurs, sans dire de grands mots,

Et clouer de l’esprit à ses moindres propos.

Je respecte beaucoup Madame votre mère ;

Mais je ne puis du tout approuver sa chimère,

Et me rendre l’écho des choses qu’elle dit,

Aux encens qu’elle donne à son héros d’esprit.

Son Monsieur Trissotin me chagrine, m’assomme,

Et j’enrage de voir qu’elle estime un tel homme,

Qu’elle nous mette au rang des grands et beaux esprits

Un benêt dont partout on siffle les écrits,

Un pédant dont on voit la plume libérale

D’officieux papiers fournir toute la halle.

Ses écrits, ses discours, tout m’en semble ennuyeux,

Et je me trouve assez votre goût et vos yeux ;

Mais, comme sur ma mère il a grande puissance,

Vous devez vous forcer à quelque complaisance.

Un amant fait sa cour où s’attache son cœur,

Il veut de tout le monde y gagner la faveur ;

Et, pour n’avoir personne à sa flamme contraire,

Jusqu’au chien du logis il s’efforce de plaire.

Oui, vous avez raison ; mais Monsieur Trissotin

M’inspire au fond de l’âme un dominant chagrin.

Je ne puis consentir, pour gagner ses suffrages,

A me déshonorer en prisant ses ouvrages ;

C’est par eux qu’à mes yeux il a d’abord paru,

Et je le connaissais avant que l’avoir vu.

Je vis, dans le fatras des écrits qu’il nous donne,

Ce qu’étale en tous lieux sa pédante personne ;

La constante hauteur de sa présomption,

Cette intrépidité de bonne opinion,

Cet indolent état de confiance extrême

Qui le rend en tout temps si content de soi-même,

Qui fait qu’à son mérite incessamment il rit,

Qu’il ne sait si bon gré de tout ce qu’il écrit,

Et qu’il ne voudrait pas changer sa renommée

Contre tous les honneurs d’un général d’armée.

C’est avoir de bons yeux que de voir tout cela.

Jusques à sa figure encor la chose alla,

Et je vis, par les vers qu’à la tête il nous jette,

De quel air il fallait que fût fait le poète ;

Et j’en avais si bien deviné tous les traits

Que, rencontrant un homme un jour dans le Palais,

Je gageai que c’était Trissotin en personne,

Et je vis qu’en effet la gageure était bonne.

…..

Acte Ier  Scène IV (extraits)

Bélise

Ah ! tout beau, gardez-vous de m’ouvrir trop votre âme.

Si je vous ai su mettre au rang de mes amants,

Contentez-vous des yeux pour vos seuls truchements.

Et ne m’expliquez point par un autre langage

Des désirs qui chez moi passent pour un outrage ;

Aimez-moi, soupirez, brûlez pour mes appas,

Mais qu’il me soit permis de ne le savoir pas :

Je puis fermer les yeux sur vos flammes secrètes,

Tant que vous vous tiendrez aux muets interprètes !

Mais si la bouche vient à s’en vouloir mêler,

Pour jamais de ma vue il vous faut exiler.

Chanson d’automne
Ecoutez la voix du vent dans la nuit,
La vieille voix du vent, la lugubre voix du vent,
Malédiction des morts, berceuse des vivants….
Ecoutez la voix du vent.
Il n’y a plus de feuilles, il n’y a plus de fruits
Dans les vergers détruits.
Les souvenirs sont moins que rien,
Les espoirs sont très loin.
Ecoutez la voix du vent.
Toutes vos tristesses, ô ma dolente, sont vaines.
L’implacable oubli neige sinistrement
Sur les tombes des amis et des amants…
Ecoutez la voix du vent.
Les lambeaux de l’été suivent le vent de la plaine ;
Tous vos souvenirs, toutes vos peines
Se disperseront dans la tempête muette du Temps.
Ecoutez la voix du vent.
Elle est à vous, pour un moment, la sonatine
Des jours défunts, des nuits d’antan…
Oubliez-la, elle a vécu, elle est bien loin.
Ecoutez la voix du vent.
Nous irons rêver, demain, sur les ruines
D’Aujourd’hui ; préparons les paroles chagrines
Du regret qui ment quotidiennement.
Ecoutons la voix du vent.
Karomama
Mes pensées sont à toi, reine Karomama du très vieux temps,
Enfant dolente aux jambes trop longues, aux mains si faibles
Karomama, fille de Thèbes,
Qui buvais du blé rouge et mangeais du blé blanc
Comme les justes, dans le soir des tamaris.
Petite reine Karomama du temps jadis.
Mes pensées sont à toi, reine Karomama
Dont le nom oublié chante comme un chœur de plaintes
Dans le demi-rire et le demi-sanglot de ma voix ;
Car il est ridicule et triste d’aimer la reine Karomama
Qui vécut environnée d’étranges figures peintes
Dans un palais ouvert, tellement autrefois,
Petite reine Karomama.
Que faisais-tu de tes matins perdus, Dame Karomama ?
Vers la raideur de quelque dieu chétif à tête d’animal
Tu allongeais gravement tes bras maigres et maladroits
Tandis que des feux doux couraient sur le fleuve matinal.
Ô Karomama aux yeux las, aux longs pieds alignés,
Aux cheveux torturés, morte du berceau des années…
Ma pauvre, pauvre reine Karomama
Et de tes journées, qu’en faisais-tu, prêtresse savante ?
Tu taquinais sans doute tes petites servantes
Dociles comme les couleuvres, mais comme elles indolentes ;
Tu comptais les bijoux, tu rêvais de fils de rois
Sinistres et parfumés, arrivant de très loin,
De par delà les mers couleur de toujours et de loin
Pour dire : « Salut à la glorieuse Karomama. »
Et les soirs d’éternel été tu chantais sous les sycomores
Sacrés, Karomama, fleur bleue des lunes consumées ;
Tu chantais la vieille histoire des pauvres morts
Qui se nourrissaient en cachette de choses prohibées
Et tu sentais monter dans les grands soupirs tes seins bas
D’enfant noire et ton âme chancelait d’effroi.
Les soirs d’éternel été, n’est-ce pas, Karomama ?
-Un jour (a-t-elle vraiment existé, Karomama ?),
On entoura ton corps de jaunes bandelettes,
On l’enferma dans un cercueil grotesque et doux en bois de cèdre.
La saison du silence effeuilla la fleur de ta voix.
Les scribes confièrent ton nom aux papyrus
Et c’est si triste et c’est si vieux et c’est si perdu…
C’est comme l’infini des eaux dans la nuit et dans le froid.
Tu sais sans doute, ô légendaire Karomama !
Que mon âme est vieille comme le chant de la mer
Et solitaire comme un sphinx dans le désert,
Mon âme malade de jamais et d’autrefois.
Et tu sais mieux encore, princesse initiée,
Que la destinée a gravé un signe étrange dans mon cœur,
Symbole de joie idéale et de réel malheur.
Oui, tu sais tout cela, lointaine Karomama,
Malgré tes airs d’enfant que sut éterniser
L’auteur de ta statue polie par les baisers
Des siècles étrangers qui languirent loin de toi.
Je te sens près de moi, j’entends ton long sourire
Chuchoter dans la nuit : « Frère, il ne faut pas rire. »
-Mes pensées sont à toi, reine Karomama.
Tous les morts sont ivres
Tous les morts sont ivres de pluie vieille et sale
Au cimetière étrange de Lofoten.
L’horloge du dégel tictaque lointaine
Au cœur des cercueils pauvres de Lofoten.
Et grâce aux trous creusés par le noir printemps
Les corbeaux sont gras de froide chair humaine ;
Et grâce au maigre vent à la voix d’enfant
Le sommeil est doux aux morts de Lofoten.
Je ne verrai très probablement jamais
Ni la mer ni les tombes de Lofoten
Et pourtant c’est en moi comme si j’aimais
Ce lointain coin de terre et toute sa peine.
Vous disparus, vous suicidés, vous lointaines
Au cimetière étranger de Lofoten
-Le nom sonne à mon oreille étrange et doux,
Vraiment, dites-moi, dormez-vous, dormez-vous ?
-Tu pourrais me conter des choses plus drôles
Beau claret dont ma coupe d’argent est pleine,
Des histoires plus charmantes ou moins folles ;
Laisse-moi tranquille avec ton Lofoten.
Il fait bon. Dans le foyer doucement traîne
La voix du plus mélancolique des mois.
-Ah ! les morts, y compris ceux de Lofoten-
Les morts, les morts sont au fond moins morts que moi…
Une feuille de hêtre
Une feuille de hêtre !
De ma fuite d’entre les hommes
Avais-je escompté
La libération sans borne et sans rivage,
La révélation magique, le miracle ?
Peut-être.
Mais je n’ai rapporté
Que cette feuille d’arbre,
Cette petite feuille à peine dentelée.
Est-ce là ce miracle
Qui m’aurait commandé de marcher jusqu’au soir
Et qui m’aurait permis de rentrer chez les hommes ?
J’avais imaginé peut-être
Des horizons prodigieux,
La découverte de secrets
Cachés encore à tous les yeux,
Des renaissances de visages,
La majesté des choses vierges
Jamais nommées, jamais connues.
Je ne me souviens plus. Peut-être.
Mais je rapporte en témoignage
La petite feuille de hêtre.
Ce dont il me souvient
C’est du sombre besoin
Qui me forçait alors à fuir, à fuir au loin,
C’est du besoin de solitude et de retraite
Qui repoussait de moi l’humanité déserte.
Je ne pouvais plus, je ne pouvais plus rester parmi les hommes.
J’avais donné beaucoup, j’avais tout donné peut-être,
A qui, à qui et pour quoi avais-je donné tant d’amour ?
Nous traversions de ces sombres jours
Où les hommes épuisés s’abandonnent.
Je ne doutais pas de leurs lendemains et de leurs réveils,
Mais j’étais épuisé moi-même
Et j’avais gagné mon droit à la solitude,
A quitter les hommes, leur terrible multitude,
A m’écarter d’eux pour pouvoir leur revenir,
Et maintes choses vitales
Moi aussi m’avaient quitté,
La disponibilité
De mon corps et de mon âme
Et l’amour et l’amitié
S’éloignaient de mon passage.
Pour ne rien renier et pour ne pas trahir
Comme il me fallait fuir !
Et c’est alors, dans ma retraite
Qui a duré beaucoup d’années,
Que j’ai fait cette découverte,
La découverte d’un témoin
Que jamais je n’avais cherché.
Voyage, grand voyage !
Je ne rapporte rien
Que cette feuille d’arbre,

La petite feuille de hêtre..

08 Epistre au Roy par Marot estant malade à Paris (extraits)
On dict bien vray, la maulvaise Fortune
Ne vient jamais qu’elle n’en apporte une
Ou deux ou trois avecques elle, Syre.
Vostre cueur noble en sçauroit bien que dire ;
Et moy, chétif, qui ne suis Roy en rien,
L’ay esprouvé, et vous compteray bien,
Si vous voulez, comme vint la besongne.
J’avois un jour un valet de Gascongne,
Gourmand, ivrongne, et asseuré menteur,
Pipeur, larron, jureur, blasphémateur,
Sentant la hart de cent pas à la ronde,
Au demourant, le meilleur filz du monde….
….Ce vénérable hillot fut adverty
De quelque argent que m’aviez départy,
Et que ma bourse avait grosse apostume ;
Si se leva plus tost que de coutume,
Et me va prendre en tapinoys icelle,
Puis vous la meit très bien soubz son aisselle
Argent et tout (cela se doit entendre).
Et ne croy point que ce fust pour la rendre,
Car oncques puis n’en ay ouy parler.
Brief, le villain ne s’en voulut aller
Pour si petit ; mais encore il me happe
Saye et bonnet, chausses, pourpoint et cappe ;
De mes habitz (en effect) il pilla
Tous les plus beaux, et puis s’en habilla
Si justement, qu’à le veoir ainsi estre,
Vous l’eussiez prins (en plein jour) pour son maistre.
Finablement, de ma chambre il s’en va
Droict à l’estable, où deux chevaulx trouva ;
Laisse le pire, et sur le meilleur monte,
Pique et s’en va. Pour abréger le compte,
Soyez certain qu’au partir du dict lieu
N’oublia rien, fors à me dire adieu.
Ainsi s’en va, chatouilleux de la gorge,
Ledict valet, monté comme un sainct Georges,
Et vous laissa Monsieur dormir son soul,
Qui au resveil n’eust sceu finer d’un soul.
Ce Monsieur-là, Syre, c’estoit moy mesme,
Qui, sans mentir, fuz au matin bien blesme,
Quand je me vey sans honneste vesture,
Et fort fasché de perdre ma monture ;
Mais de l’argent que vous m’aviez donné,
Je ne fuz point de le perdre estonné ;
Car vostre argent, très débonnaire Prince,
Sans poinct de faulte est subject à la pince.
Bien tost après ceste fortune-là,
Une autre pire encore se mesla
De m’assaillir, et chascun jour m’assault,
Me menaçant de me donner le sault,
Et de ce sault m’envoyer à l’envers
Rithmer soubz terre et y faire des vers.
C’est une lourde et longue maladie
De trois bons moys, qui m’a toute eslourdie
La povre teste, et ne veult terminer,
Ains me contrainct d’apprendre à cheminer,
Tant affoibly m’a d’estrange manière ;
Et si m’a fait la cuysse héronnière,
L’estomac sec, le ventre plat et vague….
….Que diray plus ? Au misérable corps
Dont je vous parle il n’est demouré fors
Le povre esprit, qui lamente et souspire,
Et en pleurant tasche à vous faire rire.
Et pour autant, Syre, que suis à vous,
De trois jours l’un viennent taster mon poulx
Messieurs Braillon, Le Coq, Akaquia,
Pour me garder d’aller jusqu’à quia.
Tout consulté, ont remis au printemps
Ma guérison ; mais, à ce que j’entens,
Si je ne puis au printemps arriver,
Je suis taillé de mourir en yver,
Et en danger, si en yver je meurs,
De ne veoir pas les premiers raisins meurs.
Voilà comment, depuis neuf moys en ça,
Je suis traicté. Or, ce que me laissa
Mon larronneau, long temps a, l’ay vendu,
Et en sirops et juleps despendu ;
Ce néantmoins, ce que je vous en mande
N’est pour vous faire ou requeste ou demande :
Je ne veulx point tant de gens ressembler,
Qui n’ont soucy autre que d’assembler ;
Tant qu’ilz vivront ilz demanderont, eulx ;
Mais je commence à devenir honteux,
Et ne veulx plus à vos dons m’arrester.
Je ne dy pas, si voulez rien prester,
Que ne le prenne. Il n’est point de presteur
(S’il veut prester) qui ne fasse un debteur.
Et sçavez-vous (Syre) comment je paye ?
Nul ne le sçait, si premier ne l’essaye ;
Vous me devrez (si je puis) de retour,
Et vous feray encores un bon tour.
A celle fin qu’il n’y ait faulte nulle,
Je vous feray une belle cédulle,
A vous payer (sans usure, il s’entend)
Quand on verra tout le monde content ;
Ou si voulez, à payer ce sera
Quand vostre los et renom cessera.
Et si sentez que soys foible de reins
Pour vous payer, les deux princes Lorrains
Me plègeront. Je les pense si fermes
Qu’ilz ne fauldront pour moy à l’un des termes.
Je sçay assez que vous n’avez pas peur
Que je m’enfuye ou que je soys trompeur ;
Mais il faict bon asseurer ce qu’on preste.
Bref, votre paye, ainsi que je l’arreste,
Est aussi sûre, advenant mon trespas,
Comme advenant que je ne meure pas.
Avisez donc si vous avez désir
De rien prester : vous me ferez plaisir,
Car puis un peu j’ay basty à Clément,
Là où j’ay faict un grand déboursement,
Et à Marot, qui est un peu plus loing :
Tout tombera, qui n’en aura le soing.
Voylà le poinct principal de ma lettre ;
Vous sçavez tout, il n’y fault plus rien mettre.
Rien mettre ? Las ! Certes, et si feray,
Et ce faisant, mon style j’enfleray,
Disant : « O Roy amoureux des neuf Muses,
Roy en qui sont leurs sciences infuses,
Roy plus que Mars d’honneur environné,
Roy le plus roy qui fut oncq couronné,
Dieu tout-puissant te doint, pour t’estrener,
Les quatre coings du monde gouverner,
Tant pour le bien de la ronde machine,
Que pour autant que sur tous en es digne. »
07 Marot prisonnier escrit au Roy
Roy des Françoys, plein de toutes bontez,
Quinze jours a (je les ay contez),
Et dès demain seront justement seize,
Que je fus faict confrère au diocèse
De Sainct Marry en l’église Sainct Pris :
Si vous diray comment je fuz surpris,
Et me desplaist qu’il fault que je le die.
Trois grands pendards vindrent à l’estourdie
En ce palais, me dire en désarroy :
« Nous vous faisons prisonnier par le Roy. »
Incontinent qui fut bien estonné ?
Ce fut Marot, plus que s’il eust tonné.
Puis m’ont monstré un parchemin escrit,
Où n’y avoit seul mot de Jésus-Christ :
Il ne parloit tout que de playderie,
De conseillers et d’emprisonnerie.
« Vous souvient-il (ce me dirent-ilz lors)
Que vous estiez l’autre jour là-dehors,
Qu’on secourut un certain prisonnier
Entre noz mains ? » Et moy de le nier :
Car soyez sûr, si j’eusse dict ouy,
Que le plus sourd d’entre eulx m’eust bien ouy,
Et, d’autre part, j’eusse publiquement
Esté menteur : car pourquoy et comment
Eussé-je peu un autre recourir,
Quand je n’ay sceu moy mesme secourir ?
Pour faire court, je ne sceu tant prescher
Que ces paillards me voulsissent fascher.
Sur mes deux bras ilz ont la main posée,
Et m’ont mené ainsi qu’une espousée,
Non pas ainsi, mais plus roide un petit
Et toutesfoys j’ay plus grand appétit
De pardonner à leur folle fureur
Qu’à celle-là de mon beau procureur.
Que male mort les deux jambes luy casse !
Il a bien prins de moy une bécasse,
Une perdrix, et un levreau aussi :
Et toutesfoys je suis encor icy,
Encor je croy, si j’en envoyois plus,
Qu’il le prendroit, car ilz ont tant de glus
Dedans leurs mains, ces faiseurs de pipée,
Que toute chose où touchent est grippée.
Mais pour venir au poinct de ma sortie :
Tout doulcement j’ay chanté ma partie,
Que nous avons bien accordé ensemble,
Si que n’ay plus affaire, ce me semble,
Sinon à vous. La partie est bien forte ;
Mais le droict poinct, où je me réconforte,
Vous n’entendez procès non plus que moy ;
Ne plaidons poinct : ce n’est que tout esmoy.
Je vous en croy, si je vous ay mesfaict.
Encore posé le cas que l’eusse faict,
Au pis aller n’y cherroit qu’une amende.
Prenez le cas que je vous la demande ;
Je prends le cas que vous me la donnez ;
Et si plaideurs furent onc estonnez
Mieulx que ceux-cy, je veulx qu’on me délivre,
Et que soudain en ma place on les livre.
Si vous supply (Syre) mander par lettre
Qu’en liberté vos gens me veuillent mettre ;
Et si j’en sors, j’espère qu’à grand’peine
M’y reverront, si on ne m’y rameine.
Très humblement requerrant vostre grace
De pardonner à ma trop grand’audace
D’avoir emprins ce sot escript vous faire,
Et m’excusez si pour le mien affaire
Je ne suis point vers vous allé parler :
Je n’ay pas eu le loysir d’y aller.
05 A un poète ignorant
Qu’on mène aux champs ce coquardeau,
Lequel gaste quand il compose,
Raison, mesure, texte, et glose,
Soit en ballade ou en rondeau.
Il n’a cervelle ne cerveau,
C’est pourquoy si hault crier j’ose :
Qu’on mène aux champs ce coquardeau.
S’il veult rien faire de nouveau,
Qu’il œuvre hardiment quelque chose,
(J’entens s’il en sçait quelque chose)
Car en rithme ce n’est qu’un veau
Qu’on mène aux champs.
06 De Frère Lubin
Pour courir en poste à la ville,
Vingt foys, cent foys, ne sçay combien ;
Pour faire quelque chose vile,
Frère Lubin le fera bien ;
Mais d’avoir honneste entretien,
Ou mener vie salutaire,
C’est à faire à un bon chrestien,
Frère Lubin ne le peult faire.
Pour mettre, comme un homme habile,
Le bien d’autruy avec le sien,
Et vous laisser sans croix ne pile,
Frère Lubin le fera bien ;
On a beau dire : je le tien,
Et le presser de satisfaire,
Jamais ne vous en rendra rien,
Frère Lubin ne le peult faire.
Pour desbaucher par un doulx stile
Quelque fille de bon maintien,
Point ne fault de vieille subtile,
Frère Lubin le fera bien.
Il presche en théologien,
Mais pour boire de belle eau claire,
Faictes-la boire à vostre chien,
Frère Lubin ne le peult faire.
Pour faire plus tost mal que bien
Frère Lubin le fera bien ;
Et si c’est quelque bon affaire,
Frère Lubin ne le peult faire.
03 Elégie XVI
Qui eust pensé que l’on peust concevoir
Tant de plaisir pour lettres recevoir ?
Qui eust cuydé le désir d’un cueur franc
Estre caché dessoubz un papier blanc ?
Et comment peut un œil au cueur eslire
Tant de confort par une lettre lire ?
Certainement, dame très honorée,
J’ay leu des sainctz la Légende dorée,
J’ay leu Alain, le très noble orateur,
Et Lancelot, le très plaisant menteur ;
J’ay leu aussi le Romant de la Rose,
Maistre en amours, et Valère, et Orose,
Comptant les faicts des antiques Rommains ;
Bref, en mon temps, j’ay leu des livres maintz,
Mais en nulz d’eux n’ay trouvé le plaisir
Que j’ay bien sceu en voz lettres choisir ;
J’y ay trouvé un langage bénin
Rien ne tenant du stile fémenin ;
J’y ay trouvé suite de bons propos,
Avec un mot qui m’a mis en repos
Mon cueur estant travaillé de tristesse,
Quand me souffrez vous nommer ma maistresse.
Dieu nous doint donc, ma maistresse très belle
(Puisqu’il vous plaist qu’ainsi je vous appelle),
Dieu nous doint donc amoureux appétit
De bien traicter vostre servant petit.
04 Chant de may et de vertu
Voulentiers en ce moys icy
La terre mue et renouvelle.
Maintz amoureux en font ainsi,
Subjectz à faire amour nouvelle
Par légièreté de cervelle,
Ou pour estre ailleurs plus contens ;
Ma façon d’aymer n’est pas telle,
Mes amours durent en tout temps.
N’y a si belle dame aussi
De qui la beauté ne chancelle ;
Par temps, maladie ou soucy,
Laydeur les tire en sa nacelle ;
Mais rien ne peut enlaydir celle
Que servir sans fin je prétens ;
Et pource qu’elle est toujours belle
Mes amours durent en tout temps.
Celle dont je dy tout cecy,
C’est Vertu, la nymphe éternelle
Qui au mont d’honneur esclercy
Tous les vrays amoureux appelle :
« Venez, amans, venez (dit-elle),
Venez à moi, je vous attens ;
Venez (ce dit la jouvencelle),
Mes amours durent en tout temps. »
Prince, fais amye immortelle,
Et à la bien aymer entens ;
Lors pourras dire sans cautelle :
« Mes amours durent en tout temps. »
01 De sa grand’amye
Dedans Paris, ville jolie,
Un jour, passant mélancolie,
Je prins alliance nouvelle
A la plus gaye demoyselle
Qui soit d’icy en Italie.
D’honnesteté elle est saisie,
Et croy, selon ma fantasie,
Qu’il n’en est guères de plus belle
Dedans Paris.
Je ne la vous nommeray mye,
Sinon que c’est ma grand’amye ;
Car l’alliance se feit telle
Par un doulx baiser que j’eus d’elle,
Sans penser aucune infamie,
Dedans Paris.
02 D’Anne qui luy jecta de la neige
Anne par jeu me jecta de la neige,
Que je cuidoys froide, certainement :
Mais c’estoit feu, l’expérience en ay-je,
Car embrasé je fus soudainement.
Puisque le feu loge secrètement
Dedans la neige, où trouveray-je place
Pour n’ardre point ? Anne, ta seule grace
Estaindre peut le feu que je sens bien,
Non point par eau, par neige ne par glace,

Mais par sentir un feu pareil au mien.

Le drame de l’allée (extraits)
…De larges papillons aux ailes imprimées,
Laquais trop effrontés qu’un vent jaloux chassa,
Sans répondre à l’élan des roses alarmées,
S’envolèrent désorbités de ci, de là….
Outwards
L’Armand-Béhic (des Messageries Maritimes)
File quatorze nœuds sur l’Océan Indien….
Le soleil se couche en des confitures de crimes,
Dans cette mer plate comme avec la main.
-Miss Roseway, qui se rend à Adélaïde,
Vers le Sweet Home au fiancé australien,
Miss Roseway, hélas, n’a cure de mon spleen,
Sa lorgnette sur les Laquedives, au loin…
-Je vais me préparer- sans entrain !- pour la fête
De ce soir : sur le pont, lampions, danses, romances
(Je dois accompagner miss Roseway qui quête
-Fort gentiment- pour les familles des marins
Naufragés !) Oh, qu’en une valse lente, ses reins
A mon bras droit, je l’entraîne sans violence
Dans un naufrage où Dieu reconnaîtrait les siens…

Chapitre 12

Commentaires et conclusions

La présente étude a porté sur 629 couples mariés, soit 1258 personnes.

Ce nombre paraît suffisant pour asseoir solidement ses conclusions.

Ladite étude avait pour objet de vérifier la véracité des règles astrologiques affirmant l’influence prépondérante et la nécessité de l’existence de liaisons entre les planètes Vénus et Mars dans les rapports amoureux entre une femme et un homme.

1/Les résultats statistiques montrent qu’aucune influence prépondérante du couple Vénus-Mars ne peut être constatée.

Le couple Vénus-Mars (VénusF-MarsH et MarsF-VénusH) ne joue en effet aucun rôle principal, à peine un rôle secondaire, du fait de ses  5ème et 9ème positions en nombre d’aspects pour un orbe de 10° (3ème et 7ème positions pour un orbe de 5°), ces aspects étant eux-mêmes en nombres inférieurs à ceux des probabilités.

2/Les résultats statistiques  ne font ressortir aucun élément qui pourrait induire une influence planétaire significative, soit du Soleil, ou de Mercure, ou de Vénus ou de Mars, dans le domaine de l’amour :

Les résultats sont « plats », les dépassements des probabilités étant trop faibles pour être signifiants

3/A l’exception des conjonctions MarsF-MarsH, VénusF-SoleilH et SoleilF-VénusH dont les dépassements moyens des probabilités de 35% à 50% interpellent.

Dont 110% pour un orbe de 1° pour MarsF-MarsH !

Ces trois conjonctions sortent du lot, et elles seules ; en quelque sorte il n’y a rien d’autre qu’elles.

Sont-elles dues au hasard, sont-elles une simple « anomalie » sans aucune signification compte tenu du reste de l’étude qui ne révèle rien, ou au contraire la preuve d’une « influence astrologique » ?

En admettant la deuxième hypothèse, comment pourraient-elles être interprétées par les Maîtres en Astrologie :

-pour MarsF-MarsH, au regard de la symbolique astrologique de Mars, peut-être ainsi : le pur désir sexuel, le désir primaire, l’instinct de reproduction prédominent dans la formation du couple Femme-Homme.

Cette interprétation ne pourrait pas vraiment surprendre ni choquer, en pouvant s’argumenter ainsi : les animaux– mammifères, oiseaux, poissons…- ne s’apparient-ils pas chaque saison nouvelle dans le seul but d’assouvir leurs désirs sexuels et de répondre à l’instinct de reproduction et de préservation de l’espèce ? Que les hommes, qui leur sont proches par l’évolution, obéissent aux mêmes règles et aux mêmes besoins, conscients et inconscients, qu’y aurait-il là de surprenant ?

-pour VénusF-SoleilH et SoleilF-VénusH, au regard de la symbolique de ces deux astres, peut-être ainsi : le sentiment, l’amour idéal de l’autre sont les moteurs du rapprochement de l’homme et de la femme dans le couple.

4/La prédominance dans les thèmes des couples des aspects réputés favorables (conjonctions, sextils, trigones) à leur bonne entente sur les aspects réputés défavorables (carrés, oppositions) n’est pas démontrée.

5/Les épouses nées le même jour ne présentent aucun comportement amoureux astrologique semblable. 

En conclusion, la présente étude montre que les règles astrologiques à propos de l’amour sur :

-les influences du couple de planètes Vénus et Mars

-la prédominance des aspects dits « favorables »

 ne sont pas démontrées,

et que d’une façon générale les dites règles n’ont statistiquement aucune réalité.

Reste toutefois une exception remarquable : les conjonctions MarsF-MarsH, VénusF-SoleilH et SoleilF-VénusH qui sont soit dues au hasard et sans signification, soit signifiantes d’une réalité astrologique.

Comme dit précédemment, il n’a été tenu compte dans cette étude que du Soleil, de Mercure, de Vénus et de Mars; elle est de ce fait incomplète ou partielle, ses conclusions également.

Une étude complémentaire est en cours sur la Lune et l’Ascendant.

CHAPITRE 11

Analyse des résultats

1/Nombre total d’aspects

1-1/Le total des aspects entre les thèmes des épouses et des époux pour chaque orbe de 0° à 10° ne donne que 7 cas sur 176 où le nombre total d’aspects dépasse les probabilités, soit 3.97%. :

-orbe 5° : SoleilF-SoleilH

-orbe 7° : MarsF-MarsH

-orbe 8° : MarsF-MarsH et SoleilF-VénusH

-orbe 9° : MarsF-MarsH et SoleilF-VénusH

-orbe 10° : MarsF-MarsH

Soit donc 169 cas sur 176 où le nombre total d’aspects est inférieur aux probabilités.

Quant aux 7 cas cités, le « meilleur » d’entre eux n’est supérieur aux probabilités que de 1.49%.

1-2/Comme dit précédemment, pour l’orbe maximum étudié, soit 10°, il n’y a que le couple de planètes MarsF-MarsH qui dépasse en nombre total d’aspects les probabilités, de 1.02% ; tous les autres couples de planètes ont un nombre total d’aspects inférieur aux probabilités.

2/Conjonctions, sextils, carrés, trigones et oppositions

2-1/Si on considère les résultats obtenus par chaque aspect sur l’ensemble des orbes de 0° à 10°, et sur l’ensemble des couples de planètes, seules les conjonctions sont en nombre supérieur aux probabilités  2 fois sur les 11 cas possibles (orbe 5° de 0.01% et orbe 8° de 0.03%); aucun autre aspect n’arrive à atteindre les probabilités.

2-2/Pour l’orbe maximum de 10°, deux couples de planètes VénusF-SoleilH et MarsF-MarsH atteignent un nombre de conjonctions très sensiblement supérieur à celui des probabilités, respectivement de 41.8% et de 39.1%.

Pour l’orbe de 5°, les conjonctions des deux mêmes couples de planètes atteignent 50.65% et 40.19% ; les conjonctions du couple de planète SoleilF-VénusH  atteignent 34.96%

2-3/Les conjonctions, sextils et trigones, aspects supposés « positifs » ou « favorables », sont plus nombreux que les carrés et les oppositions, aspects supposés « négatifs » ou « défavorables », mais l’écart entre ces deux catégories est faible ; pour des orbes de 10° :

.seulement 5.4% entre les conjonctions et les oppositions

.seulement 10% entre les sextils et les carrés et 7.1% entre les trigones et les carrés

Pour les orbes de 5° et 10°, pris comme valeurs tests, le total des aspects « favorables » est inférieur aux probabilités.

3/Planètes Vénus et Mars

3-1/En nombre total d’aspects, et pour un orbe de 10°, le couple de planètes MarsF-VénusH arrive en 5ème position  (3ème pour un orbe de 5°)

Et le couple de planètes VénusF-MarsH en 9ème position (7ème pour un orbe de 5°)

Quant au couple de planètes VénusF-VénusH, il se place 12ème (13ème pour un orbe de 5°)

La position de tête est tenue par le couple de planètes MarsF-MarsH, dépassant les probabilités de 1% environ (5ème position pour un orbe de 5°)

4/Paires de couples dont les épouses sont nées le même jour :

4-1/Le nombre des aspects semblables entre ces paires de couples est de 4.5% pour des orbes de 10° et tombent à 0.76% pour des orbes de 5°

5/Soleil dans les signes

5-1/Il n’est pas possible d’extraire des chiffres significatifs, compte tenu du nombre trop faible de couples par signe (de 40 à 70)

    Nombre %
Epouses Naissance en Capricorne 21/12-19/01 45  
Epoux     45  
Epoux Naissance en Scorpion 23/10-21/11 6 13,3%
  Naissance en Vierge 23/08-22/09 5 11,1%
  Naissance en Bélier 21/03-20/04 4 8,9%
  Naissance en Taureau 21/04-20/05 4 8,9%
  Naissance en Gémeaux 21/05-21/06 4 8,9%
  Naissance en Lion 23/07-22/08 4 8,9%
  Naissance en Balance 23/09-22/10 4 8,9%
  Naissance en Cancer 22/06-22/07 3 6,7%
  Naissance en Sagittaire 22/11-20/12 3 6,7%
  Naissance en Capricorne 21/12-19/01 3 6,7%
  Naissance en Poissons 19/02-20/03 3 6,7%
  Naissance en Verseau 20/01-18/02 2 4,4%
      Nombre %
Epouses Naissance en Verseau 20/01-18/02 60  
Epoux     60  
Epoux Naissance en Gémeaux 21/05-21/06 11 18,3%
  Naissance en Verseau 20/01-18/02 8 13,3%
  Naissance en Sagittaire 22/11-20/12 7 11,7%
  Naissance en Cancer 22/06-22/07 6 10,0%
  Naissance en Lion 23/07-22/08 6 10,0%
  Naissance en Balance 23/09-22/10 4 6,7%
  Naissance en Poissons 19/02-20/03 4 6,7%
  Naissance en Bélier 21/03-20/04 3 5,0%
  Naissance en Taureau 21/04-20/05 3 5,0%
  Naissance en Scorpion 23/10-21/11 3 5,0%
  Naissance en Capricorne 21/12-19/01 3 5,0%
  Naissance en Vierge 23/08-22/09 2 3,3%
      Nombre %
Epouses Naissance en Poissons 19/02-20/03 70  
Epoux     70  
Epoux Naissance en Taureau 21/04-20/05 9 12,9%
  Naissance en Lion 23/07-22/08 8 11,4%
  Naissance en Sagittaire 22/11-20/12 8 11,4%
  Naissance en Cancer 22/06-22/07 7 10,0%
  Naissance en Bélier 21/03-20/04 6 8,6%
  Naissance en Scorpion 23/10-21/11 6 8,6%
  Naissance en Capricorne 21/12-19/01 6 8,6%
  Naissance en Poissons 19/02-20/03 6 8,6%
  Naissance en Vierge 23/08-22/09 5 7,1%
  Naissance en Verseau 20/01-18/02 5 7,1%
  Naissance en Balance 23/09-22/10 4 5,7%
  Naissance en Gémeaux 21/05-21/06 0 0,0%
Midi (extraits)
Midi, Roi des étés, épandu sur la plaine,
Tombe en nappes d’argent des hauteurs du ciel bleu.
Tout se tait. L’air flamboie et brûle sans haleine ;
La Terre est assoupie en sa robe de feu.
L’étendue est immense, et les champs n’ont point d’ombre,
Et la source est tarie où buvaient les troupeaux ;
La lointaine forêt, dont la lisière cest sombre,
Dort là-bas, immobile, en son pesant repos.
Seuls, les grands blés mûris, tels qu’une mer dorée,
Se déroulent au loin, dédaigneux du sommeil ;
Pacifiques enfants de la Terre sacrée,
Ils épuisent sans peur la coupe du Soleil.
Parfois, comme un soupir de leur âme brûlante,
Du sein des épis lourds qui murmurent entre eux,
Une ondulation majestueuse et lente
S’éveille, et va mourir à l’horizon poudreux.
Non loin, quelques bœufs blancs, couchés parmi les herbes,
Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais,
Et suivent de leurs yeux languissants et superbes
Le songe intérieur qu’ils n’achèvent jamais…..
Le rêve du jaguar
Sous les noirs acajous, les lianes en fleurs,
Dans l’air lourd, immobile et saturé de mouches,
Pendent et, s’enroulant en bas parmi les souches,
Bercent le perroquet splendide et querelleur,
L’araignée au dos jaune et les singes farouches.
C’est là que le tueur de bœufs et de chevaux,
Le long des vieux troncs morts à l’écorce moussue,
Sinistre et fatigué revient à pas égaux.
Il va, frottant ses reins musculeux qu’il bossue ;
Et du mufle béant par la soif alourdi,
Un souffle rauque et bref, d’une brusque secousse,
Trouble les grands lézards, chauds des feux du midi,
Dont la fuite étincelle à travers l’herbe rousse.
En un creux du bois sombre interdit au soleil
Il s’affaisse, allongé sur quelque roche plate ;
D’un large coup de langue, il se lustre la patte ;
Il cligne ses yeux d’or hébétés de sommeil,
Et dans l’illusion de ses forces inertes,
Faisant mouvoir sa queue et frissonner ses flancs,
Il rêve qu’au milieu des plantations vertes,
Il enfonce d’un bond ses ongles ruisselants
Dans la chair des taureaux fatigués et beuglants.
Derniers poèmes
L’aigu bruissement des ruches naturelles,
Parmi les tamarins et les manguiers épais,
Se mêlait, tournoyant dans l’air subtil et frais,
A la vibration lente des bambous grêles
Où le matin joyeux dardait l’or de ses rais.
Le vent léger du large, en longues nappes roses
Dont la houle indécise avivait la couleur,
Remuait les maïs et les cannes en fleur,
Et caressait au vol, des vétivers aux roses,
L’oiseau bleu de la Vierge et l’oiselet siffleur.
L’eau vive qui filtrait sous les mousses profondes,
A l’ombre des safrans sauvages et des lys,
Tintait dans les bassins d’un bleu céleste emplis,
Et les ramiers chanteurs et les colombes blondes
Pour y boire ployaient leurs beaux cols assouplis.
La mer calme, d’argent et d’azur irisée,
D’un murmure amoureux saluait le soleil ;
Les taureaux d’Antongil, au sortir du sommeil,
Haussant leurs mufles noirs humides de rosée,
Mugissaient doucement vers l’Orient vermeil.
Tout n’était que lumière, amour, joie, harmonie ;
Et moi, bien qu’ébloui de ce monde charmant,
J’avais au fond du cœur comme un gémissement,
Un douloureux soupir, une plainte infinie,
Très lointaine et très vague et triste amèrement.
C’est que devant ta grâce et ta beauté, Nature !
Enfant qui n’avait rien souffert ni deviné,
Je sentais croître en moi l’homme prédestiné,
Et je pleurais, saisi de l’angoisse future,
Epouvanté de vivre, hélas ! et d’être né.
      Nombre %
Epouses Naissance en Balance 23/09-22/10 46  
Epoux     46  
Epoux Naissance en Balance 23/09-22/10 7 15,2%
  Naissance en Scorpion 23/10-21/11 7 15,2%
  Naissance en Gémeaux 21/05-21/06 5 10,9%
  Naissance en Cancer 22/06-22/07 5 10,9%
  Naissance en Verseau 20/01-18/02 5 10,9%
  Naissance en Taureau 21/04-20/05 4 8,7%
  Naissance en Vierge 23/08-22/09 4 8,7%
  Naissance en Sagittaire 22/11-20/12 3 6,5%
  Naissance en Poissons 19/02-20/03 3 6,5%
  Naissance en Bélier 21/03-20/04 2 4,3%
  Naissance en Capricorne 21/12-19/01 1 2,2%
  Naissance en Lion 23/07-22/08 0 0,0%
      Nombre %
Epouses Naissance en Scorpion 23/10-21/11 43  
Epoux     43  
Epoux Naissance en Taureau 21/04-20/05 8 18,6%
  Naissance en Capricorne 21/12-19/01 6 14,0%
  Naissance en Lion 23/07-22/08 5 11,6%
  Naissance en Scorpion 23/10-21/11 5 11,6%
  Naissance en Verseau 20/01-18/02 5 11,6%
  Naissance en Gémeaux 21/05-21/06 3 7,0%
  Naissance en Bélier 21/03-20/04 2 4,7%
  Naissance en Vierge 23/08-22/09 2 4,7%
  Naissance en Balance 23/09-22/10 2 4,7%
  Naissance en Sagittaire 22/11-20/12 2 4,7%
  Naissance en Poissons 19/02-20/03 2 4,7%
  Naissance en Cancer 22/06-22/07 1 2,3%
      Nombre %
Epouses Naissance en Sagittaire 22/11-20/12 40  
Epoux     40  
Epoux Naissance en Gémeaux 21/05-21/06 6 15,0%
  Naissance en Capricorne 21/12-19/01 6 15,0%
  Naissance en Vierge 23/08-22/09 5 12,5%
  Naissance en Sagittaire 22/11-20/12 5 12,5%
  Naissance en Bélier 21/03-20/04 3 7,5%
  Naissance en Taureau 21/04-20/05 3 7,5%
  Naissance en Cancer 22/06-22/07 3 7,5%
  Naissance en Verseau 20/01-18/02 3 7,5%
  Naissance en Lion 23/07-22/08 2 5,0%
  Naissance en Poissons 19/02-20/03 2 5,0%
  Naissance en Balance 23/09-22/10 1 2,5%
  Naissance en Scorpion 23/10-21/11 1 2,5%
Recueillements
Frère ! Le temps n’est plus où j’écoutais mon âme
Se plaindre et soupirer comme une faible femme
Qui de sa propre voix soi-même s’attendrit,
Où par des chants de deuil ma lyre intérieure
Allait multipliant comme un écho qui pleure
Les angoisses d’un seul esprit !
Dans l’être universel au lieu de me répandre
Pour tout sentir en lui, tout souffrir, tout comprendre,
Je resserrais en moi l’univers amoindri ;
Dans l’égoïsme étroit d’une fausse pensée
La douleur en moi seul, par l’orgueil condensée,
Ne jetait à Dieu que mon cri !
Ma personnalité remplissait la nature,
On eût dit qu’avant elle aucune créature
N’avait vécu, souffert, aimé, perdu, gémi !
Que j’étais à moi seul le mot du grand mystère,
Et que toute pitié du ciel et de la terre
Dût rayonner sur ma fourmi !
Pardonnez-nous, mon Dieu, tout homme ainsi commence ;
Le retentissement universel, immense,
Ne fait vibrer d’abord que ce qui sent en lui ;
De son être souffrant l’impression profonde
Dans sa neuve énergie absorbe en lui le monde
Et lui cache les maux d’autrui !
Les révolutions (extraits)
Marchez ! l’humanité ne vit pas d’une idée
Elle éteint chaque soir celle qui l’a guidée,
Elle en allume une autre à l’éternel flambeau :
Comme ces morts vêtus de leur parure immonde,
Les générations emportent de ce monde
Leurs vêtements dans le tombeau.
Là, c’est leurs dieux ; ici, les mœurs de leurs ancêtres,
Le glaive des tyrans, l’amulette des prêtres,
Vieux lambeaux, vils haillons de cultes ou de lois :
Et quand après mille ans dans leurs caveaux on fouille,
On est surpris de voir la risible dépouille
De ce qui fut l’homme autrefois….
…Ainsi quand le vaisseau qui vogue entre deux mondes
A perdu tout rivage, et ne voit que les ondes
S’élever et crouler comme deux sombres murs ;
Quand le maître a brouillé les nœuds nombreux qu’il file,
Sur la plaine sans borne il se croit immobile
Entre deux abîmes obscurs.
« C’est toujours, se dit-il dans son cœur plein de doute,
Même onde que je vois, même bruit que j’écoute ;
Le flot que j’ai franchi revient pour me bercer ;
A les compter en vain mon esprit se consume,
C’est toujours de la vague, et toujours de l’écume :
Les jours flottent sans avancer ! »
Et les jours et les flots semblent ainsi renaître,
Trop pareils pour que l’œil puisse les reconnaître,
Et le regard trompé s’use en les regardant ;
Et l’homme, que toujours leur ressemblance abuse,
Les brouille, les confond, les gourmande et t’accuse,
Seigneur !…. Ils marchent cependant !
Et quand sur cette mer, las de chercher sa route,
Du firmament splendide il explore la voûte,
Des astres inconnus s’y lèvent à ses yeux ;
Et, moins triste, aux parfums qui soufflent des rivages,
Au jour tiède et doré qui glisse des cordages,
Il sent qu’il a changé de cieux.
Nous donc, si le sol tremble au vieux toit de nos pères,
Ensevelissons-nous sous des cendres si chères,
Tombons enveloppés de ces sacrés linceuls !
Mais ne ressemblons pas à ces rois d’Assyrie
Qui traînaient au tombeau femmes, enfants, patrie,
Et ne savaient pas mourir seuls ;
Qui jetaient au bucher, avant que d’y descendre,
Famille, amis, coursiers, trésors réduits en cendre,
Espoir ou souvenirs de leurs jours plus heureux,
Et, livrant leur empire et leurs dieux à la flamme,
Auraient voulu qu’aussi l’univers n’eût qu’une âme,
Pour que tout mourût avec eux !
Jocelyn (extraits)
La caravane humaine un jour était campée
Dans des forêts bordant une rive escarpée,
Et, ne pouvant pousser sa route plus avant,
Les chênes l’abritaient du soleil et du vent ;
Les tentes, aux rameaux enlaçant leurs cordages,
Formaient autour des troncs des cités, des villages,
Et les hommes épars sur des gazons épais
Mangeaient leur pain à l’ombre et conversaient en paix.
Tout à coup comme atteints d’une rage insensée,
Ces hommes, se levant à la même pensée,
Portent la hache aux troncs, font crouler à leurs pieds
Ces dômes où les nids s’étaient multipliés ;
Et les brutes des bois sortant de leurs repaires
Et les oiseaux, fuyant les cimes séculaires,
Contemplaient la ruine avec un œil d’horreur,
Ne comprenaient pas l’œuvre et maudissaient du cœur
Cette race stupide acharnée à sa perte,
Qui détruit jusqu’au ciel l’ombre qui l’a couverte !
Or, pendant qu’en leur nuit les brutes des forêts
Avaient pitié de l’homme et séchaient de regrets,
L’homme continuant son ravage sublime
Avait jeté les troncs en arche sur l’abîme ;
Sur l’arbre de ses bords gisant et renversé
Le fleuve était partout couvert et traversé,
Et poursuivant en paix son éternel voyage
La caravane avait conquis l’autre rivage.
C’est ainsi que le temps, par Dieu même conduit,
Passe pour avancer sur ce qu’il a détruit ;
Esprit saint ! conduis-les comme un autre Moïse
Par des chemins de paix à la terre promise !!!
      Nombre %
Epouses Naissance en Cancer 22/06-22/07 58  
Epoux     58  
Epoux Naissance en Bélier 21/03-20/04 9 15,5%
  Naissance en Taureau 21/04-20/05 7 12,1%
  Naissance en Lion 23/07-22/08 7 12,1%
  Naissance en Poissons 19/02-20/03 6 10,3%
  Naissance en Capricorne 21/12-19/01 5 8,6%
  Naissance en Gémeaux 21/05-21/06 4 6,9%
  Naissance en Vierge 23/08-22/09 4 6,9%
  Naissance en Scorpion 23/10-21/11 4 6,9%
  Naissance en Sagittaire 22/11-20/12 4 6,9%
  Naissance en Verseau 20/01-18/02 4 6,9%
  Naissance en Balance 23/09-22/10 3 5,2%
  Naissance en Cancer 22/06-22/07 1 1,7%
      Nombre %
Epouses Naissance en Lion 23/07-22/08 51  
Epoux     51  
Epoux Naissance en Gémeaux 21/05-21/06 8 15,7%
  Naissance en Balance 23/09-22/10 7 13,7%
  Naissance en Verseau 20/01-18/02 7 13,7%
  Naissance en Vierge 23/08-22/09 6 11,8%
  Naissance en Capricorne 21/12-19/01 6 11,8%
  Naissance en Bélier 21/03-20/04 4 7,8%
  Naissance en Lion 23/07-22/08 4 7,8%
  Naissance en Taureau 21/04-20/05 3 5,9%
  Naissance en Sagittaire 22/11-20/12 2 3,9%
  Naissance en Poissons 19/02-20/03 2 3,9%
  Naissance en Cancer 22/06-22/07 1 2,0%
  Naissance en Scorpion 23/10-21/11 1 2,0%
      Nombre %
Epouses Naissance en Vierge 23/08-22/09 43  
Epoux     43  
Epoux Naissance en Bélier 21/03-20/04 7 16,3%
  Naissance en Taureau 21/04-20/05 5 11,6%
  Naissance en Sagittaire 22/11-20/12 5 11,6%
  Naissance en Verseau 20/01-18/02 5 11,6%
  Naissance en Gémeaux 21/05-21/06 4 9,3%
  Naissance en Balance 23/09-22/10 3 7,0%
  Naissance en Capricorne 21/12-19/01 3 7,0%
  Naissance en Poissons 19/02-20/03 3 7,0%
  Naissance en Cancer 22/06-22/07 2 4,7%
  Naissance en Lion 23/07-22/08 2 4,7%
  Naissance en Vierge 23/08-22/09 2 4,7%
  Naissance en Scorpion 23/10-21/11 2 4,7%

L’isolement (extraits)

Souvent sur la montagne, à l’ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m’assieds ;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.

Ici, gronde le fleuve aux vagues écumantes,
Il serpente, et s’enfonce en un lointain obscur ;
Là, le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l’étoile du soir se lève dans l’azur.

Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon….

….Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N’éprouve devant eux ni charme, ni transports ;
Je contemple la terre, ainsi qu’une ombre errante :
Le soleil des vivants n’échauffe plus les morts.

De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l’aquilon, de l’aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l’immense étendue,
Et je dis : « Nulle part le bonheur ne m’attend. »

Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme s’est envolé ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque et tout est dépeuplé.

Que le tour du soleil ou commence ou s’achève,
D’un œil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu’il se couche ou se lève,
Qu’importe le soleil ? je n’attends rien des jours.

Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts ;
Je ne désire rien de tout ce qu’il éclaire,
Je ne demande rien à l’immense univers…..

…Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s’élève et l’arrache aux vallons ;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !

Le lac (extraits)

….Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus de la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos :
Le flot fut attentif, et la voix qui m’est chère
Laissa tomber ces mots :

« Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !

Assez de malheureux ici bas vous implorent,
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent,
Oubliez les heureux…..

…Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! »…..

……Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous, que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !

Qu’il soit dans ton repos, qu’il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux.

Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés.

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu’on entend, l’on voit ou l’on respire,
Tout dise : Ils ont aimé !

      Nombre %
Epouses Naissance en Bélier 21/03-20/04 56  
Epoux     56  
Epoux Naissance en Cancer 22/06-22/07 7 12,5%
  Naissance en Poissons 19/02-20/03 7 12,5%
  Naissance en Taureau 21/04-20/05 6 10,7%
  Naissance en Gémeaux 21/05-21/06 6 10,7%
  Naissance en Scorpion 23/10-21/11 6 10,7%
  Naissance en Vierge 23/08-22/09 5 8,9%
  Naissance en Verseau 20/01-18/02 5 8,9%
  Naissance en Bélier 21/03-20/04 4 7,1%
  Naissance en Lion 23/07-22/08 3 5,4%
  Naissance en Balance 23/09-22/10 3 5,4%
  Naissance en Capricorne 21/12-19/01 3 5,4%
  Naissance en Sagittaire 22/11-20/12 1 1,8%
      Nombre %
Epouses Naissance en Taureau 21/04-20/05 54  
Epoux     54  
Epoux Naissance en Balance 23/09-22/10 6 11,1%
  Naissance en Cancer 22/06-22/07 5 9,3%
  Naissance en Vierge 23/08-22/09 5 9,3%
  Naissance en Sagittaire 22/11-20/12 5 9,3%
  Naissance en Capricorne 21/12-19/01 5 9,3%
  Naissance en Verseau 20/01-18/02 5 9,3%
  Naissance en Poissons 19/02-20/03 5 9,3%
  Naissance en Bélier 21/03-20/04 4 7,4%
  Naissance en Taureau 21/04-20/05 4 7,4%
  Naissance en Lion 23/07-22/08 4 7,4%
  Naissance en Gémeaux 21/05-21/06 3 5,6%
  Naissance en Scorpion 23/10-21/11 3 5,6%
      Nombre %
Epouses Naissance en Gémeaux 21/05-21/06 63  
Epoux     63  
Epoux Naissance en Lion 23/07-22/08 11 17,5%
  Naissance en Gémeaux 21/05-21/06 10 15,9%
  Naissance en Bélier 21/03-20/04 6 9,5%
  Naissance en Cancer 22/06-22/07 6 9,5%
  Naissance en Poissons 19/02-20/03 5 7,9%
  Naissance en Taureau 21/04-20/05 4 6,3%
  Naissance en Balance 23/09-22/10 4 6,3%
  Naissance en Capricorne 21/12-19/01 4 6,3%
  Naissance en Verseau 20/01-18/02 4 6,3%
  Naissance en Vierge 23/08-22/09 3 4,8%
  Naissance en Scorpion 23/10-21/11 3 4,8%
  Naissance en Sagittaire 22/11-20/12 3 4,8%

10  L’homme et son image (extraits)

Un homme qui s’aimoit sans avoir de rivaux

Passoit dans son esprit pour le plus beau du monde.

Il accusoit toujours les miroirs d’être faux,

Vivant plus que content dans une erreur profonde.

Afin de le guérir, le sort officieux

Présentoit partout à ses yeux

Les conseillers muets dont se servent nos dames :

Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,

Miroir aux poches des galands,

Miroir aux ceintures des femmes.

Que fait notre Narcisse ? Il se va confiner

Aux lieux les plus cachés qu’il peut imaginer,

N’osant plus des miroirs éprouver l’aventure.

Mais un canal, formé par une source pure,

Se trouve en ces lieux écartés :

Il s’y voit, il se fâche ; et ses yeux irrités

Pensent apercevoir une chimère vaine.

Il fait tout ce qu’il peut pour éviter cette eau ;

Mais quoi ? le canal est si beau

Qu’il ne le quitte qu’avec peine.

…..

11  Les voleurs et l’âne (extraits)

Pour un Ane enlevé deux Voleurs se battoient :

L’un vouloit le garder, l’autre le vouloit vendre.

Tandis que coups de poings trottoient,

Et que nos champions songeoient à se défendre,

Arrive un troisième larron

Qui saisit maitre Aliboron.

L’Ane, c’est quelquefois une pauvre province :

Les voleurs sont tel ou tel prince,

…….

12  Simonide préservé par les dieux (extraits)

On ne peut trop louer trois sortes de personnes :

Les Dieux, sa maîtresse, et son roi.

Malherbe le disoit ; j’y souscris, quant à moi :

Ce sont maximes toujours bonnes.

La louange chatouille et gagne les esprits :

Les faveurs d’une belle en sont souvent le prix.

Voyons comme les Dieux l’ont quelquefois payée.

Simonide avait entrepris

L’éloge d’un Athlète ; et la chose essayée,

Il trouva son sujet plein de récits tout nus.

Les parents de l’Athlète étoient gens inconnus ;

Son père, un bon bourgeois ; lui, sans mérite ;

Matière infertile et petite.

Le poète d’abord parla de son héros.

Après en avoir dit ce qu’il en pouvoit dire,

Il se jette à côté, se met sur le propos

De Castor et Pollux ; ne manque pas d’écrire

Que leur exemple étoit aux lutteurs glorieux ;

Elève leurs combats, spécifiant les lieux

Où ces frères s’étoient signalés davantage :

Enfin l’éloge de ces Dieux

Faisoit les deux tiers de l’ouvrage.

L’Athlète avait promis d’en payer un talent ;

Mais quand il le vit, le galand

N’en donna que le tiers ; et dit fort franchement

Que Castor et Pollux acquitassent le reste.

« Faites-vous contenter par ce couple céleste.

Je vous veux traiter cependant :

Venez souper chez moi ; nous ferons bonne vie :

Les conviés sont gens choisis,

Mes parents, mes meilleurs amis ;

Soyez donc de la compagnie. »

Simonide promit. Peut-être qu’il eut peur

De perdre, outre son dû, le gré de sa louange.

Il vient : l’on festine, l’on mange.

Chacun étant en belle humeur,

Un domestique accourt, l’avertit qu’à la porte

Deux hommes demandoient à le voir promptement.

Il sort de table ; et la cohorte

N’en perd pas un seul coup de dent.

Ces deux hommes étoient les gémeaux de l’éloge.

Tous deux lui rendent grâce ; et pour prix de ses vers,

Ils l’avertissent qu’il déloge,

Et que cette maison va tomber à l’envers.

La prédiction en fut vraie.

Un pilier manque ; et les plafonds,

Ne trouvant plus rien qui l’étaie,

Tombe sur le festin, brise plats et flacons,

N’en fait pas moins aux échansons.

Ce ne fut pas le pis ; car pour rendre complète

La vengeance due au poëte,

Une poutre cassa les jambes de l’Athlète,

Et renvoya les conviés

Pour la plupart estropiés.

La Renommée eut soin de publier l’affaire :

Chacun cria miracle. On doubla le salaire

Que méritaient les vers d’un homme aimé des Dieux.

…..

13 La mort et le malheureux

Un malheureux appeloit tous les jours

La Mort à son secours.

« O mort, lui disoit-il, que tu me sembles belle !

Viens vite, viens finir ma fortune cruelle. »

La Mort crut, en venant, l’obliger en effet.

Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.

« Que vois-je ? cria-t-il, ôtez-moi cet objet ;

Qu’il est hideux ! que sa rencontre

Me cause d’horreur et d’effroi !

N’approche pas, ô Mort ; ô Mort, retire-toi. »

Mécénas fut un galand homme ;

Il a dit quelque part : « Qu’on me rende impotent,

Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu’en somme

Je vive, c’est assez, je suis plus que content. »

Ne vient jamais, ô Mort ; on t’en dit tout autant.

14 La mort et le bûcheron

Un pauvre Bûcheron, tout couvert de ramée,

Sous le faix du fagot aussi bien que des ans

Gémissant et courbé, marchoit à pas pesants,

Et tâchoit de gagner sa chaumine enfumée.

Enfin, n’en pouvant plus d’effort et de douleur,

Il met bas son fagot, il songe à son malheur.

« Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ?

En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?

Point de pain quelquefois, et jamais de repos. »

Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,

Le créancier, et la corvée

Lui font d’un malheureux la peinture achevée.

Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,

Lui demande ce qu’il faut faire.

« C’est, dit-il, afin de m’aider

A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère. »

Le trépas vient tout guérir ;

Mais ne bougeons d’où nous sommes :

Plutôt souffrir que mourir,

C’est la devise des hommes.

15 L’homme entre deux âges et ses deux maîtresses (extraits)

Un Homme de moyen âge,

Et tirant sur le grison,

Jugea qu’il étoit saison

De songer au mariage.

Il avoit du comptant,

Et partant

De quoi choisir ; toutes vouloient lui plaire :

En quoi notre amoureux ne se pressoit pas tant ;

Bien adresser n’est pas petite affaire.

Deux veuves sur son cœur eurent le plus de part :

L’une encore verte, et l’autre un peu bien mûre,

Mais qui réparoit par son art

Ce qu’avoit détruit la nature.

……

16 Le renard et la cicogne

Compère le Renard se mit un jour en frais,

Et retint à dîner commère la Cicogne.

Le régal fut petit et sans beaucoup d’apprêts :

Le galand, pour toute besogne,

Avoit un brouet clair ; il vivoit chichement.

Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :

La Cicogne au long bec n’en put attraper miette ;

Et le drôle eut lapé le tout en un moment.

Pour se venger de cette tromperie,

A quelque temps de là, la Cicogne le prie.

« Volontiers, lui dit-il ; car avec mes amis

Je ne fais point cérémonie. »

A l’heure dite, il courut au logis

De la Cicogne son hôtesse ;

Loua très fort la politesse ;

Trouva le dîner cuit à point :

Bon appétit surtout ; renards n’en manquent point.

Il se réjouissoit à l’odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu’il croyoit friande.

On servit, pour l’embarrasser,

En un vase à long col et d’étroite embouchure.

Le bec de la Cicogne y pouvoit bien passer ;

Mais le museau du sire étoit d’autre mesure.

Il lui fallut à jeun retourner au logis,

Honteux comme un renard qu’une poule auroit pris,

Serrant la queue, et portant bas l’oreille.

Trompeurs, c’est pour vous que j’écris :

Attendez-vous à la pareille.

17 L’enfant et le maître d’école

Un jeune Enfant dans l’eau se laissa choir,

En badinant sur les bords de la Seine.

Le Ciel permit qu’un saule se trouva,

Dont le branchage, après Dieu, le sauva.

S’étant pris, dis-je, aux branches de ce saule,

Par cet endroit passe un Maître d’école ;

L’Enfant lui crie : « Au secours ! je péris. »

Le Magister, se tournant à ses cris,

D’un ton fort grave à contre-temps s’avise

De le tancer : « Ah ! le petit babouin !

Voyez, dit-il, où l’a mis sa sottise !

Et puis, prenez de tels fripons le soin.

Que les parents sont malheureux qu’il faille

Toujours veiller à semblable canaille !

Qu’ils ont de maux ! et que je plains leur sort ! »

Ayant tout dit, il mit l’Enfant à bord.

Je blâme ici plus de gens qu’on ne pense.

Tout babillard, tout censeur, tout pédant

Se peut connoître au discours que j’avance.

Chacun des trois fait un peuple fort grand :

Le Créateur en a béni l’engeance.

En toute affaire ils ne font que songer

Aux moyens d’exercer leur langue.

Hé ! mon ami, tire-moi de danger,

Tu feras après ta harangue.

18 Les frelons et les mouches à miel

Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent :

Des Frelons les réclamèrent ;

Des Abeilles s’opposant,

Devant certaine Guêpe on traduisit la cause.

Il étoit malaisé de décider la chose :

Les témoins déposoient qu’autour de ces rayons

Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs,

De couleur fort tannée, et tels que les abeilles,

Avoient longtemps paru. Mais quoi ? dans les Frelons

Ces enseignes étoient pareilles.

La Guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,

Fit enquête nouvelle, et pour plus de lumière

Entendit une fourmilière.

Le point n’en put être éclairci.

« De grâce, à quoi bon tout ceci ?

Dit une Abeille fort prudente.

Depuis tantôt six mois que la cause est pendante,

Nous voici comme aux premiers jours.

Pendant cela le miel se gâte.

Il est temps désormais que le juge se hâte :

N’a-t-il point assez léché l’ours ?

Sans tant de contredits, et d’interlocutoires,

Et de fatras, et de grimoires,

Travaillons, les Frelons et nous :

On verra qui sait faire, avec un suc si doux,

Des cellules si bien bâties. »

Le refus des Frelons fit voir

Que cet art passoit leur savoir ;

Et la Guêpe adjugea le miel à leurs parties.

Plût à Dieu qu’on réglât ainsi tous les procès !

Que des Turcs en cela l’on suivît la méthode !

Le simple sens commun nous tiendroit lieu de code :

Il ne faudroit point tant de frais ;

Au lieu qu’on nous mange, on nous gruge,

On nous mine par des longueurs ;

On fait tant, à la fin, que l’huitre est pour le juge,

Les écailles pour les plaideurs.

19 Le chêne et le roseau

Le Chêne un jour dit au Roseau :

« Vous avez bien sujet à accuser la nature ;

Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ;

Le moindre vent, qui d’aventure

Fait rider la face de l’eau,

Vous oblige à baisser la tête,

Cependant que mon front, au Caucase pareil,

Non content d’arrêter les rayons du soleil,

Brave l’effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.

Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage

Dont je couvre le voisinage,

Vous n’auriez pas tant à souffrir :

Je vous défendrois de l’orage ;

Mais vous naissez plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.

La nature envers vous me semble bien injuste

-Votre compassion, lui répondit l’arbuste,

Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci :

Les vents me sont moins qu’à vous redoutables ;

Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici

Contre leurs coups épouvantables

Résisté sans courbé le dos ;

Mais attendons la fin. » Comme il disoit ces mots,

Du bout de l’horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants

Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.

L’arbre tient bon, le Roseau plie.

Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu’il déracine

Celui de qui la tête au ciel étoit voisine,

Et dont les pieds touchoient à l’empire des morts.

Orbes 5°

Paires de couples (269) dont les épouses sont nées le même jour    
Aspects ayant 2 aspects * dissemblables % ayant 2 aspects ** semblables % TOTAL %
SoleilF-SoleilH 20 6,92% 2 0,69% 22 7,61%
MercureF-VénusH 15 5,19% 6 2,08% 21 7,27%
MarsF-VénusH 16 5,54% 3 1,04% 19 6,57%
VénusF-MercureH 15 5,19% 2 0,69% 17 5,88%
MercureF-MercureH 15 5,19% 1 0,35% 16 5,54%
MarsF-SoleilH 13 4,50% 2 0,69% 15 5,19%
MercureF-MarsH 11 3,81% 3 1,04% 14 4,84%
SoleilF-MarsH 10 3,46% 4 1,38% 14 4,84%
MarsF-MarsH 12 4,15% 2 0,69% 14 4,84%
SoleilF-VénusH 13 4,50% 1 0,35% 14 4,84%
VénusF-SoleilH 12 4,15% 2 0,69% 14 4,84%
VénusF-MarsH 10 3,46% 3 1,04% 13 4,50%
VénusF-VénusH 13 4,50% 1 0,35% 14 4,84%
MarsF-MercureH 11 3,81% 1 0,35% 12 4,15%
MercureF-SoleilH 11 3,81% 0 0,00% 11 3,81%
SoleilF-MercureH 7 2,42% 2 0,69% 9 3,11%
TOTAL 204 4,41% 35 0,76% 239 5,17%

*par exemple: le 1er couple ayant un trigone et le 2ème un sextil

**par exemple: les 2 couples ayant chacun un carré

Orbe 10°

Aspects Conjonction Sextil Trigone Total
Probabilités 5,83% 11,67% 11,67% 29,17%
MarsF-MarsH 51   8,11% 71   11,29% 87   13,83% 209  33,23%
SoleilF-MarsH 27   4,29% 86   13,67% 84   13,35% 197  31,32%
VénusF-SoleilH 52   8,27% 67   10,65% 74   11,76% 193  30,68%
SoleilF-SoleilH 37   5,88% 77   12,24% 74   11,76% 188  29,89%
SoleilF-MercureH 36   5,72% 81   12,88% 71   11,29% 188  29,89%
SoleilF-VénusH 38   6,04% 80   12,72% 69   10,97% 187  29,73%
MarsF-MercureH 40   6,36% 74   11,76% 71   11,29% 185  29,41%
MarsF-SoleilH 38   6,04% 73   11,61% 68   10,81% 179  28,46%
MarsF-VénusH 26   4,13% 76   12,08% 74   11,76% 176  27,98%
MercureF-MarsH 37   5,88% 60   9,54% 78   12,40% 175  27,82%
VénusF-MarsH 34   5,41% 70   11,13% 69   10,97% 173  27,50%
VénusF-MercureH 29   4,61% 62   9,86% 70   11,13% 161  25,60%
MercureF-SoleilH 38   6,04% 70   11,13% 53   8,43% 161  25,60%
MercureF-MercureH 34   5,41% 70   11,13% 55   8,74% 159  25,28%
MercureF-VénusH 23   3,66% 71   11,29% 64   10,17% 158  25,12%
VénusF-VénusH 43   6,84% 56   8,90% 53   8,43% 152  24,17%
TOTAL 583  5,79% 1144  11,37% 1114  11,07% 2841  28,23%

Orbe 5°

Aspect Conjonction Sextil Trigone Total %
Probabilités 3,06% 6,11% 6,11%   15,28%
SoleilF-SoleilH 21   3,34% 41   6,52% 40   6,36% 102 16,22%
MarsF-MarsH 27   4,29% 27   4,29% 43   6,84% 97 15,42%
SoleilF-VénusH 26   4,13% 42   6,68% 28   4,45% 96 15,26%
MarsF-VénusH 16   2,54% 38   6,04% 41   6,52% 95 15,10%
MarsF-SoleilH 20   3,18% 38   6,04% 35   5,56% 93 14,79%
VénusF-SoleilH 29   4,61% 34   5,41% 29   4,61% 92 14,63%
SoleilF-MarsH 16   2,54% 36   5,72% 40   6,36% 92 14,63%
MercureF-MarsH 19   3,02% 35   5,56% 37   5,88% 91 14,47%
SoleilF-MercureH 22   3,50% 40   6,36% 28   4,45% 90 14,31%
MercureF-MercureH 22   3,50% 32   5,08% 32   5,09% 86 13,67%
VénusF-MarsH 15   2,38% 36   5,72% 29   4,61% 80 12,72%
MercureF-VénusH 13   2,07% 34   5,41% 32   5,09% 79 12,56%
VénusF-MercureH 13   2,07% 28   4,45% 37   5,88% 78 12,40%
MarsF-MercureH 17   2,70% 31   4,93% 29   4,61% 77 12,24%
VénusF-VénusH 20   3,18% 31   4,93% 24   3,82% 75 11,92%
MercureF-SoleilH 13   2,07% 35   5,56% 21   3,34% 69 10,97%
TOTAL 309  3,07% 558  5,54% 525  5,22% 1392 13,83%

Orbe 10°

Aspects Conjonction Sextil Carré Trigone Opposition Total
Probabilités 5,83% 11,67% 11,67% 11,67% 5,83% 46,67%
MarsF-MarsH 51   8,11% 71  11,29% 65  10,33% 87  13,83% 26  4,13% 300 47,69%
SoleilF-VénusH 38   6,04% 80  12,72% 65  10,33% 69  10,97% 40  6,36% 292 46,42%
SoleilF-MarsH 27   4,29% 86  13,67% 50  7,95% 84  13,35% 42  6,68% 289 45,95%
VénusF-SoleilH 52   8,27% 67  10,65% 64  10,17% 74  11,76% 29  4,61% 286 45,47%
SoleilF-SoleilH 37   5,88% 77  12,24% 64  10,17% 74  11,76% 33  5,25% 285 45,31%
MarsF-VénusH 26   4,13% 76  12,08% 77  12,24% 74  11,76% 32  5,09% 285 45,31%
VénusF-MercureH 29   4,61% 62  9,86% 83  13,20% 70  11,13% 41  6,52% 285 45,31%
MarsF-MercureH 40   6,36% 74  11,76% 58  9,22% 71  11,29% 39  6,20% 282 44,83%
VénusF-MarsH 34   5,41% 70  11,13% 76  12,08% 69  10,97% 32  5,09% 281 44,67%
SoleilF-MercureH 36   5,72% 81  12,88% 57  9,06% 71  11,29% 33  5,25% 278 44,20%
VénusF-VénusH 43   6,84% 56  8,90% 79  12,56% 53   8,43% 40  6,36% 271 43,08%
MercureF-VénusH 23   3,66% 71  11,29% 72  11,45% 64  10,17% 39  6,20% 269 42,77%
MercureF-SoleilH 38   6,04% 70  11,13% 62  9,86% 53  8,43% 39  6,20% 262 41,65%
MarsF-SoleilH 38   6,04% 73  11,61% 55  8,74% 68  10,81% 25  3,97% 259 41,18%
MercureF-MarsH 37   5,88% 60  9,54% 55  8,74% 78  12,40% 27  4,29% 257 40,86%
MercureF-MercureH 34   5,41% 70  11,13% 58  9,22% 55  8,74% 36  5,72% 253 40,22%
TOTAL 583  5,79% 1144  11,37% 1040  10,33% 1114  11,07% 553   5,49% 4434  44,06%

Orbe 9°

Aspects Conjonction Sextil Carré Trigone Opposition Total
Probabilités 5,28% 10,56% 10,56% 10,56% 5,28% 42,22%
MarsF-MarsH 47  7,47% 63   10,02% 55   8,74% 80  12,72% 25  3,97% 270  42,93%
SoleilF-VénusH 33  5,25% 76   12,08% 56   8,90% 65  10,33% 36  5,72% 266  42,29%
VénusF-SoleilH 50   7,95% 60   9,54% 60   9,54% 64  10,17% 27  4,29% 261  41,49%
SoleilF-SoleilH 33   5,25% 66   10,49% 61   9,70% 69  10,97% 30  4,77% 259  41,18%
VénusF-MercureH 24   3,82% 56   8,90% 76   12,08% 60  9,54% 39  6,20% 255  40,54%
VénusF-MarsH 29   4,61% 61   9,70% 70   11,13% 63  10,02% 30  4,77% 253  40,22%
MarsF-MercureH 38   6,04% 65   10,33% 52   8,27% 62  9,86% 36  5,72% 253  40,22%
SoleilF-MarsH 24   3,82% 75   11,92% 42   6,68% 77  12,24% 35  5,56% 253  40,22%
MarsF-VénusH 26   4,13% 67   10,65% 66   10,49% 64  10,17% 27  4,29% 250  39,75%
SoleilF-MercureH 32   5,09% 73   11,61% 48   7,63% 65  10,33% 28  4,45% 246  39,11%
MercureF-VénusH 22   3,50% 63   10,02% 65   10,33% 54  8,59% 37  5,88% 241  38,31%
VénusF-VénusH 37   5,88% 50   7,95% 71   11,29% 47  7,47% 35  5,56% 240  38,16%
MercureF-SoleilH 32   5,09% 63   10,02% 56   8,90% 46   7,31% 37  5,88% 234  37,20%
MarsF-SoleilH 33   5,25% 63   10,02% 51   8,11% 64  10,17% 22  3,50% 233  37,04%
MercureF-MarsH 31   4,93% 56   8,90% 51   8,11% 70  11,13% 24  3,82% 232  36,88%
MercureF-MercureH 33   5,25% 59   9,38% 50   7,95% 52  8,27% 34  5,41% 228  36,25%
TOTAL 524  5,21% 1016   10,10% 930   9,24% 1002  9,96% 502  4,99% 3974  39,49%

Orbe 8°

Aspects Conjonction Sextil Carré Trigone Opposition Total
Probabilités 4,72% 9,44% 9,44% 9,44% 4,72% 37,78%
MarsF-MarsH 44  7,00% 58  9,22% 51  8,11% 73  11,61% 21  3,34% 247  39,27%
SoleilF-VénusH 32  5,09% 70  11,13% 51  8,11% 55  8,74% 29  4,61% 237  37,68%
SoleilF-SoleilH 29  4,61% 59  9,38% 56  8,90% 65  10,33% 26  4,13% 235  37,36%
VénusF-MercureH 23  3,66% 50  7,95% 70  11,13% 54  8,59% 34  5,41% 231  36,72%
VénusF-MarsH 26  4,13% 57  9,06% 66  10,49% 53  8,43% 27  4,29% 229  36,41%
MarsF-VénusH 22  3,50% 61  9,70% 60  9,54% 59  9,38% 26  4,13% 228  36,25%
MarsF-MercureH 34  5,41% 58  9,22% 45  7,15% 55  8,74% 35  5,56% 227  36,09%
SoleilF-MarsH 21  3,34% 65  10,33% 36  5,72% 71  11,29% 33  5,25% 226  35,93%
VénusF-SoleilH 43  6,84% 47  7,47% 53  8,43% 54  8,59% 25  3,97% 222  35,29%
MercureF-VénusH 22  3,50% 53  8,43% 59  9,38% 47  7,47% 37  5,88% 218  34,66%
VénusF-VénusH 32  5,09% 45  7,15% 63  10,02% 44  7,00% 29  4,61% 213  33,86%
SoleilF-MercureH 30  4,77% 68  10,81% 38  6,04% 51  8,11% 24  3,82% 211  33,55%
MarsF-SoleilH 31  4,93% 54  8,59% 44  7,00% 58  9,22% 21  3,34% 208  33,07%
MercureF-MarsH 27  4,29% 50  7,95% 44  7,00% 65  10,33% 22  3,50% 208  33,07%
MercureF-MercureH 32  5,09% 53  8,43% 47  7,47% 45  7,15% 29  4,61% 206  32,75%
MercureF-SoleilH 30  4,77% 55  8,74% 50  7,95% 37  5,88% 33  5,25% 205  32,59%
TOTAL 478  4,75% 903  8,97% 833  8,28% 886  8,80% 451  4,48% 3551  35,28%

Orbe 7°

Aspects Conjonction Sextil Carré Trigone Opposition Total
Probabilités 4,17% 8,33% 8,33% 8,33% 4,17% 33,33%
MarsF-MarsH 38  6,04% 49  7,79% 44  7,00% 63  10,02% 17  2,70% 211  33,55%
SoleilF-SoleilH 25  3,97% 53  8,43% 49  7,79% 57  9,06% 24  3,82% 208  33,07%
VénusF-MarsH 23  3,66% 55  8,74% 61  9,70% 42  6,68% 24  3,82% 205  32,59%
SoleilF-VénusH 31  4,93% 60  9,54% 41  6,52% 47  7,47% 25  3,97% 204  32,43%
VénusF-MercureH 21  3,34% 42  6,68% 62  9,86% 47  7,47% 31  4,93% 203  32,27%
MarsF-VénusH 21  3,34% 54  8,59% 50  795% 53  8,43% 22  3,50% 200  31,80%
SoleilF-MarsH 21  3,34% 51  8,11% 33  5,25% 62  9,86% 31  4,93% 198  31,48%
MarsF-MercureH 27  4,29% 50  7,95% 37  5,88% 47  7,47% 34  5,41% 195  31,00%
VénusF-SoleilH 41  6,52% 39  6,20% 43  6,84% 48  7,63% 22  3,50% 193  30,68%
MercureF-MarsH 21  3,34% 47  7,47% 38  6,04% 59  9,38% 20  3,18% 185  29,41%
MercureF-VénusH 20  3,18% 40  6,36% 51  8,11% 41  6,52% 31  4,93% 183  29,09%
MercureF-SoleilH 25  3,97% 48  7,63% 44  7,00% 31  4,93% 31  4,93% 179  28,46%
VénusF-VénusH 24  3,82% 37  5,8% 49  7,79% 41  6,52% 27  4,29% 178  28,30%
SoleilF-MercureH 28  4,45% 58  9,22% 31  4,93% 41  6,52% 19  3,02% 177  28,14%
MarsF-SoleilH 26  4,13% 47  7,47% 37  5,88% 50  7,95% 16  2,54% 176  27,98%
MercureF-MercureH 24  3,82% 46  7,31% 38  6,04% 40  6,36% 26  4,13% 174  27,66%
TOTAL 416  4,13% 776  7,71% 708  7,03% 769  7,64% 400  3,97% 3069  30,49%

01 La Cigale et la Fourmi

La Cigale, ayant chanté

Tout l’été,

Se trouva fort dépourvue

Quand la bise fut venue :

Pas un seul petit morceau

De mouche ou de vermisseau.

Elle alla crier famine

Chez la Fourmi sa voisine,

La priant de lui prêter

Quelques grains pour subsister

Jusqu’à la saison nouvelle.

« Je vous paierai, lui dit-elle,

Avant l’oût, foi d’animal,

Intérêt et principal. »

La Fourmi n’est pas prêteuse :

C’est là son moindre défaut.

« Que faisiez-vous au temps chaud ? »

Dit-elle à cette emprunteuse.

« Nuit et jour à tout venant

Je chantois, ne vous déplaise. »

« Vous chantiez ? j’en suis fort aise :

Eh bien ! dansez maintenant. »

02 Le Corbeau et le Renard

Maître Corbeau, sur un arbre perché,

Tenoit en son bec un fromage.

Maître Renard, par l’odeur alléché,

Lui tint à peu près ce langage :

« Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau.

Que vous êtes joli, que vous me semblez beau !

Sans mentir, si votre ramage

Se rapporte à votre plumage,

Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois. »

A ces mots le Corbeau ne se sens pas de joie ;

Et pour montrer sa belle voix,

Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.

Le Renard s’en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur,

Apprenez que tout flatteur

Vit aux dépens de celui qui l’écoute :

Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. »

Le Corbeau, honteux et confus,

Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendroit plus.

03 La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le Bœuf

Une Grenouille vit un Bœuf

Qui lui sembla de belle taille.

Elle, qui n’étoit pas grosse en tout comme un œuf,

Envieuse, s’étend, et s’enfle, et se travaille,

Pour égaler l’animal en grosseur,

Disant : « Regardez bien, ma sœur ;

Est-ce assez ? dites-moi : n’y suis-je point encore ?

-Nenni.-M’y voici donc ?- Point du tout- M’y voilà ?

-Vous n’en approchez point. » La chétive pécore

S’enfla si bien qu’elle creva.

Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages ;

Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,

Tout petit prince a des ambassadeurs,

Tout marquis veut avoir des pages.

 

04 Le Loup et le Chien

Un Loup n’avoit que les os et la peau,

Tant les chiens faisoient bonne garde.

Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,

Gras, poli, qui s’étoit fourvoyé par mégarde.

L’attaquer, le mettre en quartiers,

Sire Loup l’eût fait volontiers ;

Mais il falloit livrer bataille,

Et le mâtin étoit de taille

A se défendre hardiment.

Le Loup donc l’aborde humblement,

Entre en propos, et lui fait compliment

Sur son embonpoint, qu’il admire.

« Il ne tiendra qu’à vous beau sire,

D’être aussi gras que moi,» lui repartit le Chien.

« Quittez les bois, vous ferez bien :

Vos pareils y sont misérables,

Cancres, hères, et pauvres diables,

Dont la condition est de mourir de faim.

Car quoi ? rien d’assuré : point de franche lippée ;

Tout à la pointe de l’épée.

Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. »

Le Loup reprit : » Que me faudra-t-il faire ? »

« Presque rien, » dit le Chien « donner la chasse aux gens

Portant bâtons, et mendiants ;

Flatter ceux du logis, à son maître complaire :

Moyennant quoi votre salaire

Sera force reliefs de toutes les façons,

Os de poulets, os de pigeons,

Sans parler de maintes caresses. »

Le Loup déjà se forge une félicité

Qui le fait pleurer de tendresse.

Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.

« Qu’est-ce là ? » lui dit-il « Rien » « Quoi ? rien ? » « Peu de chose »

« Mais encor ? » « Le collier dont je suis attaché

De ce que vous voyez est peut-être la cause. »

« Attaché ? » dit le Loup  « Vous ne courez donc pas

Où vous voulez ? » « Pas toujours ; mais qu’importe ? »

« Il importe si bien, que de tous vos repas

Je ne veux en aucune sorte,

Et ne voudrois pas même à ce prix un trésor. »

Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor.

05 La Génisse, la Chèvre, et la Brebis, en société avec le Lion

La Génisse, la Chèvre, et leur sœur la Brebis,

Avec un fier Lion, seigneur du voisinage,

Firent société, dit-on, au temps jadis,

Et mirent en commun le gain et le dommage.

Dans les lacs de la Chèvre un cerf se trouva pris.

Vers ses associés aussitôt elle envoie.

Eux venus, le Lion par ses ongles compta,

Et dit : « Nous sommes quatre à partager la proie. »

Puis en autant de parts le cerf il dépeça ;

Prit pour lui la première en qualité de Sire :

« Elle doit être à moi, dit-il ; et la raison,

C’est que je m’appelle Lion :

A cela l’on n’a rien à dire.

La seconde, par droit, me doit échoir encor :

Ce droit, vous le savez, c’est le droit du plus fort.

Comme le plus vaillant, je prétends la troisième.

Si quelqu’une de vous touche à la quatrième,

Je l’étranglerai tout d’abord. »

06 La besace (extraits)

…. «  Venez, Singe ; parlez le premier, et pour cause.

Voyez ces animaux, faites comparaison

De leurs beautés  avec les vôtres.

Êtes-vous satisfait ? » « Moi ? dit-il ; pourquoi non ?

N’ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ?

Mon portrait jusqu’ici ne m’a rien reproché ;

Mais pour mon frère l’Ours, on ne l’a qu’ébauché :

Jamais, s’il me veut croire, il ne se fera peindre. »

L’Ours venant là-dessus, on crut qu’il s’alloit plaindre.

Tant s’en faut : de sa forme il se loua très fort ;

Glosa sur l’Eléphant, dit qu’on pourroit encor

Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;

Que c’étoit une masse informe et sans beauté.

L’Eléphant étant écouté,

Tout sage qu’il étoit, dit des choses pareilles :

Il jugea qu’à son appétit

Dame Baleine étoit trop grosse.

Dame Fourmi trouva le Ciron trop petit,

Se croyant, pour elle, un colosse……

07 L’Hirondelle et les Petits Oiseaux (extraits)

Une Hirondelle en ses voyages

Avoit beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu

Peut avoir beaucoup retenu.

Celle-ci prévoyait jusqu’aux moindres orages,

Et devant qu’ils fussent éclos,

Les annonçoit aux matelots.

Il arriva qu’au temps que le chanvre se sème,

Elle vit un manant en couvrir mains sillons.

« Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux Oisillons :

Je vous plains : car pour moi, dans ce péril extrême,

Je saurai m’éloigner, ou vivre en quelque coin.

Voyez-vous cette main qui par les airs chemine ?

Un jour viendra, qui n’est pas loin,

Que ce qu’elle répand sera votre ruine.

De là naîtront engins à vous envelopper,

Et lacets pour vous attraper,

Enfin mainte et mainte machine

Qui causera dans la saison

Votre mort ou votre prison :

Gare la cage ou le chaudron !

C’est pourquoi, leur dit l’Hirondelle,

Mangez ce grain ; et croyez-moi. »

Les Oiseaux se moquèrent d’elle…….

08 Le Rat de ville et le Rat des champs

Autrefois le Rat de ville

Invita le Rat des champs,

D’une façon fort civile,

A des reliefs d’ortolans.

Sur un tapis de Turquie

Le couvert se trouva mis.

Je laisse à penser la vie

Que firent ces deux amis.

Le régal fut fort honnête :

Rien ne manquoit au festin ;

Mais quelqu’un troubla la fête

Pendant qu’ils étoient en train.

A la porte de la salle

Ils entendirent du bruit :

Le Rat de ville détale ;

Son camarade le suit.

Le bruit cesse, on se retire :

Rats en campagne aussitôt ;

Et le citadin de dire :

« Achevons tout notre rôt. »

« C’est assez » dit le rustique ;

« Demain vous viendrez chez moi.

Ce n’est pas que je me pique

De tous vos festins de roi ;

Mais rien ne vient m’interrompre :

Je mange tout à loisir.

Adieu donc. Fi du plaisir

Que la crainte peut corrompre ! »

09 Le Loup et l’Agneau

La raison du plus fort est toujours la meilleure :

Nous l’allons montrer tout à l’heure

Un agneau se désaltéroit

Dans le courant d’une onde pure.

Un Loup survient à jeun, qui cherchoit aventure,

Et que la faim en ces lieux attiroit.

« Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? »

Dit cet animal plein de rage :

« Tu seras châtié de ta témérité. »

« Sire » répond l’Agneau «que votre Majesté

Ne se mette pas en colère ;

Mais plutôt qu’elle considère

Que je me vas désaltérant

Dans le courant,

Plus de vingt pas au-dessous d’Elle ;

Et que par conséquent, en aucune façon,

Je ne puis troubler sa boisson. »

« Tu la troubles » reprit cette bête cruelle ;

« Et je sais que de moi tu médis l’an passé. »

« Comment l’aurois-je fait si je n’étois pas né ? »

Reprit l’Agneau ; « je tette encor ma mère. »

« Si ce n’est toi, c’est donc ton frère. »

« Je n’en ai point. » « C’est donc quelqu’un des tiens ;

Car vous ne m’épargnez guère,

Vous, vos bergers, et vos chiens.

On me l’a dit : il faut que je me venge. »

Là-dessus, au fond des forêts

Le Loup l’emporte, et puis le mange,

Sans autre forme de procès.

Orbe 6°

Aspects Conjonction Sextil Carré Trigone Opposition Total
Probabilités 3,61% 7,22% 7,22% 7,22% 3,61% 28,89%
SoleilF-SoleilH 21  3,34% 49  7,79% 44  7,00% 43  6,84% 23  3,66% 180  28,62%
VénusF-MercureH 17  2,70% 35  5,56% 56  8,90% 41  6,52% 26  4,13% 175  27,82%
MarsF-VénusH 21  3,34% 46  7,31% 44  7,00% 44  7,00% 19  3,02% 174  27,66%
SoleilF-MarsH 18  2,86% 44  7,00% 29  4,61% 55  8,74% 27  4,29% 173  27,50%
MarsF-MarsH 33  5,25% 38  6,04% 37  5,88% 50  7,95% 14  2,23% 172  27,34%
VénusF-MarsH 20  3,18% 42  6,68% 48  7,63% 37  5,88% 23  3,66% 170  27,03%
MercureF-VénusH 17  2,70% 39  6,20% 47  7,47% 39  6,20% 27  4,29% 169  26,87%
SoleilF-VénusH 28  4,45% 51  8,11% 37  5,88% 31  4,93% 22  3,50% 169  26,87%
VénusF-SoleilH 38  6,04% 37  5,88% 35  5,56% 39  6,20% 17  2,70% 166  26,39%
MarsF-MercureH 20  3,18% 43  6,84% 31  4,93% 41  6,52% 26  4,13% 161  25,60%
MarsF-SoleilH 23  3,66% 42  6,68% 34  5,41% 45  7,15% 14  2,23% 158  25,12%
MercureF-MarsH 20  3,18% 38  6,04% 37  5,88% 44  7,00% 15  2,38% 154  24,48%
VénusF-VénusH 21   3,34% 35  5,56% 42  6,68% 31  4,93% 22  3,50% 151  24,01%
MercureF-SoleilH 18  2,86% 42  6,68% 38  6,04% 27  4,29% 26  4,13% 151  24,01%
MercureF-MercureH 23  3,66% 39  6,20% 31  4,93% 35  5,56% 21  3,34% 149  23,69%
SoleilF-MercureH 23  3,66% 50  7,95% 28  4,45% 32  5,09% 16  2,54% 149  23,69%
TOTAL 361   3,59% 670   6,66% 618   6,14% 634   6,30% 338   3,36% 2621  26,04%

Orbe 5°

Aspects Conjonction Sextil Carré Trigone Opposition Total
Probabilités 3,06% 6,11% 6,11% 6,11% 3,06% 24,44%
SoleilF-SoleilH 21  3,34% 41  6,52% 34  5,41% 40  6,36% 21  3,34% 157  24,96%
VénusF-MercureH 13  2,07% 28  4,45% 50  7,95% 37  5,88% 23  3,66% 151  24,01%
MarsF-VénusH 16  2,54% 38  6,04% 36  5,72% 41  6,52% 16  2,54% 147  23,37%
MercureF-VénusH 13  2,07% 34  5,41% 41  6,52% 32  5,09% 23  3,66% 143  22,73%
MarsF-MarsH 27  4,29% 27  4,29% 32  5,09% 43  6,84% 13  2,07% 142  22,58%
SoleilF-VénusH 26  4,13% 42  6,68% 29  4,61% 28  4,45% 16  2,54% 141  22,42%
VénusF-MarsH 15  2,38% 36  5,72% 39  6,20% 29  4,61% 19  3,02% 138  21,94%
VénusF-SoleilH 29  4,61% 34  5,41% 31  4,93% 29  4,61% 15  2,38% 138  21,94%
MarsF-SoleilH 20  3,18% 38  6,04% 32  5,09% 35  5,56% 11  1,75% 136  21,62%
MercureF-MarsH 19  3,02% 35  5,56% 31  4,93% 37  5,88% 11  1,75% 133  21,14%
SoleilF-MarsH 16  2,54% 36  5,72% 24  3,82% 40  6,36% 15  2,38% 131  20,83%
VénusF-VénusH 20  3,18% 31  4,93% 34  5,41% 24  3,82% 20  3,18% 129  20,51%
MercureF-MercureH 22  3,50% 32  5,09% 23  3,66% 32  5,09% 19  3,02% 128  20,35%
SoleilF-MercureH 22  3,50% 40  6,36% 23  3,66% 28  4,45% 14  2,23% 127  20,19%
MercureF-SoleilH 13  2,07% 35  5,56% 33  5,25% 21  3,34% 23  3,66% 125  19,87%
MarsF-MercureH 17  2,70% 31  4,93% 25  3,97% 29  4,61% 22  3,50% 124  19,71%
TOTAL 309    3,07% 558    5,54% 517    5,14% 525    5,22% 281    2,79% 2190  21,76%
La chanson du décervelage
Je fus pendant longtemps ouvrier ébéniste,
Dans la ru’ du Champ d’Mars, d’la paroiss’ de Toussaints.
Mon épouse exerçait la profession d’modiste,
Et nous n’avions jamais manqué de rien.
Quand le dimanch’ s’annonçait sans nuage,
Nous exhibions nos beaux accoutrements
Et nous allions voir le décervelage
Ru’ d’ l’Echaudé, passer un bon moment.
Voyez, voyez la machin’ tourner,
Voyez, voyez la cervell’ sauter,
Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !
Nos deux marmots chéris, barbouillés d’confitures,
Brandissant avec  joi’ des poupins en papier,
Avec nous s’installaient sur le haut d’ la voiture
Et nous roulions gaîment vers l’Echaudé. –
On s’ précipite en foule à la barrière,
On s’ fich’ des coups pour être au premier rang ;
Moi je m’ mettais toujours sur un tas d’ pierres
Pour pas salir mes godillots dans l’ sang.
Voyez, voyez la machin’ tourner,
Voyez, voyez la cervell’ sauter,
Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !
Bientôt ma femme et moi nous somm’s tout blancs d’ cervelle,
Les marmots en boulott’nt et tous nous trépignons
En voyant l’Palotin qui brandit sa lumelle,
Et les blessur’s et les numéros d’ plomb. –
Soudain j’ perçois dans l’ coin, près d’ la machine,
La gueul’ d’un bonz’ qui n’ m’ revient qu’à moitié.
Mon vieux, que j’ dis, je r’ connais ta bobine,
Tu m’as volé, c’est pas moi qui t’ plaindrai.
Voyez, voyez la machin’ tourner,
Voyez, voyez la cervell’ sauter,
Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !
Soudain j’me sens tirer la manch’ par mon épouse :
Espèc’ d’andouill ‘, qu’ell’ m’ dit, v’là l’ moment d’te montrer :
Flanque-lui par la gueule un bon paquet d’bouse,
V’là l’ Palotin qu’a just’ le dos tourné. –
En entendant ce raisonn’ment superbe,
J’attrap’ sus l’ coup mon courage à deux mains :
J’ flanque au Rentier une gigantesque merde
Qui s’aplatit sur l’ nez du Palotin.
Voyez, voyez la machin’ tourner,
Voyez, voyez la cervell’ sauter,
Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !
Aussitôt j’ suis lancé par-dessus la barrière,
Par la foule en fureur je me vois bousculé
Et j’ suis précipité la tête la première
Dans l’ grand trou noir d’ous qu’on n’ revient jamais. –
Voilà c’ que c’est qu’ d’aller s’ prom’ner l’ dimanche
Rue d’ l’Echaudé pour voir décerveler,
Marcher l’ Pinc’-Porc ou bien l’ Démanch’-Comanche,
On part vivant et l’on revient tudé.
Le bain du Roi
Rampant d’argent sur champ de sinople, dragon
Fluide, au soleil la Vistule se boursoufle.
Or le roi de Pologne, ancien roi d’Aragon,
Se hâte vers son bain, très nu, puissant maroufle.
Les pairs étaient douzaine : il est sans parangon.
Son lard tremble à sa marche et la terre à son souffle ;
Pour chacun de ses pas son orteil patagon
Lui taille au creux du sable une neuve pantoufle.
Et couvert de son ventre ainsi que d’un écu
Il va. La redondance illustre de son cul
Affirme insuffisant le caleçon vulgaire
Où sont portraicturés en or, au naturel,
Par derrière, un Peau-Rouge au sentier de la guerre
Sur un cheval, et par devant, la tour Eiffel.
Bardes et cordes
Le roi mort, les vingt-et-un coups de la bombarde
Tonnent, signal de deuil, place de la Concorde.
Silence, joyeux luth, et viole et guimbarde :
Tendons sur le cercueil la plus macabre corde
Pour accompagner l’hymne éructé par le barde :
Le ciel veut l’oraison funèbre pour exorde.
L’encens vainc le fumet des ortolans que barde
La maritorne, enfant butorde non moins qu’orde.
Aux barrières du Louvre elle dormait, la garde :
Les palais sont des grands ports où la mort aborde ;
Corse, kamoulcke, kurde, iroquoise et lombarde,
Le catafalque est ceint de la jobarde horde.
Sa veille n’eût point fait camuse la camarde :
Il faut qu’un rictus torde et qu’une bouche morde.
La lame ou la dent tranche autant que le plomb arde :
Poudre aux moineaux, canons place de la Concorde.
Arme blême, le dail ne craint point l’espingarde :
Tonne, signal de deuil ; vibre, macabre corde.
Les Suisses au pavé heurtent la hallebarde :
Seigneur, prends le défunt en ta miséricorde.

Orbe 4°

Aspects Conjonction Sextil Carré Trigone Opposition Total
Probabilités 2,50% 5% 5% 5% 2,50% 20%
MarsF-VénusH 14  2,23% 30   4,77% 31   4,93% 34   5,41% 12   1,91% 121  19,24%
SoleilF-SoleilH 16  2,54% 32   5,09% 24   3,82% 32   5,09% 16   2,54% 120  19,08%
MarsF-MarsH 21   3,34% 23   3,66% 28   4,45% 35   5,56% 10   1,59% 117  18,60%
VénusF-MercureH 13   2,07% 20   3,18% 42   6,68% 26   4,13% 16   2,54% 117  18,60%
MercureF-VénusH 12   1,91% 29   4,61% 30   4,77% 24   3,82% 19   3,02% 114  18,12%
VénusF-MarsH 9   1,43% 33   5,25% 28   4,45% 27   4,29% 16   2,54% 113  17,97%
SoleilF-VénusH 20   3,18% 33   5,25% 25   3,97% 19   3,02% 15   2,38% 112  17,81%
MercureF-MercureH 20   3,18% 29   4,61% 17   2,70% 27   4,29% 16   2,54% 109  17,33%
VénusF-VénusH 16   2,54% 24   3,82% 32   5,09% 20   3,18% 17   2,70% 109  17,33%
MercureF-MarsH 14   2,23% 28   4,45% 27   4,29% 29   4,61% 9   1,43% 107  17,01%
MarsF-SoleilH 18   2,86% 28   4,45% 28   4,45% 25   3,97% 7   1,11% 106  16,85%
VénusF-SoleilH 21   3,34% 26   4,13% 23   3,66% 20   3,18% 14   2,23% 104  16,53%
MercureF-SoleilH 12   1,91% 24   3,82% 27   4,29% 19   3,02% 21   3,34% 103  16,38%
SoleilF-MercureH 17   2,70% 33   5,25% 20   3,18% 20   3,18% 11   1,75% 101  16,06%
SoleilF-MarsH 15   2,38% 27   4,29% 17   2,70% 28   4,45% 13   2,07% 100  15,90%
MarsF-MercureH 12   1,91% 22   3,50% 19   3,02% 24   3,82% 20   3,18% 097  15,42%
TOTAL 250    2,48% 441    4,38% 418    4,15% 409    4,06% 232    2,31% 1750    17,39%

Orbe 3°

Aspects Conjonction Sextil Carré Trigone Opposition Total
Probabilités 1,94% 3,89% 3,89% 3,89% 1,94% 15,56%
MarsF-MarsH 16   2,54% 17   2,70% 23   3,66% 29   4,61% 9   1,43% 94   14,94%
MarsF-VénusH 10   1,59% 26   4,13% 22   3,50% 24   3,82% 9   1,43% 91   14,47%
SoleilF-SoleilH 13   2,07% 25   3,97% 21   3,34% 20   3,18% 12   1,91% 91   14,47%
VénusF-MercureH 8   1,27% 15   2,38% 31   4,93% 22   3,50% 14   2,23% 90   14,31%
VénusF-MarsH 7   1,11% 23   3,66% 22   3,50% 21   3,34% 13   2,07% 86   13,67%
MarsF-SoleilH 11   1,75% 24   3,82% 23   3,66% 18   2,86% 5   0,79% 81   12,88%
MercureF-MercureH 15   2,38% 24   3,82% 14   2,23% 15   2,38% 12   1,91% 80   12,72%
VénusF-VénusH 13   2,07% 20   3,18% 21   3,34% 13   2,07% 13   2,07% 80   12,72%
SoleilF-VénusH 11   1,75% 23   3,66% 16   2,54% 16   2,54% 13   2,07% 79   12,56%
SoleilF-MarsH 13   2,07% 22   3,50% 11   1,75% 21   3,34% 11   1,75% 78   12,40%
VénusF-SoleilH 15   2,38% 22   3,50% 18   2,86% 12   1,91% 11   1,75% 78   12,40%
MercureF-VénusH 7   1,11% 21   3,34% 18   2,86% 16   2,54% 12   1,91% 74   11,76%
SoleilF-MercureH 11   1,75% 21   3,34% 16   2,54% 15   2,38% 10   1,59% 73   11,61%
MercureF-SoleilH 6    0,95% 15   2,38% 21   3,34% 14   2,23% 16   2,54% 72   11,45%
MarsF-MercureH 8   1,27% 15   2,38% 15   2,38% 18   2,86% 16   2,54% 72   11,45%
MercureF-MarsH 9   1,43% 21   3,34% 18   2,86% 18   2,86% 5   0,79% 71   11,29%
TOTAL 173    1,72% 334    3,32% 310    3,08% 292    2,90% 181    1,80% 1290    12,82%
C’est aujourd’hui….
C’est aujourd’hui la fête de Virginie…
Tu étais nue sous ta robe de mousseline.
Tu mangeais de gros fruits au goût de Mozambique
Et la mer salée couvrait les crabes creux et gris.
Ta chair était pareille à celle des cocos.
Les marchands te portaient des pagnes couleur d’air
Et des mouchoirs de tête à carreaux jaune-clair.
Labourdonnais signait des papiers d’amiraux.
Tu es morte et tu vis, ô ma petite amie,
Amie de Bernardin, ce vieux sculpteur de cannes,
Et tu mourus en robe blanche, une médaille
A ton cou pur, dans la Passe de l’Agonie.
Elégie troisième
Ce pays a la fraîcheur molle des bords des eaux.
Les chemins s’enfoncent obscurément, noirs de mousses,
Vers des épaisseurs bleues pleines d’ombre d’amour.
Le ciel est trop petit sur des arbres trop hauts.
C’est ici que je viens promener ma tristesse,
Chez des amis et que, lentement, au soleil,
Le long des fleurs je m’adoucis et je me traîne.
Ils s’inquiètent de mon cœur et de sa peine,
Et je ne sais pas trop ce qu’il faut leur répondre.
Peut-être, quand je serai mort, un enfant doux
Se rappellera qu’il a vu passer dans l’allée
Un jeune homme, en chapeau de soleil, qui fumait
Sa pipe doucement dans un matin d’été.
Et toi que j’ai quittée, tu ne m’auras pas vu,
Tu ne m’auras pas vu ici, songeant à toi
Et traînant mon ennui aussi grand que les bois…
Et d’ailleurs, toi non plus, tu ne comprendrais pas,
Car je suis loin de toi et tu es loin de moi.
Je ne regrette pas ta bouche blanche et rose.
Mais alors, pourquoi est-ce que je souffre encore ?
Si tu le sais, amie, arrive et dis-le-moi.
Dis-moi pourquoi, pourquoi lorsque je suis souffrant,
Il semble que les arbres comme moi soient malades ?
Est-ce qu’ils mourront aussi en même temps que moi ?
Est-ce que le ciel mourra ? Est-ce que tu mourras ?
Guadalupe de Alcaraz
Guadalupe de Alcaraz a des mitaines d’or,
Des fleurs de grenadiers suspendues aux oreilles
Et deux accroche-cœurs pareils à deux énormes
Cédilles plaqués sur son front lisse de vierge.
Ses yeux sont dilatés comme par quelque drogue
(On dit qu’on employait jadis la belladone) ;
Ils sont passionnés, étonnés et curieux,
Et leurs prunelles noires roulent dans du blanc-bleu.
Le nez est courbe et court comme le bec des cailles.
Elle est dure, dorée, ronde comme une grenade.
Elle s’appelle aussi Rosita-Maria
Mais elle appelle sa duègne : carogna !
Toute la journée elle mange du chocolat,
Ou bien elle se dispute avec sa perruche
Dans un jardin de la Vallée d’Alméria
Plein de ciboules bleues, de poivriers et de ruches.
Lorsque Guadalupe qui a dix-sept ans
En aura quatre-vingt, elle s’en ira souvent
Dans le jardin aux forts parfums, aux fleurs gluantes,
Jouer de la guitare avec de petits gants.
Elle aura le nez crochu et le menton croche,
Les yeux troubles des vieux enfants, la maigreur courbe,
Et une chaîne d’or à longues émeraudes
Qui, roide, tombera de son col de vautour.
D’un martinet géant et qui sera sa canne,
Elle battra les chats, les enfants et les mouches.
Pour ne pas répondre, elle serrera la bouche.
Elle aura sur la lèvre une moustache rase.
Elle aura dans sa chambre une vierge sous globe,
Gantée de blanc, avec de l’argent sur la robe.
Cette vierge de cire sera sa patronne,
C’est-à-dire Notre-Dame-de-Guadalupe.
Lorsque Guadalupe de Alcaraz mourra,
De gros hidalgos pareils à des perroquets
Prieront devant ses pieds minces et parallèles,
En ayant l’air d’ouvrir et de fermer des ailes.

Orbe 2°

Aspects Conjonction Sextil Carré Trigone Opposition Total
Probabilités 1,39% 2,78% 2,78% 2,78% 1,39% 11,11%
MarsF-MarsH 12   1,91% 10   1,59% 16   2,54% 20   3,18% 7   1,11% 65   10,33%
MarsF-VénusH 6   0,95% 17   2,70% 18   2,86% 14   2,23% 8   1,27% 63   10,02%
VénusF-MercureH 5   0,79% 14   2,23% 24   3,82% 11   1,75% 7   1,11% 61   9,70%
MercureF-MercureH 9   1,43% 17   2,70% 11   1,75% 12   1,91% 10   1,59% 59   9,38%
SoleilF-SoleilH 11   1,75% 16   2,54% 13   2,07% 14   2,23% 4   0,64% 58   9,22%
SoleilF-VénusH 7   1,11% 15   2,38% 11   1,75% 13   2,07% 10   1,59% 56   8,90%
MarsF-SoleilH 8   1,27% 16   2,54% 16   2,54% 12   1,91% 3   0,48% 55   8,74%
VénusF-MarsH 2   0,32% 13   2,07% 15   2,38% 13   2,07% 9   1,43% 52   8,27%
MercureF-SoleilH 5   0,79% 13   2,07% 16   2,54% 8   1,27% 10   1,59% 52   8,27%
MarsF-MercureH 6   0,95% 9   1,43% 13   2,07% 12   1,91% 12   1,91% 52   8,27%
SoleilF-MarsH 10   1,59% 15   2,38% 6   0,95% 15   2,38% 5   0,79% 51   8,11%
VénusF-VénusH 10   1,59% 10   1,59% 14   2,23% 11   1,75% 6   0,95% 51   8,11%
MercureF-MarsH 6   0,95% 13   2,07% 13   2,07% 16   2,54% 1   0,16% 49   7,79%
VénusF-SoleilH 8   1,27% 15   2,38% 12   1,91% 6   0,95% 5   0,79% 46   7,31%
MercureF-VénusH 2   0,32% 12   1,91% 12   1,91% 9   1,43% 7   1,11% 42   6,68%
SoleilF-MercureH 10   1,59% 9   1,43% 8   1,27% 10   1,59% 3   0,48% 40   6,36%
TOTAL 117     1,16% 214    2,13% 218    2,17% 196    1,95% 107    1,06% 852    8,47%

Prière pour aller au paradis avec les ânes

Lorsqu’il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites
que ce soit par un jour où la campagne en fête
poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas,
choisir un chemin pour aller, comme il me plaira,
au Paradis, où sont en plein jour les étoiles.
Je prendrai mon bâton et sur la grande route
j’irai, et je dirai aux ânes, mes amis :
Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis,
car il n’y a pas d’enfer au pays du Bon-Dieu.
Je leur dirai : Venez, doux amis du ciel bleu,
pauvres bêtes chéries qui, d’un brusque mouvement d’oreille,
chassez les mouches plates, les coups et les abeilles….
Que je vous apparaisse au milieu de ces bêtes
que j’aime tant parce qu’elles baissent la tête
doucement, et s’arrêtent en joignant leurs petits pieds
d’une façon bien douce et qui vous fait pitié.
J’arriverai suivi de leurs milliers d’oreilles,
suivi de ceux qui portèrent au flanc des corbeilles,
de ceux traînant des voitures de saltimbanques
ou des voitures de plumeaux et de fer-blanc,
de ceux qui ont au dos des bidons bossués,
des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés,
de ceux à qui l’on met de petits pantalons
à cause des plaies bleues et suintantes que font
les mouches entêtées qui s’y groupent en rond.
Mon Dieu, faites qu’avec ces ânes je vous vienne.
Faites que dans la paix, des anges nous conduisent
vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises
lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,
et faites que, penché dans ce séjour des âmes,
sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes
qui mireront leur humble et douce pauvreté
à la limpidité de l’amour éternel.

Par le petit garçon…

Agonie

Par le petit garçon qui meurt près de sa mère
tandis que des enfants s’amusent au parterre ;
et par l’oiseau blessé qui ne sait pas comment
son aile tout à coup s’ensanglante et descend ;
par la soif et la faim et le délire ardent :
Je vous salue, Marie.

Flagellation

Par les gosses battus par l’ivrogne qui rentre,
par l’âne qui reçoit des coups de pied au ventre,
par l’humiliation de l’innocent châtié,
par la vierge vendue qu’on a déshabillée,
par le fils dont la mère a été insultée :
Je vous salue, Marie.

Couronnement d’épines

Par le mendiant qui n’eut jamais d’autre couronne
que le vol des frelons, amis des vergers jaunes,
et d’autre sceptre qu’un bâton contre les chiens ;
par le poète dont saigne le front qui est ceint
des ronces des désirs que jamais il n’atteint :
Je vous salue, Marie.

Portement de Croix

Par la vieille qui, trébuchant sous trop de poids,
s’écrie « Mon Dieu ! » Par le malheureux dont les bras
ne purent s’appuyer sur une amour humaine
comme la Croix du Fils sur Simon de Cyrène ;
par le cheval tombé sous le chariot qu’il traîne :
Je vous salue, Marie.

Crucifiement

Par les quatre horizons qui crucifient le Monde,
par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe,
par ceux qui sont sans pieds, par ceux qui sont sans mains,
par le malade que l’on opère et qui geint
et par le juste mis au rang des assassins :
Je vous salue, Marie.

Aspects Conjonction Sextil Carré Trigone Opposition Total
Probabilités 0,83% 1,67% 1,67% 1,67% 0,83% 6,67%
MarsF-MarsH 11     1,75% 6     0,95% 9     1,43% 7     1,11% 2     0,32% 35   5,56%
SoleilF-SoleilH 6     0,95% 8     1,27% 8     1,27% 10     1,59% 3     0,48% 35   5,56%
MercureF-MercureH 7     1,11% 8     1,27% 5     0,79% 7     1,11% 5     0,79% 32   5,09%
VénusF-MercureH 4     0,64% 10     1,59% 11     1,75% 2     0,32% 4     0,64% 31   4,93%
SoleilF-MarsH 8     1,27% 11     1,75% 4     0,64% 5     0,79% 3     0,48% 31   4,93%
MarsF-VénusH 3     0,48% 10     1,59% 8     1,27% 7     1,11% 3     0,48% 31   4,93%
MercureF-MarsH 4     0,64% 10     1,59% 9     1,43% 7     1,11% 1     0,16% 31   4,93%
VénusF-MarsH 2     0,32% 8     1,27% 6     0,95% 7     1,11% 5     0,79% 28   4,45%
SoleilF-VénusH 3     0,48% 9     1,43% 6     0,95% 7     1,11% 2     0,32% 27   4,29%
MercureF-SoleilH 5     0,79% 5     0,79% 7     1,11% 3     0,48% 7     1,11% 27   4,29%
MarsF-SoleilH 4     0,64% 12     1,91% 6     0,95% 3     0,48% 2     0,32% 27   4,29%
MercureF-VénusH 1     0,16% 7     1,11% 8     1,27% 5     0,79% 5     0,79% 26   4,13%
MarsF-MercureH 4     0,64% 4     0,64% 6     0,95% 8     1,27% 3     0,48% 25   3,97%
VénusF-SoleilH 3     0,48% 8     1,27% 7     1,11% 3     0,48% 2     0,32% 23   3,66%
SoleilF-MercureH 6     0,95% 7     1,11% 1     0,16% 7     1,11% 2     0,32% 23   3,66%
VénusF-VénusH 3     0,48% 7     1,11% 7     1,11% 5     0,79% 1     0,16% 23   3,66%
TOTAL 74     0,74% 130     1,29% 108     1,07% 93   0,92% 50   0,50% 455 4,52%
Villonelle
Dis-moi quelle fut la chanson
Que chantaient les belles sirènes
Pour faire pencher des trirèmes
Les Grecs qui lâchaient l’aviron .
Achille qui prit Troie, dit-on,
Dans un cheval bourré de son
Achille fut grand capitaine
Or, il fut pris par des chansons
Que chantaient des vierges hellènes
Dis-moi, Vénus, je t’en supplie
Ce qu’était cette mélodie
Un prisonnier dans sa prison
En fit une en Tripolitaine
Et si belle que sans rançon
On le rendit à sa marraine
Qui pleurait contre la cloison
Nausicaa à la fontaine
Pénélope en tissant la laine
Zeuxis peignant sur les maisons
Ont chanté la faridondaine !……..
Et les chansons des échansons ?
Echos d’échos des longues plaines
Et les chansons des émigrants !
Où sont les refrains d’autres temps
Que l’on a chanté tant et tant ?
Où sont les filles aux belles dents
Qui l’amour par les chants retiennent ?
Et mes chansons ? qu’il m’en souvienne !
Nocturne
Sifflet humide des crapauds
Bruit des barques la nuit, des rames…
Bruit d’un serpent dans les roseaux,
D’un rire étouffé par les mains,
Bruit d’un corps lourd qui tombe à l’eau
Bruit des pas discrets de la foule,
Sous les arbres un bruit de sanglots,
Le bruit au loin des saltimbanques.
La saltimbanque en wagon de 3ème classe
La saltimbanque ! la saltimbanque
A pris l’express à neuf heures trente
A pris l’express de Paris-Nantes
Prends garde garde ô saltimbanque
Que le train partant ne te manque
Et voici son cœur qui chante :
Oh ! sentir dans la nuit clémente
Qu’on suit la direction d’un grand fleuve
Dans la nuit de l’ouest dans la nuit veuve !
Mais on ne me laissera donc pas seule
Sous mon rêve avec mon saule
Gens de Saumur ! gens de Saumur !
Oh ! Laissez-moi dans ma saumure.
Abstenez-vous, gens de Saumur, de monter dans cette voiture.
Elle rêve à son maillot jaune
Qui doit si bien aller à sa chevelure
Quand elle la rejette loin de sa figure
Elle rêve à son mari qui est jeune
Plus jeune qu’elle et à son enfant
Qui est visiblement un génie.
La saltimbanque est tcherkesse
Elle sait jouer de la grosse caisse
Elle est belle et ne fait pas d’épates
Elle a des lèvres comme la tomate.
La fiancée de l’aviateur
Si tu t’ennuies sur ce rivage
Aviateur, tu peux t’envoler.
Ta présence ici fut trop sage
Ton départ ne peut m’irriter.
Le cœur que déflora ton aile
N’est plus à toi, beau voltigeur,
Et sous les arbres de cette île
Choisit un autre recéleur.
Voltigeur veut dire volage :
Il voudra dire aussi voleur,
Si ton orgueil a le courage
De nous rendre l’ancien bonheur !
Ce pigeon qui suit tes voyages
Et rentre tard à la maison,
Que je retrouve à son plumage
L’anneau, gage de nos pardons.
La pluie
Monsieur Yousouf a oublié son parapluie
Monsieur Yousouf a perdu son parapluie
Madame Yousouf, on lui a volé son parapluie
Il y avait une pomme d’ivoire à son parapluie
Ce qui m’est entré dans l’œil c’est le bout d’un parapluie
Est-ce que je n’ai pas laissé mon parapluie
Hier soir dans votre porte-parapluie ?
Il faudra que j’achète un parapluie
Moi je ne me sers jamais de parapluie
J’ai un cache poussière avec un capuchon pour la pluie
Monsieur Yousouf vous avez de la veine de vous passer de parapluie.
Le coq et la perle
En descendant la rue de Rennes, je mordais dans mon pain avec tant d’émotion qu’il me sembla que c’était mon cœur que je déchirais.
Dans cette forêt bretonne où la calèche s’avance, il n’y a qu’un ange moqueur : la paysanne en rouge dans les branches qui rit de mon ignorance de la langue celtique.
La rue Ravignan
« On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve », disait le philosophe Héraclite. Pourtant, ce sont toujours les mêmes qui remontent ! Aux mêmes heures, ils passent gais ou tristes. Vous tous, passants de la rue Ravignan, je vous ai donné les noms des défunts de l’Histoire ! Voici Agamemnon ! voici madame Hanska ! Ulysse est un laitier ! Patrocle est au bas de la rue qu’un Pharaon est près de moi. Castor et Pollux sont les dames du cinquième. Mais toi, vieux chiffonnier, toi, qui, au féérique matin, viens enlever les débris encore vivants quand j’éteins ma bonne grosse lampe, toi que je ne connais pas, mystérieux et pauvre chiffonnier, toi, chiffonnier, je t’ai nommé d’un nom célèbre et noble, je t’ai nommé Dostoïewsky.
Fable sans moralité
Il y avait une locomotive si bonne qu’elle s’arrêtait pour laisser passer les promeneurs. Un jour, une automobile vint cahoter sur sa voie ferrée. Le chauffeur dit à l’oreille de sa monture :  « Ne dresserons-nous pas procès-verbal ?- C’est jeune, dit la locomotive, et ça ne sait pas. » Elle se borna à cracher un peu de vapeur dédaigneuse sur le sportman essoufflé.
Kaléidoscope
Tout avait l’air en mosaïque : les animaux marchaient les pattes vers le ciel sauf l’âne dont le ventre blanc portait des mots écrits et qui changeaient. La tour était une jumelle de théâtre ; il y avait des tapisseries dorées avec des vaches noires ; et la petite princesse en robe noire, on ne savait pas si sa robe avait des soleils verts ou si on la voyait par des trous de haillons.
Certains dédains et pas les autres
Le cygne du conte d’Andersen s’avançait dans le port de rivière. Nos quinconces étaient pleins de noblesse et sous la montagne verdoyante le vieux faubourg abritait des ouvriers. Mon ami, le poète romantique et moi, sur la cale à côté des lavandières nous tendions du pain au cygne du conte d’Andersen. Le cygne dédaigneux ne vit pas le pain mais le cygne n’était pas assez surpris du bruit de vos battoirs, ô laveuses, et du bruit lointain de vos querelles, ouvriers qui êtes aux portes après le repas.
Métempsychose
Ici ténèbres et silence ! les mares de sang ont la forme des nuages. Les sept femmes de Barbe-Bleue ne sont plus dans le placard. D’elles il ne reste que cette cornette en organdi ! Mais là-bas ! là-bas ! sur l’Océan, voilà sept galères , sept galères dont les cordages pendent des huniers dans la mer comme des nattes aux épaules des femmes. Elles approchent ! elles approchent ! elles sont là !
Le départ
Adieu l’étang et toutes mes colombes
Dans leur tour et qui mirent gentiment
Leur soyeux plumage au col blanc qui bombe
Adieu l’étang.
Adieu maison et ses toitures bleues
Où tant d’amis, dans toutes les saisons,
Pour nous revoir avaient fait quelques lieues,
Adieu maison.
Adieu le linge à la haie en piquants
Près du clocher !oh ! que de fois le peins-je-
Que tu connais comme t’appartenant
Adieu le linge !
Adieu lambris ! maintes portes vitrées.
Sur le parquet miroir si bien verni
Des barreaux blancs et des couleurs diaprées
Adieu lambris !
Adieux vergers, les caveaux et les planches
Et sur l’étang notre bateau voilier
Notre servante avec sa coiffe blanche
Adieu vergers.
Adieu aussi mon fleuve clair ovale,
Adieu montagne ! adieu arbres chéris !
C’est vous qui tous êtes ma capitale
Et non Paris.
Pour les enfants et pour les raffinés
A Paris
Sur un cheval gris
A Nevers
Sur un cheval vert
A issoire
Sur un cheval noir
Ah ! qu’il est beau ! qu’il est beau !
Ah ! qu’il est beau ! qu’il est beau !
Tiou !
C’est la cloche qui sonne
Pour ma fille Yvonne.
Qui est mort à Perpignan ?
C’est la femme du commandant.
Qui est mort à La Rochelle ?
C’est la nièce du colonel !
Qui est mort à Epinal ?
C’est la femme du caporal !
Tiou !
Et à Paris, papa chéri.
Fais à Paris ! qu’est-ce que tu me donnes à Paris ?
Je te donne pour ta fête
Un chapeau couleur noisette
Un petit sac en satin
Pour le tenir à la main
Un parasol en soie blanche
Avec des glands sur le manche
Un habit doré sur tranche
Des souliers couleur orange :
Ne les mets que le dimanche.
Un collier, des bijoux
Tiou !
C’est la cloche qui sonne
Pour ma fille Yvonne !
C’est la cloche de Paris,
Il est temps d’aller au lit,
C’est la cloche de Nogent,
Papa va en faire autant.
C’est la cloche de Givet,
Il est l’heure d’aller se coucher.
Ah ! non ! pas encore ! dis !
Achète-moi aussi une voiture en fer
Qui lève la poussière
Par devant et par derrière,
Attention à vous ! mesdames les garde-barrières,
Voilà Yvonne et son p’tit père,
Tiou !
Sur un air connu
Le matelot
Mate l’eau
Et bat l’eau
Au milieu des ballots.
Par les hublots,
Vrai badaud !
Le matelot regarde passer l’eau
Passer l’eau !
Même mineur
Le mineur
Mine, mille et une heures
Mais vive la mine au mineur !
Le matelot
N’a que l’eau
C’est son lot !
Le flot ! le flot ! le flot ! toujours le flot !
Contes moraux
Mahabalipouram ose défier son Dieu.
Il élève un bloc pur, un cristal d’une lieue,
Y creuse un escalier, fait poser des balcons.
Du vivier, Zeuxis dore et peint les poissons.
Cependant les sujets cherchent à le distraire :
Il mange des œufs durs ornés par de grands maîtres.
Mahabalipouram est las de ses bouffons !
Il fait creuser un puits
Profond de cent vingt milles, il y descend ! Et puis ?
Or, par un grand concours,
On découvre un génie.
On l’amène à la cour :
Un certain Met-Ali.
Mais il advint ceci : il fut, comme un colis,
Oublié
Dans un grenier.
Un vizir en pris cure
Et réclama pour lui la douce sinécure.
Mahabalipouram le nomma pédicure.
Le coq et la perle
Je le croyais ruiné, mais il a encore des esclaves et plusieurs pièces à sa maison. Sur les rochers, les cantatrices étaient à demi nues dans leurs maillots. Le soir, on entrait dans les wagons et les petits trains glissaient sous les pins. Je le croyais ruiné !… il a même trouvé un éditeur pour moi ! l’éditeur m’a donné une tortue dont la coquille est rose et vernie : le moindre ducaton ferait bien mieux mon affaire.
Avenue du Maine
Les manèges déménagent.
Manèges, ménageries, où ?… et pour quels voyages ?
Moi qui suis en ménage
Depuis… ah ! y a bel âge !
De vous goûter, manèges,
Je n’ai plus… que n’ai-je ?…
L’âge.
Les manèges déménagent.
Ménager manager
De l’avenue du Maine
Qui ton manège mène
Pour mener ton ménage !
Ménage ton manège
Manège ton manège.
Manège ton ménage
Mets des ménagements
Au déménagement.
Les manèges déménagent.
Ah ! vers quels mirages ?
Dites pour quels voyages
Les manèges déménagent.
Etablissement d’une communauté au Brésil
On fut reçu par la fougère et l’ananas
L’antilope craintif sous l’ipécacuanha.
Le moine enlumineur quitta son aquarelle
Et le vaisseau n’avait pas replié son aile
Que cent abris légers fleurissaient la forêt.
Les nonnes labouraient. L’une d’elle pleurait
Trouvant dans une lettre un sujet de chagrin.
Un moine intempérant s’enivrait de raisin.
Et l’on priait pour le pardon de ce péché
On cueillait des poisons à la cime des branches
Et les moines vanniers tressaient des urnes blanches.
Un forçat évadé qui vivait de la chasse
Fut guéri de ses plaies et touché de la grâce :
Devenu saint, de tous les autres adoré,
Il obligeait les fauves à leur lécher les pieds.
Et les oiseaux du ciel, les bêtes de la terre
Leur apportaient à tous les objets nécessaires.
Un jour on eut un orgue au creux de murs crépis
Des troupeaux de moutons qui mordaient les épis
Un moine est bourrelier, l’autre est distillateur
Le dimanche après vêpre on herborise en chœur.
Saluez le manguier et bénissez la mangue
La flûte du crapaud vous parle dans sa langue
Les autels sont parés de fleurs vraiment étranges
Leurs parfums attiraient le sourire des anges,
Des sylphes, des esprits blottis dans la forêt
Autour des murs carrés de la communauté.
Or voici qu’un matin quand l’Aurore saignante
Fit la nuée pure et plus fraîche la plante
La forêt où la vigne au cèdre s’unissait
Parut avoir la teigne. Un nègre apparaissait
Puis deux, puis cent, puis mille et l’herbe en était teinte
Et le Saint qui pouvait dompter les animaux
Ne put rien sur ces gens qui furent ses bourreaux.
La tête du couvent roula dans l’herbe verte
Et des moines détruits la place fut déserte
Sans que rien dans l’azur frémît de la mort.
C’est ainsi que vêtu d’innocence et d’amour
J’avançais en traçant mon travail chaque jour
Priant Dieu et croyant à la beauté des choses
Mais le rire cruel, les soucis qu’on m’impose
L’argent et l’opinion, la bêtise d’autrui
Ont fait de moi le dur bourgeois qui signe ici.
La rue Ravignan
Importuner mon Fils à l’heure où tout repose
Pour contempler un mal dont toi-même souris ?
L’incendie est comme une rose
Ouverte sur la queue d’un paon gris.
Je vous dois tout, mes douleurs et mes joies…
J’ai tant pleuré pour être pardonné !
Cassez le tourniquet où je suis mis en cage !
Adieu, barreaux, nous partons vers le Nil ;
Nous profitons d’un Sultan en voyage
Et des villas bâties avec du fil
L’orange et le citron tapisseraient la trame
Et les galériens ont des turbans au front.
Je suis mourant, mon souffle est sur les cimes !
Des émigrants j’écoute les chansons
Port de Marseille, ohé ! la jolie ville,
Les jolies filles et les beaux amoureux !
Chacun ici est chaussé d’espadrilles :
La Tour de Pise et les marchands d’oignons.
Je te regrette, ô ma rue Ravignan !
De tes hauteurs qu’on appelle antipodes
Sur les pipeaux m’ont enseigné l’amour
Douces bergères et leurs riches atours
Venues ici pour nous montrer les modes.
L’une était folle ; elle avait une bique
Avec des fleurs à ses cornes de Pan ;
L’autre pour les refrains de nos fêtes bacchiques
La vague et pure voix qu’eût rêvée Malibran.
L’impasse de Guelma a ses corrégidors
Et la rue Caulaincourt ses marchands de tableaux
Mais la rue Ravignan est celle que j’adore
Pour les cœurs enlacés de mes porte-drapeaux.
Là, taillant des dessins dans les perles que j’aime,
Mes défauts les plus grands furent ceux de mes poèmes.
Musique acidulée
Boum ! Dame ! Amsterdam.
Barège n’est pas Baume-les-Dames !
Papa n’est pas là !
L’ipéca du rat n’est pas du chocolat.
Gros lot du Congo ? oh ! le beau Limpopo !
Port du mort, il sort de l’or (bis).
Clair de mer de verre de terre
Rage, mage, déménage
Du fromage où tu nages
Papa n’est pas là.
L’ipéca du Maradjah de Nepala.
Pipi, j’ai envie
Hi ! faut y l’dire ici.
Vrai ? Vrai ?
La terre
Envolez-moi au-dessus des chandelles noires de la terre,
Au-dessus des cornes venimeuses de la terre.
Il n’y a de paix qu’au-dessus des serpents de la terre,
La terre est une grande bouche souillée,
Ses hoquets, ses rires à gorge déployée,
Sa toux, son haleine, ses ronflements quand elle dort
Me triturent l’âme. Attirez-moi dehors !
Secouez-moi ! empoignez-moi, et toi terre chasse-moi.
Surnaturel, je me cramponne à ton drapeau de soie
Que le grand vent me coule dans tes plis qui ondoient.
Je craque de discordes militaires avec moi-même,
Je me suis comme une poulie, une voiture de dilemmes
Et je ne pourrai dormir que dans vos évidences.
Je vous envie, phénix, faisan doré, condors….
Donnez-moi une couverture volante qui me porte
Au-dessus du tonnerre, dehors au cristal de vos portes.
La Babylone
La Babylone j’ai vu, Marie !
La Babylone j’ai vu, Jésus !
Sept étages et Jésus dessus !
Sept étages avec des colonnes.
Rez-de-chaussée les paresseux
Souliers cirés, esprit ni âme,
Jolis messieurs et jolies dames.
Au premier le riche et l’orgueil
Avec le tonnerre dans son œil.
Au second j’ai vu la colère
Taper du pied pour les faire taire
Depuis le bas jusqu’au fronton
Les sept étages des sept démons.
La puanteur chez les avares
Ceux qui ont pris la meilleure part
Et la luxure porc à porc
Avec les gourmands à la porte.
Jésus dessus, Jésus dessous
Mais on ne Le voit pas du tout.
Berthe la servante
Celui qui forgera la bague de nos noces
C’est Thomas de la grotte, le ferreur de chevaux
Malgré qu’il est sorcier.
Je veux mettre aux doigts blancs de votre belle main
L’anneau d’or tiède encor du marteau de l’enclume.
« Monsieur le Comte, je ne suis qu’une servante,
La servante du bar, du bar de cet hôtel !
-Ô Berthe ! si j’en juge par cette belle main
Diane vous êtes, métamorphosée en bonne.
Je vous ferai comtesse et je deviendrai dieu ! »
Monde ! monde ! pour moi tu n’es que pacotille !
Le lendemain des noces je l’ai trouvée défunte,
Défunte dans mes bras.
Monde ! monde ! tu n’es que pacotille
Puisque je l’ai perdue le lendemain des noces.
Venez ! le forgeron, le ferreur de chevaux,
Prenez-moi le moulage de son bras, de sa main
Car je veux le garder, garder sur mon bureau.
Surtout n’oubliez pas, ô ferreur de chevaux,
De lui passer au doigt l’anneau de mariage
Et faites-le rougir au feu
Pour qu’il s’enfonce dans le plâtre
Comme il est dans mon cœur.
Seule la haine pourrait égaler mon amour
Pour cette morte.

Le manteau impérial (extraits)

….Ô sœurs des corolles vermeilles,
Filles de la lumière, abeilles,
Envolez-vous de ce manteau !

Ruez-vous sur l’homme, guerrières !
Ô généreuses ouvrières,
Vous le devoir, vous la vertu,
Ailes d’or et flèches de flamme
Tourbillonnez sur cet infâme !
Dites-lui :  « Pour qui nous prends-tu ?

« Maudit ! nous sommes les abeilles !
Des chalets ombragés de treilles
Notre ruche orne le fronton ;
Nous volons dans l’azur écloses,
Sur la bouche ouverte des roses
Et sur les lèvres de Platon.

Ce qui sort de la fange y rentre.
Va trouver Tibère en son antre,
Et Charles neuf sur son balcon.
Va ! sur ta pourpre il faut qu’on mette,
Non les abeilles de l’Hymette,
Mais l’essaim noir de Montfaucon ! »

Et percez-le toutes ensemble,
Faites honte au peuple qui tremble,
Aveuglez l’immonde trompeur,
Acharnez-vous sur lui, farouches,
Et qu’il soit chassé par les mouches
Puisque les hommes en ont peur !

Le mendiant

Un pauvre homme passait dans le givre et le vent.
Je cognai sur ma vitre ; il s’arrêta devant
Ma porte, que j’ouvris d’une façon civile.
Les ânes revenaient du marché de la ville,
Portant les paysans accroupis sur leurs bâts.
C’était le vieux qui vit dans une niche au bas
De la montée, et rêve, attendant, solitaire,
Un rayon du ciel triste, un liard de la terre,
Tendant les mains pour l’homme et les joignant pour Dieu.
Je lui criai : « Venez vous réchauffer un peu.
Comment vous nommez-vous ? » Il me dit : « Je me nomme
Le pauvre. » Je lui pris la main : « Entrez, brave homme. »
Et je lui fis donner une jatte de lait.
Le vieillard grelottait de froid ; il me parlait,
Et je lui répondais, pensif et sans l’entendre.
« Vos habits sont mouillés, dis-je, il faut les étendre
Devant la cheminée. » Il s’approcha du feu.
Son manteau, tout mangé des vers, et jadis bleu,
Etalé largement sur la chaude fournaise,
Piqué de mille trous par la lueur de braise,
Couvrait l’âtre, et semblait un ciel noir étoilé.
Et, pendant qu’il séchait ce haillon désolé
D’où ruisselaient la pluie et l’eau des fondrières,
Je songeais que cet homme était plein de prières,
Et je regardais, sourd à ce que nous disions,
Sa bure où je voyais des constellations.

Demain, dès l’aube….

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Mort

Je vis cette faucheuse. Elle était dans son champ.
Elle allait à grands pas moissonnant et fauchant,
Noir squelette laissant passer le crépuscule.
Dans l’ombre où l’on dirait que tout tremble et recule,
L’homme suivait des yeux les lueurs de la faulx.
Et les triomphateurs sous les arcs triomphaux
Tombaient ; elle changeait en désert Babylone,
Le trône en échafaud et l’échafaud en trône,
Les roses en fumier, les enfants en oiseaux,
L’or en cendre, et les yeux des mères en ruisseaux.
Et les femmes criaient :- Rends-nous ce petit être.
Pour le faire mourir, pourquoi l’avoir fait naître ?-
Ce n’était qu’un sanglot sur terre, en haut, en bas ;
Des mains aux doigts osseux sortaient des noirs grabats,
Un vent froid bruissait dans les linceuls sans nombre ;
Les peuples éperdus semblaient sous la faulx sombre
Un troupeau frissonnant qui dans l’ombre s’enfuit ;
Tout était sous ses pieds deuil, épouvante et nuit.
Derrière elle, le front baigné de douces flammes,
Un ange souriant portait la gerbe d’âmes.

Napoléon II (extraits)
….Tous deux sont morts, Seigneur, votre droite est terrible !
Vous avez commencé par le maître invincible,
Par l’homme triomphant,
Puis vous avez enfin complété l’ossuaire ;
Dix ans vous ont suffi pour filer le suaire
Du père et de l’enfant !
Gloire, jeunesse, orgueil, biens que la tombe emporte !
L’homme voudrait laisser quelque chose à la porte,
Mais la mort lui dit non !
Chaque élément retourne où tout doit redescendre ;
L’air reprend la fumée, et la terre la cendre ;
L’oubli reprend le nom …..
A Canaris (extraits)
Canaris ! Canaris ! nous t’avons oublié !
Lorsque sur un héros le temps s’est replié,
Quand le sublime acteur a fait pleurer ou rire,
Et qu’il a dit le mot que Dieu lui donne à dire ;
Quand, venus au hasard des révolutions,
Les grands hommes ont fait leurs grandes actions,
Qu’ils ont jeté leur lustre, étincelant ou sombre,
Et qu’ils sont pas à pas redescendus dans l’ombre,
Leur nom s’éteint aussi. Tout est vain ! tout est vain !
Et jusqu’à ce qu’un jour le poète divin,
Qui peut créer un monde avec une parole,
Les prenne, et leur rallume au front une auréole,
Nul ne se souvient d’eux, et la foule aux cent voix
Qui rien qu’en les voyant hurlait d’aise autrefois,
Hélas ! si par hasard devant elle on les nomme,
Interroge et s’étonne, et dit : Quel est cet homme ?
Nous t’avons oublié. Ta gloire est dans la nuit.
Nous faisons bien encor toujours beaucoup de bruit ;
Mais plus de cris d’amour, plus de chants, plus de culte,
Plus d’acclamations pour toi dans ce tumulte !
Le bourgeois ne sait plus épeler ton grand nom.
Soleil qui t’es couché, tu n’as plus de Memnon !
Nous avons un instant crié : La Grèce ! Athènes !
Sparte ! Léonidas ! Botzaris ! Démosthènes !
Canaris, demi-dieu de gloire rayonnant !….
Puis l’entr’acte est venu, c’est bien ; et maintenant
Dans notre esprit, si plein de ton apothéose,
Nous avons tout rayé pour écrire autre chose.
Adieu les héros grecs ! leurs lauriers sont fanés !
Vers d’autres orients nos regards sont tournés………
Dans l’église de… (extraits)
C’était une humble église au cintre surbaissé
L’église où nous entrâmes
Où depuis trois cents ans avaient déjà passé
Et pleuré bien des âmes.
Elle était triste et calme à la chute du jour,
L’église où nous entrâmes ;
L’autel sans serviteur, comme un cœur sans amour,
Avait éteint ses flammes…..
…La main n’était plus là, qui, vivante et jetant
Le bruit par tous les pores,
Tout à l’heure pressait le clavier palpitant,
Plein de notes sonores….
L’orgue majestueux se taisait gravement
Dans la nef solitaire ;
L’orgue, le seul concert, le seul gémissement
Qui mêle aux cieux la terre….
….L’église s’endormait à l’heure où tu t’endors,
O sereine nature !
A peine quelque lampe au fond des corridors
Etoilait l’ombre obscure……
…..Et ces voix qui passaient disaient joyeusement :
« Bonjour ! gaîté ! délices !
A nous les coupes d’or pleines d’un vin charmant !
A d’autres les calices !
Jouissons ! l’heure est courte et tout fuit promptement,
L’urne est vite remplie !
Le nœud de l’âme au corps, hélas ! à tout moment
Dans l’ombre se délie.
Tirons de chaque objet ce qu’il a de meilleur,
La chaleur de la flamme,
Le vin du raisin mûr, le parfum de la fleur,
Et l’amour de la femme !
Epuisons tout ! Usons du printemps enchanté
Jusqu’au dernier zéphire,
Du jour jusqu’au dernier rayon, de la beauté
Jusqu’au dernier sourire !
Allons jusqu’à la fin de tout, en bon vivant,
D’ivresses en ivresses.
Une chose qui meurt, mes amis, a souvent
De charmantes caresses !
Dans le vin que je bois ce que j’aime le mieux
C’est la dernière goutte.
L’enivrante saveur du breuvage joyeux
Souvent s’y cache toute.
Sur chaque volupté pourquoi nous hâter tous,
Sans plonger dans son onde,
Pour voir si quelque perle ignorée avant nous
N’est pas sous l’eau profonde ?
Que sert de n’effleurer qu’à peine ce qu’on tient,
Quand on a les mains pleines,
Et de vivre essoufflé comme un enfant qui vient
De courir dans les plaines ?
Jouissons à loisir ! Du loisir tout renaît.
Le bonheur nous convie,
Faisons, comme un tison qu’on heurte au dur chenet,
Etinceler la vie.
N’imitons pas ce fou que l’ennui tient aux fers,
Qui pleure et qui s’admire.
Toujours les plus beaux fruits d’ici-bas sont offerts
Aux belles dents du rire……
….Vivons donc ! et buvons, du soir jusqu’au matin,
Pour l’oubli de nous-même !
Et déployons gaîment la nappe du festin,
Linceul du chagrin blême !….
… Les vrais biens de ce monde- et l’autre est importun !-
C’est tout ce qui nous fête,
Tout ce qui met un chant, un rayon, un parfum,
Autour de notre tête…. »
Souvenir d’enfance (extraits)
Dans une grande fête, un jour, au panthéon,
J’avais sept ans, je vis passer Napoléon.
Pour voir cette figure illustre et solennelle,
Je m’étais échappé de l’aile maternelle ;
Car il tenait déjà mon esprit inquiet.
Mais ma mère aux doux yeux, qui souvent s’effrayait
En m’entendant parler guerre, assauts et bataille,
Craignait pour moi la foule, à cause de ma taille.
Et ce qui me frappa, dans ma sainte terreur,
Quand au front du cortège apparut l’empereur,
Tandis que les enfants demandaient à leurs mères
Si c’est là ce héros dont on fait cent chimères,
Ce ne fut pas de voir tout ce peuple à grand bruit
Le suivre comme on suit un phare dans la nuit
Et se montrer de loin, sur la tête suprême,
Ce chapeau tout usé plus beau qu’un diadème,
Ni, pressés sur ses pas, dix vassaux couronnés
Regarder en tremblant ses pieds éperonnés,
Ni ces vieux grenadiers, se faisant violence,
Des cris universels s’enivrer en silence ;
Non, tandis qu’à genoux la ville tout en feu,
Joyeuse comme on est lorsqu’on n’a qu’un seul vœu,
Qu’on n’est qu’un même peuple et qu’ensemble on respire,
Chantait en chœur : Veillons au salut de l’empire !
Ce qui me frappa, dis-je, et me resta gravé,
Même après que le cri sur la route élevé
Se fut évanoui dans ma jeune mémoire,
Ce fut de voir, parmi ces fanfares de gloire,
Dans le bruit qu’il faisait, cet homme souverain
Passer muet et grave ainsi qu’un dieu d’airain.
Et le soir, curieux, je le dis à mon père,
Pendant qu’il défaisait son vêtement de guerre,
Et que je me jouais sur son dos indulgent
De l’épaulette d’or aux étoiles d’argent……
« …..Toujours l’intérieur de la terre travaille.
Son flanc universel incessamment tressaille.
Goutte à goutte, et sans bruit qui réponde à son bruit,
La source de tout fleuve y filtre dans la nuit.
Elle porte à la fois, sur sa face où nous sommes,
Les blés et les cités, les forêts et les hommes.
Vois, tout est vert au loin, tout rit, tout est vivant.
Elle livre le chêne et le brin d’herbe au vent.
Les fruits et les épis la couvrent à cette heure.
Eh bien ! déjà, tandis que ton regard l’effleure,
Dans son sein que n’épuise aucun enfantement,
Les futures moissons tremblent confusément.
Ainsi travaille, enfant, l’âme active et féconde
Du poète qui crée et du soldat qui fonde.
Mais ils n’en font rien voir. De la flamme à pleins bords
Qui les brûle au-dedans, rien ne luit au dehors »……
….Plus tard, une autre fois, je vis passer cet homme,
Plus grand dans son Paris que César dans sa Rome.
Des discours de mon père alors je me souvins.
On l’entourait encor d’honneurs presque divins,
Et je lui retrouvai, rêveur à son passage,
Et la même pensée et le même visage….
Pour les pauvres (extraits)
Dans vos fêtes d’hiver, riches, heureux du monde,
Quand le bal de ses feux vous inonde,
Quand partout à l’entour de vos pas vous voyez
Briller er rayonner cristaux, miroir, balustres,
Candélabres ardents, cercle étoilé des lustres,
Et la danse, et la joie au front des conviés ;
Tandis qu’un timbre d’or sonnant dans vos demeures
Vous change en joyeux chant la voix grave des heures,
Oh ! songez-vous parfois que, de faim dévoré,
Peut-être un indigent dans les carrefours sombres
S’arrête, et voit danser vos lumineuses ombres
Aux vitres du salon doré ?
Songez-vous qu’il est là sous le givre et la neige,
Ce père sans travail que la famine assiège ?
Et qu’il se dit tout bas : « Pour un seul que de biens !
A son large festin que d’amis se récrient !
Ce riche est bien heureux, ses enfants lui sourient.
Rien que dans leurs jouets que de pain pour les miens ! »
Et puis à votre fête il compare en son âme
Son foyer où jamais ne rayonne une flamme,
Ses enfants affamés, et leur mère en lambeau,
Et, sur un peu de paille, étendue et muette,
L’aïeule, que l’hiver, hélas ! a déjà faite
Assez froide pour le tombeau.
Car Dieu mit ces degrés aux fortunes humaines.
Les uns vont tout courbés sous le fardeau des peines ;
Au banquet du bonheur bien peu sont conviés ;
Tous n’y sont point assis également à l’aise.
Une loi, qui d’en bas semble injuste et mauvaise,
Dit aux uns : « Jouissez ! » aux autres : « Enviez ! »
Cette pensée est sombre, amère, inexorable,
Et fermente en silence au cœur du misérable.
Riches, heureux du jour, qu’endort la volupté,
Que ce ne soit pas lui qui des mains vous arrache
Tous ces biens superflus où son regard s’attache ;
Oh ! que ce soit la charité !….
….Que ce soit elle, oh ! oui, riches, que ce soit elle
Qui, bijoux, diamants, rubans, hochets, dentelle,
Perles, saphirs, joyaux toujours faux, toujours vains,
Pour nourrir l’indigent et pour sauver vos âmes,
Des bras de vos enfants et du sein de vos femmes
Arrache tout à pleines mains !……
Soleils couchants (extraits)
….Plus loin ! allons plus loin ! Aux feux du couchant sombre,
J’aime à voir dans les champs croître et marcher mon ombre.
Et puis, la ville est là ! je l’entends, je la voi.
Pour que j’écoute en paix ce que dit ma pensée,
Ce Paris, à la voix cassée,
Bourdonne encor trop près de moi….
….Oh ! sur des ailes, dans les nues,
Laissez-moi fuir ! laissez-moi fuir !
Loin des régions inconnues
C’est assez rêver et languir !
Laissez-moi fuir vers d’autres mondes…..
…..Allons ! des ailes ou des voiles !
Allons ! un vaisseau tout armé !
Je veux voir les autres étoiles
Et la croix du sud enflammé…..
….Quelquefois, sous les plis des nuages trompeurs,
Loin dans l’air, à travers les brèches des vapeurs
Par le vent du soir remuées,
Derrière les derniers brouillards, plus loin encor,
Apparaissent soudain les mille étages d’or
D’un édifice de nuées…..
….L’œil croit voir jusqu’au ciel monter, monter toujours,
Avec ses escaliers, ses ponts, ses grandes tours,
Quelque Babel démesurée.
Le soleil s’est couché ce soir dans les nuées,
Demain viendra l’orage, et le soir, et la nuit ;
Puis l’aube, et ses clartés de vapeurs obstruées,
Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s’enfuit.
Tous ces jours passeront ; ils passeront en foule
Sur la face des mers, sur la face des monts,
Sur les fleuves d’argent, sur les forêts où roule
Comme un hymne confus des morts que nous aimons.
Et la face des eaux, et le front des montagnes,
Ridés et non vieillis, et les bois toujours verts
S’iront rajeunissant ; le fleuve des campagnes
Prendra sans cesse aux monts le flot qu’il donne aux mers.
Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tête,
Je passe, et, refroidi sous ce soleil joyeux,
Je m’en irai bientôt, au milieu de la fête,
Sans que rien manque au monde immense et radieux.
Orbe 0°
Aspects Conjonction Sextil Carré Trigone Opposition Total
Probabilités 0,28% 0,56% 0,56% 0,56% 0,28% 2,22%
SoleilF-MercureH 1     0,16% 1     0,16% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 2     0,32%
MarsF-MarsH 1     0,16% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 1     0,16%
SoleilF-SoleilH 1     0,16% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 1     0,16%
MercureF-MercureH 1     0,16% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 1     0,16%
SoleilF-MarsH 1     0,16% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 1     0,16%
MercureF-MarsH 0     0,00% 1     0,16% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 1     0,16%
VénusF-MarsH 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 1     0,16% 0     0,00% 1     0,16%
VénusF-VénusH 1     0,16% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 1     0,16%
VénusF-MercureH 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00%
MarsF-VénusH 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00%
SoleilF-VénusH 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00%
MercureF-SoleilH 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00%
MarsF-SoleilH 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00%
MercureF-VénusH 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00%
MarsF-MercureH 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00%
VénusF-SoleilH 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00% 0     0,00%
TOTAL 6     0,06% 2     0,02% 0     0,00% 1     0,01% 0     0,00% 9     0,09%
La pente de la rêverie (extraits)
Amis, ne creusez pas vos chères rêveries ;
Ne fouillez pas le sol de vos plaines fleuries ;
Et, quand s’offre à nos yeux un océan qui dort,
Nagez à la surface ou jouez sur le bord,
Car la pensée est sombre ! Une pente insensible
Va du monde réel à la sphère invisible ;
La spirale est profonde, et, quand on y descend,
Sans cesse se prolonge et va s’élargissant ;
Et, pour avoir touché quelque énigme fatale,
De ce voyage obscur souvent on revient pâle !
L’autre jour, il venait de pleuvoir, car l’été,
Cette année, est de bise et de pluie attristé,
Et le beau mois de mai dont le rayon nous leurre
Prend le masque d’avril qui sourit et qui pleure.
J’avais levé le store aux gothiques couleurs.
Je regardais au loin les arbres et les fleurs.
Le soleil se jouait sur la pelouse verte
Dans les gouttes de pluie, et ma fenêtre ouverte
Apportait du jardin à mon esprit heureux
Un bruit d’enfants joueurs et d’oiseaux amoureux.
Paris, les grands ormeaux, maison, dôme, chaumière,
Tout flottait à mes yeux dans la riche lumière
De cet astre de mai dont le rayon charmant
Au bout de tout brin d’herbe allume un diamant.
Je me laissais aller à ces trois harmonies,
Printemps, matin, enfance, en ma retraite unies ;
La Seine, ainsi que moi, laissait son flot vermeil
Suivre nonchalamment sa pente, et le soleil
Faisait évaporer à la fois sur les grèves
L’eau du fleuve en brouillards et ma pensée en rêves.
Alors, dans mon esprit, je vis autour de moi
Mes amis, non confus, mais tels que je les voi
Quand ils viennent le soir, troupe et fidèle,
Vous avec vos pinceaux dont la pointe étincelle,
Vous, laissant échapper vos vers au vol ardent,
Et nous tous écoutant en cercle, ou regardant.
Ils étaient bien là tous, je voyais leurs visages,
Tous, même les absents qui font de longs voyages.
Puis tous ceux qui sont morts vinrent après ceux-ci,
Avec l’air qu’ils avaient quand ils vivaient aussi.
Quand j’eus, quelques instants, des yeux de ma pensée
Contemplé leur famille à mon foyer pressée,
Je vis trembler leurs traits confus, et par degrés
Pâlir en s’effaçant leurs fronts décolorés,
Et tous, comme un ruisseau qui dans un lac s’écoule,
Se perdre autour de moi dans une immense foule.
Foule sans nom ! chaos ! des voix, des yeux, des pas,
Ceux qu’on n’a jamais vus, ceux qu’on ne connaît pas…..
…..Tout dans mon esprit sombre allait, marchait, vivait !
Alors, en attachant, toujours plus attentives,
Ma pensée et ma vue aux mille perspectives
Que le souffle du vent ou le pas des saisons
M’ouvrait à tous moments dans tous les horizons,
Je vis soudain surgir, parfois du sein des ondes,
A côté des cités vivantes des deux mondes,
D’autres villes aux fronts étranges, inouïs,
Sépulcres ruinés des temps évanouis,
Pleines d’entassements, de tours, de pyramides,
Baignant leurs pieds aux mers, leur tête aux cieux humides.
Quelques-unes sortaient de dessous des cités
Où les vivants encor bruissent agités,
Et des siècles passés jusqu’à l’âge où nous sommes
Je pus compter ainsi trois étages de Romes.
Et tandis qu’élevant leurs inquiètes voix,
Les cités des vivants résonnaient à la fois
Des murmures du peuple ou du pas des armées.
Ces villes du passé, muettes et fermées,
Sans fumée à leurs toits, sans rumeurs dans leurs seins,
Se taisaient, et semblaient des ruches sans essaims.
J’attendais. Un grand bruit se fit. Les races mortes
De ces villes en deuil vinrent ouvrir les portes,
Et je les vis marcher ainsi que les vivants,
Et jeter seulement plus de poussière aux vents.
Alors, tours, aqueducs, pyramides, colonnes,
Je vis l’intérieur des vieilles Babylones,
Les Carthages, les Tyrs, les Thèbes, les Sions,
D’où sans cesse sortaient des générations.
Ainsi j’embrassais tout, et la terre, et Cybèle ;
La face antique auprès de la face nouvelle ;
Le passé, le présent ; les vivants et les morts ;
Le genre humain complet comme au jour du remords….
….Or, ce que je voyais, je doute que je puisse
Vous le peindre. C’était comme un grand édifice
Formé d’entassements de siècles et de lieux ;
On n’en pouvait trouver les bords ni les milieux ;
A toutes les hauteurs, nations, peuples, races,
Mille ouvriers humains, laissant partout leurs traces,
Travaillaient nuit et jour, montant, croisant leurs pas,
Parlant chacun leur langue et ne s’entendant pas ;
Et moi je parcourais, cherchant qui me réponde,
De degrés en degrés cette Babel du monde….
….Bientôt autour de moi les ténèbres s’accrurent,
L’horizon se perdit, les formes disparurent,
Et l’homme avec la chose et l’être avec l’esprit
Flottèrent à mon souffle, et le frisson me prit.
J’étais seul. Tout fuyait. L’étendue était sombre.
Je voyais seulement au loin, à travers l’ombre,
Comme d’un océan les flots noirs et pressés,
Dans l’espace et le temps les nombres entassés .
Oh ! cette double mer du temps et de l’espace
Où le navire humain toujours passe et repasse,
Je voulus la sonder, je voulus en toucher
Le sable, y regarder, y fouiller, y chercher,
Pour vous en rapporter quelque richesse étrange,
Et dire si son lit est de roche ou de fange.
Mon esprit plongea donc sous ce flot inconnu,
Au profond de l’abîme il nagea seul et nu,
Toujours de l’ineffable allant à l’invisible.
Soudain il s’en revint avec un cri terrible,
Ebloui, haletant, stupide, épouvanté,
Car il avait trouvé au fond l’éternité.
N° Situation maritale Date de naissance   Mars F   Mars H   Aspects
      Signe Degrés Signe Degrés Ecart  
5 Epouse 17/05/1925 Can 94,48 0      
  Epoux 12/12/1923 0   Sc 215,08 120,60 0    0    0     1    0
6 Epouse 17/05/1925 Can 94,48 0      
  Epoux 19/01/1926 0   Sa 255,18 160,70 0    0    0     0    0
7 Epouse 21/09/1925 Vi 174,97 0      
  Epoux 05/03/1922 0   Sa 246,98 72,01 0    0    0     0    0
8 Epouse 21/09/1925 Vi 174,97 0      
  Epoux 08/07/1933 0   Ba 180,58 5,61 1    0    0     0    0
9 Epouse 18/03/1926 Cap 296,27 0      
  Epoux 03/10/1921 0   Vi 158,48 137,79 0    0    0     0    0
10 Epouse 18/03/1926 Cap 296,27 0      
  Epoux 06/11/1925 0   Ba 204,97 91,30 0    0    1     0    0
11 Epouse 06/06/1926 P 353,73 0      
  Epoux 20/04/1926 0   Ve 320,10 33,63 0    0    0     0    0
12 Epouse 06/06/1926 P 353,73 0      
  Epoux 06/04/1931 0   L 121,72 127,99 0    0    0     1    0
17 Epouse 06/12/1927 Sc 238,27 0      
  Epoux 06/04/1926 0   Ve 309,97 71,70 0    0    0     0    0
18 Epouse 06/12/1927 Sc 238,27 0      
  Epoux 02/12/1927 0   Sc 235,45 2,82 1    0    0     0    0

Cn: Conjonction Sl: Sextil Cé: Carré Te: Trigone On: Opposition

   31 (extraits)

Laissez. Tous ces enfants sont bien là. Qui vous dit
Que la bulle d’azur que mon souffle agrandit
A leur souffle indiscret s’écroule ?
Qui vous dit que leur voix, leurs pas, leurs jeux, leurs cris,
Effarouchent la muse et chassent les péris ?
Venez, enfants, venez en foule !
Venez autour de moi ! riez, chantez, courez !
Votre œil me jettera quelques rayons dorés,
Votre voix charmera mes heures.
C’est la seule, en ce monde où rien ne nous sourit,
Qui vienne du dehors sans troubler dans l’esprit
Le chœur des voix intérieures.
Fâcheux, qui les vouliez écarter ! Croyez-vous
Que notre cœur n’est pas plus serein et plus doux
Au sortir de leurs jeunes rondes ?
Croyez-vous que j’ai peur quand je vois au milieu
De mes rêves rougis ou de sang ou de feu
Passer toutes ces têtes blondes ?
La vie est-elle donc si charmante à vos yeux,
Qu’il faille préférer à tout ce bruit joyeux
Une maison vide et muette ?
N’ôtez pas, la pitié même vous le défend,
Un rayon de soleil, un sourire d’enfant
Au ciel sombre, au cœur du poète !…..
…..Oh ! que j’aime mieux ma joie et mon plaisir,
Et toute ma famille avec tout mon loisir,
Dût la gloire ingrate et frivole,
Dussent mes vers, troublés de ces ris familiers,
S’enfuir, comme devant un essaim d’écoliers
Une troupe d’oiseaux s’envolent !….
…..Venez, enfants ! A vous jardins, cours, escaliers !
Ebranlez et planchers, et plafonds, et piliers !
Que le jour s’achève ou renaisse,
Courez et bourdonnez comme l’abeille aux champs !
Ma joie et mon bonheur et mon âme et mes chants
Iront où vous irez, jeunesse !…..
…..Moi, quelque soit le monde, et l’homme, et l’avenir,
Soit qu’il faille oublier ou se ressouvenir,
Que Dieu m’afflige ou me console,
Je ne veux habiter la cité des vivants
Que dans une maison qu’une rumeur d’enfants
Fasse toujours vivante et folle.
De même, si jamais enfin je vous revois,
Beau pays dont la langue est faite pour ma voix,
Dont mes yeux aimaient les campagnes,
Bords où mes pas enfants suivaient Napoléon,
Fortes villes du Cid ! ô Valence, ô Léon,
Castille, Aragon, mes Espagnes !
Je ne veux traverser vos plaines, vos cités,
Franchir vos ponts d’une arche entre deux monts jetés,
Voir vos palais romains ou maures,
Votre Guadalquivir qui serpente et s’enfuit,
Que dans ces chars dorés qu’emplissent de leur bruit
Les grelots des mules sonores.
32
Quand le livre où s’endort chaque soir ma pensée,
Quand l’air de la maison, les soucis du foyer,
Quand le bourdonnement de la ville insensée
Où toujours on entend quelque chose crier,
Quand tous ces mille soins de misère ou de fête
Qui remplissent nos jours, cercle aride et borné,
Ont tenu trop longtemps, comme un joug sur ma tête,
Le regard de mon âme à la terre tourné ;
Elle s’échappe enfin, va, marche, et dans la plaine
Prend le même sentier qu’elle prendra demain,
Qui l’égare au hasard et toujours la ramène,
Comme un coursier prudent qui connaît le chemin.
Elle court aux forêts, où dans l’ombre indécise
Flottent tant de rayons, de murmures, de voix,
Trouve la rêverie au premier arbre assise,
Et toutes deux s’en vont ensemble dans les bois.
34 (extraits)
….Quand l’enfant vient, la joie arrive et nous éclaire.
On rit, on se récrie, on l’appelle, et sa mère
Tremble à le voir marcher…
…L’enfant paraît, adieu le ciel et la patrie
Et les poètes saints ! la grave causerie
S’arrête en souriant…..
….Seigneur ! préservez-moi,  préservez ceux que j’aime,
Frères, parents, amis, et mes ennemis même
Dans le mal triomphants,
De jamais voir, Seigneur, l’été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
La maison sans enfants !
36
Parfois, lorsque tout dort, je m’assieds plein de joie
Sous le dôme étoilé qui sur nos fronts flamboie ;
J’écoute si d’en haut il tombe quelque bruit ;
Et l’heure vainement me frappe de son aile
Quand je contemple, ému, cette fête éternelle
Que le ciel rayonnant donne au monde la nuit.
Souvent alors j’ai cru que ces soleils de flamme
Dans ce monde endormi n’échauffaient que mon âme ;
Qu’à les comprendre seul j’étais prédestiné ;
Que j’étais, moi, vaine ombre obscure et taciturne,
Le roi mystérieux de la pompe nocturne ;
Que le ciel pour moi seul s’était illuminé !

ier/coller depuis Word.

Ce qu’on entend sur la montagne (extraits)
Avez-vous quelquefois, calme et silencieux,
Monté sur la montagne, en présence des cieux ?
Etait-ce aux bords du Sund ? aux côtes de Bretagne ?
Aviez-vous l’océan au pied de la montagne ?
Et là, penché sur l’onde et sur l’immensité,
Calme et silencieux avez-vous écouté ?
Voici ce qu’on entend. Du moins un jour qu’en rêve
Ma pensée abattit son vol sur une grève
Et, du sommet d’un mont plongeant au gouffre amer,
Vit d’un côté la terre et de l’autre la mer,
J’écoutai, j’entendis, et jamais voix pareille
Ne sortit d’une bouche et n’émut une oreille.
Ce fut d’abord un bruit large, immense, confus,
Plus vague que le vent dans les arbres touffus,
Plein d’accords éclatants, de suaves murmures,
Doux comme un chant du soir, fort comme un choc d’armures
Quand la sourde mêlée étreint les escadrons
Et souffle, furieuse, aux bouches des clairons.
C’était une musique ineffable et profonde,
Qui, fluide, oscillait sans cesse autour du monde……
 
A un voyageur (extraits)
Ami, vous revenez d’un de ces longs voyages
Qui nous font vieillir vite et nous changent en sages
Au sortir du berceau.
De tous les océans votre course a vu l’onde,
Hélas ! et vous feriez une ceinture au monde
Du sillage du vaisseau.
Le soleil de vingt cieux a mûri votre vie.
Partout où vous mena votre inconstante envie,
Jetant et ramassant,
Pareil au laboureur qui récolte et qui sème,
Vous avez pris des lieux et laissé de vous-même
Quelque chose en passant ;
Tandis que votre ami, moins heureux et moins sage,
Attendait des saisons l’uniforme passage
Dans le même horizon,
Et comme l’arbre vert qui de loin la dessine,
A sa porte effeuillant ses jours, prenait racine
Au seuil de sa maison….
……Or, maintenant, le cœur plein de choses profondes,
Des enfants dans vos mains tenant les têtes blondes,
Vous me parlez ici,
Et vous me demandez, sollicitude amère !
« Où donc ton père ? où donc ton fils, où donc ta mère ! »
Ils voyagent aussi !
Le voyage qu’ils font n’a ni soleil ni lune ;
Nul homme n’y peut rien porter de sa fortune,
Tant le maître est jaloux !
Le voyage qu’ils font est profond et sans bornes,
On le fait à pas lents, parmi des faces mornes,
Et nous le ferons tous !
J’étais à leur départ comme j’étais au vôtre.
En diverses saisons, tous trois, l’un après l’autre,
Ils ont pris leur essor.
Hélas ! j’ai mis en terre, à cette heure suprême,
Ces têtes que j’aimais ? Avare, j’ai moi-même
Enfoui mon trésor…..
….Maintenant ils sont là, tous trois dorment dans l’ombre,
Tandis que leurs esprits font le voyage sombre,
Et vont où nous irons.
Si vous voulez, à l’heure où la lune décline,
Nous monterons tous deux la nuit sur la colline
Où gisent nos aïeux.
Je vous dirai, montrant à votre vue amie
La ville morte auprès de la ville endormie :
Laquelle dort le mieux ?
Venez ; muets tous deux et couchés contre terre,
Nous entendrons, tandis que Paris fera taire
Son vivant tourbillon,
Ces millions de morts, moisson du fils de l’homme,
Sourdre confusément dans leurs sépulcres, comme
Le grain dans le sillon.
Combien vivent joyeux, qui devaient, sœurs ou frères,
Faire un pleur éternel de quelques ombres chères !
Pouvoir des ans vainqueurs !
Les morts durent bien peu. Laissons-les sous la pierre !
Hélas ! dans le cercueil ils tombent en poussière
Moins vite qu’en nos cœurs !
Voyageur ! voyageur ! Quelle est notre folie !
Qui sait combien de morts à chaque heure on oublie,
Des plus chers, des plus beaux ?
Qui peut savoir combien toute douleur s’émousse,
Et combien sur la terre un jour d’herbe qui pousse
Efface de tombeaux ?
A M de Lamartine (extraits)
…..Voilà quelle était ma pensée,
Quand sur le flot sombre et grossi
Je risquai ma nef insensée,
Moi, je cherchais un monde aussi !…..
….Seul je suis resté sous la nue.
Depuis, l’orage continue,
Le temps est noir, le vent mauvais ;
L’ombre m’enveloppe et m’isole,
Et, si je n’avais ma boussole,
Je ne saurais pas où je vais…..
….Oublie l’onde et l’aventure,
Et le labeur de la mâture,
Et le souffle orageux du nord ;
Triomphe à l’abri des naufrages,
Et ris-toi de tous les orages
Qui rongent les chaînes du port !……
30 (extraits)
….Sans doute ils sont heureux les héros, les poètes,
Ceux que le bras fait rois, ceux que l’esprit fait dieux.
Il est beau, conquérant, législateur, prophète,
De marcher dépassant les hommes de la tête,
D’être en la nuit de tous un éclatant flambeau ;
Et que de vos vingt ans vingt siècles se souviennent !…
Voilà ce que je dis. Puis des pitiés me viennent
Quand je pense à tous ceux qui sont dans les tombeaux !
22 (extraits)
Ce siècle avait deux ans. Rome remplaçait Sparte,
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
Et du premier consul déjà, par maint endroit,
Le front de l’empereur brisait le masque étroit.
Alors dans Besançon, vieille ville espagnole,
Naquit d’un sang breton et lorrain à la fois
Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ;
Si débile, qu’il fut, ainsi qu’une chimère,
Abandonné de tous, excepté de sa mère,
Et que son cou ployé comme un frêle roseau
Fit faire en même temps sa bière et son berceau.
Cet enfant que la vie effaçait de son livre,
Et qui n’avait pas même un lendemain à vivre,
C’est moi.
Je vous dirai peut-être quelque jour
Quel lait pur, que de soins, que de vœux, que d’amour,
Prodigués pour ma vie en naissant condamnée,
M’ont fait deux fois l’enfant de ma mère obstinée ;
Ange qui sur trois fils attachés à ses pas
Epandait son amour et ne mesurait pas !
Oh ! l’amour d’une mère ! amour que nul n’oublie !
Pain merveilleux qu’un dieu partage et multiplie !
Table toujours servie au paternel foyer !
Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier !…..
……Maintenant, jeune encore et souvent éprouvé,
J’ai plus d’un souvenir profondément gravé,
Et l’on peut distinguer bien des choses passées
Dans ces plis de mon front que creusent mes pensées.
Certes, plus d’un vieillard sans flamme et sans cheveux,
Tombé de lassitude au bout de tous ses vœux,
Pâlirait, s’il voyait, comme un gouffre dans l’onde,
Mon âme où ma pensée habite comme un monde,
Tout ce que j’ai souffert, tout ce que j’ai tenté,
Tout ce qui m’a menti comme un fruit avorté,
Mon plus beau temps passé sans espoir qu’il renaisse,
Les amours, les travaux, les deuils de ma jeunesse,
Et, quoique encor à l’âge où l’avenir sourit,
Le livre de mon cœur à toute page écrit……
A M. Louis B. (extraits)
Louis, quand vous irez, dans un de vos voyages,
Voir Bordeaux, Pau, Bayonne et ses charmants rivages,
Toulouse la romaine, où dans des jours meilleurs
J’ai cueilli tout enfant la poésie en fleurs,
Passez par Blois. Et là, bien volontiers sans doute,
Laissez dans le logis vos compagnons de route,
Et tandis qu’ils joueront, riront ou dormiront,
Vous, avec vos pensers qui haussent votre front,
Montez à travers Blois cet escalier de rues
Que n’inonde jamais la Loire au temps des crues ;
Laissez là le château, quoique sombre et puissant,
Quoiqu’il ait à la face une tache de sang ;
Admirez, en passant, cette tour octogone
Qui fait à ses huit pans hurler une gorgone ;
Mais passez. Et sorti de la ville, au midi,
Cherchez un tertre vert, circulaire, arrondi,
Que surmonte un grand arbre, un noyer, ce me semble,
Comme au cimier d’un casque une plume qui tremble.
Vous le reconnaîtrez, ami, car, tout rêvant,
Vous l’aurez vu de loin sans doute en arrivant.
Sur le tertre monté, que la plaine bleuâtre,
Que la ville étagée en long amphithéâtre,
Que l’église, ou la Loire et ses voiles aux vents,
Et ses mille archipels plus que ses flots mouvants,
Et de Chambord là-bas au loin les cent tourelles
Ne fassent pas voler votre pensée entre elles.
Ne levez pas vos yeux si haut que l’horizon,
Regardez à vos pieds…..
Louis, cette maison
Qu’on voit, bâtie en pierre et d’ardoise couverte,
Blanche et carrée, au bas de la colline verte,
Et qui, fermée à peine aux regards étrangers,
S’épanouit charmante entre ses deux vergers,
C’est là. Regardez bien. C’est le toit de mon père.
C’est ici qu’il s’en vint dormir après la guerre,
Celui que tant de fois mes vers vous ont nommé,
Que vous n’avez pas vu, qui vous aurait aimé !….
….Voilà que va bientôt sur sa tête vieillie
Descendre la sagesse austère et recueillie ;
Voilà que ses beaux ans s’envolent tour à tour,
Emportant l’un sa joie et l’autre son amour,
Ses songes de grandeur et de gloire ingénue,
Et que pour travailler son âme reste nue ,
Laissant là l’espérance et les rêves dorés,
Ainsi que la glaneuse, alors que dans les prés
Elle marche, d’épis emplissant sa corbeille,
Quitte son vêtement de fête de la veille.
Mais, le soir, la glaneuse aux branches d’un buisson
Reprendra ses atours, et chantant sa chanson
S’en reviendra parée, et belle, et consolée ;
Tandis que cette vie, âpre et morne vallée,
N’a point de buisson vert où l’on retrouve un jour
L’espoir, l’illusion, l’innocence et l’amour !
Il continuera donc sa tâche commencée,
Tandis que sa famille, autour de lui pressée,
Sur son front, où des ans s’imprimera le cours,
Verra tomber sans cesse et s’amasser toujours,
Comme les feuilles d’arbre au vent de la tempête,
Cette neige des jours qui blanchit notre tête !…..
….Une maison à Blois ! riante, quoiqu’en deuil,
Elégante et petite, avec un lierre au seuil,
Et qui fait soupirer le voyageur d’envie
Comme un charmant asile à reposer sa vie,
Tant sa neuve façade a de fraîches couleurs,
Tant son front est caché dans l’herbe et dans les fleurs !
Maison ! sépulcre ! hélas ! pour retrouver quelque ombre
De ce père parti sur le navire sombre,
Où faut-il que le fils aille égarer ses pas ?……
Rêverie d’un passant (extraits) 8 mai 1830
Voitures et chevaux à grand bruit, l’autre jour,
Menaient le roi de Naples au gala de la cour.
J’étais au Carrousel, passant avec la foule
Qui par ses trois guichets incessamment s’écoule
Et traverse ce lieu quatre cent fois par an
Pour regarder un prince ou voir l’heure au cadran.
Je suivais lentement, comme l’onde suit l’onde,
Tout ce peuple, songeant qu’il était dans le monde,
Certes, le fils aîné du vieux peuple romain,
Et qu’il avait un jour, d’un revers de sa main,
Déraciné du sol les tours de la Bastille.
Je m’arrêtai ; le suisse avait fermé la grille.
Et le tambour battait, et parmi les bravos
Passait chaque voiture avec ses huit chevaux.
La fanfare emplissait la vaste cour, jonchée
D’officiers redressant leur tête empanachée ;
Et les royaux coursiers marchaient sans s’étonner,
Fiers de voir devant eux des drapeaux s’incliner.
Or, attentive au bruit, une femme, une vieille,
En haillons, et portant au bras quelque corbeille,
Branlant son chef ridé disait à haute voix :
« Un roi ! sous l’empereur, j’en ai tant vu, des rois ! »
Alors je ne vis plus des voitures dorées
La haute impériale et les rouges livrées,
Et, tandis que passait et repassait cent fois
Tout ce peuple inquiet plein de confuses voix,
Je rêvai. Cependant la vieille vers la Grève
Poursuivait son chemin en me laissant mon rêve,
Comme l’oiseau qui va, dans la forêt lâché,
Laisse trembler la feuille où son aile à touché.
Oh ! disais-je, la main sur mon front étendue,
Philosophie, au bas du peuple descendue !
Des petits sur les grands grave et hautain regard !
Où ce peuple est venu le peuple arrive tard ;
Mais il est arrivé. Le voilà qui dédaigne !
Il n’est rien qu’il admire, ou qu’il aime, ou qu’il craigne.
Il sait tirer de tout d’austères jugements,
Tant le marteau de fer des grands évènements
A, dans ces durs cerveaux qu’il façonnait sans cesse,
Comme un coin dans le chêne enfoncé la sagesse !…..
….O rois, veillez, veillez ! tâchez d’avoir régné.
Ne nous reprenez pas ce qu’on avait gagné ;
Ne faites point, des coups d’une bride rebelle,
Cabrer la liberté qui vous porte avec elle ;
Soyez de votre temps, écoutez ce qu’on dit,
Et tâchez d’être grands, car le peuple grandit.
Ecoutez, écoutez, à l’horizon immense,
Ce bruit qui parfois tombe et soudain recommence,
Ce murmure confus, ce sourd frémissement
Qui roule et qui s’accroît de moment en moment.
C’est le peuple qui vient ! c’est la haute marée
Qui monte incessamment par son astre attirée.
Chaque siècle, à son tour, qu’il soit d’or ou de fer,
Dévoré comme un cap sur qui monte la mer,
Avec ses lois, ses mœurs, les monuments qu’il fonde,
Vains obstacles qui font à peine écumer l’onde,
Avec tout ce qu’on vit et qu’on ne verra plus,
Disparaît sous ce flot qui n’a pas de reflux,
Le sol toujours s’en va, le flot toujours s’élève.
Malheur à qui le soir s’attarde sur la grève
Et ne demande pas au pêcheur qui s’enfuit
D’où vient qu’à l’horizon on entend ce grand bruit !
Rois, hâtez-vous ! rentrez dans le siècle où nous sommes,
Quittez l’ancien rivage ! A cette mer des hommes
Faites place, ou voyez si vous voulez périr
Sur le siècle passé que son flot doit couvrir !
Ainsi, ce qu’en passant avait dit cette femme
Remuait mes pensées dans le fond de mon âme…..
N° Situation maritale Date de naissance   Mars F   Vénus H   Aspects
      Signe Degrés Signe Degrés Ecart Cn  Sl  Cé  Te  Op
5 Epouse 17/05/1925 Can 94,48 0      
  Epoux 12/12/1923 0   Cap 282,15 172,33 0    0    0     0    1
6 Epouse 17/05/1925 Can 94,48 0      
  Epoux 19/01/1926 0   Ve 326,05 128,43 0    0    0     0    0
7 Epouse 21/09/1925 Vi 174,97 0      
  Epoux 05/03/1922 0   P 349,43 174,46 0    0    0     0    1
8 Epouse 21/09/1925 Vi 174,97 0      
  Epoux 08/07/1933 0   L 126,03 48,94 0    0    0     0    0
9 Epouse 18/03/1926 Cap 296,27 0      
  Epoux 03/10/1921 0   Vi 158,27 138,00 0    0    0     0    0
10 Epouse 18/03/1926 Cap 296,27 0      
  Epoux 06/11/1925 0   Sa 268,95 27,32 0    0    0     0    0
11 Epouse 06/06/1926 P 353,73 0      
  Epoux 20/04/1926 0   P 342,90 10,83 0    0    0     0    0
12 Epouse 06/06/1926 P 353,73 0      
  Epoux 06/04/1931 0   P 336,13 17,60 0    0    0     0    0
17 Epouse 06/12/1927 Sc 238,27 0      
  Epoux 06/04/1926 0   Ve 329,85 91,58 0    0    1     0    0
18 Epouse 06/12/1927 Sc 238,27 0      
  Epoux 02/12/1927 0   Ba 202,47 35,80 0    0    0     0    0

Cn: Conjonction Sl: Sextil Cé: Carré Te: Trigone On: Opposition

01 La bataille perdue (extraits)
…..Allah ! qui me rendra ma redoutable armée ?
La voilà par les champs tout entière semée,
Comme l’or d’un prodigue épars sur le pavé.
Quoi ! chevaux, cavaliers, arabes et tartares ;
Leurs turbans, leur galop, leurs drapeaux, leurs fanfares,
C’est comme si j’avais rêvé !
O mes vaillants soldats et leurs coursiers fidèles !
Leur voix n’a plus de bruit et leurs pieds n’ont plus d’ailes.
Ils ont oublié tout, et le sabre et le mors.
De leurs corps entassés cette vallée est pleine.
Voilà pour bien longtemps une sinistre plaine.
Ce soir, l’odeur du sang ; demain, l’odeur des morts.
Quoi ! c’était une armée, et ce n’est plus qu’une ombre.
Ils se sont bien battus, de l’aube à la nuit sombre,
Dans le cercle fatal ardents à se presser.
Les noirs linceuls des nuits sur l’horizon se posent.
Les braves ont fini. Maintenant ils reposent,
Et les corbeaux vont commencer.
Déjà, passant leur bec entre leurs plumes noires,
Du fond des bois, du haut des chauves promontoires,
Ils accourent ; des morts ils rongent les lambeaux ;
Et cette armée, hier formidable et suprême,
Cette puissante armée, hélas ! ne peut plus même
Effaroucher un aigle et chasser les corbeaux !
Oh ! si j’avais encor cette armée immortelle,
Je voudrais conquérir des mondes avec elle ;
Je la ferais régner sur les rois ennemis ;
Elle serait ma sœur, ma dame et mon épouse.
Mais que fera la mort, inféconde et jalouse,
De tant de braves endormis ?
Que n’ai-je été frappé ! que n’a sur la poussière
Roulé mon vert turban avec ma tête altière !…..
….Hier j’avais des châteaux, j’avais de belles villes,
Des Grecques par milliers à vendre aux juifs serviles ;
J’avais de grands harems et de grands arsenaux.
Aujourd’hui, dépouillé, vaincu, proscrit, funeste,
Je fuis…. De mon empire, hélas ! rien ne me reste.
Allah ! je n’ai plus même une tour à créneaux !
Il faut fuir, moi, pacha, moi, vizir à trois queues !
Franchir l’horizon vaste et les collines bleues,
Furtif, baissant les yeux, presque tendant la main,
Comme un voleur qui fuit troublé dans les ténèbres,
Et croit voir des gibets dressant leurs bras funèbres
Dans tous les arbres du chemin !
Ainsi parlait Reschid, le soir de sa défaite.
Nous eûmes mille Grecs tués à cette fête.
Mais le vizir fuyait, seul, ce champ meurtrier.
Rêveur, il essuyait son rouge cimeterre ;
Deux chevaux près de lui du pied battaient la terre,
Et, vides, sur leurs flancs sonnaient les étriers.
02 L’enfant (extraits)
Les Turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil.
Chio, l’île des vins, n’est plus qu’un sombre écueil.
Chio, qu’ombrageaient les charmilles,
Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois,
Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois
Un chœur dansant de jeunes filles.
Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis,
Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,
Courbait sa tête humiliée.
Il avait pour asile, il avait pour appui
Une blanche aubépine, une fleur, comme lui
Dans le grand ravage oubliée.
« Ah ! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux !
Hélas, pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus….
…. Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner
Pour attacher gaiment et gaiment ramener
En boucles sur ta blanche épaule
Ces cheveux, qui du fer n’ont pas subi l’affront,
Et qui pleurent épars autour de ton beau front,
Comme les feuilles sur le saule ?…
….Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois,
Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois,
Plus éclatant que les cymbales ?
Que veux-tu ? fleur, beau fruit, ou l’oiseau merveilleux ? »
« Ami », dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus,
« Je veux de la poudre et des balles. »
03 Fantômes (extraits)
Hélas ! que j’en ai vu mourir des jeunes filles !
C’est le destin. Il faut une proie au trépas.
Il faut que l’herbe tombe au tranchant des faucilles,
Il faut que dans le bal les folâtres quadrilles
Foulent des roses sous leurs pas.
Il faut que l’eau s’épuise à courir les vallées,
Il faut que l’éclair brille, et brille peu d’instants ,
Il faut qu’avril jaloux brûle de ses gelées
Le beau pommier, trop fier de ses fleurs étoilées,
Neige odorante du printemps…..
…..Que j’en ai vu mourir ! L’une était rose et blanche ;
L’autre semblait ouïr de célestes accords ;
L’autre, faible, appuyait d’un bras son front qui penche
Et, comme en s’envolant l’oiseau courbe la branche,
Son âme avait brisé son corps.
Une, pâle, égarée, en proie au noir délire,
Disait tout bas un nom dont nul ne se souvient ;
Une s’évanouit, comme un chant sur la lyre ;
Une autre en expirant avait le doux sourire
D’un jeune ange qui s’en revient.
Toutes fragiles fleurs, sitôt mortes que nées !….
….Doux fantômes ! c’est là, quand je rêve dans l’ombre,
Qu’ils viennent tour à tour m’entendre et me parler.
Un jour douteux me montre et me cache leur nombre.
A travers les rameaux et le feuillage sombre
Je vois leurs yeux étinceler.
Mon âme est une sœur pour ces ombres si belles.
La vie et le tombeau pour nous n’ont plus de loi.
Tantôt j’aide leurs pas, tantôt je prends leurs ailes.
Vision ineffable où je suis mort comme elles,
Elles, vivantes comme moi !
Elles prêtent leur forme à toutes mes pensées.
Je les vois ! je les vois ! Elles me disent : Viens !
Puis autour d’un tombeau dansent entrelacées ;
Puis s’en vont lentement, par degrés éclipsées.
Alors je songe et me souviens….
Une surtout. Un ange, une jeune Espagnole !
Blanches mains, sein gonflé de soupirs innocents,
Un œil noir, où luisaient des regards de créole,
Et ce charme inconnu, cette fraîche auréole
Qui couronne un front de quinze ans !
Non, ce n’est point d’amour qu’elle est morte ; pour elle,
L’amour n’avait encor ni plaisirs ni combats :
Rien ne faisait encor battre son cœur rebelle ;
Quand tous en la voyant s’écriaient : Qu’elle est belle !
Nul ne le lui disait tout bas……
…..Elle aimait trop le bal. Quand venait une fêye,
Elle y pensait trois jours, trois nuits elle en rêvait,
Et femmes, musiciens, danseurs que rien n’arrête
Venaient, dans son sommeil, troublant sa jeune tête,
Rire et bruire à son chevet.
Puis c’étaient des bijoux, des colliers, des merveilles,
Des ceintures de moire aux ondoyants reflets ;
Des tissus plus légers que des ailes abeilles ;
Des festons, des rubans, à remplir des corbeilles ;
Des fleurs, à payer un palais !
La fête commencée, avec ses sœurs rieuses
Elle accourait, froissant l’éventail sous ses doigts,
Puis s’asseyait parmi les écharpes soyeuses,
Et son cœur éclatait en fanfares joyeuses,
Avec l’orchestre aux mille voix.
C’était plaisir de voir danser la jeune fille !
Sa basquine agitait ses paillettes d’azur ;
Ses grands yeux noirs brillaient sous la noire mantille,
Telle une double étoile au front des nuits scintille
Sous les plis d’un nuage obscur.
Tout en elle était danse, et rire, et folle joie….
….Mais elle, par la valse ou la ronde emportée,
Volait, et revenait, et ne respirait pas,
Et s’enivrait des sons de la flûte vantée,
Des fleurs, des lustres d’or, de la fête enchantée,
Du bruit des voix, du bruit des pas.
Quel bonheur de bondir, éperdue, en la foule,
De sentir par le bal ses sens multipliés,
Et de ne pas savoir si dans la nue on roule,
Si l’on chasse en fuyant la terre, ou si l’on foule
Un flot tournoyant sous ses pieds !
Mais, hélas ! il fallait, quand l’aube était venue,
Partir, attendre au seuil le manteau de satin.
C’est alors que souvent la danseuse ingénue
Sentit en frissonnant sur son épaule nue
Glisser le souffle du matin.
Quels tristes lendemains laisse le bal folâtre !
Adieu, parure et danse, et rires enfantins !
Aux chansons succédait la toux opiniâtre,
Au plaisir rose et frais la fièvre au teint bleuâtre,
Aux yeux brillants les yeux éteints.
Elle est morte. A quinze ans, belle, heureuse, adorée,
Morte au sortir d’un bal qui nous mit tous en deuil,
Morte, hélas ! et des bras d’une mère égarée
La mort aux froides mains la prit toute parée,
Pour l’endormir dans le cercueil.
Pour danser d’autres bals elle était encor prête,
Tant la mort fut pressée à prendre un corps si beau !
Et ces roses d’un jour qui couronnaient sa tête,
Qui s’épanouissaient la veille en une fête,
Se fanèrent dans un tombeau.
Sa pauvre mère ! hélas ! de son sort ignorante,
Avait mis tant d’amour sur ce frêle roseau,
Et si longtemps veillé son enfance souffrante,
Et passé tant de nuits à l’endormir pleurante
Toute petite en son berceau !
A quoi bon ? Maintenant la jeune trépassée,
Sous le plomb du cercueil, livide, en proie au ver,
Dort ; et si, dans la tombe où nous l’avons laissée,
Quelque fête des morts la réveille glacée,
Par une belle nuit d’hiver,
Un spectre au rire affreux à sa morne toilette
Préside au lieu de mère, et lui dit : « Il est temps ! »
Et, glaçant d’un baiser sa lèvre violette,
Passe les doigts noueux de sa main de squelette
Sous ses cheveux longs et flottants.
Pui, tremblante, il l’a mène à la danse fatale,
Au chœur aérien dans l’ombre voltigeant ;
Et sur l’horizon gris la lune est large et pâle,
Et l’arc-en-ciel des nuits teint d’un reflet d’opale
Le nuage aux franges d’argent.
Vous toutes qu’à ses jeux le bal riant convie,
Pensez à l’Espagnole éteinte sans retour,
Jeunes filles ! Joyeuse et d’une main ravie,
Elle allait moissonnant les roses de la vie,
Beauté, plaisir, jeunesse, amour !
La pauvre enfant, de fête en fête promenée,
De ce bouquet charmant arrangeait les couleurs.
Mais qu’elle a passé vite, hélas ! l’infortunée !
Ainsi qu’Ophélie par le fleuve entraînée,
Elle est morte en cueillant des fleurs !
N° Situation maritale Date de naissance   Vénus F   Mars H   Aspects
      Signe Degrés Signe Degrés Ecart Cn  Sl  Cé  Te  Op
5 Epouse 17/05/1925 G 61,63 0      
  Epoux 12/12/1923 0   Sc 215,08 153,45 0    0    0     0    0
6 Epouse 17/05/1925 G 61,63 0      
  Epoux 19/01/1926 0   Sa 255,18 166,45 0    0    0     0    0
7 Epouse 21/09/1925 Sc 215,83 0      
  Epoux 05/03/1922 0   Sa 246,98 31,15 0    0    0     0    0
8 Epouse 21/09/1925 Sc 215,83 0      
  Epoux 08/07/1933 0   Ba 180,58 35,25 0    0    0     0    0
9 Epouse 18/03/1926 Ve 315,87 0      
  Epoux 03/10/1921 0   Vi 158,48 157,39 0    0    0     0    0
10 Epouse 18/03/1926 Ve 315,87 0      
  Epoux 06/11/1925 0   Ba 204,97 110,90 0    0    0     0    0
11 Epouse 06/06/1926 T 33,60 0      
  Epoux 20/04/1926 0   Ve 320,10 73,50 0    0    0     0    0
12 Epouse 06/06/1926 T 33,60 0      
  Epoux 06/04/1931 0   L 121,72 88,12 0    0    1     0    0
17 Epouse 06/12/1927 Ba 206,82 0      
  Epoux 06/04/1926 0   Ve 309,97 103,15 0    0    0     0    0
18 Epouse 06/12/1927 Ba 206,82 0      
  Epoux 02/12/1927 0   Sc 235,45 28,63 0    0    0     0    0

Cn: Conjonction Sl: Sextil Cé: Carré Te: Trigone On: Opposition

N° Situation maritale Date de naissance   Vénus F   Mercure H   Aspects
      Signe Degrés Signe Degrés Ecart Cn  Sl  Cé  Te  Op
5 Epouse 17/05/1925 G 61,63 0      
  Epoux 12/12/1923 0   Cap 273,03 148,60 0    0    0     0    0
6 Epouse 17/05/1925 G 61,63 0      
  Epoux 19/01/1926 0   Cap 280,92 140,71 0    0    0     0    0
7 Epouse 21/09/1925 Sc 215,83 0      
  Epoux 05/03/1922 0   Ve 317,73 101,90 0    0    0     0    0
8 Epouse 21/09/1925 Sc 215,83 0      
  Epoux 08/07/1933 0   L 130,45 85,38 0    0    1     0    0
9 Epouse 18/03/1926 Ve 315,87 0      
  Epoux 03/10/1921 0   Sc 214,03 101,84 0    0    0     0    0
10 Epouse 18/03/1926 Ve 315,87 0      
  Epoux 06/11/1925 0   Sa 240,30 75,57 0    0    0     0    0
11 Epouse 06/06/1926 T 33,60 0      
  Epoux 20/04/1926 0   Be 4,10 29,50 0    0    0     0    0
12 Epouse 06/06/1926 T 33,60 0      
  Epoux 06/04/1931 0   T 33,62 0,02 1    0    0     0    0
17 Epouse 06/12/1927 Ba 206,82 0      
  Epoux 06/04/1926 0   Be 5,28 158,46 0    0    0     0    0
18 Epouse 06/12/1927 Ba 206,82 0      
  Epoux 02/12/1927 0   Sc 229,70 22,88 0    0    0     0    0

Cn: Conjonction Sl: Sextil Cé: Carré Te: Trigone On: Opposition

09 Le géant
O guerriers ! je suis né dans le pays des Gaules.
Mes aïeux franchissaient le Rhin comme un ruisseau.
Ma mère me baigna dans la neige des pôles
Tout enfant, et mon père, aux robustes épaules,
De trois grandes peaux d’ours décora mon berceau.
Car mon père était fort ! L’âge à présent l’enchaîne.
De son front tout ridé tombent ses cheveux blancs.
Il est faible ; il est vieux. Sa fin est si prochaine,
Qu’à peine il peut encor déraciner un chêne
Pour soutenir ses pas tremblants !
C’est moi qui le remplace ! et j’ai sa javeline,
Ses bœufs, son arc de fer, ses haches, ses colliers,
Moi qui peux, succédant au vieillard qui décline,
Les pieds dans le vallon, m’asseoir sur la colline,
Et de mon souffle au loin courber les peupliers.
A peine adolescent, sur les Alpes sauvages,
De rochers en rochers je m’ouvrais des chemins,
Ma tête ainsi qu’un mont arrêtait les nuages ;
Et souvent, dans les cieux épiant leurs passages,
J’ai pris des aigles dans mes mains.
Je combattais l’orage, et ma bruyante haleine
Dans leur vol anguleux éteignait les éclairs ;
Ou, joyeux, devant moi chassant quelque baleine,
L’océan à mes pas ouvrait sa vaste plaine,
Et mieux que l’ouragan mes jeux troublaient les mers.
J’errais, je poursuivais d’une atteinte trop sûre
Le requin dans les flots, dans les airs l’épervier ;
L’ours, étreint dans mes bras, expirait sans blessure,
Et j’ai souvent, l’hiver, brisé dans leur morsure
Les dents blanches du loup-cervier.
Ces plaisirs enfantins pour moi n’ont plus de charmes.
J’aime aujourd’hui la guerre et son mâle appareil,
Les malédictions des familles en larmes,
Les camps, et le soldat, bondissant dans ses armes,
Qui vient du cri d’alarme égayer mon réveil.
Dans la poudre et le sang, quand l’ardente mêlée
Broie et roule une armée en bruyants tourbillons,
Je me lève, je suis sa course échevelée,
Et, comme un cormoran fond sur l’onde troublée,
Je plonge dans les bataillons.
Ainsi qu’un moissonneur parmi des gerbes mûres,
Dans les rangs écrasés, seul debout, j’apparais.
Leurs clameurs dans ma voix se perdent en murmures ;
Et mon poing désarmé martelle les armures
Mieux qu’un chêne noueux choisi dans les forêts.
Je marche toujours nu. Ma valeur souveraine
Rit des soldats de fer dont vos camps sont peuplés.
Je n’emporte au combat que ma pique de frêne,
Et ce casque léger que traineraient sans peine
Dix taureaux au joug accouplés.
Sans assiéger les forts d’échelles inutiles,
Des chaînes de leurs ponts je brise les anneaux.
Mieux qu’un bélier d’airain je bats leurs murs fragiles.
Je lutte corps à corps avec les tours des villes.
Pour combler les fossé, j’arrache les créneaux.
Oh ! quand mon tour viendra de suivre mes victimes,
Guerriers ! ne laissez pas ma dépouille aux corbeau :
Ensevelissez-moi parmi des monts sublimes,
Afin que l’étranger cherche en voyant leurs cimes
Quelle montagne est mon tombeau !
10 La fiancée du timbalier
Monseigneur le duc de Bretagne
A, pour les combats meurtriers,
Convoqué de Nantes à Mortagne,
Dans la plaine et sur la montagne,
L’arrière-ban de ses guerriers.
Ce sont des barons dont les armes
Ornent des forts ceints d’un fossé ;
Des preux vieillis dans les alarmes,
Des écuyers, des hommes d’armes ;
L’un d’entre eux est mon fiancé.
Il est parti pour l’Aquitaine
Comme timbalier, et pourtant
On le prend pour un capitaine
Rien qu’à voir sa mine hautaine,
Et son pourpoint, d’or éclatant !
Depuis ce jour, l’effroi m’agite.
J’ai dit, joignant son sort au mien :
« Ma patronne, sainte Brigitte,
Pour que jamais il ne le quitte,
Surveillez son ange gardien ! ».
J’ai dit à notre abbé : «  Messire,
Priez bien pour tous nos soldats ! »
Et, comme on sait qu’il le désire,
J’ai brûlé trois cierges de cire
Sur la châsse de saint Gildas.
A Notre-Dame de Lorette
J’ai promis, dans mon noir chagrin,
D’attacher sur ma gorgerette,
Fermée à la vue indiscrète,
Les coquilles du pèlerin.
Il n’a pu, par d’amoureux gages,
Absent, consoler mes foyers ;
Pour porter les tendres messages,
La vassale n’a point de pages,
Le vassal n’a point d’écuyers.
Il doit aujourd’hui de la guerre
Revenir avec monseigneur ;
Ce n’est plus un amant vulgaire ;
Je lève un front baissé naguère,
Et mon orgueil est du bonheur !
Le duc triomphant nous rapporte
Son drapeau dans les camps froissé,
Venez tous sous la vieille porte
Voir passer la brillante escorte,
Et le prince, et mon fiancé !
Venez voir pour ce jour de fête
Son cheval caparaçonné,
Qui sous son poids hennit, s’arrête,
Et marche en secouant la tête
De plumes rouges couronné !
Mes sœurs, à vous parer si lentes,
Venez voir, près de mon vainqueur,
Ces timbales étincelantes
Qui, sous sa main toujours tremblantes,
Sonnent et font bondir le cœur !
Venez surtout le voir lui-même
Sous le manteau que j’ai brodé.
Qu’il sera beau ! c’est lui que j’aime !
Il porte comme un diadème
Son casque de crins inondé !
L’égyptienne sacrilège,
M’attirant derrière un pilier,
M’a dit hier (Dieu nous protège !)
Qu’à la fanfare du cortège
Il manquerait un timbalier.
Mais j’ai tant prié, que j’espère !
Quoique, me montrant de la main
Un sépulcre, son noir repaire,
La vieille aux regards de vipère
M’a dit : « Je t’attends là demain ! »
Volons ! plus de noires pensées !
Ce sont les tambours que j’entends.
Voici les dames entassées,
Les tentes de pourpre dressées,
Les fleurs et les drapeaux flottants.
Sur deux rangs le cortège ondoie.
D’abord les piquiers aux pas lourds ;
Les barons, en robe de soie,
Avec leurs toques de velours.
Voici les chasubles des prêtres ;
Les hérauts sur un blanc coursier.
Tous, en souvenir des ancêtres,
Portent l’écusson de leurs maîtres,
Peint sur leur corselet d’acier.
Admirez l’armure persane
Des templiers, craints de l’enfer ;
Et, sous la longue pertuisane,
Les archers venant de Lausanne,
Vêtus de buffle, armés de fer.
Le duc n’est pas loin : ses bannières
Flottent parmi les chevaliers ;
Quelques enseignes prisonnières,
Honteuses, passent les dernières….
« Mes sœurs ! voici les timbaliers ! »
Elle dit, et sa vue errante
Plonge, hélas ! dans les rangs pressés ;
Puis dans la foule indifférente,
Elle tomba froide et mourante…
Les timbaliers étaient passés.
06 Mon enfance (extraits)
J’ai des rêves de guerre en mon âme inquiète ;
J’aurais été soldat, si je n’étais poète.
Ne vous étonnez point que j’aime les guerriers !
Souvent, pleurant sur eux, dans ma douleur muette,
J’ai trouvé leur cyprès plus beau que nos lauriers.
Enfant, sur un tambour ma crèche fut posée.
Dans un casque pour moi l’eau sainte fut puisée.
Un soldat, m’ombrageant d’un belliqueux faisceau,
De quelque vieux lambeau d’une bannière usée
Fit les langes de mon berceau.
Parmi les chars poudreux, les armes éclatantes,
Une muse des camps m’emporta sous les tentes ;
Je dormis sur l’affût des canons meurtriers ;
J’aimai les fiers coursiers, aux crinières flottantes,
Et l’éperon froissant les rauques étriers.
J’aimai les forts tonnants, aux abords difficiles ;
Le glaive nu des chefs guidant les rangs dociles ;
La vedette, perdue en un bois isolé,
Et les vieux bataillons qui passaient dans les villes
Avec un drapeau mutilé.
Mon envie admirait et le hussard rapide,
Parant de gerbes d’or sa poitrine intrépide,
Et le panache blanc des agiles lanciers,
Et les dragons, mêlant sur leur casque gépide
Le poil taché du tigre aux crins noirs des coursiers.
Et j’accusais mon âge :- Ah ! dans une ombre obscure,
Grandir, vivre ! laisser refroidir sans murmure
Tout ce sang jeune et pur, bouillant chez mes pareils,
Qui dans un noir combat, sur l’acier d’une armure,
Coulerait à flots si vermeils !-
Et j’invoquais la guerre, aux scènes effrayantes,
Je voyais en espoir, dans les plaines bruyantes,
Avec mille rumeurs d’hommes et de chevaux,
Secouant à la fois leurs ailes foudroyantes,
L’un sur l’autre à grands cris fondre deux camps rivaux.
J’entendais le son clair des tremblantes cymbales,
Le roulement des chars, le sifflement des balles ;
Et, de monceaux de morts semant leurs pas sanglants,
Je voyais se heurter au loin, par intervalles,
Les escadrons étincelants !…….
07 Pluie d’été (extraits)
Que la soirée est fraîche et douce !
Oh ! viens ! il a plu ce matin…..
…..La pluie a versé ses ondées ;
Le ciel reprend son bleu changeant ;
Les terres luisent fécondées
Comme sous un réseau d’argent.
Le petit ruisseau de la plaine,
Pour une heure enflé, roule et traîne
Brins d’herbe, lézards endormis,
Court, et, précipitant son onde
Du haut d’un caillou qu’il inonde,
Fait des Niagaras aux fourmis !
….Les courants ont lavé le sable ;
Au soleil monte les vapeurs,
Et l’horizon insaisissable
Tremble et fuit sous leurs plis trompeurs.
On voit seulement sous leurs voiles,
Comme d’incertaines étoiles,
Des points lumineux scintiller,
Et les monts, de la brume enfouie,
Sortir, et, ruisselants de pluie,
Les toits d’ardoise étinceler.
Viens errer dans la plaine humide,
A cette heure nous serons seuls.
Mets sur mon bras ton bras timide ;
Viens, nous prendrons par les tilleuls.
Le soleil rougissant décline ;
Avant de quitter la colline,
Tourne un moment tes yeux pour voir,
Avec ses palais, ses chaumières,
Rayonnants des mêmes lumières,
La ville d’or sur le ciel noir.
Oh ! vois voltiger les fumées
Sur les toits de brouillards baignés !
Là, sont des épouses aimées,
Là, des cœurs doux et résignés.
La vie, hélas ! dont on s’ennuie,
C’est le soleil après la pluie….
Le voilà qui baisse toujours !
De la ville, que ses feux noient,
Toutes les fenêtres flamboient
Comme des yeux au front des tours.
L’arc-en-ciel ! l’arc-en-ciel ! Regarde.
Comme il s’arrondit pur dans l’air !
Quel trésor le Dieu bon nous garde
Après le tonnerre et l’éclair….
08 La grand’mère (extraits)
« Dors-tu ?…réveille-toi, mère de notre mère !
D’ordinaire en dormant ta bouche remuait ;
Car ton sommeil souvent ressemble à ta prière.
Mais, ce soir, on dirait la madone de pierre ;
Ta lèvre est immobile et ton souffle est muet.
Pourquoi courber ton front plus bas que de coutume ?
Quel mal avons-nous fait, pour ne plus nous chérir ?
Vois , la lampe pâlit, l’âtre scintille et fume ;
Si tu ne parles pas, le feu qui se consume,
Et la lampe, et nous deux, nous allons tous mourir !
….Donne-nous donc tes mains dans nos mains réchauffées.
Chante-nous quelque chant de pauvre troubadour.
Dis-nous ces chevaliers qui, servis par les fées,
Pour bouquets à leur dame apportaient des trophées,
Et dont le cri de guerre était un nom d’amour.
….Ou montre-nous ta bible, et les belles images,
Le ciel d’or, les saints bleus, les saintes à genoux,
L’enfant Jésus, la crèche, et le bœuf, et les mages ;
Fais-nous lire du doigt, dans le milieu des pages,
Un peu de ce latin, qui parle à Dieu de nous.
….Dieu ! que tes bras sont froids ! rouvre les yeux… Naguère
Tu nous parlais d’un monde où nous mènent nos pas,
Et de ciel, et de tombe, et de vie éphémère,
Tu parlais de la mort ;…..dis-nous, ô notre mère,
Qu’est-ce donc que la mort ?… Tu ne nous réponds pas ! »
Leur gémissante voix longtemps se plaignit seule.
La jeune aube parut sans réveiller l’aïeule.
La cloche frappa l’air de ses funèbres coups ;
Et, le soir, un passant, par la porte entr’ouverte,
Vit, devant le saint livre et la couche déserte,
Les deux petits enfants qui priaient à genoux.
N° Situation maritale Date de naissance   Vénus F   Vénus H   Aspects
      Signe Degrés Signe Degrés Ecart Cn  Sl  Cé  Te  Op
5 Epouse 17/05/1925 G 61,63 0      
  Epoux 12/12/1923 0   Cap 282,15 139,48 0    0    0     0    0
6 Epouse 17/05/1925 G 61,63 0      
  Epoux 19/01/1926 0   Ve 326,05 95,58 0    0    0     0    0
7 Epouse 21/09/1925 Sc 215,83 0      
  Epoux 05/03/1922 0   P 349,43 133,60 0    0    0     0    0
8 Epouse 21/09/1925 Sc 215,83 0      
  Epoux 08/07/1933 0   L 126,03 89,80 0    0    1     0    0
9 Epouse 18/03/1926 Ve 315,87 0      
  Epoux 03/10/1921 0   Vi 158,27 157,60 0    0    0     0    0
10 Epouse 18/03/1926 Ve 315,87 0      
  Epoux 06/11/1925 0   Sa 268,95 46,92 0    0    0     0    0
11 Epouse 06/06/1926 T 33,60 0      
  Epoux 20/04/1926 0   P 342,90 50,70 0    0    0     0    0
12 Epouse 06/06/1926 T 33,60 0      
  Epoux 06/04/1931 0   P 336,13 57,47 0    1    0     0    0
17 Epouse 06/12/1927 Ba 206,82 0      
  Epoux 06/04/1926 0   Ve 329,85 123,03 0    0    0     1    0
18 Epouse 06/12/1927 Ba 206,82 0      
  Epoux 02/12/1927 0   Ba 202,47 4,35 1    0    0     0    0

Cn: Conjonction Sl: Sextil Cé: Carré Te: Trigone On: Opposition

01 Louis XVII (extraits)
En ce temps-là, du ciel les portes d’or s’ouvrirent ;
Du Saint des Saints ému les feux se découvrirent ;
Tous les cieux un moment brillèrent dévoilés ;
Et les élus voyaient, lumineuses phalanges,
Venir une jeune âme entre de jeunes anges
Sous les portiques étoilés.
C’était un bel enfant qui fuyait de la terre ;
Son œil bleu du malheur portait le signe austère ;
Ses blonds cheveux flottaient sur ses traits pâlissants ;
Et les vierges du ciel, avec des chants de fête,
Aux palmes du martyre unissaient sur sa tête
La couronne des innocents.
On entendit des voix qui disaient dans la nue :
-« Jeune ange, Dieu sourit à ta gloire ingénue ;
Viens, rentre dans ses bras pour ne plus en sortir ;
Et vous, qui du Très-Haut racontez les louanges,
Séraphins, prophètes, archanges,
Courbez-vous, c’est un roi ; chantez, c’est un martyr ! »
-« Où donc ai-je régné ? demandait la jeune ombre.
Je suis un prisonnier, je ne suis point un roi.
Hier je m’endormis au fond d’une tour sombre.
Où donc ai-je régné ? Seigneur, dites-le-moi.
Hélas ! mon père est mort d’une mort bien amère :
Ses bourreaux, ô mon Dieu ! m’ont abreuvé de fiel !
Je suis un orphelin ; je viens chercher ma mère,
Qu’en mes rêves j’ai vue au ciel. »
Les anges répondaient :- « Ton sauveur te réclame.
Ton Dieu d’un monde impie a rappelé ton âme.
Fuis la terre insensée où l’on brise les croix,
Où jusque dans la mort descend le régicide,
Où le meurtre, d’horreurs avide,
Fouille dans les tombeaux pour y chercher des rois ! »……
02 Epitaphe (extraits)
….Passant, comme toi j’ai passé.
Le fleuve est revenu se perdre dans sa source.
Fais silence ; assieds-toi sur ce marbre brisé.
Pose un instant le poids qui fatigue ta course ;
J’eus de même un fardeau qu’ici j’ai déposé.
Si tu veux du repos, si tu cherches de l’ombre,
Ta couche est prête, accours ! loin du bruit on y dort.
Si ton fragile esquif lutte sur la mer sombre,
Viens, c’est ici l’écueil ; viens, c’est ici le port !
…..Ephémère histrion qui sait son rôle à peine,
Chaque homme, ivre d’audace ou palpitant d’effroi,
Sous le sayon du pâtre ou la robe du roi,
Vient passer à son tour son heure sur la scène.
Ne foule pas les morts d’un pied indifférent ;
Comme moi, dans leur ville il te faudra descendre ;
L’homme de jour en jour s’en va pâle et mourant ;
Et tu ne sais quel vent doit emporter ta cendre……
03 Un chant de fête de Néron (extraits)
Amis, l’ennuie nous tue, et le sage l’évite !
Venez tous admirer la fête où vous invite
Néron, César, consul pour la troisième fois ;
Néron, maître du monde et dieu de l’harmonie,
Qui, sur le mode d’Ionie,
Chante, en s’accompagnant de la lyre à dix voix !
Que mon joyeux appel sur l’heure vous rassemble !
Jamais vous n’aurez eu tant de plaisirs ensemble,
Chez Pallas l’affranchi, chez le Grec Agénor ;
Ni dans ces gais festins d’où s’exilait la gêne,
Où l’austère Sénèque, en louant Diogène,
Buvait le falerne dans l’or ;
Ni lorsque sur le Tibre, Aglaé, de Phalère,
Demi-nue, avec nous voguait dans sa galère,
Sous des tentes d’Asie aux brillantes couleurs ;
Ni quand, au son des luths, le préfet des Bataves
Jetait aux lions vingt esclaves,
Dont on avait caché les chaînes sous les fleurs !
Venez, Rome à vos yeux va brûler,- Rome entière !
J’ai fait sur cette tour apporter ma litière
Pour contempler la flamme en bravant ses torrents.
Que sont les vains combats des tigres et de l’homme ?
Les sept monts aujourd’hui sont un grand cirque, où Rome
Lutte avec les feux dévorants.
C’est ainsi qu’il convient au maître de la terre
De charmer son ennui profond et solitaire !
Il doit lancer parfois la foudre, comme un dieu !
Mais, venez, la nuit tombe et la fête commence.
Déjà l’incendie, hydre immense,
Lève son aile sombre et ses langues de feu.
Voyez-vous ? voyez-vous ? sur sa proie enflammée,
Il déroule en courant ses replis de fumée ;
Il semble caresser ces murs qui vont périr ;
Dans ses embrassements les palais s’évaporent….
-Oh ! que n’ai-je aussi, moi, des baisers qui dévorent,
Des caresses qui font mourir !
Ecoutez ces rumeurs, voyez ces vapeurs sombres,
Ces hommes dans les feux errant comme des ombres,
Ce silence de mort par degrés renaissant !
Les colonnes d’airain, les portes d’or s’écroulent !
Des fleuves de bronze qui roulent
Portent des flots de flamme au Tibre frémissant !
Tout périt ! jaspe, marbre, et porphyre, et statues,
Malgré leurs noms divins dans la cendre abattues,
Le fléau triomphant vole au gré de mes vœux,
Il va tout envahir dans sa course agrandie,
Et l’aquilon joyeux tourmente l’incendie,
Comme une tempête de feux.
Fier Capitole, adieu ! – Dans les feux qu’on excite,
L’aqueduc de Sylla semble un pont de Cocyte.
Néron le veut ; ces tours, ces dômes tomberont.
Bien ! sur Rome, à la fois, partout la flamme gronde !
–          Rends-lui grâces, reine du monde ;
Vois quel beau diadème il attache à ton front !
….. Qu’un incendie est beau lorsque la nuit est noire !
Erostrate lui-même eût envié ma gloire.
D’un peuple à mes plaisirs qu’importent les douleurs ?
Il fuit ; de toutes parts le brasier l’environne.
Otez de mon front ma couronne,
Le feu qui brûle Rome en flétrirait les fleurs.
….Je punis cette Rome et je me venge d’elle ?
Ne poursuit-elle pas d’un encens infidèle
Tour à tour Jupiter et ce Christ odieux ?
Qu’enfin à leur niveau sa terreur me contemple !
Je veux avoir aussi mon temple,
Puisque ces vils Romains n’ont point assez de dieux !
J’ai détruit Rome, afin de la fonder plus belle.
Mais que sa chute au moins brise la croix rebelle !
Plus de chrétiens ! allez, exterminez-les tous !
Que Rome de ses maux punisse en eux les causes ;
Exterminez !….- Esclave ! apporte-moi des roses,
Le parfum des roses est doux !
04 Jéhovah (extraits)
Gloire à Dieu seul ! son nom rayonne en ses ouvrages.
Il porte dans sa main l’univers réuni ;
Il mit l’éternité par delà tous les âges,
Par delà tous les cieux il jeta l’infini.
Il a dit au chaos sa parole féconde,
Et d’un mot de sa voix laissé tomber le monde…..
…L’homme n’est rien sans lui, l’homme, débile proie,
Que le malheur dispute un moment au trépas.
Dieu lui donne le deuil ou lui reprend la joie.
Du berceau vers la tombe il a compté ses pas…..
05 Au vallon de Chérizy (extraits)
…..Heureux l’humble roseau qu’alors un prompt orage
En passant brise dans sa fleur !
Cet orage, ô vallon, le voyageur l’implore.
Déjà las de sa course, il est bien loin encore
Du terme où ses maux vont finir ;
Il voit devant ses pas, seul pour se soutenir,
Aux rayons nébuleux de sa funèbre aurore,
Le grand désert de l’avenir !
De dégoûts en dégoûts il va trainer sa vie.
Que lui font ces faux biens qu’un faux orgueil envie ?
Il cherche un cœur fidèle, ami de ses douleurs ;
Mais en vain ; nuls secours n’aplaniront sa voie,
Nul parmi les mortels ne rira de sa joie,
Nul ne pleurera de ses pleurs !
Son sort est l’abandon ; et sa vie isolée
Ressemble au noir cyprès qui croît dans la vallée.
Loin de lui, le lys vierge ouvre au jour son bouton ;
Et jamais, égayant son ombre malheureuse,
Une jeune vigne amoureuse
A ses sombres rameaux n’enlace un vert feston….
N° Situation maritale Date de naissance   Mars F   Soleil H   Aspects
      Signe Degrés Signe Degrés Ecart Cn  Sl  Cé  Te  Op
5 Epouse 17/05/1925 Can 94,48 0      
  Epoux 12/12/1923 0   Sa 258,93 164,45 0    0    0     0    0
6 Epouse 17/05/1925 Can 94,48 0      
  Epoux 19/01/1926 0   Cap 298,17 156,31 0    0    0     0    0
7 Epouse 21/09/1925 Vi 174,97 0      
  Epoux 05/03/1922 0   P 343,63 168,66 0    0    0     0    0
8 Epouse 21/09/1925 Vi 174,97 0      
  Epoux 08/07/1933 0   Can 105,37 69,60 0    0    0     0    0
9 Epouse 18/03/1926 Cap 296,27 0      
  Epoux 03/10/1921 0   Ba 189,23 107,04 0    0    0     0    0
10 Epouse 18/03/1926 Cap 296,27 0      
  Epoux 06/11/1925 0   Sc 223,05 73,22 0    0    0     0    0
11 Epouse 06/06/1926 P 353,73 0      
  Epoux 20/04/1926 0   Be 29,15 35,42 0    0    0     0    0
12 Epouse 06/06/1926 P 353,73 0      
  Epoux 06/04/1931 0   Be 15,22 21,49 0    0    0     0    0
17 Epouse 06/12/1927 Sc 238,27 0      
  Epoux 06/04/1926 0   Be 15,43 137,16 0    0    0     0    0
18 Epouse 06/12/1927 Sc 238,27 0      
  Epoux 02/12/1927 0   Sa 248,80 10,53 0    0    0     0    0

Cn: Conjonction Sl: Sextil Cé: Carré Te: Trigone On: Opposition

Soir de bataille
Le choc avait été très rude. Les tribuns
Et les centurions, ralliant les cohortes,
Humaient encor, dans l’air où vibraient leurs voix fortes,
La chaleur du carnage et ses âcres parfums.
D’un œil morne, comptant leurs compagnons défunts,
Les soldats regardaient, comme des feuilles mortes,
Tourbillonner au loin les archers de Phraortes ;
Et la sueur coulait de leurs visages bruns.
C’est alors qu’apparut, tout hérissé de flèches,
Rouge du flux vermeil de ses blessures fraîches,
Sous la pourpre flottante et l’airain rutilant,
Au fracas des buccins qui sonnaient leur fanfare,
Superbe, maîtrisant son cheval qui s’effare,
Sur le ciel enflammé, l’Imperator sanglant !
Les conquérants
Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
Fatigués de porter leur misère hautaine,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d’un rêve héroïque et brutal.
Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde occidental.
Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L’azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d’un mirage doré ;
Ou, penchés à l’avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles.
Antoine et Cléopâtre (extraits)
Tous deux ils regardaient, de la haute terrasse,
L’Egypte s’endormir sous un ciel étouffant,
Et le fleuve, à travers le Delta noir qu’il fend,
Vers Bubaste ou Saïs rouler son onde grasse….
…Tournant sa tête pâle entre ses cheveux bruns
Vers celui qu’enivraient d’invincibles parfums,
Elle tendit sa bouche et ses prunelles claires ;
Et sur elle courbé, l’ardent Imperator
Vit dans ses larges yeux étoilés de points d’or
Toute une mer immense où fuyaient des galères.
Soleil couchant en Bretagne
Les ajoncs éclatants, parure du granit,
Dorent l’âpre sommet que le couchant allume ;
Au loin, brillante encor par sa barre d’écume,
La mer sans fin commence où la terre finit.
A mes pieds, c’est la nuit, le silence. Le nid
Se tait, l’homme est rentré sous la chaume qui fume ;
Seul l’Angélus du soir, ébranlé dans la brume,
A la vaste rumeur de l’océan s’unit.
Alors, comme du fond d’un abîme, des traînes,
Des landes, des ravins, montent des voix lointaines
De pâtres attardés ramenant le bétail.
L’horizon tout entier s’enveloppe dans l’ombre,
Et le soleil mourant, sur un ciel riche et sombre,
Ferme les branches d’or de son riche éventail.
N° Situation maritale Date de naissance   Mercure F   Vénus H   Aspects
      Signe Degrés Signe Degrés Ecart Cn  Sl  Cé  Te  Op
5 Epouse 17/05/1925 Be 29,93 0      
  Epoux 12/12/1923 0   Cap 282,15 107,78 0    0    0     0    0
6 Epouse 17/05/1925 Be 29,93 0      
  Epoux 19/01/1926 0   Ve 326,05 63,88 0    0    0     0    0
7 Epouse 21/09/1925 Vi 164,18 0      
  Epoux 05/03/1922 0   P 349,43 174,75 0    0    0     0    0
8 Epouse 21/09/1925 Vi 164,18 0      
  Epoux 08/07/1933 0   L 126,03 38,15 0    0    0     0    0
9 Epouse 18/03/1926 Be 13,92 0      
  Epoux 03/10/1921 0   Vi 158,27 144,35 0    0    0     0    0
10 Epouse 18/03/1926 Be 13,92 0      
  Epoux 06/11/1925 0   Sa 268,95 104,97 0    0    0     0    0
11 Epouse 06/06/1926 G 76,15 0      
  Epoux 20/04/1926 0   P 342,90 93,25 0    0    0     0    0
12 Epouse 06/06/1926 G 76,15 0      
  Epoux 06/04/1931 0   P 336,13 100,02 0    0    0     0    0
17 Epouse 06/12/1927 Sc 235,12 0      
  Epoux 06/04/1926 0   Ve 329,85 94,73 0    0    0     0    0
18 Epouse 06/12/1927 Sc 235,12 0      
  Epoux 02/12/1927 0   Ba 202,47 32,65 0    0    0     0    0

Cn: Conjonction Sl: Sextil Cé: Carré Te: Trigone On: Opposition

Illusion
La vie est morne et combien grise
Et monotone ; rien n’irise
Sa nuit opaque : l’Action.
Vienne le rêve, vision
Irréelle- qu’importe !- exquise
Berce-moi sainte Illusion
Accours Illusion féconde
Vient recréer pour moi le monde,
Ce monde bête où je me meurs,
Buveur de sang, buveur de pleurs
Sur qui le crime hurle et gronde.
Trompe, Illusion, mes rancoeurs
Endors, Illusion sublime
L’ennui, cet indicible abîme,
-Ennui sombre qui me poursuit !-
Et dans mes implacables nuits
Guidant mon âme vers la Cime
Folle Etoile- Illusion luis !
Les quatre éléments
Si je dis Feu mon corps est entouré de flammes
Je dis Eau l’Océan vient mourir à mes pieds
Vaisseau vide immergé dans un cristal solide
Creuse momie aux glaces prises et je dis Air
Terre et le naufragé prend racine et s’endort
Sous les feuilles au vent de l’arbre de son corps
De sa bouche le songe engendre un rameau d’or
De sa bouche terreuse expirant ses poumons
Retournés vers le ciel tonnante frondaison
Moisson rouge au soleil de minuit et de mort
L’Art
Oui, l’œuvre sort plus belle
D’une forme au travail
Rebelle,
Vers, marbre, onyx, émail.
Point de contraintes fausses !
Mais que pour marcher droit
Tu chausses,
Muse, un cothurne étroit.
Fi du rhythme commode,
Comme un soulier trop grand,
Du mode
Que tout pied quitte et prend !
Statuaire, repousse
L’argile que pétrit
Le pouce
Quand flotte ailleurs l’esprit ;
Lutte avec le carrare
Avec le paros dur
Et rare,
Gardiens du contour pur ;
Emprunte à Syracuse
Son bronze où fermement
S’accuse
Le trait fier et charmant ;
D’une main délicate
Poursuis dans un filon
D’agate
Le profil d’Apollon.
Peintre, fuis l’aquarelle,
Et fixe la couleur
Trop frêle
Au four de l’émailleur.
Fais les sirènes bleues,
Tordant de cent façons
Leurs queues,
Les monstres des blasons ;
Dans son nimbe trilobe
La Vierge et son Jésus,
Le globe
Avec la croix dessus.
Tout passe. – L’Art robuste
Seul a l’éternité,
Le buste
Survit à la cité.
Et la médaille austère
Que trouve un laboureur
Sous terre
Révèle un empereur.
Les dieux eux-mêmes meurent.
Mais les vers souverains
Demeurent
Plus forts que les airains.
Sculpte, lime, ciselle ;
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant !
Dans la Sierra
J’aime d’un fol amour les monts fiers et sublimes !
Les plantes n’osent pas poser leurs pieds frileux
Sur le linceul d’argent qui recouvre leurs cimes ;
Le soc s’émousserait à leurs pics anguleux.
Ni vigne aux bras lascifs, ni blés dorés, ni seigles,
Rien qui rappelle l’homme et le travail maudit.
Dans leur air libre et pur nagent des essaims d’aigles,
Et l’écho du rocher siffle l’air du bandit.
Ils ne rapportent rien et ne sont pas utiles ;
Ils n’ont que leur beauté, je le sais, c’est bien peu.
Mais moi je les préfère aux champs gras et fertiles,
Qui sont si loin du ciel qu’on n’y voit jamais Dieu.
N° Situation maritale Date de naissance   Soleil F   Vénus H   Aspects
      Signe Degrés Signe Degrés Ecart Cn  Sl  Cé  Te  Op
5 Epouse 17/05/1925 T 55,55 0      
  Epoux 12/12/1923 0   Cap 282,15 133,40 0    0    0     0    0
6 Epouse 17/05/1925 T 55,55 0      
  Epoux 19/01/1926 0   Ve 326,05 89,50 0    0    1     0    0
7 Epouse 21/09/1925 Vi 177,47 0      
  Epoux 05/03/1922 0   P 349,43 171,96 0    0    0     0    0
8 Epouse 21/09/1925 Vi 177,47 0      
  Epoux 08/07/1933 0   L 126,03 51,44 0    0    0     0    0
9 Epouse 18/03/1926 P 356,63 0      
  Epoux 03/10/1921 0   Vi 158,27 161,64 0    0    0     0    0
10 Epouse 18/03/1926 P 356,63 0      
  Epoux 06/11/1925 0   Sa 268,95 87,68 0    0    0     0    0
11 Epouse 06/06/1926 G 74,53 0      
  Epoux 20/04/1926 0   P 342,90 91,63 0    0     1    0    0
12 Epouse 06/06/1926 G 74,53 0      
  Epoux 06/04/1931 0   P 336,13 98,40 0    0    0     0    0
17 Epouse 06/12/1927 Sa 252,85 0      
  Epoux 06/04/1926 0   Ve 329,85 77,00 0    0    0     0    0
18 Epouse 06/12/1927 Sa 252,85 0      
  Epoux 02/12/1927 0   Ba 202,47 50,38 0    0    0     0    0

Cn: Conjonction Sl: Sextil Cé: Carré Te: Trigone On: Opposition

Sardines à l’huile
Dans leur cercueil de fer-blanc
Plein d’huile au puant relent
Marinent décapités
Ces petits corps argentés
Pareils aux guillotinés
Là-bas au champ des navets !
Elles ont vu les mers, les
Côtes grises de Thulé,
Sous les brumes argentées
La Mer du Nord enchantée…
Maintenant dans le fer-blanc
Et l’huile au puant relent
De toxiques restaurants
Les servent à leurs clients !
Mais loin derrière la nue
Leur pauvre âmette ingénue
Dit sa muette chanson
Au Paradis-des-poissons,
Une mer fraîche et lunaire
Pâle comme un poitrinaire,
La Mer de Sérénité
Aux longs reflets argentés
Où durant l’éternité
Sans plus craindre jamais les
Cormorans et les filets,
Après leur mort nageront
Tous les bons petits poissons !….
Sans voix, sans mains, sans genoux,
Sardines, priez pour nous !…
Le doigt de Dieu
Il avait violé sa sœur, coupé sa mère
En tout petits morceaux : jugeant la vie amère
Et se voulant donner quelque distraction,
Il servit à son père une décoction
Vénéneuse, du foie et des reins ennemie
(Car il avait beaucoup potassé la chimie)
Cette mixture fit mourir le doux vieillard.
Il était mal poli, journaliste, paillard,
Trichait au jeu, faisait des vers, fumait la pipe
Dans la rue et, le soir, il se gavait de tripe
A la mode de Caen parmi des croque-morts.
D’ailleurs, il n’éprouvait pas l’ombre d’un remords
Et vivait très correct et très digne et coulait de
Bien beaux jours (comme fait M Paul Déroulède).
Mais Dieu possède un DOIGT et l’immoralité
Ne saurait échapper à la fatalité…
Un matin, comme il avait fait la grande fête
Un pot de réséda lui tomba sur la tête,
Et le Seigneur l’admit au Paradis profond
Car il était plus vif que méchant dans le fond !….
N° Situation maritale Date de naissance   Soleil F   Mars H Ecart Aspects
      Signe Degrés Signe Degrés   Cn  Sl  Cé  Te  Op
5 Epouse 17/05/1925 T 55,55 0      
  Epoux 12/12/1923 0    Sc 215,08 159,53 0    0    0     0    0
6 Epouse 17/05/1925 T 55,55 0      
  Epoux 19/01/1926  0   Sa 255,18 160,37 0    0    0     0    0
7 Epouse 21/09/1925 Vi 177,47 0      
  Epoux 05/03/1922 0    Sa 246,98 69,51 0    0    0     0    0
8 Epouse 21/09/1925 Vi 177,47 0      
  Epoux 08/07/1933 0    Ba 180,58 3,11 0    0    0     0    0
9 Epouse 18/03/1926 P 356,63 0      
  Epoux 03/10/1921 0    Vi 158,48 161,85 0    0    0     0    0
10 Epouse 18/03/1926 P 356,63 0      
  Epoux 06/11/1925  0   Ba 204,97 151,66 0    0    0     0    0
11 Epouse 06/06/1926 G 74,53 0      
  Epoux 20/04/1926  0   Ve 320,10 114,43 0    0    0     0    0
12 Epouse 06/06/1926 G 74,53 0      
  Epoux 06/04/1931  0   L 121,72 47,19 0    0    0     0    0
17 Epouse 06/12/1927 Sa 252,85 0      
  Epoux 06/04/1926  0   Ve 309,97 57,12 0    0    0     0    0
18 Epouse 06/12/1927 Sa 252,85 0      
  Epoux 02/12/1927 0    Sc 235,45 17,40 0    0    0     0    0

Cn: Conjonjonction Sl: Sextil Cé: Carré Te: Trigone Op: Opposition

Les poissons mélomanes
Les pianos
Des casinos
Aux bains de mer
Font rêver les poissons qui nagent dans la mer,
Car- (tous les érudits le savent de nos jours)-
Ils sont muets, c’est vrai, mais ils ne sont pas sourds !
Tout d’abord ils s’étonnent,
Roulant des yeux peureux :
« Peut-être bien qu’il tonne ? »
Songent-ils à part eux
Mais vite ils se rassurent
Et voyant que
Nul éclair ne fulgure
Ils battent la mesure
Avec leur queue !
Les sardinettes réjouies
Pour ouïr ouvrant leurs ouïes
Dansent la ronde
Toute la nuit.
Un grondin gronde :
« Allez dormir avec ce bruit ! »
Mais les bars indulgents sourient à cette danse
Et jugeant que
Ce sont jeux innocents, ils marquent la cadence
Avec leur queue !
Les pianos
Des casinos
Aux bains de mer
Amusent les poissons qui nagent dans la mer !
Sonate en ré
(mi, fa, sol, ré)
Plus d’une jeune raie
Langoureuse voudrait
Etre au moment du frai,
Car elle se sent l’âme
Pleine d’épithalame !
Romance en sol
(do, mi, fa, sol)
La Romance du saule
Plus d’une jeune sole
Pose pour doña Sol
Cependant que
Les maquereaux galants
Et les petits merlans
Doux et dolents
Admirent sa tournure
Et battent la mesure
Avec leur queue !
Les pianos
Des casinos
Aux bains de mer
Font rêver les poissons qui nagent dans la mer !
Digue, don, don !
C’est Offenbach !
Digue dondaine !
Et non plus Bach !
Joyeux, bon prince,
Levant la pince,
Le homard pince
Un rigodon !
Digue dondaine !
Digue, don, don !
Mais, horreur, n’est-ce pas un air de l’Africaine ?
Saisi d’un tremblement
Convulsif le homard songe à l’Américaine
(affreux pressentiment !)
Mais vite il se rassure
Et jugeant que
Les pêcheurs sont couchés, il marque la mesure
Avec sa queue.
Les pianos
Des casinos
Aux bains de mer
Amusent les poissons qui nagent dans la mer…
Et puis lorsque l’automne
Ferme les casinos
Ah ! les pauvres poissons trouvent bien monotones
Les nuits sans pianos…
Et dans leur souvenance
Cherchant un air qui fuit
Ils nagent en cadence
Mais pleins d’ennui !
Le vieux saint
Dans notre église autrefois
Il était un saint de bois :
L’air bonasse et vénérable,
Taillé dans un tronc d’érable
A coups de hache, il avait
Ecouté plus d’un Ave
Montant vers lui du pavé ;
Tout vermoulu, tout cassé,
Le bon Dieu le connaissait
Bien et toujours l’exauçait.
A vêpres, quand s’allumaient
Les cierges qui tremblotaient,
Un peu gourmand, il humait
Le bon encens qui fumait
Dans l’encensoir parfumé.
Sur toute chose il aimait,
Aux beaux soirs du mois de mai
Les belles roses de mai
Devant l’autel embaumé
Et quand Noël ramenait
Les petits bergers frisés
Soëf, il amignottait
Jésus, le doux nouveau-né.
Puis dans l’église fermée
Où les vitraux s’éteignaient
Lentement il s’endormait
Priant pour nos trépassés
Le bon Dieu qui l’exauçait !
Mais de Paris est venu,
Hideux comme un parvenu,
Tout neuf et peinturluré
Un saint de plâtre doré,
Un affreux saint qu’ils ont mis
Dans la niche où tu dormis,
Ô vieux saint, mon vieil ami,
Et les sans-cœur ont brûlé
En disant : Il est trop laid !
Ton pauvre corps d’exilé.
Mais, vieux saint, je te promets
Que je ne prierai jamais
L’intrus, mais toujours à toi
S’en iront mes vœux, à toi,
Père qui subis deux fois,
Saint de chair et saint de bois,
Le martyre pour la foi ;
Et quand je mourrai c’est toi
Qui porteras dans les cieux
Mon âme aux pieds du bon Dieu…
Mission de confiance, je l’ose dire !
Fleurs des morts
Chrysanthèmes, fleurs d’or,
Fleurissez les pauvres morts ;
Chrysanthèmes, fleurissez…
Pour les pauvres trépassés…
Mais, sous la terre enfermés,
Ils ne connaîtront jamais
Vos pétales embaumés* :
Dans leurs tristes monuments,
Las ! ils verront seulement
Vos racines : c’est pourquoi,
Sentimental, à part moi,
Je songe, ô vivants pieux,
Que peut-être il vaudrait mieux
Planter sous les cyprès verts
Les fleurs des morts à l’envers !
*Il est bon de faire observer que les chrysanthèmes sentent plutôt mauvais.
Souvenir ou autre repas de famille
Quand j’étais tout petit, nous dînions chez ma tante,
Le jeudi soir ; papa la jugeait dégoûtante
A cause d’un lupus qui lui mangeait le nez :
Ce m’est un souvenir si doux que ces dîners !
Après le pot-au-feu, la bonne Marguerite
Apportait le gigot avec la pomme frite
Classique et c’était bon ! Je ne vous dis que ça !
Chacun jetait son os à la chienne Aïssa.
Moi, ce que j’aimais bien c’est l’andouille de Vire ;
Je contemplais (ainsi que Lamartine Elvire)
Sur mon assiette à fleurs les gros morceaux de lard,
Et je roulais des yeux béats de papelard
Et ma tante disait : « Mange donc, niguedouille !… »
O Seigneur, bénissez ma tante et son andouille !
Petit Lapons
 
Dans leur cahute enfumée
Bien soigneusement fermée
Les braves petits Lapons
Boivent l’huile de poisson !
Dehors on entend le vent
Pleurer ; les méchants ours blancs
Grondent en grinçant des dents
Et depuis longtemps est mort
Le pâle soleil du Nord !
Mais dans la hutte enfûmée
Bien soigneusement fermée
Les braves petits Lapons
Boivent l’huile de poisson…
Sans rien dire, ils sont assis,
Père, mère, aïeul, les six
Enfants, le petit dernier
Bave en son berceau d’osier ;
Leur bon vieux renne au poil roux
Les regarde, l’air si doux !
Bientôt ils s’endormiront
Et demain ils reboiront
La bonne huile de poisson,
Et puis se rendormiront
Et puis, un jour, ils mourront !
Ainsi coulera leur vie
Monotone et sans envie…
Et plus d’un poète envie
Les braves petits Lapons
Buveurs d’huile de poisson !
La singesse
Donc voici ! Moi, Poète, en ma haute sagesse
Respuant l’Eve à qui le Père succomba
J’ai choisi pour l’aimer une jeune singesse
Au pays noir dans la forêt de Mayummba.
Fille des mandrills verts, ô guenuche d’Afrique,
Je te proclame ici la reine et la Vénus
Quadrumane, et je bous d’une ardeur hystérique
Pour les callosités qui bordent ton anus.
J’aime ton cul pelé, tes rides, tes bajoues
Et je proclamerai devant maintes et maints,
Devant monsieur Reyer, mordieu ! que tu ne joues
Oncques du piano malgré tes quatre mains :
Et comme Salomon pour l’enfant sémitique,
La perle d’Issachar offerte au bien-aimé,
J’entonnerai pour lui l’énamouré cantique,
O ma tour de David, ô mon jardin fermé…
C’était dans la forêt vierge, sous les tropiques
Où s’ouvre en éventail le palmier chamoerops ;
Dans le soir alangui d’effluves priapiques
Stridait, rauque, le cri des nyctalomerops ;
L’heure glissait, nocturne, où gazelles, girafes,
Couaggas, éléphants, zèbres, zébus, springbocks,
Vont boire aux zihouas sans verres ni carafes
Laissant l’homme pervers s’intoxiquer de bocks ;
Sous les cactus en feu tout droits comme des cierges
Des lianes rampaient (nullement de Pougy) ;
Autant que la forêt ma Singesse était vierge ;
De son sang virginal l’humus était rougi.
Le premier, j’écartai ses lèvres de pucelle
En un rut triomphal, oublieux de Malthus,
Et des parfums salés montaient de ses aiselles
Et des parfums pleuvaient des larysacanthus.
Elle se redressa, fière de sa blessure,
A demi souriante et confuse à demi ;
Le rugissement fou de notre jouissure
Arrachait au repos le chacal endormi.
Sept fois je la repris, lascive ; son œil jaune
Clignotait, langoureux, tour à tour, et mutin ;
La Dryade amoureuse aux bras du jeune Faune
A moins d’amour en fleurs et d’esprit libertin !
Toi, Fille des humains, triste poupée humaine
Au ventre plein de son, tondeuse de Samson,
Dalila, Bovary, Merneffe ou Célimène,
Contemple mon épouse et retiens sa leçon :
Mon épouse est loyale et très chaste et soumise,
Et j’adore la voir, aux matins ingénus,
Le cœur sans artifice et le corps sans chemise,
Au soleil tropical, montrer ses charmes nus ;
Elle sait me choisir ignames et goyaves ;
Lorsque nous cheminons par les sentiers étroits,
Ses mains aux doigts velus écartent les agaves,
Tel un page attentif marchant devant les rois,
Puis dans ma chevelure oublieuse du peigne
Avec précaution elle cherche les poux,
Satisfaite pourvu que d’un sourire daigne
La payer, une fois, le Seigneur et l’Epoux.
Si quelque souvenir de douleur morte amasse
Des rides sur mon front que l’ennui foudroya,
Pour divertir son maître elle fait la grimace
Grotesque et fantastique à délecter Goya !
Un étrange rictus tord sa narine bleue,
Elle se gratte d’un geste obscène et joli
La fesse puis s’accroche aux branches par la queue
En bondissant, Footitt, Littl-Tich, Hanlon-Lee !
Mais soudain la voilà très grave ! Sa mimique
Me dicte et je sais lire en ses regards profonds
Des vocables muets au sens métaphysique
Je comprends son langage et nous philosophons :
Elle croit en un Dieu par qui le soleil brille,
Qui créa l’univers pour le bon chimpanzé
Puis dont le Fils-Unique, un jour, s’est fait gorille
Pour ravir le pécheur à l’enfer embrasé !
Simiesque Iaveh de la forêt immense,
Ô Zeus omnipotent de l’Animalité,
Fais germer en ses flancs et croître ma semence,
Ouvre son utérus à la maternité
Car je veux voir issus de sa vulve féconde
Nos enfants libérés d’atavismes humains,
Aux obroontchoas que la serpe n’émonde
Jamais, en grimaçant grimper à quatre mains !….
Et dans l’espoir sacré d’une progéniture
Sans lois, sans préjugés, sans rêves décevants,
Nous offrons notre amour à la grande Nature,
Fiers comme les palmiers, libres comme les vents !!!
Apologie pour Georges Fourest
Je n’ai point cet esprit qui subjugue « les dames »,
J’incague la pudeur, convomis le bon goût,
Et si mon Apollo, perruquiers et vidames,
Vous offusque parbleu ! mon Apollo s’en fout !
Ma flave moricaude en exhibant sa fesse
Epoustoufla tel cuistre et tel juticiard
Et mon géranium pondeur, je le confesse,
Semble aux gens distingués terriblement criard.
« Je suis mal embouché, dit-on, scatologique,
Scurrile, extravagant, obscène !… » Et puis après ?
Pour blaguer le héros langoureux ou tragique
A moi le calembour énorme et l’à-peu-près !
Matagrabolisant le pleutre qui me rase,
Me souciant très peu que l’on m’approuve ou non
Et laissant aux châtrés l’exsangue périphrase,
Eh ! bien oui ! j’ai nommé la Merde par son nom :
En cinq lettres j’ai dit l’horrifique vocable
Sans même l’adorner d’un R comme Jarry ;
Que si pour ce forfait votre courroux m’accable
Je m’en vante, couillons, loin d’en être marri.
Si ce bas-bleu puant qui n’a plus ses menstrues
Depuis mil neuf cent trois sur un ton puritain
Vient bégueuler parmi des chameaux et des grues
(Oh ! comme puritain rime bien avec putain !)
Malgré tous ses chichis dont je ne suis pas dupe
Pour payer leur salaire à ses ragots haineux
D’une main sans douceur je trousserai sa jupe
Et fouaillerai sadiquement son cul breneux ;
Je passementerai de clinquant ma défroque,
Je me barbouillerai de sauvages couleurs,
J’entasserai le biscornu sur le baroque,
Mes rimes hurleront tels des singes hurleurs !
Mon rire, mons Public, c’est le rire sonore,
Idoine à brimballer tes boyaux triomphants
Et qui découvrira la parure osanore
Qu’un dentiste pour toi ravit aux éléphants,
C’est le rire cachinatoire, épileptique,
Le rire vrai qui fait baver, pleurer, tousser,
Pisser, c’est le moteur du grand zygomatique
Et l’agelaste en vain tâche à le rabaisser.
Je ne diluerai pas mon encre avant d’écrire
Et je m’esclafferai cynique et sans remord,
Abandonnant aux salonnards le « fin sourire »
Et le rictus amer à la tête-de-mort !
Envoi
Aux pieds de Rabelais, le Duc, le Roi, le Maître,
O mes Pères Scarron, Saint-Amant, d’Assoucy,
Colletet, Sarrazin, daignerez-vous permettre
Qu’à vos côtés Fourest vienne s’asseoir aussi ?
La négresse blonde
I
Elle est noire comme cirage,
Comme un nuage
Au ciel d’orage,
Et le plumage
Du corbeau,
Et la lettre A, selon Rimbaud ;
Comme la nuit,
Comme l’ennui,
L’encre et la suie !
Mais ses cheveux,
Ses doux cheveux,
Soyeux et longs
Sont plus blonds, plus blonds
Que le soleil
Et que le miel
Doux et vermeil,
Que le vermeil,
Plus qu’Eve, Hélène et Marguerite,
Que le cuivre des lèchefrites,
Qu’un épi d’or
De messidor,
Et l’on croirait d’ébène et d’or
La belle Négresse, la Négresse blonde !
II
Cannibale, mais ingénue,
Elle est assise, toute nue,
Sur une peau de kanguroo,
Dans l’île de Tamamourou !
Là, pétauristes, potourous,
Ornithorynques et wombats,
Phascolomes prompts au combat,
Près d’elle prennent leurs ébats !
Selon la mode Papoua,
Sa mère, enfant, la tatoua :
En jaune, en vert, en vermillon,
En zinzolin, par millions
Oiseaux, crapauds, serpents, lézards,
Fleurs polychromes et bizarres,
Chauves-souris, monstres ailés,
Laids, violets, bariolés,
Sur son corps noirs sont dessinés.
Sur ses fesses bariolées
On écrivit en violet
Deux sonnets sibyllins rimés
Par le poète Mallarmé
Et sur son ventre peint en bleu
Fantastique se mord la queue
Un amphisbène.
L’arrête d’un poisson lui traverse le nez,
De sa dextre aux doigts terminés
Par des ongles teints au henné,
Elle caresse un échidné,
Et parfois elle fait sonner
En souriant d’un air amène
A son col souple un beau collier
De dents humaines,
La belle Négresse, la Négresse blonde !
III
Or des Pierrots,
De blancs Pierrots, de doux Pierrots
Blancs comme des poiriers en fleurs,
Comme la fleur
Des pâles nymphéas sur l’eau,
Comme l’écorce des bouleaux,
Comme le cygne, oiseau des eaux,
Comme les os
D’un vieux squelette,
Blancs comme un blanc papier de riz,
Blancs comme un blanc Mois-de-Marie,
De doux Pierrots, de blancs Pierrots
Dansent le falot boléro
La fanfoulla, la bamboula,
Eperdument au son de la
Maigre guzla,
Autour de la
Négresse blonde.
IV
Parfois un Pierrot tombe, alors
Brandissant un scalpel en or
Et riant un rire sonore,
Un triomphant rire d’enfant,
Vainqueur, moqueur et triomphant,
En grinçant la négresse fend
La poitrine de l’enfant blême
Et puis scalpe l’enfant blême
Et, de ses dents que le bétel
Teint en ébène, bien vite elle
Mange le cœur et la cervelle,
Sans poivre ni sel !
Ah ! buvant- suave liqueur !-
Le sang tout chaud, cervelle et cœur,
A belles dents, sans nul émoi,
Elle dévore tout, et moi,
Négresse, je t’apporte ici
Mon cœur et ma cervelle aussi,
Mon foie itou,
Va ! bâfre tout !
Trou laï tou !
Car, sans mentir, j’ai proclamé
Que dans ce monde
Laid, sublunaire, terraqué
Et détraqué
Pour qui n’est pas un paltoquet
Comme Floquet,
Seule fut digne d’être aimée
La blonde Négresse, la Négresse blonde.
Renoncement
Bourgeois hideux, préfets, charcutiers, militaires,
Gens de lettres, marlous, juges, mouchards, notaires,
Généraux, caporaux et tourneurs de barreaux
De chaise, lauréats mornes des Jeux Floraux,
Banquistes et banquiers, architectes pratiques
Metteurs de Choubersky dans les salles gothiques,
Dentistes, oyez tous ! – Lorsque je naquis dans
Mon château crénelé j’avais trois mille dents
Et des favoris bleus ! on narre que ma mère
(et croyez que ceci n’est pas une chimère !)
M’avait porté sept ans entiers. Encore enfant
J’assommai d’une chiquenaude un éléphant.
Chaque jour, huit pendus à face de Gorgone
Grimaçaient aux huit coins de ma tour octogone,
Et j’eus pour précepteur cet illustre Sarcey
Qui semble un fruit trop mûr de cucurbitacé,
Mais qui sait tout, ayant lu plusieurs fois Larousse !
Mon parrain se nommait Frédéric Barberousse.
Quand j’atteignis quinze ans, le Cid Campeador,
Pour m’offrir sa tueuse et ses éperons d or,
Sortit de son tombeau ; d’une voix surhumaine :
« Ami, veux-tu coucher, dit-il, avec Chimène ? »
Moi, je lui répondis « Zut ! » et « Bran ! » Par façon
De divertissement, d’un coup d’estramaçon
J’éventrai l’Empereur ; puis je châtrai le Pape
Et son grand moutardier : je dérobai sa chape
D’or, sa tiare d’or et son grand ostensoir
D’or pareil au soleil vermeil dans l’or du soir !
Des cardinaux traînaient mon char, à quatre pattes,
Et je gravis ainsi, sept fois, les monts Karpathes.
Je dis au Padishah : « Vous n’êtes qu’un faquin ! »
Pour ma couche le fils de l’Amorabaquin
M’offrit ses trente sœurs et ses quatre-vingts femmes,
Et je me suis grisé de voluptés infâmes
Parmi les icoglans du grand Kaïmakan !
Les Boyards de Russie au manteau d’astrakan
Décrottaient mes souliers. L’Empereur de la Chine,
Pour monter à cheval me prêtait son échine,
Osa me dire un mot sans ôter son chapeau :
Je l’écorchai tout vif et revendis sa peau
Très cher à Félix Faure ! Encore qu’impubère
(on me voit tous les goûts de feu César Tibère)
Je déflorai la sœur du Taïkoun ; je crois
Qu’il voulut rouspéter : je le fis clouer en croix
Ce bélître, piller, huit jours, sa capitale
Er dévorer son fils par un onocrotale !
Ayant sodomisé Brunetière et Barrès,
J’exterminai les phanségars de Bénarès !
A Bysance qu’on nomme aussi Constantinople,
Ô Mahomet, je pris ton drapeau de sinople
Pour m’absterger le fondement et j’empalais
Chaque soir, un vizir au seuil de mon palais !
Ma dague, messeigneurs, n’est pas fille des rues :
Elle a trente et un jours dans le mois ses menstrues !
En pissant j’éteignis le Vésuve et l’Hekla ;
Le mont Kinchinjinga devant moi recula !
Voulant un héritier, sur les bords du Zambèse
Où nage en reniflant l’hippopotame obèse,
Dans la forêt, séjour du mandrill au nez bleu,
Sous le ciel coruscant et les rayons de feu
D’un soleil infernal que le Dyable tisonne,
J’eus quatorze bâtards jumeaux d’une Amazone !
Parmi ces négrillons, j’élus pour mettre à part
Le plus foncé, jetant le reste à mon chat-pard !
La Reine de Saba, misérable femelle,
Voulut me résister : je coupai sa mamelle
Senestre pour m’en faire une blague, et, depuis,
Je fis coudre en un sac et jeter en un puits
La fille d’un rajah parce que son haleine
Etait forte, et je fus aimé d’une baleine
Géante au Pôle Nord (palsambleu ! c’est assez
Pervers, qu’en dites-vous ? l’amour des cétacés !).
Fort peu de temps avant que je ne massacrasse
L’affreux Zéomébuch et tous ceux de sa race,
Dans la jungle où saignaient des fleurs d’alonzoas
Je dévorai tout crus huit cent mille boas
Et je bus du venin de trigonocéphale !
La rafale hurlait ! je dis à la rafale :
« Qu’on se taise ! ou mordieu !… ».. La rafale se tut.
Répondez ! Répondez, bonzes de l’Institut :
Mon Quos ego vaut-il celui du sieur Virgile ?
Or- j’atteste ceci la main sur l’Evangile !-
Un matin, il me plut de descendre en enfer
Avant le déjeuner ; mon cousin Lucifer
Me reçut noblement et me donna mille âmes
De Juifs à torturer ! Ensemble nous parlâmes
Politique, beaux-arts et coetera, je vis
Qu’il avait du bon sens ; il fut de mon avis
En tout : et j’urinai dans les cent trente bouches
Du grand Baal-Zebuh, archi-baron des mouches !
L’Océan Pacifique a vu plus d’une fois
Son flux et son reflux s’arrêter à ma voix !
A ma voix, les pendus chantaient à la potence..
Or, ayant tout rangé sous mon omnipotence,
Les Rois, les Empereurs, les Dieux, les Eléments,
Servi par les sorciers et par les nigromants,
Je compris que la vie est une farce amère
Et, pensif, conculcant les cinq mondes vautrés
A mes pieds, je revins, près de ma vieille mère,
Deviner les rébus des journaux illustrés !
Pseudo-sonnet africain et gastronomique ou (plus simplement) repas de famille
 
Au bord du Loudjiji qu’embaument les arômes
Des toumbos, le bon roi Makoko s’est assis.
Un m’gannga tatoua de zigzags polychromes
Sa peau d’un noir vineux tirant sur le cassis.
Il fait nuit : les m’pafous ont des senteurs plus frêles ;
Sourd, un marimeba vibre en des temps égaux ;
Des alligators d’or grouillent parmi les prêles ;
Un vent léger courbe la tête des sorghos ;
Et le mont Koungoua rond comme une bedaine,
Sous la Lune aux reflets pâles de molybdène,
Se mire dans le fleuve au bleuâtre circuit.
Makoko reste aveugle à tout ce qui l’entoure :
Avec conviction ce potentat savoure
Un bras de son grand-père et le juge trop cuit.
06Les Regrets
12
Vu le soin ménager dont travaillé je suis,
Vu l’importun souci qui sans fin me tourmente,
Et vu tant de regrets desquels je me lamente,
Tu t’ébahis souvent comment chanter je puis.
Je ne chante, Magny, je pleure mes ennuis,
Ou, pour le dire mieux, en pleurant je les chante,
Si bien qu’en les chantant, souvent je les enchante :
Voilà pourquoi, Magny, je chante jours et nuits.
Ainsi chante l’ouvrier en faisant son ouvrage,
Ainsi le laboureur faisant son labourage,
Ainsi le pèlerin regrettant sa maison,
Ainsi l’aventurier en songeant à sa dame,
Ainsi le marinier en tirant à la rame,
Ainsi le prisonnier maudissant sa prison.
14
Si l’importunité d’un créditeur me fâche,
Les vers m’ôtent l’ennui du fâcheux créditeur :
Et si je suis fâché d’un fâcheux serviteur,
Dessus les vers, Boucher, soudain je me défâche.
Si quelqu’un dessus moi sa colère délâche,
Sur les vers je vomis le venin de mon cœur :
Et si mon faible esprit est recru du labeur,
Les vers font que plus frais je retourne à ma tâche.
Les vers chassent de moi la molle oisiveté,
Les vers me font aimer la douce liberté,
Les vers chantent pour moi ce que dire je n’ose.
Si donc j’en recueillis tant de profits divers,
Demandes-tu, Boucher, de quoi servent les vers,
Et quel bien je reçois de ceux que je compose ?
15
Penjas, veux-tu savoir quels sont mes passe-temps ?
Je songe au lendemain, j’ai soin de la dépense
Qui se fait chaque jour, et si faut que je pense
A rendre sans argent cent créditeurs contents.
Je vais, je viens, je cours, je ne perds point le temps,
Je courtise un banquier, je prends argent d’avance :
Quand j’ai dépêché l’un, un autre recommence,
Et ne fais pas le quart de ce que je prétends.
Qui me présente un compte, une lettre, un mémoire,
Qui me dit que demain est jour de consistoire,
Qui me rompt le cerveau de cent propos divers,
Qui se plaint, qui se deult, qui murmure, qui écrit :
Avecques tout cela, dis, Panjas, je te prie,
Ne t’ébahis-tu point comment je fais des vers ?
17
Après avoir longtemps erré sur le rivage
Où l’on voit lamenter tant de chétifs de cour,
Tu as atteint le bord où tout le monde court,
Fuyant de pauvreté le pénible servage.
Nous autres cependant, le long de cette plage,
En vain tendons les mains vers le nautonnier sourd,
Qui nous chasse bien loin : car, pour le faire court,
Nous n’avons un quatrain pour payer le naulage.
Ainsi donc tu jouis du repos bienheureux,
Et comme font là-bas ces doctes amoureux,
Bien avant dans un bois te perds avec ta dame :
Tu bois le long oubli de tes travaux passés,
Sans plus penser en ceux que tu as délaissés,
Criant dessus le port ou tirant à la rame.
18
Si tu ne sais, Morel, ce que je fais ici,
Je ne fais pas l’amour ni autre tel ouvrage :
Je courtise mon maître, et si fais davantage,
Ayant de sa maison le principal souci.
Mon Dieu (ce diras-tu), quel miracle est-ce ci,
Que de voir Du Bellay se mêler de ménage
Et composer des vers en un autre langage ?
Les loups et les agneaux s’accordent tout ainsi.
Voilà que c’est, Morel : la douce poésie
M’accompagne partout, sans qu’autre fantaisie
En si plaisant labeur me puisse rendre oisif.
Mais tu me répondras ;Donne, si tu es sage,
De bonne heure congé au cheval qui est d’âge,
De peur qu’il ne s’empire et devienne poussif
05Les Regrets
1
Je ne veux point fouiller au sein de la nature,
Je ne veux point chercher l’esprit de l’univers,
Je ne veux point sonder les abîmes couverts,
Ni dessiner du ciel la belle architecture.
Je ne peins mes tableaux de si riche peinture,
Et si hauts arguments ne recherche à mes vers :
Mais suivant de ce lieu les accidents divers,
Soit de bien, soit de mal, j’écris à l’aventure.
Je me plains à mes vers, si j’ai quelque regret :
Je me ris avec eux, je leur dis mon secret,
Comme étant de mon cœur les plus sûrs secrétaires.
Aussi ne veux-je tant les peigner et friser,
Et de plus braves noms ne les veux déguiser
Que de papiers journaux ou bien de commentaires.
2 (extraits)
…Quant à moi, je ne veux, pour un vers allonger,
M’accourcir le cerveau : ni pour polir ma rime,
Me consumer l’esprit d’une soigneuse lime,
Frapper dessus ma table ou mes ongles ronger.
Aussi veux-je, Paschal, que ce que je compose
Soit une prose en rime ou une rime en prose,
Et ne veux pour cela le laurier mériter.
Et peut-être que tel se pense bien habile,
Qui trouvant de mes vers la rime si facile,
En vain travaillera, me voulant imiter.
4
Je ne veux feuilleter les exemplaires Grecs,
Je ne veux retracer les beaux traits d’un Horace,
Et moins veux-je imiter d’un Pétrarque la grâce,
Ou la voix d’un Ronsard, pour chanter mes Regrets.
Ceux qui sont de Phoebus vrais poètes sacrés
Animeront leurs vers d’une plus grande audace :
Moi, qui suis agité d’une fureur plus basse,
Je n’entre si avant en si profonds secrets.
Je me contenterai de simplement écrire
Ce que la passion seulement me fait dire,
Sans rechercher ailleurs plus graves arguments.
Aussi n’ai-je entrepris d’imiter en ce livre
Ceux qui par leurs écrits se vantent de revivre
Et se tirer tout vifs dehors des monuments.
5
Ceux qui sont amoureux, leurs amours chanteront,
Ceux qui aiment l’honneur, chanteront de la gloire,
Ceux qui sont près du roi, publieront sa victoire,
Ceux qui sont courtisans, leurs faveurs vanteront,
Ceux qui aiment les arts, les sciences diront,
Ceux qui sont vertueux, pour tels se feront croire,
Ceux qui aiment le vin, deviseront de boire,
Ceux qui sont de loisir, de fables écriront,
Ceux qui sont médisants, se plairont à médire,
Ceux qui sont moins fâcheux, diront des mots pour rire,
Ceux qui sont plus vaillants, vanteront leur valeur,
Ceux qui se plaisent trop, chanteront leur louange,
Ceux qui veulent flatter, feront d’un diable un ange :
Moi, qui suis malheureux, je plaindrai mon malheur.
6
Las, où est maintenant ce mépris de fortune ?
Où est ce cœur vainqueur de toute adversité,
Cet honnête désir de l’immortalité,
Et cette honnête flamme au peuple non commune ?
Où sont ces doux plaisirs, qu’au soir sous la nuit brune
Les Muses me donnaient, alors qu’en liberté
Dessus le vert tapis d’un rivage écarté
Je les menais danser aux rayons de la lune ?
Maintenant la fortune est maîtresse de moi,
Et mon cœur, qui soulait être maître de soi,
Est serf de mille maux et regrets qui m’ennuient,
De la postérité je n’ai plus de souci,
Cette divine ardeur, je ne l’ai plus aussi,
Et les Muses de moi, comme étranges, s’enfuient.
9
France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m’as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.
Si tu m’as pour enfant avoué quelquefois,
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle.
Mais nul, sinon Echo, ne répond à ma voix.
Entre les loups cruels j’erre parmi la plaine,
Je sens venir l’hiver, de qui la froide haleine
D’une tremblante horreur fait hérisser ma peau.
Las, tes autres agneaux n’ont faute de pâture,
Et ne craignent le loup, le vent ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.
Orbe Conjonction* Conjonction* Sextil* Sextil* Carré* Carré*
Valeur absolue en ° de l’orbe entre les 2 planètes Possibilités que les 2 planètes soient en aspect  (nombres entiers)* Probabilités sur 360 (nombre entier de positions sur le cercle) Possibilités que les 2 planètes soient en aspect  (nombres entiers)* Probabilités sur 360 (nombre entier de positions sur le cercle) Possibilités que les 2 planètes soient en aspect  (nombres entiers)* Probabilités sur 360 (nombre entier de positions sur le cercle)
0 1 0,28% 2 0,56% 2 0,56%
1 3 0,83% 6 1,67% 6 1,67%
2 5 1,39% 10 2,78% 10 2,78%
3 7 1,94% 14 3,89% 14 3,89%
4 9 2,50% 18 5,00% 18 5,00%
5 11 3,06% 22 6,11% 22 6,11%
6 13 3,61% 26 7,22% 26 7,22%
7 15 4,17% 30 8,33% 30 8,33%
8 17 4,72% 34 9,44% 34 9,44%
9 19 5,28% 38 10,56% 38 10,56%
10 21 5,83% 42 11,67% 42 11,67%
Orbe Trigone* Trigone* Opposition* Opposition* Les 5 aspects Les 5 aspects
Valeur absolue en ° de l’orbe entre les 2 planètes Possibilités que les 2 planètes soient en aspect  (nombres entiers)* Probabilités sur 360 (nombre entier de positions sur le cercle) Possibilités que les 2 planètes soient en aspect  (nombres entiers)* Probabilités sur 360 (nombre entier de positions sur le cercle) Total des possibilités Probabilités sur 360 (nombre entier de positions sur le cercle)
0 2 0,56% 1 0,28% 8 2,22%
1 6 1,67% 3 0,83% 24 6,67%
2 10 2,78% 5 1,39% 40 11,11%
3 14 3,89% 7 1,94% 56 15,56%
4 18 5,00% 9 2,50% 72 20,00%
5 22 6,11% 11 3,06% 88 24,44%
6 26 7,22% 13 3,61% 104 28,89%
7 30 8,33% 15 4,17% 120 33,33%
8 34 9,44% 17 4,72% 136 37,78%
9 38 10,56% 19 5,28% 152 42,22%
10 42 11,67% 21 5,83% 168 46,67%

* 1 possibilité pour l’aspect exact (0° d’orbe) et 1 possibilité pour chacune des positions

(en ° entier) au-delà et en deçà de cette position « 0 »

ex: pour une conjonction ou une opposition, et pour un orbe de 1° il y a 1 possibilité pour l’aspect exact, 1 possibilité pour un orbe +1° et une possibilité pour un orbe -1°, soit 3 possibilités

ex: pour un sextil, un carré et un trigone, et pour un orbe de 1° les possibilités sont doublées

(car 2 sextils, 2 carrés et 2 trigones possibles à une même planète) soit 6 possibilités

A Monsieur d’Avanson (extraits)
Si je n’ai plus la faveur de la muse,
Et si mes vers se trouvent imparfaits,
Le lieu, le temps, l’âge où je les ai faits,
Et mes ennuis leur serviront d’excuse….
…La Muse ainsi me fait sur ce rivage,
Où je languis banni de ma maison,
Passer l’ennui de la triste saison,
Seule compagne à mon si long voyage.
La Muse seule au milieu des alarmes
Est assurée et ne pâlit de peur :
La Muse seule au milieu du labeur
Flatte la peine et dessèche les larmes.
D’elle je tiens le repos et la vie,
D’elle j’apprends à n’être ambitieux,
D’elle je tiens les saints présents des dieux
Et le mépris de fortune et d’envie.
Aussi sait-elle, ayant dès mon enfance
Toujours guidé le cours de mon plaisir,
Que le devoir, non l’avare désir,
Si longuement me tient loin de la France….
….Celui qui a de l’amoureux breuvage
Goûté mal sain le poison doux-amer,
Connaît son mal, et contraint de l’aimer,
Suit le lien qui le tient en servage.
Pour ce me plaît la douce poésie,
Et le doux trait par qui je fus blessé :
Dès le berceau la Muse m’a laissé
Cet aiguillon dedans la fantaisie….
….De quelque mal un chacun se lamente,
Mais les moyens de plaindre sont divers :
J’ai, quant à moi, choisi celui des vers
Pour désaigrir l’ennui qui me tourmente.
Et c’est pourquoi d’une douce satire
Entremêlant les épines aux fleurs,
Pour ne fâcher le monde de mes pleurs,
J’apprête ici le plus souvent à rire….
Songe VI
Une louve je vis sous l’antre d’un rocher
Allaitant deux bessons : je vis à sa mamelle
Mignardement jouer cette couple jumelle,
Et d’un col allongé la louve les lécher.
Je la vis hors de là sa pâture chercher,
Et courant par les champs, d’une fureur nouvelle
Ensanglanter la dent et la patte cruelle
Sur les menus troupeaux pour sa soif étancher.
Je vis mille veneurs descendre des montagnes
Qui bornent d’un côté les lombardes campagnes,
Et vis de cent épieux lui donner dans le flanc.
Je la vis de son long sur la plaine étendue,
Poussant mille sanglots, se vautrer en son sang,
Et dessus un vieux tronc la dépouille pendue.
Songe VIII
Je vis un fier torrent, dont les flots écumeux
Rongeaient les fondements d’une vieille ruine :
Je le vis tout couvert d’une obscure bruine,
Qui s’élevait par l’air en tourbillons fumeux :
Dont se formait un corps à sept chefs merveilleux,
Qui villes et châteaux couvait sous sa poitrine,
Et semblait dévorer d’une égale rapine
Les plus doux animaux et les plus orgueilleux.
J’étais émerveillé de voir ce monstre énorme
Changer en cent façons son effroyable forme,
Lorsque je vis sortir d’un antre scythien
Ce vent impétueux, qui souffle la froidure,
Dissiper ces nuaux, et en si peu que rien
S’évanouir par l’air cette horrible figure.
Songe IX
Tout effrayé de ce monstre nocturne,
Je vis un corps hideusement nerveux,
A longue barbe, à longs flottants cheveux,
A front ridé et face de Saturne :
Qui s’accoudant sur le ventre d’une urne,
Versait une eau, dont le cours fluctueux
Allait baignant tout ce bord sinueux
Où le Troyen combattit contre Turne.
Dessous ses pieds une louve allaitait
Deux enfançons : sa main dextre portait
L’arbre de la paix, l’autre la palme forte :
Son chef était couronné de laurier.
Adonc lui chut la palme et l’olivier,
Et du laurier la branche devint morte.
Songe XI
Dessus un mont une flamme allumée
A triple pointe ondoyait vers les cieux,
Qui de l’encens d’un cèdre précieux
Parfumait l’air d’une odeur embaumée.
D’un blanc oiseau l’aile bien emplumée
Semblait voler jusqu’au séjour des dieux,
Et dégoisant un chant mélodieux
Montait au ciel avecques la fumée.
De ce beau feu les rayons écartés
Lançaient partout mille et mille clartés,
Quand le dégout d’une pluie dorée
Le vint éteindre. O triste changement !
Ce qui sentait si bon premièrement
Fut corrompu d’une odeur sulfurée.
Songe XII
Je vis sourdre d’un roc une vive fontaine,
Claire comme cristal aux rayons du soleil,
Et jaunissant au fond d’un sablon tout pareil
A celui que Pactol roule parmi la plaine.
Là semblait que nature et l’art eussent pris peine
D’assembler en un lieu tous les plaisirs de l’œil :
Et là s’oyait un bruit incitant au sommeil,
De cent accords plus doux que ceux d’une sirène.
Les sièges et relais luisaient d’ivoire blanc,
Et cent nymphes autour se tenaient flanc à flanc,
Quand des monts plus prochains de faunes une suite
En effroyables cris sur le lieu s’assembla,
Qui de ses vilains pieds la belle onde troubla,
Mit les sièges par terre et les nymphes en fuite.
Songe XIV
Ayant tant de malheurs gémi profondément,
Je vis une cité quasi semblable à celle
Que vit le messager de la bonne nouvelle,
Mais bâti sur le sable était son fondement.
Il semblait que son chef touchât au firmament,
Et sa forme n’était moins superbe que belle :
Digne, sil en fut onc, digne d’être immortelle,
Si rien dessous le ciel se fondait fermement.
J’étais émerveillé de voir si bel ouvrage,
Quand du côté de nord vint le cruel orage,
Qui soufflant la fureur de son cœur dépité
Sur tout ce qui s’oppose encontre sa venue,
Renversa sur-le-champ, d’une poudreuse nue,
Les faibles fondements de la grande cité.
Antiquités25
Que n’ai-je encor la harpe thracienne,
Pour réveiller de l’enfer paresseux
Ces vieux Césars, et les ombres de ceux
Qui ont bâti cette ville ancienne ?
Ou que je n’ai celle amphionienne,
Pour animer d’un accord plus heureux
De ces vieux murs les ossements pierreux,
Et restaurer la gloire ausonienne ?
Pussé-je au moins d’un pinceau plus agile
Sur le patron de quelque grand Virgile
De ces palais les portraits façonner :
J’entreprendrais, vu l’ardeur qui m’allume,
De rebâtir au compas de la plume
Ce que les mains ne peuvent maçonner .
Antiquités26
Qui voudrait figurer la romaine grandeur
En ses dimensions, il lui faudrait querre
A la ligne et au plomb, au compas, à l’équerre,
Sa longueur et largeur, hautesse et profondeur :
Il lui faudrait cerner d’une égale rondeur
Tout ce que l’océan de ses longs bras enserre,
Soit où l’astre annuel échauffe plus la terre,
Soit où souffle Aquilon sa plus grande froideur.
Rome fut tout le monde, et tout le monde en Rome.
Et si par mêmes noms mêmes choses on nomme,
Comme du nom de Rome on se pourrait passer,
La nommant par le nom de la terre et de l’onde :
Ainsi le monde on peut sur Rome compasser,
Puisque le plan de Rome est la carte du monde.
Antiquités29
Tout ce qu’Egypte en pointe façonna,
Tout ce que Grèce à la corinthienne,
A l’ionique, attique ou dorienne,
Pour l’ornement des temples maçonna :
Tout ce que l’art de Lysippe donna,
La main d’Apelle ou la main phidienne,
Soulait orner cette ville ancienne,
Dont la grandeur le ciel même étonna :
Tout ce qu’Athène eut onques de sagesse,
Tout ce qu’Asie eut onques de richesse,
Tout ce qu’Afrique eut onques de nouveau,
S’est vu ici. O merveille profonde !
Rome vivant fut l’ornement du monde,
Et morte elle est du monde le tombeau.
Antiquités30
Comme le champ semé en verdure foisonne,
De verdure se hausse en tuyau verdissant,
Du tuyau se hérisse en épi florissant,
D’épi jaunit en grain, que le chaud assaisonne :
Et comme en la saison le rustique moissonne
Les ondoyants cheveux du sillon blondissant,
Les met d’ordre en javelle, et du blé jaunissant
Sur le champ dépouillé mille gerbes façonne :
Ainsi de peu à peu crût l’empire romain,
Tant qu’il fut dépouillé par la barbare main,
Qui ne laissa de lui que ces marques antiques
Que chacun va pillant : comme on voit le glaneur
Cheminant pas à pas recueillir les reliques
De ce qui va tombant après le moissonneur.
Au Roi
Ne vous pouvant donner ces ouvrages antiques
Pour votre Saint-Germain ou pour Fontainebleau,
Je les vous donne, Sire, en ce petit tableau
Peint, le mieux que j’ai pu, de couleurs poétiques :
Qui mis sous votre nom devant les yeux publiques,
Si vous le daignez voir en son jour le plus beau,
Se pourra bien vanter d’avoir hors du tombeau
Tiré des vieux Romains les poudreuses reliques.
Que vous puissent les dieux un jour donner tant d’heur,
De rebâtir en France une telle grandeur
Que je la voudrais bien peindre en votre langage :
Et peut-être qu’alors votre grand Majesté,
Repensant à mes vers, dirait qu’ils ont été
De votre monarchie un bienheureux présage.
Antiquités3
Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome
Et rien de Rome en Rome n’aperçois,
Ces vieux palais, ces vieux arcs que tu vois,
Et ces vieux murs, c’est ce que Rome on nomme.
Vois quel orgueil, quelle ruine ; et comme
Celle qui mit le monde sous ses lois,
Pour dompter tout, se dompta quelquefois,
Et devint proie au temps, qui tout consomme.
Rome de Rome est le seul monument,
Et Rome Rome a vaincu seulement.
Le Tibre seul, qui vers la mer s’enfuit,
Reste de Rome. O mondaine inconstance !
Ce qui est ferme, est par le temps détruit,
Et ce qui fuit, au temps fait résistance.
Antiquités5
Qui voudra voir tout ce qu’ont pu nature,
L’art et le ciel, Rome, te vienne voir :
J’entends s’il peut ta grandeur concevoir
Par ce qui n’est que ta morte peinture.
Rome n’est plus : et si l’architecture
Quelque ombre encor de Rome fait revoir,
C’est comme un corps par magique savoir
Tiré de nuit hors de sa sépulture.
Le corps de Rome en cendre est dévalé,
Et son esprit rejoindre s’est allé
Au grand esprit de cette masse ronde.
Mais ses écrits, qui sont los le plus beau
Malgré le temps arrachent du tombeau,
Font son idole errer parmi le monde.
Antiquités14
Comme on passe en été le torrent sans danger,
Qui soulait en hiver être le roi de la plaine,
Et ravir par les champs d’une fuite hautaine
L’espoir du laboureur et l’espoir du berger :
Comme on voit les couards animaux outrager
Le courageux lion gisant dessus l’arène,
Ensanglanter leurs dents, et d’une audace vaine
Provoquer l’ennemi qui ne se peut venger :
Et comme devant Troie on vit des Grecs encor
Braver les moins vaillants autour du corps d’Hector
Ainsi ceux qui jadis soulaient, à tête basse,
Du triomphe romain la gloire accompagner,
Sur ces poudreux tombeaux exercent leur audace,
Et osent les vaincus les vainqueurs dédaigner.
N° Situation maritale Date de naissance   Soleil F   Soleil H  Ecart Aspects
      Signe Degrés Signe Degrés   Cn  Sl  Cé  Te  On 
5 Epouse 17/05/1925 T 55,55 0      
  Epoux 12/12/1923 0   Sa 258,93 156,62 0    0    0     0    0
6 Epouse 17/05/1925 T 55,55 0      
  Epoux 19/01/1926 0   Cap 298,17 117,38 0    0    0     0    0
7 Epouse 21/09/1925 Vi 177,47 0      
  Epoux 05/03/1922 0   P 343,63 166,16 0    0    0     0    0
8 Epouse 21/09/1925 Vi 177,47 0      
  Epoux 08/07/1933 0   Can 105,37 72,10 0    0    0     0    0
9 Epouse 18/03/1926 P 356,63 0      
  Epoux 03/10/1921 0   Ba 189,23 167,40 0    0    0     0    0
10 Epouse 18/03/1926 P 356,63 0      
  Epoux 06/11/1925 0   Sc 223,05 133,58 0    0    0     0    0
11 Epouse 06/06/1926 G 74,53 0      
  Epoux 20/04/1926 0   Be 29,15 45,38 0    0    0     0    0
12 Epouse 06/06/1926 G 74,53 0      
  Epoux 06/04/1931 0   Be 15,22 59,31 0    0    0     0    0
17 Epouse 06/12/1927 Sa 252,85 0      
  Epoux 06/04/1926 0   Be 15,43 122,58 0    0    0     0    0
18 Epouse 06/12/1927 Sa 252,85 0      
  Epoux 02/12/1927 0   Sa 248,80 4,05 0    0    0     0    0

Cn: Conjonction Sl: Sextil Cé: Carré Te: Trigone On: Opposition

J’ai tant rêvé de toi

J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.

Est-il encore temps d’atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m’est chère ?

J’ai tant rêvé de toi que mes bras habitués en étreignant ton ombre à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être.

Et que, devant l’apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne depuis des jours et des années, je deviendrais une ombre sans doute.

Ô balances sentimentales.

J’ai tant rêvé de toi qu’il n’est plus temps sans doute que je m’éveille. Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et de l’amour et toi, la seule qui compte aujourd’hui pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres et le premier front venu.

J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu’il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera allègrement sur le cadran solaire de ta vie.

Les quatre sans cou

Ils étaient quatre et n’avaient plus de tête,

Quatre à qui l’on avait coupé le cou,

On les appelait les quatre sans cou.

Quand ils buvaient un verre,

Au café de la place ou du boulevard,

Les garçons n’oubliaient pas d’apporter des entonnoirs.

Quand ils mangeaient, c’était sanglant,

Et tous quatre chantant et sanglotant

Quand ils aimaient, c’était du sang.

Quand ils couraient, c’était du vent,

Quand ils pleuraient, c’était vivant,

Quand ils dormaient, c’était sans regret.

Quand ils travaillaient, c’était méchant,

Quand ils rôdaient, c’était effrayant,

Quand ils jouaient, c’était différent,

Quand ils jouaient, c’était comme tout le monde,

Comme vous et moi, vous et nous et tous les autres,

Quand ils jouaient, c’était étonnant.

Mais quand ils parlaient, c’était d’amour.

Ils auraient pour un baiser

Donné ce qui leur restait de sang.

Leurs mains avaient des lignes sans nombre

Qui se perdaient parmi les ombres

Comme des rails dans la forêt.

Quand ils s’asseyaient, c’était plus majestueux que des rois

Et les idoles se cachaient derrière leurs croix

Quand devant elles ils passaient droits.

On leur avait rapporté leur tête

Plus de vingt fois, plus de cent fois,

Les ayant retrouvés à la chasse ou dans les fêtes,

Mais jamais ils ne voulurent reprendre

Ces têtes où brillaient leurs yeux

Où les souvenirs dormaient dans leur cervelle.

Cela ne faisait peut-être pas l’affaire

Des chapeliers et des dentistes.

La gaieté des uns rend les autres tristes.

Les quatre sans cou vivent encore, c’est certain.

J’en connais au moins un

Et peut-être aussi les trois autres.

Le premier, c’est Anatole,

Le second, c’est Croquignole,

Le troisième, c’est Barbemolle,

Le quatrième, c’est encore Anatole.

Je les vois de moins en moins,

Car c’est déprimant, à la fin,

La fréquentation des gens trop malins.

Comme

Comme, dit l’Anglais à l’Anglais, et l’Anglais vient.

Côme, dit le chef de gare, et le voyageur qui vient dans cette ville descend du train sa valise à la main.

Come, dit l’autre, et il mange.

Comme, je dis comme et tout se métamorphose, le marbre en eau, le ciel en orange, le vin en plaine, le fil en six, le cœur en peine, la peur en seine.

Mais si l’Anglais dit as, c’est à son tour de voir le monde changer de forme à sa convenance

Et moi je ne vois plus qu’un signe unique sur une carte :

L’as de cœur si c’est en février,

L’as de carreau et l’as de trèfle, misère en Flandre,

L’as de pique aux mains des aventuriers.

Et si cela me plaît à moi de vous dire machin,

Pot à eau, mousseline et potiron.

Que l’Anglais dise machin,

Que machin dise le chef de gare,

Machin dise l’autre,

Et moi aussi.

Machin.

Et même machin chose.

Il est vrai que vous vous en foutez

Que vous ne comprenez pas la raison de ce poème

Moi non plus d’ailleurs.

Poème, je vous demande un peu ?

Poème, je vous demande un peu de confiture,

Encore un peu de gigot,

Encore un petit verre de vin

Pour nous mettre en train…..

Poème, je ne vous demande pas l’heure qu’il est.

Poème, je ne vous demande pas si votre beau-père est poilu comme un sapeur.

Poème, je vous demande un peu…. ?

Poème, je ne vous demande pas l’aumône,

Je vous la fais.

Poème, je ne vous demande pas l’heure qu’il est,

Je vous la donne.

Poème, je ne vous demande pas si vous allez bien,

Cela se devine.

Poème, poème, je vous demande un peu…

Je vous demande un peu d’or pour être heureux avec celle que j’aime.

La girafe

La girafe et la girouette,

Vent du sud et vent de l’est,

Tendent leur cou vers l’alouette,

Vent du nord et vent de l’ouest.

Toutes deux vivent près du ciel,

Vent du sud et vent de l’est,

A la hauteur des hirondelles,

Vent du nord et vent de l’ouest.

Et l’hirondelle pirouette,

Vent du sud et vent de l’est,

En été sur les girouettes,

Vent du nord et vent de l’ouest.

L’hirondelle fait des paraphes,

Vent du sud et vent de l’est,

Tout l’hiver autour des girafes,

Vent du nord et vent de l’ouest.

Le paysage

J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour

Ce n’est plus ce bouquet de lilas et de roses

Chargeant de leurs parfums la forêt où repose

Une flamme à l’issue de sentiers sans détours.

J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour

Ce n’est plus cet orage où l’éclair superpose

Ses bûchers aux châteaux, déroute, décompose,

Illumine en fuyant l’adieu du carrefour.

C’est le silex en feu sous mon pas dans la nuit,

Le mot qu’aucun lexique au monde n’a traduit,

L’écume sur la mer, dans le ciel ce nuage.

A vieillir tout devient rigide et lumineux,

Des boulevards sans noms et des cordes sans nœuds.

Je me sens me roidir avec le paysage.

Chapitre 6

 

Méthode de travail 2

Les tableaux qui suivent :

-calculent l’écart existant entre les planètes des épouses et des époux sur le cercle zodiacal

 -déterminent s’il existe ou non un rapport géométrique ou « aspect » entre ces planètes en fonction des « orbes » admis.

Les orbes étudiés vont de 0° à 10°

Lesdits tableaux sont simplifiés et partiels, ne représentant qu’une infime partie des calculs et des  résultats obtenus; comme pour les déterminations planétaires (cf chapitre 5 et sous chapitres 50, 51, 52 et 53) il n’est en effet pas possible de les publier dans leur intégralité, compte tenu que pour chacun des 11 orbes étudiés, il y a 16 rapports de planètes possibles, 5 aspects distincts et 629 couples !!!!

La formule utilisée dans la colonne « écart » pour déterminer l’écart absolu entre 2 planètes est la même  pour chacun des 11 orbes, aux références des cellules près:

=SI(ET(ABS(K11-Q12)>=0 ;ABS(K11-Q12)<=180) ;SI(K11>=Q12 ;K11-Q12 ;Q12-K11) ;SI(K11>=Q12 ;360-K11+Q12 ;K11+360-Q12)

où K11 est la position de la planète de l’épouse et Q12 la position de la planète de l’époux.

Les formules utilisées dans les colonnes « aspects » pour connaître l’existence ou non d’un aspect entre 2 planètes diffèrent d’un orbe à l’autre :

Orbe 0°

Conjonction : =SI(L12=0 ;0 ;SI(R12=0 ;1 ;0))

 Sextil :             =SI(R12=60 ;1 ;0)

Carré :              =SI(R12=90 ;1 ;0)

Trigone :          =SI(R12=120 ;1 ;0)

Opposition :    =SI(R12=180 ;1 ;0)

ou L12 est la colonne des signes de l’époux et R12 la colonne des écarts

Orbe 1°

Conjonction : =SI(L12=0 ;0 ;SI(R12=<=1 ;1 ;0))

Sextil :             =SI(ET(R12>=59 ;R12<=61) ;1 ;0)

Carré :             =SI(ET(R12<=89 ;R12<=91) ;1 ;0)

Trigone :         =SI(ET(R12<=119 ;R12<=121) ;1 ;0)

0ppàsition :    =SI(ET(R12>=179 ;R12<=181) ;1 ;0)

Orbe 2°

Conjonction : =SI(L12=0 ;0 ;SI(R12<=2 ;1 ;0))

Sextil :             =SI(ET(R12>=58 ;R12<=62) ;1 ;0)

Carré :             =SI(ET(R12>=88 ;R12<=92) ;1 ;0)

Trigone :         =SI(ET(R12>=118 ;R12<=122) ;1 ;0)

Opposition :   =SI(ET(R12>=178 ;R12<=182) ;1 ;0)

Orbe 3°

Conjonction : =SI(L12=0 ;0 ;Si(R12<=3 ;1 ;0))

Sextil :             =SI(ET(R12>=57 ;R12<=63) ;1 ;0)

Carré :             =SI(ET(R12>=87 ;R12<=93) ;1 ;0)

Trigone :         =SI(ET(R12>=117 ;R12<=123) ;1 ;0)

Opposition :   =SI(ET(R12>=177 ;R12<=183) ;1 ;0)

etc……..les formules variant à chaque fois d’une unité en + et en –

Orbe 10°

Conjonction : =SI(L12=0 ;0 ;SI(R12<=10 ;1 ;0))

Sextil :             =SI(ET(R12>=50 ;R12<=70) ;1 ;0)

Carré :             =SI(ET(R12>=80 ;R12<=100) ;1 ;0)

Trigone :         =SI(ET(R12>=110 ;R12<=130) ;1 ;0)

Opposition :   =SI(ET(R12>=170 ;R12<=190) ;1 ;0)

Comme  les formules l’indiquent, « 1 » signifie qu’il y a un aspect entre les planètes, « 0 » qu’il n’y en a pas

Au vacarme des autobus… (extraits)
Au vacarme des autobus
Et des cars qui rentrent des courses,
Pourquoi rêver dans l’ombre à l’eau verte des sources,
Où dans la paix du soir boivent mes boucs barbus ?
Me voilà loin de mes troènes,
Et, malheureux comme toujours,
J’évoque au bruit des carrefours,
Le silence des bois et la voix des sirènes.
Par ce printemps de quoi me sert
Que Paris ouvre mille ombrelles,
Si j’écoute gémir de rauques tourterelles,
Et si mon cœur encor s’ennuie en son désert ?
A vrai dire, ombrelles sont closes,
Car déjà règne un air obscur
Où l’on ne voit non plus les roses
Que les délices de l’azur ;
Et sans regarder aux fenêtres,
Ce soir triste, je mène encor
Sur ce vaste papier à lettres
Une plume sergent-major.
Je ne fais aucune rature,
Et ce qui me vient je l’écris ;
De tout mot je fais ma pâture :
Il bourdonne, le voilà pris.
Telle va ma littérature,
Ce soir. – Au fond, n’est-ce charmant,
(Je dis : pour moi) d’écrire ainsi sous la dictée,
Et sans savoir, en ce moment,
Quelle rime sera chantée,
Qui daignera sonner en ment
Ou bien en tée ?
Autant vaudrait jouer aux dés !
Ce sont propos, vous l’entendez,
Qu’il ne sied guère de répandre,
Car il serait juste que des
Alguazils me menassent pendre.
-Quoi ! plus de choix et plus d’esprit :
Plus de raison qui vous gouverne !
Prendre le mot comme il fleurit,
Et n’avoir en la nuit pas même une lanterne !
Craignez que sous Phoebus quelque traître rival
Ne vous passe la bride en vous nommant cheval ;
Car ne faut-il que soient par les Muses guidées
Les lyres dont la voix enchante l’univers
Et qui savent nouer le myrte et les idées
Dans la musique des beaux vers ?…….
N° Situation maritale Date de naissance   Mars F     Mars H  
      Signe Signe Degrés  Sec Signe Signe Degrés  Sec
5 Epouse 17/05/1925 Can 90 04     29      
  Epoux 12/12/1923       Sc 210 05     5
6 Epouse 17/05/1925 Can 90 04     29      
  Epoux 19/01/1926       Sa 240 15     11
7 Epouse 21/09/1925 Vi 150 24     58      
  Epoux 05/03/1922       Sa 240 06     59
8 Epouse 21/09/1925 Vi 150 24     58      
  Epoux 08/07/1933       Ba 180 0     35
9 Epouse 18/03/1926 Cap 270 26     16      
  Epoux 03/10/1921       Vi 150 08     29
10 Epouse 18/03/1926 Cap 270 26     16      
  Epoux 06/11/1925       Ba 180 24     58
11 Epouse 06/06/1926 P 330 23     44      
  Epoux 20/04/1926       Ve 300 20     6
12 Epouse 06/06/1926 P 330 23     44      
  Epoux 06/04/1931       L 120 01     43
17 Epouse 06/12/1927 Sc 210 28     16      
  Epoux 06/04/1926       Ve 300 09     58
18 Epouse 06/12/1927 Sc 210 28     16      
  Epoux 02/12/1927       Sc 210 25     27

Total: 1258 personnes et 629 couples

La sueur panique
Des barques glissent
Dans des cieux liquides
Et les gencives des loups saignent
Dans la nuit de velours vert.
Des larmes tissent
Dans des yeux limpides
La toile où les regards se teignent
Du jeune sang des fronts ouverts.
Le soleil crie
Et se débat de tous ses rayons,
Croyez-vous qu’il appelle au secours ?
Croyez-vous que le soleil meurt ?
Le sable crisse
Au petit jour gelé
Sous les pas d’un être invisible,
Croyez-vous qu’il vienne m’étrangler ?
Je n’ai que mes mains pour parler,
Des oiseaux gris et blancs
Ont pris ma voix en s’envolant ;
Et mes yeux roses sont aveugles,
Mes mains s’agitent vers la forêt,
Vers la nuit mouillée,
Vers le sommeil vert,
Le soleil crie, croyez-vous qu’il se meure ?
J’entends la voix trop pure de l’eau ;
Le soleil crie, c’est une ruse de guerre ;
Je lui ai tendu les mains, ses grands bras dans le bleu vide
Qui file vainement vers l’horizon,
Sers grands bras frappent, frappent mon front,
Mon sang coule rose comme mes yeux,
O loups, croyez-vous que je meure ?
Loups, inondez-moi de sang noir.
N° Situation maritale Date de naissance   Vénus F     Vénus H  
      Signe Signe Degrés  Sec Signe Signe Degrés  Sec
5 Epouse 17/05/1925 G 60 01     38      
  Epoux 12/12/1923       Cap 270 12     9
6 Epouse 17/05/1925 G 60 01     38      
  Epoux 19/01/1926       Ve 300 26     3
7 Epouse 21/09/1925 Sc 210 05     50      
  Epoux 05/03/1922       P 330 19     26
8 Epouse 21/09/1925 Sc 210 05     50      
  Epoux 08/07/1933       L 120 6     2
9 Epouse 18/03/1926 Ve 300 15     52      
  Epoux 03/10/1921       Vi 150 8     16
10 Epouse 18/03/1926 Ve 300 15     52      
  Epoux 06/11/1925       Sa 240 28     57
11 Epouse 06/06/1926 T 30 03     36      
  Epoux 20/04/1926       P 330 12     54
12 Epouse 06/06/1926 T 30 03     36      
  Epoux 06/04/1931       P 330 6     8
17 Epouse 06/12/1927 Ba 180 26     49      
  Epoux 06/04/1926       Ve 300 29     51
18 Epouse 06/12/1927 Ba 180 26     49      
  Epoux 02/12/1927       Ba 180 22     28

Total: 1258 personnes et 629 couples

Le Cid (extraits)
Acte V
Scène 1 Don Rodrigue, Chimène
…Don R : « Je cours à ces heureux moments
Qui vont livrer ma vie à vos ressentiments. »
Chimène : « Tu vas mourir ! Don Sanche est-il si redoutable
Qu’il donne l’épouvante à ce cœur indomptable ?
Qui t’a rendu si faible, ou qui le rend si fort ?
Rodrigue va combattre, et se croit déjà mort !
Celui qui n’a pas craint les Mores, ni mon père,
Va combattre don Sanche, et déjà désespère !
Ainsi donc au besoin ton courage s’abat ! »
Don R : « ….J’ai toujours même cœur ; mais je n’ai point de bras
Quand il faut conserver ce qui ne vous plaît pas ;
Et déjà cette nuit m’aurait été mortelle
Si j’eusse combattu pour ma seule querelle ;
Mais défendant mon roi, son peuple et mon pays,
A me défendre mal je les aurais trahis.
Mon esprit généreux ne hait pas tant la vie
Qu’il en veuille sortir par une perfidie.
Maintenant qu’il s’agit de mon seul intérêt,
Vous demandez ma mort, j’en accepte l’arrêt.
Votre ressentiment choisit la main d’un autre
(Je ne méritais pas de mourir de la vôtre) :
On ne me verra point en repousser les coups ;
Je dois plus de respect à qui combat pour vous ;
Et ravi de penser que c’est de vous qu’ils viennent,
Puisque c’est votre honneur que ses armes soutiennent,
Adorant de sa main la vôtre qui me perd. »
Chimène : « Si d’un triste devoir la juste violence,
Qui me fait malgré moi poursuivre ta vaillance,
Prescrit à ton amour une si forte loi
Qu’il te rend sans défense à qui combat pour moi,
En cet aveuglement ne perds pas la mémoire
Qu’ainsi que de ta vie il y va de ta gloire,
Et que dans quelque éclat que Rodrigue ait vécu,
Quand on le saura mort, on le croira vaincu.
Ton honneur t’est plus cher que je ne te suis chère,
Puisqu’il trempe tes mains dans le sang de mon père,
Et te fait renoncer, malgré ta passion,
A l’espoir le plus doux de ma possession :
Je t’en vois cependant faire si peu de conte,
Que sans rendre combat tu veux qu’on te surmonte….
Quoi ? n’es-tu généreux que pour me faire outrage ?
S’il ne faut m’offenser, n’as-tu point de courage ?
Et traites-tu mon père avec tant de rigueur,
Qu’après l’avoir vaincu, tu souffres un vainqueur ?
Va, sans vouloir mourir, laisse-moi te poursuivre,
Et défends ton honneur, si tu ne veux plus vivre. »
Don R : « …Non, non, en ce combat, quoique vous veuillez croire,
Rodrigue peut mourir sans hasarder sa gloire,
Sans qu’on l’ose accuser d’avoir manqué de cœur,
Sans passer pour vaincu, sans souffrir un vainqueur.
On dira seulement : « il adorait Chimène ;
Il n’a pas voulu vivre et mériter sa haine ;
Il a cédé lui-même à la rigueur du sort
Qui forçait sa maîtresse à poursuivre sa mort :
Elle voulait sa tête ; et son cœur magnanime,
S’il l’en eût refusée, eût penser faire un crime.
Pour venger son honneur, il perdit son amour,
Pour venger sa maîtresse il a quitté le jour,
Préférant, quelque espoir qu’eût son âme asservie,
Son honneur à Chimène, et Chimène à sa vie. »
Ainsi donc vous verrez ma mort en ce combat… »
Chimène : « Puisque pour t’empêcher de courir au trépas,
Ta vie et ton honneur sont de faibles appas,
Si jamais je t’aimai, cher Rodrigue, en revanche,
Défends-toi maintenant pour m’ôter à don Sanche ;
Combats pour m’affranchir d’une condition
Qui me donne à l’objet de mon aversion.
Te dirai-je encor plus ? va, songe à ta défense,
Pour forcer mon devoir, pour m’imposer silence ;
Et si tu sens pour moi ton cœur encore épris,
Sors vainqueur d’un combat dont Chimène est le prix.
Adieu : ce mot lâché me fait rougir de honte. »
Don R : « Est-il quelque ennemi qu’à présent je ne dompte ?… »
Scène 3 L’Infante, Léonor
…L : « Car Chimène aisément montre par sa conduite
Que la haine aujourd’hui ne fait pas sa poursuite.
Elle obtient un combat, et pour son combattant
C’est le premier offert qu’elle accepte à l’instant :
Elle n’a point recours à ces mains généreuses
Que tant d’exploits fameux rendent si glorieuses ;
Don Sanche lui suffit, et mérite son choix,
Parce qu’il va s’armer pour la première fois.
Elle aime en ce duel son peu d’expérience ;
Comme il est sans renom, elle est sans défiance ;
Et sa facilité vous doit bien faire voir
Qu’elle cherche un combat qui force son devoir,
Qui livre à son Rodrigue une victoire aisée,
Et l’autorise enfin à paraître apaisée. »
Scène 4 Chimène, Elvire
Chimène : « …Je ne souhaite rien sans un prompt repentir.
A deux rivaux pour moi je fais prendre les armes :
Le plus heureux succès me coûtera des larmes ;
Et quoi qu’en ma faveur en ordonne le sort,
Mon père est sans vengeance, ou mon amant est mort.. »
Elvire : « D’un et d’autre côté je vous vois soulagée :
Ou vous avez Rodrigue, ou vous êtes vengée ;
Et quoi que le destin puisse ordonner de vous,
Il soutient votre gloire, et vous donne un époux. »
Chimène : « Quoi ! l’objet de ma haine ou de tant de colère !
L’assassin de Rodrigue ou celui de mon père !
De tous les deux côtés on me donne un mari
Encor tout teint du sang que j’ai le plus chéri ;
De tous les deux côtés mon âme se rebelle :
Je crains plus que la mort la fin de ma querelle… »
Elvire : « …Ce combat pour votre âme est un nouveau supplice,
S’il vous laisse obligée à demander justice,
A témoigner toujours ce haut ressentiment,
Et poursuivre toujours la mort de votre amant.
Madame, il vaut bien mieux que sa rare vaillance,
Lui couronnant le front, vous impose silence ;
Que la loi du combat étouffe vos soupirs,
Et que le Roi vous force à suivre vos désirs. »
Chimène : « Quand il sera vainqueur, crois-tu que je me rende ?
Mon devoir est trop fort, et ma perte trop grande,
Et ce n’est pas assez, pour leur faire la loi,
Que celle du combat et le vouloir du Roi.
Il peut vaincre don Sanche avec fort peu de peine,
Mais non pas avec lui la gloire de Chimène ;
Et quoi qu’à sa victoire un monarque ait promis,
Mon honneur lui fera mille autres ennemis. »
Elvire : « Gardez, pour vous punir de cet orgueil étrange,
Que le ciel à la fin ne souffre qu’on vous venge.
Quoi ! vous voulez encor refuser le bonheur
De pouvoir maintenant vous taire avec honneur ?
Que prétend ce devoir, et qu’est-ce qu’il espère ?
La mort de votre amant vous rendra-t-elle un père ?
Est-ce trop peu pour vous que d’un coup de malheur ?
Faut-il perte sur perte, et douleur sur douleur ?
Allez, dans le caprice où votre humeur s’obstine,
Vous ne méritez pas l’amant qu’on vous destine ;
Et nous verrons du ciel l’équitable courroux
Vous laisser, par sa mort, don Sanche pour époux. »
Chimène : « Elvire, c’est assez des peines que j’endure,
Ne les redouble point de ce funeste augure… »
Scène 5 Don Sanche, Chimène, Elvire
DS : « Obligé d’apporter à vos pieds cette épée… »
Chimène : « Quoi ! du sang de Rodrigue encor toute trempée ?
Perfide, oses-tu bien te montrer à mes yeux,
Après m’avoir ôté ce que j’aimais le mieux ?
Eclate mon amour, tu n’as plus rien à craindre :
Mon père est satisfait, cesse de te contraindre…
..Tu me parles encore,
Exécrable assassin d’un héros que j’adore ?
Va, tu l’as pris en traître ; un guerrier si vaillant
N’eût jamais succombé sous un tel assaillant.
N’espère rien de moi, tu ne m’as point servie :
En croyant me venger, tu m’as ôté la vie. »…
Scène 6 Don Fernand, Don Diègue, Don Arias, Don Sanche, Don Alonse, Chimène, Elvire
Chimène : « Sire, il n’est plus besoin de vous dissimuler
Ce que tous mes efforts ne vous ont pu celer.
J’aimais, vous l’avez su ; mais pour venger mon père,
J’ai bien voulu proscrire une tête si chère :
Votre Majesté, Sire, elle-même a pu voir
Comme j’ai fait céder mon amour au devoir.
Enfin Rodrigue est mort, et sa mort m’a changée
D’implacable ennemie en amante affligée.
J’ai dû cette vengeance à qui m’a mise au jour,
Et je dois maintenant ces pleurs à mon amour.
Don Sanche m’a perdue en prenant ma défense,
Et du bras qui me perd je suis la récompense !
Sire, si la pitié peut émouvoir un roi,
De grâce, révoquez une si dure loi ;
Pour prix d’une victoire où je perds ce que j’aime,
Je lui laisse mon bien ; qu’il me laisse à moi-même ;
Qu’en un cloître sacré je pleure incessamment,
Jusqu’au dernier soupir, mon père et mon amant. »
…Don F : « Chimène, sors d’erreur, ton amant n’est pas mort,
Et don Sanche vaincu t’a fait un faux rapport. »
Don S : « …Elle m’a cru vainqueur, me voyant de retour,
Et soudain sa colère a trahi son amour
Avec tant de transport et tant d’impatience,
Que je n’ai pu gagner un moment d’audience.
Pour moi, bien que vaincu, je me répute heureux ;
Et malgré l’intérêt de mon cœur amoureux,
Perdant infiniment, j’aime encor ma défaite,
Qui fait le beau succès d’une amour si parfaite. »
Don F : « Ma fille, il ne faut point rougir d’un si beau feu,
Ni chercher les moyens d’en faire un désaveu.
Une louable honte en vain t’en sollicite :
Ta gloire est dégagée, et ton devoir est quitte ;
Ton père est satisfait, et c’était le venger
Que mettre tant de fois ton Rodrigue en danger.
Tu vois comme le ciel autrement en dispose.
Ayant tant fait pour lui, fais pour toi quelque chose,
Et ne sois point rebelle à mon commandement,
Qui te donne un époux aimé si chèrement. »
Scène 7 Don Fernand, Don Diègue, Don Arias, Don Rodrigue, Don Alonse, Don Sanche, l’Infante, Chimène, Léonor, Elvire
…Rodrigue : « …Madame, mon amour n’emploiera point pour moi
Ni la loi du combat, ni le vouloir du Roi.
Si tout ce qui s’est fait est trop peu pour un père,
Dites par quels moyens il vous faut satisfaire.
Faut-il combattre encor mille et mille rivaux,
Aux deux bouts de la terre étendre mes travaux,
Forcer moi seul un camp, mettre en fuite une armée,
Des héros fabuleux passer la renommée ?
Si mon crime par là se peut enfin laver,
J’ose tout entreprendre, et puis tout achever ;
Mais si ce fier honneur, toujours inexorable,
Ne se peut apaiser sans la mort du coupable,
N’armez plus contre moi le pouvoir des humains :
Ma tête est à vos pieds, vengez-vous par vos mains… »
Chimène : « …Rodrigue a des vertus que je ne puis haïr,
Et quand un roi commande, on lui doit obéir…
Si Rodrigue à l’Etat devient si nécessaire,
De ce qu’il fait pour vous dois-je être le salaire,
Et me livrer moi-même au reproche éternel
D’avoir trempé mes mains dans le sang paternel ? »
Don F : « Le temps assez souvent a rendu légitime
Ce qui semblait d’abord ne se pouvoir sans crime :
Rodrigue t’a gagnée, et tu dois être à lui.
Mais quoique sa valeur t’ait conquise aujourd’hui,
Il faudrait que je fusse ennemi de ta gloire,
Pour lui donner si tôt le prix de sa victoire.
Cet hymen différé ne rompt point une loi
Qui sans marquer de temps lui destine ta foi.
Prends un an, si tu veux, pour essuyer tes larmes.
Rodrigue, cependant il faut prendre les armes.
Après avoir vaincu les Mores sur nos bords,
Renversé leurs desseins, repoussé leurs efforts,
Va jusqu’en leur pays leur reporter la guerre,
Commander mon armée, et ravager leur terre :
A ce nom seul de Cid ils trembleront d’effroi ;
Ils t’ont nommé seigneur, et te voudront pour roi.
Mais parmi les hauts faits sois-lui toujours fidèle :
Reviens-en, s’il se peut, encor plus digne d’elle ;
Et par tes grands exploits fais-toi si bien priser
Qu’il lui soit glorieux alors de t’épouser. »
Don Rodrigue : « Pour posséder Chimène, et pour votre service,
Que peut-on m’ordonner que mon bras n’accomplisse ?
Quoi qu’absent de ses yeux il me faille endurer,
Sire, ce m’est trop d’heur de pouvoir espérer. »
Don F : «  Espère en ton courage, espère en ma promesse ;
Et possédant déjà le cœur de ta maîtresse,
Pour vaincre un point d’honneur qui combat contre toi,
Laisse faire le temps, ta vaillance et ton roi. »
N° Situation maritale Date de naissance   Mercure F     Mercure H  
      Signe Signe Degrés  Sec Signe Signe Degrés  Sec
5 Epouse 17/05/1925 Be 0 29     56      
  Epoux 12/12/1923       Cap 270 03     2
6 Epouse 17/05/1925 Be 0 29     56      
  Epoux 19/01/1926       Cap 270 10     55
7 Epouse 21/09/1925 Vi 150 14     11      
  Epoux 05/03/1922       Ve 300 17     44
8 Epouse 21/09/1925 Vi 150 14     11      
  Epoux 08/07/1933       L 120 10     27
9 Epouse 18/03/1926 Be 0 13     55      
  Epoux 03/10/1921       Sc 210 04     2
10 Epouse 18/03/1926 Be 0 13     55      
  Epoux 06/11/1925       Sa 240 0     18
11 Epouse 06/06/1926 G 60 16     9      
  Epoux 20/04/1926       Be 0 04     6
12 Epouse 06/06/1926 G 60 16     9      
  Epoux 06/04/1931       T 30 03     37
17 Epouse 06/12/1927 Sc 210 25     7      
  Epoux 06/04/1926       Be 0 05     17
18 Epouse 06/12/1927 Sc 210 25     7      
  Epoux 02/12/1927       Sc 210 19     42

Total: 1258 personnes et 629 couples

Le Cid (extraits)
Acte III
Scène 1 Don Rodrigue, Elvire
….E : « Chimène est au palais, de pleurs toute baignée,
Et n’en reviendra point que bien accompagnée.
Rodrigue, fuis, de grâce : ôte-moi de souci.
Que ne dira-t-on point si l’on te voit ici ?
Veux-tu qu’un médisant, pour comble à sa misère,
L’accuse d’y souffrir l’assassin de son père ?
Elle va revenir ; elle vient, je la voi :
Du moins pour son honneur, Rodrigue, cache-toi. »
Scène 2 Don Sanche, Chimène, Elvire
DS : « Oui, Madame, il vous faut de sanglantes victimes :
Votre colère est juste, et vos pleurs légitimes ;
Et je n’entreprends pas, à force de parler,
Ni de vous adoucir, ni de vous consoler.
Mais si de vous servir je puis être capable,
Employez mon épée à punir le coupable ;
Employez mon amour à venger cette mort… »
…DS : « De grâce, acceptez mon service. »
C : « J’offenserais le Roi, qui m’a promis justice. »
DS : « Vous savez qu’elle marche avec tant de langueur,
Qu’assez souvent le crime échappe à sa longueur ;
Son cours lent et douteux fait trop perdre de larmes.
Souffrez qu’un cavalier vous venge par les armes :
La voie en est plus sûre, et plus prompte à punir. »
C : « C’est le dernier remède ; et s’il faut y venir,
Et que de mes malheurs cette pitié vous dure,
Vous serez libre alors de venger mon injure. »…
Scène 3 Chimène, Elvire
… C : « Mon père est mort, Elvire ; et la première épée
Dont s’est armé Rodrigue, a sa trame coupée.
Pleurez, pleurez, mes yeux, et fondez-vous en eau !
La moitié de ma vie a mis l’autre au tombeau,
Et m’oblige à venger, après ce coup funeste,
Celle que je n’ai plus sur celle qui me reste. »
E : « Reposez-vous, Madame. »
C : « Ah ! que mal à propos
Dans un malheur si grand tu parles de repos !
Par où sera jamais ma douleur apaisée,
Si je ne puis haïr la main qui l’a causée ?
Et que dois-je espérer qu’un tourment éternel,
Si je poursuis un crime, aimant le criminel ? »
E : « Il vous prive d’un père, et vous l’aimez encore ! »
C : « C’est peu de dire aimer, Elvire : je l’adore ;
Ma passion s’oppose à mon ressentiment ;
Dedans mon ennemi je trouve mon amant ;
…. Et quoi que mon amour ait sur moi de pouvoir,
Je ne consulte point pour suivre mon devoir ;
Je cours sans balancer où mon honneur m’oblige.
Rodrigue m’est bien cher, son intérêt m’afflige ;
Mon cœur prend son parti ; mais, malgré son effort,
Je sais ce que je suis, et que mon père est mort. »
E : « Pensez-vous le poursuivre ? »
C : « Ah ! cruelle pensée !
Et cruelle poursuite où je me vois forcée !
Je demande sa tête, et crains de l’obtenir :
Ma mort suivra la sienne, et je le veux punir ! »
……E : « Après tout, que pensez-vous donc faire ? »
C : « Pour conserver ma gloire, et finir mon ennui,
Le poursuivre, le perdre, et mourir après lui. »
Scène 4 Don Rodrigue, Chimène, Elvire
…C : « Elvire, où sommes-nous, et qu’est-ce que je voi ?
Rodrigue en ma maison ! Rodrigue devant moi ! »
R : « N’épargnez point mon sang : goûtez sans résistance
La douceur de ma perte et de votre vengeance. »
…R : « …Car enfin n’attends pas de mon affection
Un lâche repentir d’une bonne action.
L’irréparable effet d’une chaleur trop prompte
Déshonorait mon père, et me couvrait de honte.
Tu sais comme un soufflet touche un homme de cœur ;
J’avais part à l’affront, j’en ai cherché l’auteur :
Je l’ai vu, j’ai vengé mon honneur et mon père ;
Je le ferais encor, si j’avais à le faire
Ce n’est pas qu’en effet contre mon père et moi
Ma flamme assez longtemps n’ait combattu pour toi ;
Juge de son pouvoir : dans une telle offense
J’ai pu délibérer si j’en prendrais vengeance.
Réduit à te déplaire, ou souffrir un affront,
J’ai pensé qu’à son tour mon bras était trop prompt ;
Je me suis accusé de trop de violence ;
Et ta beauté sans doute emportait la balance,
A moins que d’opposer à tes plus forts appas
Qu’un homme sans honneur ne te méritait pas ;
Que, malgré cette part que j’avais en ton âme,
Qui m’aima généreux me haïrait infâme ;
Qu’écouter ton amour, obéir à sa voix,
C’était m’en rendre indigne et diffamer ton choix.
Je te le dis encore ; et quoique j’en soupire,
Jusqu’au dernier soupir je veux bien le redire :
Je t’ai fait une offense, et j’ai dû m’y porter
Pour effacer ma honte, et pour te mériter ;
Mais quitte envers l’honneur, et quitte envers mon père,
C’est maintenant à toi que je viens satisfaire :
C’est pour t’offrir mon sang qu’en ce lieu tu me vois.
J’ai fait ce que j’ai dû, je fais ce que je dois.
Je sais qu’un père mort t’arme contre mon crime ;
Je ne t’ai pas voulu dérober ta victime :
Immole avec courage au sang qu’il a perdu
Celui qui met sa gloire à l’avoir répandu. »
C : « Ah ! Rodrigue, il est vrai, quoique ton ennemie,
Je ne puis te blâmer d’avoir fui l’infamie ;
Et de quelque façon qu’éclatent mes douleurs,
Je ne t’accuse point, je pleure mes malheurs.
Je sais ce que l’honneur, après un tel outrage,
Demandait à l’ardeur d’un généreux courage :
Tu n’as fait le devoir que d’un homme de bien ;
Mais aussi, le faisant, tu m’as appris le mien.
Ta funeste valeur m’instruit par ta victoire ;
Elle a vengé ton père et soutenu ta gloire :
Même soin me regarde, et j’ai, pour m’affliger,
Ma gloire à soutenir, et mon père à venger.
Hélas ! ton intérêt ici me désespère :
Si quelque autre malheur m’avait ravi mon père,
Mon âme aurait trouvé dans le bien de te voir
L’unique allègement qu’elle eût pu recevoir ;
Et contre ma douleur j’aurais senti des charmes,
Quand une main si chère eût essuyé mes larmes.
Mais il me faut te perdre après l’avoir perdu ;
Cet effort sur ma flamme à mon honneur est dû ;
Et cet affreux devoir, dont l’ordre m’assassine,
Me force à travailler moi-même à ta ruine.
Car enfin n’attends pas de mon affection
De lâches sentiments pour ta punition.
De quoi qu’en ta faveur notre amour m’entretienne,
Ma générosité doit répondre à la tienne :
Tu t’es, en m’offensant, montré digne de moi ;
Je me dois, par ta mort, montrer digne de toi. »
R : « Ne diffère donc plus ce que l’honneur t’ordonne :
Il demande ma tête, et je te l’abandonne… »
C : « Va, je suis ta partie, et non pas ton bourreau.
Si tu m’offres ta tête, est-ce à moi de la prendre ?
Je la dois attaquer, mais tu dois la défendre ;
C’est d’un autre que toi qu’il me faut l’obtenir,
Et je dois te poursuivre, et non pas te punir. »
R : « De quoi qu’en ma faveur notre amour t’entretienne,
Ta générosité doit répondre à la mienne ;
Et pour venger un père emprunter d’autres bras,
Ma Chimène, crois-moi, c’est n’y répondre pas :
Ma main seule du mien a su venger l’offense,
Ta main seule du tien doit prendre la vengeance. »
…R : « …Punis-moi par vengeance, ou du moins par pitié.
Ton malheureux amant aura bien moins de peine
A mourir par ta main qu’à vivre avec ta haine. »
C : « Va, je ne te hais point. »
R : « Tu le dois. »
C : « Je ne puis. »
R : « Crains-tu si peu le blâme, et si peu les faux bruits ?
Quand on saura mon crime, et que ta flamme dure,
Que ne publieront point l’envie et l’imposture !
Force-les au silence, et sans plus discourir,
Sauve ta renommée en me faisant mourir. »
C : « …Va-t-en, ne montre plus à ma douleur extrême
Ce qu’il faut que je perde, encore que je l’aime.
Dans l’ombre de la nuit cache bien ton départ ;
Si l’on te voit sortir, mon honneur court hasard.
La seule occasion qu’aura la médisance,
C’est de savoir qu’ici j’ai souffert ta présence :
Ne lui donne point lieu d’attaquer ma vertu. »
…C : « Malgré des feux si beaux, qui troublent ma colère,
Je ferai mon possible à bien venger mon père ;
Mais malgré la rigueur d’un si cruel devoir,
Mon unique souhait est de ne rien pouvoir. »
…R : « Que de maux et de pleurs nous coûteront nos pères ! »
…C : « Que notre heur fût si proche et sitôt se perdit ? »
R : « Et que si près du port, contre toute apparence,
Un orage si prompt brisât notre espérance ? »…..
Scène 6 Don Diègue, Don Rodrigue
…R : « …Ne me dites plus rien ; pour vous j’ai tout perdu :
Ce que je vous devais, je vous l’ai bien rendu. »
DD : « …Nous n’avons qu’un honneur, il est tant de maîtresses !
L’amour n’est qu’un plaisir, l’honneur est un devoir. »
R : « Ah ! que me dites-vous ? »
DD : « Ce que tu dois savoir. »
R : « …L’infamie est pareille, et suit également
Le guerrier sans courage et le perfide amant.
A ma fidélité ne faites point d’injure ;
Souffrez-moi généreux sans me rendre parjure :
Mes liens sont trop forts pour être ainsi rompus ;
Ma foi m’engage encor si je n’espère plus ;
Et ne pouvant quitter ni posséder Chimène,
Le trépas que je cherche est ma plus douce peine. »
DD : « Il n’est pas temps encor de chercher le trépas :
Ton prince et ton pays ont besoin de ton bras.
La flotte qu’on craignait, dans ce grand fleuve entrée,
Croit surprendre la ville et piller la contrée.
Les mores vont descendre, et le flux et la nuit
Dans une heure à nos murs les amène sans bruit.
La cour est en désordre, et le peuple en alarmes :
On n’entend que des cris, on ne voit que des larmes.
Dans ce malheur public mon bonheur a permis
Que j’ai trouvé chez moi cinq cents de mes amis,
Qui sachant mon affront, poussés d’un même zèle,
Se venaient tous offrir à venger ma querelle.
Tu les as prévenus ; mais leurs vaillantes mains
Se tremperont bien mieux au sang des Africains.
Va marcher à leur tête où l’honneur te demande :
C’est toi que veut pour chef leur généreuse bande.
De ces vieux ennemis va soutenir l’abord :
Là, si tu veux mourir, trouve une belle mort ;
Prends-en l’occasion, puisqu’elle t’est offerte ;
Fais devoir à ton roi son salut à ta perte ;
Mais reviens-en plutôt les palmes sur le front.
Ne borne pas ta gloire à venger un affront ;
Porte-la plus avant : force par ta vaillance
Ce monarque au pardon, et Chimène au silence ;
Si tu l’aimes, apprends que revenir vainqueur,
C’est l’unique moyen de regagner son cœur.
Mais le temps est trop cher pour le perdre en paroles ;
Je t’arrête en discours, et je veux que tu voles.
Viens, suis-moi, va combattre, et montrer à ton roi
Que ce qu’il perd au Comte il le recouvre en toi. »
Acte IV
Scène 1 Chimène, Elvire
C : « N’est-ce point un faux bruit ? le sais-tu bien, Elvire ? »
E : « Vous ne croiriez jamais comme chacun l’admire,
Et porte jusqu’au ciel, d’une commune voix,
De ce jeune héros les glorieux exploits.
Les Mores devant lui n’ont paru qu’à leur honte ;
Leur abord fut bien prompt, leur fuite encor plus prompte.
Trois heures de combat laissent à nos guerriers
Une victoire entière et deux rois prisonniers.
La valeur de leur chef ne trouvait point d’obstacles. »
C : « Et la main de Rodrigue a fait tous ces miracles ? »
E : « De ses nobles efforts ces deux rois sont le prix :
Sa main les a vaincus, et sa main les a pris. »
…C : « Et le Roi, de quel œil voit-il tant de vaillance ? »
E : « Rodrigue n’ose encor paraître en sa présence ;
Mais don Diègue ravi lui présente enchaînés,
Au nom de ce vainqueur, ces captifs couronnés,
Et demande pour grâce à ce généreux prince
Qu’il daigne voir la main qui sauve la province. »
…C : « …On le vante, on le loue, et mon cœur y consent !
Mon honneur est muet, mon devoir impuissant !
Silence, mon amour, laisse agir ma colère :
S’il a vaincu deux rois, il a tué mon père ;… »
Scène 2 L’Infante, Chimène, Léonor, Elvire
…C : « Prenez bien plutôt part à la commune joie,
Et goûtez le bonheur que le ciel vous envoie,
Madame : autre que moi n’a droit de soupirer.
Le péril dont Rodrigue a su nous retirer,
Et le salut public que vous rendent ses armes,
A moi seule aujourd’hui souffrent encor les larmes :
Il a sauvé la ville, il a servi son roi ;
Et son bras valeureux n’est funeste qu’à moi. »
I : « Ma Chimène, il est vrai qu’il a fait des merveilles. »
C : « Déjà ce bruit fâcheux a frappé mes oreilles ;
Et je l’entends partout publier hautement
Aussi brave guerrier que malheureux amant. »
I : « Qu’à de fâcheux pour toi ce discours populaire ?
Ce jeune Mars qu’il loue a su jadis te plaire :
Il possédait ton âme, il vivait sous tes lois ;
Et vanter sa valeur, c’est honorer ton choix. »
C : « Chacun peut le vanter avec quelque justice ;
Mais pour moi sa louange est un nouveau supplice.
On aigrit ma douleur en l’élevant si haut :
Je vois ce que je perds quand je vois ce qu’il vaut…. »
I : « Hier ce devoir te mit en une haute estime ;
L’effort que tu te fis parut si magnanime,
Si digne d’un grand cœur, que chacun à la cour
Admirait ton courage et plaignait ton amour….
Ce qui fut juste alors ne l’est plus aujourd’hui.
Rodrigue maintenant est notre unique appui,
L’espérance et l’amour d’un peuple qui l’adore,
Le soutien de Castille, et la terreur du More.
Le Roi même est d’accord de cette vérité,
Que ton père en lui seul se voit ressuscité ;
Et si tu veux enfin qu’en deux mots je m’explique,
Tu poursuis en sa mort la ruine publique.
Quoi ! pour venger un père est-il jamais permis
De livrer sa patrie aux mains des ennemis ?
Contre nous ta poursuite est-elle légitime,
Et pour être punis avons-nous part au crime ?
Ce n’est pas qu’après tout tu doives épouser
Celui qu’un père mort t’obligeait d’accuser :
Je te voudrais moi-même en arracher l’envie ;
Ote-lui ton amour, mais laisse-nous sa vie….
Non, crois-moi, c’est assez que d’éteindre ta flamme ;
Il sera trop puni s’il n’est plus dans ton âme.
Que le bien du pays t’impose cette loi :
Aussi bien, que crois-tu que t’accorde le Roi ? »
C : « Il peut me refuser, mais je ne puis me taire. »
I : « Pense bien, ma Chimène, à ce que tu veux faire.
Adieu : tu pourras seule y penser à loisir. »
C : « Après mon père mort, je n’ai point à choisir. »
Scène 3 Don Fernand, Don Diègue, Don Arias, Don Rodrigue, Don Sanche
DF : … « Pour te récompenser ma force est trop petite ;
Et j’ai moins de pouvoir que tu n’as de mérite.
Le pays délivré d’un si rude ennemi,
Mon sceptre dans ma main par la tienne affermi,
Et les Mores défaits avant qu’en ces alarmes
J’eusse pu donner ordre à repousser leurs armes,
Ne sont point des exploits qui laissent à ton roi
Le moyen ni l’espoir de s’acquitter vers toi.
Mais deux rois tes captifs feront ta récompense.
Ils t’ont nommé tous deux leur Cid en ma présence :
Puisque Cid en leur langue est autant que seigneur,
Je ne t’envierai pas ce beau titre d’honneur.
Sois désormais le Cid : qu’à ce grand nom tout cède ;
Qu’il comble d’épouvante et Grenade et Tolède,
Et qu’il marque à tous ceux qui vivent sous mes lois
Et ce que tu me vaux, et ce que je te dois. »
… DF : « Tout ceux que ce devoir à mon service engage
Ne s’en acquittent pas avec même courage ;
Et lorsque la valeur ne va point dans l’excès,
Elle ne produit point de si rares succès.
Souffre donc qu’on te loue, et de cette victoire
Apprends-moi plus au long la véritable histoire. »
DR : « Sire, vous avez su qu’en ce danger pressant,
Qui jeta dans la ville un effroi si puissant,
Une troupe d’amis chez mon père assemblée
Sollicita mon âme encor toute troublée…
Mais, Sire, pardonnez à ma témérité,
Si j’osai l’employer sans votre autorité :
Le péril approchait ; leur brigade était prête ;
Me montrant à la cour, je hasardais ma tête ;
Et s’il fallait la perdre, il m’était bien plus doux
De sortir de la vie en combattant pour vous. »
DF : « J’excuse ta chaleur à venger ton offense ;
Et l’Etat défendu me parle en ta défense :
Crois que dorénavant Chimène a beau parler,
Je ne l’écoute plus que pour la consoler.
Mais poursuis. »
DR : « Sous moi donc cette troupe s’avance,
Et porte sur le front une mâle assurance.
Nous partîmes cinq cents ; mais par un prompt renfort
Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port.
Tant, à nous voir marcher avec un tel visage,
Les plus épouvantés reprenaient de courage !
J’en cache les deux tiers, aussitôt qu’arrivés,
Dans le fond des vaisseaux qui lors furent trouvés ;
Le reste, dont le nombre augmentait à toute heure,
Brûlant d’impatience autour de moi demeure,
Se couche contre terre et, sans faire aucun bruit,
Passe une bonne part d’une si belle nuit.
Par mon commandement la garde en fait de même,
Et se tenant cachée, aide à mon strtagème ;
Et je feins hardiment d’avoir reçu de vous
L’ordre qu’on me voit suivre et que je donne à tous.
Cette obscure clarté qui tombe des étoiles
Enfin avec le flux nous faire voir trente voiles ;
L’onde s’enfle dessous, et d’un commun effort
Les Mores et la mer montent jusques au port.
On les laisse passer ; tout leur paraît tranquille :
Point de soldats au port, point aux murs de la ville.
Notre profond silence abusant leurs esprits,
Ils n’osent plus douter de nous avoir surpris ;
Ils abordent sans peur, ils ancrent, ils descendent,
Et courent se livrer aux mains qui les attendent.
Nous nous levons alors, et tous en même temps
Poussons jusques au ciel mille cris éclatants.
Les nôtres, à ces cris, de nos vaisseaux répondent ;
Ils paraissent armés, les Mores se confondent,
L’épouvante les prend à demi descendus ;
Avant que de combattre, ils s’estiment perdus.
Ils couraient au pillage, et rencontrent la guerre ;
Nous les pressons sur l’eau, nous les pressons sur terre,
Et nous faisons courir des ruisseaux de leur sang,
Avant qu’aucun résiste ou reprenne son rang.
Mais bientôt, malgré nous, leurs princes les rallient ;
Leur courage renaît, et leurs terreurs s’oublient :
La honte de mourir sans avoir combattu
Arrête leur désordre, et leur rend leur vertu.
Contre nous de pied ferme ils tirent leurs alfanges ;
De notre sang au leur font d’horribles mélanges.
Et la terre, et le fleuve, et leur flotte, et le port,
Sont des champs de carnage, où triomphe la mort.
O combien d’actions, combien d’exploits célèbres
Sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres,
Où chacun, seul témoin des grands coups qu’il donnait,
Ne pouvait discerner où le sort inclinait !
J’allais de tous côtés encourager les nôtres,
Faire avancer les uns, et soutenir les autres,
Ranger ceux qui venaient, les pousser à leur tour,
Et ne l’ai pu savoir jusques au point du jour.
Mais enfin sa clarté montre notre avantage :
Le More voit sa perte et perd soudain courage ;
Et voyant un renfort qui nous vient secourir,
L’ardeur de vaincre cède à la peur de mourir.
Ils gagnent leurs vaisseaux, ils en coupent les câbles,
Poussent jusques aux cieux des cris épouvantables,
Font retraite en tumulte, et sans considérer
Si leurs rois avec eux peuvent se retirer.
Pour souffrir ce devoir leur frayeur est trop forte :
Le flux les apporta, le reflux les remporte,
Cependant que leurs rois, engagés parmi nous,
Et quelque peu des leurs, tous percés de nos coups,
Disputent vaillamment et vendent bien leur vie.
A se rendre moi-même en vain je les convie :
Le cimeterre au poing, ils ne m’écoutent pas ;
Mais voyant à leurs pieds tomber tous leurs soldats,
Et que seuls désormais en vain ils se défendent,
Ils demandent le chef : je me nomme, ils se rendent.
Je vous les envoyai tous deux en même temps ;
Et le combat cessa faute de combattants.. »
Scène 4 Don Fernand, Don Diègue, Don Rodrigue, Don Arias, Don Alonse, Don Sanche
Don A : « Sire, Chimène vient vous demander justice. »
Don F : « La fâcheuse nouvelle, et l’importun devoir !
Va, je ne la veux pas obliger à te voir.
Pour tous remerciements, il faut que je te chasse ;
Mais avant que sortir, viens, que ton roi t’embrasse. »
Don D : « Chimène le poursuit, et voudrait le sauver. »
Don F : « On m’a dit qu’elle l’aime, et je vais l’éprouver.
Montrez un œil plus triste. »
Scène 5 Don Fernand, Don Diègue, Don Arias, Don Sanche, Don Alonse, Chimène, Elvire
Don F : « Enfin, soyez contente,
Chimène, le succès répond à votre attente :
Si de nos ennemis Rodrigue a le dessus,
Il est mort à nos yeux des coups qu’il a reçus ;
Rendez grâces au ciel qui vous en a vengée.
(à don Diègue)
Voyez comme déjà sa couleur est changée. »
Don D : « Mais voyez qu’elle pâme, et d’un amour parfait,
Dans cette pâmoison, Sire, admirez l’effet.
Sa douleur a trahi les secrets de son âme,
Et ne vous permet plus de douter de sa flamme. »
Chimène : « Quoi ! Rodrigue est donc mort ? »
Don F : « Non, non, il voit le jour,
Et te conserve encore un immuable amour :
Calme cette douleur qui pour lui s’intéresse. »
Chimène : « Sire, on pâme de joie, ainsi que de tristesse :
Un excès de plaisir nous rend tous languissants ;
Et quand il surprend l’âme, il accable les sens. »
Don F : « Tu veux qu’en ta faveur nous croyions l’impossible ?
Chimène, ta douleur a paru trop visible. »
Chimène : « ….Je demande sa mort, mais non pas glorieuse,
Non pas dans un éclat qui l’élève si haut,
Non pas au lit d’honneur, mais sur un échafaud ;
Qu’il meurt pour mon père, et non pour la patrie ;
Que son nom soit taché, sa mémoire flétrie.
Mourir pour le pays n’est pas un triste sort ;
C’est s’immortaliser par une belle mort….
…Hélas ! à quel espoir me laissé-je emporter !
Rodrigue de ma part n’a rien à redouter :
Que pourraient contre lui des larmes qu’on méprise ?
Pour lui tout votre empire est un lieu de franchise ;
Là, sous votre pouvoir, tout lui devient permis ;
Il triomphe de moi comme des ennemis.
Dans leur sang répandu la justice étouffée
Au crime du vainqueur sert d’un nouveau trophée … »
Don F : « Ma fille, ces transports ont trop de violence.
Quand on rend la justice, on met tout en balance.
On a tué ton père, il était l’agresseur ;
Et la même équité m’ordonne la douceur… »
Chimène : « …Puisque vous refusez la justice à mes larmes,
Sire, permettez-moi de recourir aux armes ;
C’est par là seulement qu’il a su m’outrager,
Et c’est aussi par là que je me dois venger.
A tous vos cavaliers je demande sa tête :
Oui, qu’un deux me l’apporte, et je suis sa conquête ;
Qu’ils le combattent, Sire ; et le combat fini,
J’épouse le vainqueur, si Rodrigue est puni.
Sous votre autorité souffrez qu’on le publie. »
Don F : « Cette vieille coutume en ces lieux établie,
Sous couleur de punir un injuste attentat,
Des meilleurs combattants affaiblit un Etat ;
Souvent de cet abus le succès déplorable
Opprime l’innocent, et soutient le coupable.
J’en dispense Rodrigue : il m’est trop précieux
Pour l’exposer aux coups d’un sort capricieux ;
Et quoi qu’ait pu commettre un cœur si magnanime,
Les Mores en fuyant ont emporté son crime. »
Chimène : « Quoi ! Sire, pour lui seul vous renversez des lois
Qu’a vu toute la cour observer tant de fois !… »
Don F : « Puisque vous le voulez, j’accorde qu’il le fasse ;
Mais d’un guerrier vaincu mille prendraient la place,
Et le prix que Chimène au vainqueur a promis
De tous mes cavaliers feraient ses ennemis.
L’opposer seul à tous serait trop d’injustice :
Il suffit qu’une fois il entre dans la lice.
Choisis qui tu voudras, Chimène, et choisis bien ;
Mais après ce combat ne demande plus rien. »
…Don S : « Faites ouvrir le champ : vous voyez l’assaillant ;
Je suis ce téméraire, ou plutôt ce vaillant.
Accordez cette grâce à l’ardeur qui me presse,
Madame : vous savez quelle est votre promesse. »
Don F : « Chimène, remets-tu ta querelle en sa main ? »
Chimène : «  Sire, je l’ai promis. »
…Don F : « …Mais de peur qu’en exemple un tel combat ne passe,
Pour témoigner à tous qu’à regret je permets
Un sanglant procédé qui ne me plut jamais,
De moi ni de ma cour il n’aura la présence.
(à Don Arias)
Vous seul des combattants jugerez la vaillance :
Ayez soin que tous deux fassent en gens de cœur,
Et, le combat fini, m’amenez le vainqueur.
Qui qu’il soit, même prix est acquis à sa peine :
Je le veux de ma main présenter à Chimène,
Et que pour récompense il reçoive sa foi. »
N° Situation maritale Date de naissance   Soleils F      Soleils H  
      Signe Signe Degrés  Sec Signe Signe Degrés  Sec
5 Epouse 17/05/1925 T 30 25     33      
  Epoux 12/12/1923       Sa 240 18     56
6 Epouse 17/05/1925 T 30 25     33      
  Epoux 19/01/1926       Cap 270 28     10
7 Epouse 21/09/1925 Vi 150 27     28      
  Epoux 05/03/1922       P 330 13     38
8 Epouse 21/09/1925 Vi 150 27     28      
  Epoux 08/07/1933       Can 90 15     22
9 Epouse 18/03/1926 P 330 26     38      
  Epoux 03/10/1921       Ba 180 09     14
10 Epouse 18/03/1926 P 330 26     38      
  Epoux 06/11/1925       Sc 210 13     3
11 Epouse 06/06/1926 G 60 14     32      
  Epoux 20/04/1926       Be 0 29     9
12 Epouse 06/06/1926 G 60 14     32      
  Epoux 06/04/1931       Be 0 15     13
17 Epouse 06/12/1927 Sa 240 12     51      
  Epoux 06/04/1926       Be 0 15     26
18 Epouse 06/12/1927 Sa 240 12     51      
  Epoux 02/12/1927       Sa 240 08     48

Total: 1258 personnes et 629 couples

Chapitre 5

Méthodes de travail 1

Comme indiqué au chapitre 1, la présente étude porte sur les caractéristiques astrologiques de 629 couples mariés, soit 1258 personnes, et sur celles de 289 paires de couples dont les épouses sont nées le même jour.

Objectifs :

-rechercher d’éventuelles règles entre les thèmes astrologiques des épouses et des époux

-rechercher d’éventuelles similitudes entre les thèmes astrologiques des époux

Les tableaux qui suivent dressent les positions des planètes pour chaque personne étudiée, à l’exclusion de la Lune et de l’Ascendant.

Les positions planétaires ont été relevées dans « Les nouvelles éphémérides internationales 1900-2050 » aux AUREAS Editions 13ème édition 2004.

Pour des raisons pratiques évidentes, seules 20 cas sont présentés à titre d’exemple sur les 1258 étudiés. J’examinerai la possibilité d’éditer l’intégralité des résultats lorsque l’étude sera définitivement achevée après  la prise en compte des  positions de la Lune et de l’Ascendant.

Pour pouvoir coller mes tableaux Excel sur le site, j’ai dû modifier quelque peu leur présentation; toutefois cette modification n’affecte pas la compréhension des informations données.

Le Cid (extraits)
Acte I
Scène 1 Chimène Elvire
C : « Elvire, m’as-tu fait un rapport bien sincère ?
Ne déguises-tu rien de ce qu’a dit mon père ? »
E : … « Il estime Rodrigue autant que vous l’aimez,
Et si je ne m’abuse à lire dans son âme,
Il vous commandera de répondre à sa flamme »
C : « Dis-moi donc, je te prie, une seconde fois
Ce qui te fait juger qu’il approuve mon choix :
Apprends-moi de nouveau quel espoir j’en dois prendre ;
Un si charmant discours ne se peut trop entendre »….
E : … « La valeur de son père, en son temps sans pareille,
Tant qu’a duré sa force, a passé pour merveille ;
Ses rides sur son front ont gravé ses exploits,
Et nous disent encor ce qu’il fut autrefois.
Je me promets du fils ce que j’ai vu du père ;
Et ma fille, en un mot, peut l’aimer et me plaire. »
Il allait au conseil, dont l’heure qui pressait
A tranché ce discours qu’à peine il commençait ;…
..Le roi doit à son fils élire un gouverneur,
Et c’est lui que regarde un tel degré d’honneur :
Ce choix n’est pas douteux, et sa rare vaillance
Ne peut souffrir qu’on craigne aucune concurrence.
Comme ses hauts exploits le rendent sans égal,
Dans un espoir si juste il sera sans rival »….
C : …. « Un moment donne au sort des visages divers,
Et dans ce grand bonheur je crains un grand revers »
Scène 2 : L’Infante, Léonor, le page
I : …. « L’amour est un tyran qui n’épargne personne :
Ce jeune cavalier, cet amant que je donne,
Je l’aime. »
L : « Vous l’aimez ! »
I : « Mets la main sur mon cœur,
Et vois comme il se trouble au nom de son vainqueur,
Comme il le reconnaît. »
L : « Pardonnez-moi, Madame,
Si je sors du respect pour blâmer cette flamme.
Une grande princesse à ce point s’oublier
Que d’admettre en son cœur un simple cavalier !
Et que dirait le Roi ? que dirait la Castille ?
Vous souvient-il encor de qui vous êtes fille ? »
I : « Il m’en souvient si bien que j’épandrai mon sang
Avant que je m’abaisse à démentir mon rang.
Je te répondrais bien que dans les belles âmes
Le seul mérite a droit de produire des flammes ;
Et si ma passion cherchait à s’excuser,
Mille exemples fameux pourraient l’autoriser »…
.. « Et je me dis toujours qu’étant fille de roi,
Tout autre qu’un monarque est indigne de moi.
Quand je vis que mon cœur ne se pouvait défendre,
Moi-même je donnai ce que je n’osais prendre.
Je mis, au lieu de moi, Chimène en ses liens,
Et j’allumai leurs feux pour éteindre les miens.
Ne t’étonne donc plus si mon âme gênée
Avec impatience attend leur hyménée :
Tu vois que mon repos en dépend aujourd’hui.
Si l’amour vit d’espoir, il périt avec lui :
C’est un feu qui s’éteint, faute de nourriture ;
Et malgré la rigueur de ma triste aventure,
Si Chimène a jamais Rodrigue pour mari,
Mon espérance est morte, et mon esprit guéri. »…..
Scène 3 : Le Comte, Don Diègue
LC : « Enfin vous l’emportez, et la faveur du Roi
Vous élève en un rang qui n’était dû qu’à moi :
Il vous fait gouverneur du prince de Castille ».
DD : « Cette marque d’honneur qu’il met dans ma famille
Montre à tous qu’il est juste, et fait connaître assez
Qu’il sait récompenser les services passés. »
LC : « Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes :
Ils peuvent se tromper comme les autres hommes ;
Et ce choix sert de preuve à tous les courtisans
Qu’ils savent mal payer les services présents. »
DD : « Ne parlons plus d’un choix dont votre esprit s’irrite :La faveur l’a pu faire autant que le mérite ;
Mais on doit ce respect au pouvoir absolu,
De n’examiner rien quand un roi l’a voulu.
A l’honneur qu’il m’a fait ajoutez-en un autre ;
Joignons d’un sacré nœud ma maison à la vôtre :
Vous n’avez qu’une fille, et moi je n’ai qu’un fils ;
Leur hymen nous peut rendre à jamais plus qu’amis :
Faites-nous cette grâce , et l’acceptez pour gendre. »
LC : « A des partis plus hauts ce beau fils doit prétendre ;
Et le nouvel éclat de votre dignité
Lui doit enfler le cœur d’une autre vanité.
Exercez-la, Monsieur, et gouvernez le Prince :
Montrez-lui comme il faut régir une province,
Faire trembler partout les peuples sous sa loi,
Remplir les bons d’amour, et les méchants d’effroi.
Joignez à ces vertus celles d’un capitaine :
Montrez-lui comme il faut s’endurcir à la peine,
Dans le métier de Mars se rendre sans égal,
Passer les jours entiers et les nuits à cheval,
Reposer tout armé, forcer une muraille,
Et ne devoir qu’à soi le gain d’une bataille.
Instruisez-le d’exemple, et rendez-le parfait,
Expliquant à ses yeux vos leçons par l’effet. »
DD : « Pour s’instruire d’exemple, en épit de l’envie,
Il lira seulement l’histoire de ma vie.
Là, dans un long tissu de belles actions,
Il verra comme il faut dompter des nations,
Attaquer une place, ordonner une armée,
Et sur de grands exploits bâtir sa renommée. »
LC : » Les exemples vivants sont d’un autre pouvoir ;
Un prince dans un livre apprend mal son devoir.
Et qu’a fait après tout ce grand nombre d’années,
Que ne puisse égaler une de mes journées ?
Si vous fûtes vaillant, je le suis aujourd’hui,
Et ce bras du royaume est le plus ferme appui.
Grenade et l’Aragon tremblent quand ce fer brille ;
Mon nom sert de rempart à toute la Castille :
Sans moi, vous passeriez bientôt sous d’autres lois,
Et vous auriez bientôt vos ennemis pour rois… »
DD : « Je le sais, vous servez bien le Roi :
Je vous ai vu combattre et commander sous moi.
Quand l’âge dans mes nerfs a fait couler sa glace,
Votre rare valeur a bien rempli ma place ;
Enfin, pour épargner les discours superflus,
Vous êtes aujourd’hui ce qu’autrefois je fus.
Vous voyez toutefois qu’en cette concurrence
Un monarque entre nous met quelque différence. »
LC : « Ce que je méritais, vous l’avez emporté. »
DD : « Qui l’a gagné sur vous l’avait mieux mérité. »
LC : « Qui peut mieux l’exercer en est bien le plus digne ».
DD : « En être refusé n’en est pas un bon signe. »
LC : « Vous l’avez eu par brigue, étant vieux courtisan. »
DD : « L’éclat de mes hauts faits fut mon seul partisan. »
LC : « Parlons-en mieux, le Roi fait honneur à votre âge ».
DD : « Le Roi, quand il en fait, le mesure au courage. »
LC : « Et par là cet honneur n’était dû qu’à mon bras. »
DD : « Qui n’a pu l’obtenir ne le méritait pas. »
LC : « Ne le méritait pas ! Moi ? ».
DD : « Vous ».
LC : « Ton impudence,
Téméraire vieillard, aura sa récompense.
(il lui donne un soufflet)
DD (mettant l’épée à la main) : « Achève, et prends ma vie, après un tel affront,
Le premier dont ma race ait vu rougir son front. »
LC : « Et que penses-tu faire avec tant de faiblesse ? »
DD : « O Dieu ! ma force usée en ce besoin me laisse ! »….
Scène 4 Don Diègue
« O rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !
N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?
Mon bras, qu’avec respect toute l’Espagne admire,
Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire,
Tant de fois affermi  le trône de son roi,
Trahit donc ma querelle, et ne fait rien pour moi ?
O cruel souvenir de ma gloire passée !
Œuvre de tant de jours en un jour effacée !
Nouvelle dignité, fatale à mon bonheur !
Précipice levé d’où tombe mon honneur !
Faut-il de votre éclat voir triompher le Comte,
Et mourir sans vengeance, ou vivre dans la honte ?….
…Et toi, de mes exploits glorieux instrument,
Mais d’un corps tout de glace inutile ornement,
Fer, jadis tant à craindre et qui, dans cette offense,
M’a servi de parade, et non pas de défense,
Va, quitte désormais le dernier des humains,
Passe, pour me venger, en de meilleures mains ».
Scène 5 Don Diègue, Don Rodrigue
DD : « Rodrigue, as-tu du cœur ? »
DR : « Tout autre que mon père
L’éprouverait sur l’heure ».
DD : « Agréable colère !
Digne ressentiment à ma douleur bien doux !
Je reconnais mon sang à ce noble courroux ;
Ma jeunesse revit en cette ardeur si prompte.
Viens, mon fils, viens, mon sang, viens réparer ma honte ;
Viens me venger. »
DR : « De quoi ? ».
DD : « D’un affront si cruel,
Qu’à l’honneur de tous deux il porte un coup mortel :
D’un soufflet. L’insolent en eût perdu la vie ;
Mais mon âge a trompé ma généreuse envie :
Et ce fer que mon bras ne peut plus soutenir,
Je le remets au tien pour venger et punir.
Va contre un arrogant éprouver ton courage :
Ce n’est que dans le sang qu’on lave un tel outrage ;
Meurs ou tue. Au surplus, pour ne te point flatter,
Je te donne à combattre un homme à redouter ;
Je l’ai vu, tout couvert de sang et de poussière,
Porter partout l’effroi dans une armée entière.
J’ai vu par sa valeur cent escadrons rompus ;
Et pour t’en dire encor quelque chose de plus,
Plus que brave soldat, plus que grand capitaine,
C’est… »
DR : « De grâce, achevez.. »
DD : « Le père de Chimène ».
DR : « Le… »
DD : « Ne réplique point, je connais ton amour ;
Mais qui peut vivre infâme est indigne du jour.
Plus l’offenseur est cher, et plus grande est l’offense.
Enfin tu sais l’affront, et tu tiens la vengeance :
Je ne te dis plus rien. Venge-moi, venge-toi ;
Montre-toi digne fils d’un père tel que moi.
Accablé des malheurs où le destin me range,
Je vais les déplorer : va, cours, vole, et nous venge. »
Scène 6 Don Rodrigue
« Percé jusques au fond du cœur
D’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,
…Je demeure immobile, et mon âme abattue
Cède au coup qui me tue.
Si près de voir mon feu récompensé,
O Dieu, l’étrange peine !
En cet affront mon père est l’offensé,
Et l’offenseur le père de Chimène !
Que je sens de rudes combats !
Contre mon propre honneur mon amour s’intéresse :
Il faut venger un père, et perdre une maîtresse :
L’un m’anime le cœur, l’autre retient mon bras.
Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme,
Ou de vivre en infâme,
Des deux côtés mon mal est infini.
O Dieu, l’étrange peine !
Faut-il laisser un affront impuni ?
Faut-il punir le père de Chimène ?…
…Il vaut mieux courir au trépas.
Je dois à ma maîtresse aussi bien qu’à mon père :
J’attire en me vengeant sa haine et sa colère ;
J’attire ses mépris en ne me vengeant pas….
…Allons, mon âme ; et puisqu’il faut mourir,
Mourons du moins sans offenser Chimène.
Mourir sans tirer ma raison !
Rechercher un trépas si mortel à ma gloire !
Endurer que l’Espagne impute à ma mémoire
D’avoir mal soutenu l’honneur de ma maison !…
…Allons, mon bras, sauvons du moins l’honneur,
Puisqu’après tout il faut perdre Chimène…
…Je rendrai mon sang pur comme je l’ai reçu.
Je m’accuse déjà de trop de négligence :
Courons à la vengeance ;
Et tout honteux d’avoir tant balancé,
Ne soyons plus en peine,
Puisqu’aujourd’hui mon père est l’offensé,
Si l’offenseur est père de Chimène.
Acte II
Scène 1 Don Arias, Le Comte
LC : « Je l’avoue entre nous, mon sang un peu trop chaud
S’est trop ému d’un mot et l’a porté trop haut ;
Mais puisque c’en est fait, le coup est sans remède. »
DA : « Qu’aux volontés du Roi ce grand courage cède :
Il y prend grande part, et son cœur irrité
Agira contre vous de pleine autorité…. »
LC : « Le Roi peut à son gré disposer de ma vie… »
DA : « Quoi qu’on fasse d’illustre et de considérable,
Jamais à son sujet un roi n’est redevable.
Vous vous flattez beaucoup, et vous devez savoir
Que qui sert bien son roi ne fait que son devoir.
Vous vous perdrez, Monsieur, sur cette confiance. »….
LC : «Un jour seul ne perd pas un homme tel que moi.
Que toute sa grandeur s’arme pour mon supplice,
Tout l’Etat périra, s’il faut que je périsse. »
DA : « Quoi ! vous craignez si peu le pouvoir souverain.. »
LC : « D’un sceptre qui sans moi tomberait de sa main.
Il a trop d’intérêt lui-même en ma personne,
Et ma tête en tombant ferait choir sa couronne. »
DA : « Souffrez que la raison remette vos esprits.
Prenez un bon conseil ! »….
LC : « Qui ne craint point la mort ne craint point les menaces.
J’ai le cœur au-dessus des plus fières disgrâces ;
Et l’on peut me réduire à vivre sans bonheur,
Mais non pas me résoudre à vivre sans honneur. »
Scène 2 Le Comte, Don Rodrigue
DR : « A moi, Comte, deux mots. »
LC : « Parle ».
DR : « Ote-moi d’un doute.
Connais-tu bien Don Diègue ? »
LC : « Oui ».
DR : « Parlons bas ; écoute.
Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu,
La vaillance et l’honneur de son temps ? le sais-tu ? »
LC : « Peut-être ».
DR : « Cette ardeur que dans les yeux je porte,
Sais-tu que c’est son sang ? le sais-tu ? »
LC : « Que m’importe ? »
DR : «  A quatre pas d’ici je te le fais savoir. »
LC : « Jeune présomptueux ! »
DR : « Parle sans t’émouvoir.
Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées
La valeur n’attend point le nombre des années. »
LC : « Te mesurer à moi ! qui t’a rendu si vain,
Toi qu’on n’a jamais vu les armes à la main ? »
DR : « Mes pareils à deux fois ne se font point connaître,
Et pour leurs coups d’essai veulent des coups de maître. »
LC : «Sais-tu bien qui je suis ? »
DR : « Oui ; tout autre que moi
Au seul bruit de ton nom pourrait trembler d’effroi.
Les palmes dont je vois ta tête si couverte
Semblent porter écrit le destin de ma perte.
J’attaque en téméraire un bras toujours vainqueur ;
Mais j’aurai trop de force, ayant assez de cœur.
A qui venge son père il n’est rien impossible.
Ton bras est invaincu, mais non pas invincible. »
LC : « Ce grand cœur qui paraît aux discours que tu tiens,
Par tes yeux, chaque jours, se découvrait aux miens ;
Et croyant voir en toi l’honneur de la Castille,
Mon âme avec plaisir te destinait ma fille….
…Mais je sens que pour toi ma pitié s’intéresse ;
J’admire ton courage, et je plains ta jeunesse.
Ne cherche point à faire un coup d’essai fatal ;
Dispense ma valeur d’un combat inégal ;
Trop peu d’honneur pour moi suivrait cette victoire.
A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
On te croirait toujours abattu sans effort ;
Et j’aurais seulement le regret de ta mort. »
DR : « D’une indigne pitié ton audace est suivie :
Qui m’ose ôter l’honneur craint de m’ôter la vie ? »
LC : « Retire-toi d’ici ».
DR : « Marchons sans discourir ».
LC : « Es-tu si las de vivre ? »
DR : « As-tu peur de mourir ? »
LC : « Viens, tu fais ton devoir, et le fils dégénère
Qui survit un moment à l’honneur de son père. »
Scène 3 L’Infante, Chimène, Léonor
….C : « ….J’aimais, j’étais aimée, et nos pères d’accord ;
Et je vous en contais la charmante nouvelle
Au malheureux moment que naissait leur querelle,
Dont le récit fatal, sitôt qu’on vous l’a fait,
D’une si douce attente a ruiné l’effet.
Maudite ambition, détestable manie,
Dont les plus généreux souffrent la tyrannie !
Honneur impitoyable à mes plus chers désirs,
Que tu me vas coûter de pleurs et de soupirs ! »
I : « Tu n’as dans leur querelle aucun sujet de craindre :
Un moment l’a fait naître, un moment va l’éteindre.
Elle a fait trop de bruit pour ne pas s’accorder,
Puisque déjà le Roi les veut accommoder ;
Et tu sais que mon âme, à tes ennuis sensibles,
Pour en tarir la source y fera l’impossible. »
C : « Les accommodements ne font rien en ce point :
De si mortels affronts ne se réparent point.
En vain on fait agir la force ou la prudence :
Si l’on guérit le mal, ce n’est qu’en apparence.
La haine que les cœurs conservent au-dedans
Nourrit des feux cachés, mais d’autant plus ardents. »
…I : « Que crains-tu ? d’un vieillard l’impuissante faiblesse ? »
C : « Rodrigue a du courage. »
I : « Il a trop de jeunesse. »
C : « Les hommes valeureux le sont du premier coup. »
I : « Tu ne dois pas pourtant le redouter beaucoup :
Il est trop amoureux pour te vouloir déplaire,
Et deux mots de ta bouche arrêtent sa colère. »
C : « S’il ne m’obéit point, quel comble à mon ennui !
Et s’il peut m’obéir, que dira-t-on de lui ?
Etant né ce qu’il est, souffrir un tel outrage !
Soit qu’il cède ou résiste au feu qui me l’engage,
Mon esprit ne peut qu’être ou honteux ou confus,
De son trop de respect, ou d’un juste refus. »
…Scène 5 L’Infante, Léonor
I : «….Ce qui va séparer Rodrigue de Chimène
Fait renaître à la fois mon espoir et ma peine ;
Et leur division, que je vois à regret,
Dans mon esprit charmé jette un plaisir secret. »
L : « Cette haute vertu qui règne dans votre âme
Se rend-elle sitôt à cette lâche flamme ? »
I : « Ne la nomme point lâche, à présent que chez moi
Pompeuse et triomphante, elle me fait la loi :
Porte-lui du respect, puisqu’elle m’est si chère.
Ma vertu la combat, mais malgré moi j’espère ;
Et d’un si fol espoir mon cœur mal défendu
Vole après un amant que Chimène a perdu. »
…I : « Ah ! qu’avec peu d’effet on entend la raison
Quand le cœur est atteint d’un si charmant poison !
Et lorsque le malade aime sa maladie,
Qu’il a peine à souffrir que l’on y remédie ! »
L : « Votre espoir vous séduit, votre mal vous est doux ;
Mais enfin, ce Rodrigue est indigne de vous. »
I : « Je ne le sais que trop ; mais si ma vertu cède,
Apprends comme l’amour flatte un cœur qu’il possède.
Si Rodrigue une fois sort vainqueur du combat,
Si dessous sa valeurce grand guerrier s’abat,
Je puis en faire cas, je puis l’aimer sans honte.
Que ne fera-t-il point, s’il peut vaincre le Comte ?
J’ose m’imaginer qu’à ses moindres exploits
Les royaumes entiers tomberont sous ses lois ;
Et mon amour flatteur déjà me persuade
Que je le vois assis au trône de Grenade,
Les Mores subjugués trembler en l’adorant,
L’Aragon recevoir ce nouveau conquérant,
Le Portugal se rendre, et ses nobles journées
Porter delà les mers ses hautes destinées,
Du sang des Africains arroser ses lauriers :
Enfin tout ce qu’on dit des plus fameux guerriers… »
…Scène 6 Don Fernand, Don Arias, Don Sanche
DF : « Le Comte est donc si vain, et si peu raisonnable !
Ose-t-il croire encor son crime pardonnable ? »
DA : « Je l’ai de votre part longtemps entretenu ;
J’ai fait mon pouvoir, Sire, et n’ai rien obtenu. »
DF : « Justes cieux ! ainsi donc un sujet téméraire
A si peu de respect et de soin de me plaire !
Il offense Don Diègue, et méprise son roi !
Au milieu de ma cour il me donne la loi !
Qu’il soit brave guerrier, qu’il soit grand capitaine,
Je saurai bien rabattre une humeur si hautaine.
Fût-il la valeur même, et le dieu des combats,
Il verra ce que c’est que de n’obéir pas.
Quoi qu’ait pu mériter une telle insolence,
Je l’ai voulu d’abord traiter sans violence ;
Mais puisqu’il en abuse, allez dès aujourd’hui,
Soit qu’il résiste ou non, vous assurer de lui. »
DS : « Peut-être un peu de temps le rendrait moins rebelle :
On l’a pris tout bouillant encor de sa querelle ;
Sire, dans la chaleur d’un premier mouvement,
Un cœur si généreux se rend malaisément.
Il voit bien qu’il a tort, mais une âme si haute
N’est pas sitôt réduite à confesser sa faute. »
DF : « Don Sanche, taisez-vous, et soyez averti
Qu’on se rend criminel à prendre son parti. »…
…DF : « ..Ainsi votre raison n’est pas raison pour moi :
Vous parlez en soldat ; je dois agir en roi ;
Et quoi qu’on veuille dire, et quoi qu’il ose croire,
Le Comte à m’obéir ne peut perdre sa gloire.
D’ailleurs l’affront me touche : il a perdu d’honneur
Celui que de mon fils j’ai fait le gouverneur ;
S’attaquer à mon choix, s’est se prendre à moi-même,
Et faire un attentat sur le pouvoir suprême.
N’en parlons plus. Au reste, on a vu dix vaisseaux
De nos vieux ennemis arborer les drapeaux ;
Vers la bouche du fleuve ils ont osé paraître. »
….DF : « Ils ne verront jamais sans quelque jalousie
Mon sceptre, en dépit d’eux, régir l’Andalousie ;
Et ce pays si beau, qu’ils ont trop possédé,
Avec un œil d’envie est toujours regardé.
C’est l’unique raison qui m’a fait dans Séville
Placer depuis dix ans le trône de Castille,
Pour les voir de plus près, et d’un ordre plus prompt
Renverser aussitôt ce qu’ils entreprendront. »
DA : « …..Vous n’avez rien à craindre. »
DF : « Et rien à négliger :
Le trop de confiance attire le danger ;
Et vous n’ignorez pas qu’avec fort peu de peine
Un flux de pleine mer jusqu’ici les amène.
Toutefois j’aurais tort de jeter dans les cœurs,
L’avis étant mal sûr, de paniques terreurs.
L’effroi que produirait cette alarme inutile,
Dans la nuit qui survient troublerait trop la ville :
Faites doubler la garde aux murs et sur le port.
C’est assez pour ce soir. »
Scène 7 Don Fernand, Don Sanche, Don Alonse
DA : « Sire, le Comte est mort :
Don Diègue, par son fils, a vengé son offense. »
…  « Chimène à vos genoux apporte sa douleur ;
Elle vient tout en pleurs vous demander justice. »
DF : « Bien qu’à ses déplaisirs mon âme compatisse,
Ce que le Comte a fait semble avoir mérité
Ce digne châtiment de sa témérité.
Quelque juste pourtant que puisse être sa peine,
Je ne puis sans regret perdre un tel capitaine.
Après un long service à mon Etat rendu,
Après son sang pour moi mille fois répandu,
A quelques sentiments que son orgueil m’oblige,
Sa perte m’affaiblit, et son trépas m’afflige. »
Scène 8 Don Fernand, Don Diègue, Chimène, Don Sanche, Don Arias, Don Alonse
C : « Sire, Sire, justice ! »
…C : « Au sang de ses sujets un roi doit la justice. »
DD : « Pour la juste vengeance il n’est point de supplice. »
DF : « Levez-vous l’un et l’autre, et parlez à loisir.
Chimène, je prends part à votre déplaisir ;
D’une égale douleur je sens mon âme atteinte.
(A Don Diègue) Vous parlerez après ; ne troublez pas sa plainte. »
C : « Sire, mon père est mort ; mes yeux ont vu son sang
Couler à gros bouillons de son généreux flanc ;
…Rodrigue en votre cour vient d’en couvrir la terre.
J’ai couru sur le lieu, sans force et sans couleur :
Je l’ai trouvé sans vie. Excusez ma douleur,
Sire, la voix me manque à ce récit funeste ;
Mes pleurs et mes soupirs vous diront mieux le reste. »
…C : « Sire, ne souffrez pas que sous votre puissance
Règne devant vos yeux une telle licence ;
Que les plus valeureux, avec impunité,
Soient exposés aux coups de la témérité ;
Qu’un jeune audacieux triomphe de leur gloire,
Se baigne dans leur sang, et brave leur mémoire.
Un si vaillant guerrier qu’on vient de vous ravir
Eteint, s’il n’est vengé, l’ardeur de vous servir.
Enfin mon père est mort, j’en demande vengeance,
Plus pour votre intérêt que pour mon allégeance.
Vous perdez en la mort d’un homme de son rang :
Vengez-la par une autre, et le sang par le sang.
Immolez, non à moi, mais à votre couronne,
Mais à votre grandeur, mais à votre personne ;
Immolez, dis-je, Sire, au bien de tout l’Etat
Tout ce qu’enorgueillit un si haut attentat. »
DD : « ….Je me vois aujourd’hui, pour avoir trop vécu,
Recevoir un affront et demeurer vaincu.
Ce que n’a pu jamais combat, siège, embuscade,
Ce que n’a pu jamais Aragon ni Grenade,
Ni tous vos ennemis, ni tous mes envieux,
Le Comte en votre cour l’a fait presque à vos yeux,
Jaloux de votre choix, et fier de l’avantage
Que lui donnait sur moi l’impuissance de l’âge.
Sire, ainsi ces cheveux blanchis sous le harnois,
Ce sang pour vous servir prodigué tant de fois,
Ce bras, jadis l’effroi d’une armée ennemie,
Descendaient au tombeau tout chargés d’infamie,
Si je n’eusse produit un fils digne de moi,
Digne de son pays et digne de son roi.
Il m’a prêté sa main, il a tué le Comte ;
Il m’a rendu l’honneur, il a lavé ma honte.
Si montrer du courage et du ressentiment,
Si venger un soufflet mérite un châtiment,
Sur moi seul doit tomber l’éclat de la tempête :
Quand le bras a failli, l’on en punit la tête.
Qu’on nomme crime, ou non, ce qui fait nos débats,
Sire, j’en suis la tête, il n’en est que le bras.
Si Chimène se plaint qu’il a tué son père,
Il ne l’eût jamais fait si je l’eusse pu faire.
Immolez donc ce chef que les ans vont ravir,
Et conservez pour vous le bras qui peut servir.
Aux dépens de mon sang satisfaites Chimène :
Je n’y résiste point, je consens à ma peine ;
Et loin de murmurer d’un rigoureux décret,
Mourant sans déshonneur, je mourrai sans regret. »
DF : « L’affaire est d’importance, et, bien considérée,
Mérite en plein conseil d’être délibérée.
Don Sanche, remettez Chimène en sa maison.
Don Diègue aura ma cour et sa foi pour prison.
Qu’on me cherche son fils. Je vous ferai justice. »

CHAPITRE 4

Probabilités pour que deux planètes soient en aspect

Le tableau ci-avant donne les probabilités pour que deux planètes quelconques soient en aspect majeur, c’est-à-dire distantes l’une de l’autre d’un angle donné  sur le cercle zodiacal (cf chapitre 2) :

-pour un écart (orbe) de 0° par rapport à l’aspect majeur exact (angle de 0° pour la conjonction, de 60° pour le sextil, 90° pour le carré, 120° pour le trigone et de 180° pour l’opposition)

-pour des écarts de 1° jusqu’à 10° au-delà ou en deçà de l’aspect exact

Il n’a pas été tenu compte des aspects mineurs

Commentaires

Les probabilités pour que deux planètes quelconques soient en aspect majeur, quelque soit cet aspect, sont considérables. Pour un écart de 5°, les probabilités sont de 24.44% ! Une chance sur 4 ! Pour un écart de 10°, les probabilités sont de 46.67% ! Quasiment une chance sur deux ! Alors même que les aspects mineurs n’ont pas été intégrés !

Pour autant  ces probabilités pléthoriques sont sans signification particulière sur la fausseté ou la véracité de l’astrologie : elles indiquent seulement que les interactions astrales sont variées  et nombreuses et que si leurs influences sont réelles et effectives jusqu’aux orbes de 10°,  nous « baignons dans un océan d’influences astrales » comme nous baignons, dans notre monde moderne, dans un océan d’ondes électro- magnétiques de toutes sortes.

Elles indiquent aussi que les chances sont grandes pour les planètes de deux individus quelconques-un homme et une femme par exemple- soient en « relations »- en aspects.

Pour notre recherche, il va s’agir de comparer ces probabilités aux résultats de l’étude des thèmes des époux et des épouses, afin de déceler une éventuelle différence suffisamment significative pour constituer une preuve de l’influence astrale dans le domaine du mariage et de l’amour.

Un rêve
Il était nuit. Ce furent d’abord,- ainsi j’ai vu, ainsi je raconte- une abbaye aux murailles lézardées par la lune, -une forêt percée de sentiers tortueux, – et le Morimont grouillant de capes et de chapeaux.
Ce furent ensuite, – ainsi j’ai entendu, ainsi je raconte,- le glas funèbre d’une cloche auquel répondaient les sanglots funèbres d’une cellule, – des cris plaintifs et des rires féroces dont frissonnait chaque feuille le long d’une ramée, – et les prières bourdonnantes de pénitents noirs qui accompagnaient un criminel au supplice.
Ce furent enfin, – ainsi s’acheva le rêve, ainsi je raconte, – un moine qui expirait couché dans la cendre des agonisants, – une jeune fille qui se débattait pendue aux branches d’un chêne. – Et moi que le bourreau liait échevelé sur les rayons de la roue.
Dom Augustin, le prieur défunt, aura, en habit de cordelier, les honneurs de la chapelle ardente, et Marguerite, que son amant a tuée, sera ensevelie dans sa blanche robe d’innocence, entre quatre cierges de cire.
Mais moi, la barre du bourreau s’était, au premier coup, brisée comme un verre, les torches des pénitents noirs s’étaient éteintes sous des torrents de pluie, la foule s’était écoulée avec les ruisseaux débordés et rapides, – et je poursuivais d’autres songes vers le réveil.
Ondine
« Ecoute ! – Ecoute ! – C’est moi, c’est Ondine qui frôle de ces gouttes d’eau les losanges sonores de ta fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune ; et voici, en robe de moire, la dame châtelaine qui contemple à son balcon la belle nuit étoilée et le beau lac endormi.
« Chaque flot est un ondin qui nage dans le courant, chaque courant est un sentier qui serpente vers mon palais, et mon palais est bâti fluide, au fond du lac, dans le triangle de feu, de la terre et de l’air.
« Ecoute ! – Ecoute ! – Mon père bat l’eau coassante d’une branche d’aulne verte, et mes sœurs caressent de leurs bras d’écume les fraîches îles d’herbes, de nénuphars et de glaïeuls, ou se moquent du saule caduc et barbu qui pêche à la ligne ! »
Sa chanson murmurée, elle me supplia de recevoir son anneau à mon doigt pour être l’époux d’une Ondine, et de visiter avec elle son palais pour être le roi des lacs.
Et comme je lui répondais que j’aimais une mortelle, boudeuse et dépitée, elle pleura quelques larmes, poussa un éclat de rire, et s’évanouit en giboulées qui ruisselèrent blanches le long de mes vitraux bleus.
Spleen et Ideal5
L’idéal
Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes,
Produits avariés, nés d’un siècle vaurien,
Ces pieds à brodequins, ces doigts à castagnettes,
Qui sauront satisfaire un cœur comme le mien.
Je laisse à Gavarni, poètes des chloroses,
Son troupeau gazouillant de beautés d’hôpital,
Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses
Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal.
Ce qu’il faut à ce cœur profond comme un abîme,
C’est vous, Lady Macbeth, âme puissante au crime,
Rêve d’Eschyle éclos au climat des autans ;
Ou bien toi, grande Nuit, fille de Michel-Ange,
Qui tors paisiblement dans une pose étrange
Tes appas façonnés aux bouches des Titans !
La Géante
Du temps que la Nature, en sa verve puissante
Concevait chaque jour des enfants monstrueux,
J’eusse aimé vivre auprès d’une jeune géante,
Comme aux pieds d’une reine un chat voluptueux.
J’eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme
Et grandir librement dans ses terribles jeux ;
Deviner si son cœur couve une sombre flamme
Aux humides brouillards qui nagent dans ses yeux ;
Parcourir à loisir ses magnifiques formes ;
Ramper sur le versant de ses genoux énormes,
Et parfois en été, quand les soleils malsains,
Lasse, la font s’étendre à travers la campagne,
Dormir nonchalamment à l’ombre de ses seins,
Comme un hameau paisible au pied d’une montagne.
Parfum exotique
Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d’automne,
Je respire l’odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu’éblouissent les feux d’un soleil monotone ;
Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l’œil par sa franchise étonne.
Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,
Pendant que le parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans l’air et m’enfle la narine ,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.
La chevelure
O toison, moutonnant jusque sur l’encolure !
O boucles ! O parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir !
La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,
Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !
Comme d’autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour, nage sur ton parfum.
J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ;
Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève !
Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :
Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur ;
Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur.
Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse
Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir embaumé !
Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond ;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m’enivre ardemment des senteurs confondues
De l’huile de coco, du musc et du goudron.
Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde !
N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde

Où je hume à longs traits le vin du souvenir

Spleen et Ideal4
Don Juan aux Enfers
Quand Don Juan descendit vers l’onde souterraine
Et lorsqu’il eut donné son obole à Charon,
Un sombre mendiant, l’œil fier comme Antisthène,
D’un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.
Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes,
Des femmes se tordaient sous le noir firmament,
Et, comme un grand troupeau de victimes offertes,
Derrière lui traînaient un long mugissement.
Sganarelle en riant lui réclamait ses gages,
Tandis que Don Luis avec un doigt tremblant
Montrait à tous les morts errant sur les rivages
Le fils audacieux qui railla son front blanc.
Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire,
Près de l’époux perfide et qui fut son amant,
Semblait lui réclamer un suprême sourire
Où brillât la douceur de son premier serment.
Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre
Se tenait à la barre et coupait le flot noir ;
Mais le calme héros, courbé sur sa rapière,
Regardait le sillage et ne daignait rien voir.
Châtiment de l’orgueil
En ces temps merveilleux où la Théologie
Fleurit avec le plus de sève et d’énergie,
On raconte qu’un jour un docteur des plus grands,
-Après avoir forcé les cœurs indifférents ;
Les avoir remués dans les profondeurs noires ;
Après avoir franchi vers les célestes gloires
Des chemins singuliers à lui-même inconnus,
Où les purs Esprits seuls peut-être étaient venus-
Comme un homme monté trop haut, pris de panique,
S’écria, transporté d’un orgueil satanique :
« Jésus, petit Jésus ! je t’ai poussé bien haut !
Mais, si j’avais voulu t’attaquer au défaut
De l’armure, ta honte égalerait ta gloire,
Et tu ne serais plus qu’un fœtus dérisoire ! »
Immédiatement sa raison s’en alla.
L’éclat de ce soleil d’un crêpe se voila ;
Tout le chaos roula dans cette intelligence,
Temple autrefois vivant, plein d’ordre et d’opulence,
Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui.
Le silence et la nuit s’installèrent en lui,
Comme dans un caveau dont la clef est perdue.
Dès lors il fut semblable aux bêtes de la rue,
Et, quand il s’en allait sans rien voir, à travers
Les champs, sans distinguer les étés des hivers,
Sale, inutile et laid comme une chose usée,
Il faisait des enfants la joie et la risée.
Spleen et Ideal3
La Muse malade (extraits)
Ma pauvre muse, hélas ! qu’as-tu donc ce matin ?
Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes,
Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teint
La folie et l’horreur, froides et taciturnes.
Le succube verdâtre et le rose lutin
T’ont-ils versé la peur et l’amour de leurs urnes ?
Le cauchemar, d’un poing despotique et mutin,
T’a-t-il noyée au fond d’un fabuleux Minturnes ?…..
La Muse vénale
O muse de mon cœur, amante des palais,
Auras-tu, quand Janvier lâchera ses Borées,
Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées,
Un tison pour chauffer tes deux pieds violets ?
Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées
Aux nocturnes rayons qui percent les volets ?
Sentant ta bourse à sec autant que ton palais,
Récolteras-tu l’or des voûtes azurées ?
Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soir,
Comme un enfant de chœur, jouer de l’encensoir,
Chanter des Te Deum auxquels tu ne crois guère,
Ou, saltimbanque à jeun, étaler tes appas
Et ton rire trempé de pleurs qu’on ne voit pas,
Pour faire épanouir la rate du vulgaire.
Le guignon (extraits)
….Loin des sépultures célèbres,
Vers un cimetière isolé,
Mon cœur, comme un tambour voilé,
Va battant des marches funèbres….
La vie antérieure
J’ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux,
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.
Les houles, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d’une façon solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.
C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu de l’azur, des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés d’odeurs,
Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,
Et dont l’unique soin était d’approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.
Bohémiens en voyage (extraits)
…..Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson ;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,
Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L’empire familier des ténèbres futures.

CHAPITRE 2

Rappel de quelques notions d’astrologie

Pour la bonne compréhension de la présente étude il est nécessaire de rappeler succinctement quelques notions de base.

Je cite à nouveau le même auteur:

-« Soleil :

.principe général : Vie, création, puissance, idéalité, spiritualité.

. fonctions psychologiques : en relation avec le sur-moi (négatif) et l’idéal du moi (positif) le Soleil régit le complexe conscience-volonté-action-sentiment du réel et est en rapport avec le côté « supérieur » du psychisme dans ses hautes fonctions de synthèse, dans ses plus grandes exigences et ses aspirations les plus élevées. Il a trait à la conscience morale, à la vie policée ou sublimée qui est en l’être, à son côté culturel. Il représente du même coup le lien social, la part de la société en l’être, d’où dérivent les tendances sociales, la morale, la religion, tout ce qui agrandit, élève, anoblit… »

-« Mercure :

.principe général : principe de communication, de liaison, d’échanges, de mouvement, de différenciation dans la dualité des contraires polaires (Caducée), ainsi que d’adaptation par la suspicion, la répression de la vie sensible, au profit d’une cérébralisation dégagée de la riche confusion originelle du subjectif stade lunaire de l’enfance.

.fonctions psychologiques : Mercure est l’auxiliaire du Moi en affirmant le monde de la raison (au sens courant du mot). Détournant de l’instinct et détachant de l’affectivité, il conduit à une intellectualisation et à une socialisation, au profit des usages et conventions soumis aux règles de la logique ; commerce de l’esprit par les idées vêtues de mots et commerce de la matière par le système des échanges réglementés. En partie assimilable au Moi, il est, par excellence, un facteur d’adaptation face aux poussées de l’intérieur et aux pressions de l’extérieur. »

-« Vénus :

.principe général : principe d’attraction, de sympathie, de communion, d’harmonisation et de fusion, qui s’affirme en particulier sur le plan des sentiments.

.fonctions psychologiques : Vénus a partie liée avec les affects d’attraction voluptueuse et d’amour qui prennent naissance dans l’appétence organique du nourrisson au contact de sa mère, et se prolonge jusqu’à l’altruisme sentimental. Ce monde vénusien de l’être humain groupe dans une synergie affective de sensations, de sentiments et de sensualité, l’attrait sympathique vers l’objet, la griserie, le sourire, la séduction, l’élan de plaisir, de joie, de fête, dans l’affinité et l’harmonie de l’échange, de la communion affective, ainsi que les états émotionnels que communiquent le charme, la beauté, la grâce. Avec Vénus règne en l’être la joie de vivre dans la fête printanière de l’enivrement des sens comme dans le plaisir plus raffiné et spiritualisé de l’esthétique. C’est le règne de la paix du cœur, du « bonheur ».

-« Mars :

.principe général : principe de confrontation avec le monde, de dépense en mode de tension concrète, de répulsion, d’hostilité.

.fonctions psychologiques : Mars symbolise la puissance d’agressivité qui apparaît chez l’enfant au moment (stade sado-oral des psychanalystes)  de la formation de la dentition, de l’exercice de la musculature et de l’apprentissage de la motricité : mordre, broyer, détruire, agir sur l’extérieur… , et qui s’exprime à l’état pur dans le sentiment de colère. Cette agressivité est susceptible de se manifester au bénéfice ou au détriment de l’être humain suivant qu’elle est, ou non, intégrée au Moi. Positivement, elle est cette énergie virile qui ose et impose, qui force et se dépense en vue d’un but à conquérir. C’est la passion enrichissante avec son emprise dominatrice sur les objets, la violence saine parce que réalisatrice. Négativement, elle est cette impulsivité destructrice, génératrice de brutalité, de tyrannie, de sadisme, de haine, de guerre. Avec Mars se présente « la lutte pour la vie », à pleines dents et à pleines griffes, installant le règne de la loi du plus fort. »

-« Les aspects :

L’Astrologie ne tient pas seulement compte des planètes dans leurs positions par signe et Maison, elle enregistre les interactions de ces planètes entre elles…On nomme précisément « aspects » des écarts angulaires privilégiés, comptés en longitude sur l’écliptique, quand ces écarts sont ceux de deux planètes…

Voici la liste des aspects majeurs par ordre d’importance décroissante :

.conjonction écart 0°

.opposition écart 180°

.trigone écart 120°

.carré écart 90°

.sextile écart 60°

On accepte un certain étalement de l’aspect sur plusieurs degrés. Cette zone d’influence qui précède et qui suit l’écart théorique de l’aspect constitue son orbe. Sa valeur n’est pas déterminée de façon absolue, car il est difficile de déterminer avec précision la limite à partir de laquelle l’aspect se rompt. D’une façon générale, nous préconisons personnellement les orbes suivants :

.conjonction 10°

.opposition 9°

.trigone 8°

.carré 6°

.sextile 4°

-« Les affinités électives :

Si la constellation native reflète l’être, la confrontation de tel thème avec tel autre doit nécessairement fournir des informations sur les ressemblances ou les dissemblances des deux individus, et par suite sur leurs affinités ou leurs disharmonies…

La tradition astrologique a enseigné la valeur de certaines rencontres, en particulier dans le domaine affectif. Ainsi, entre un homme et une femme, la « rencontre » zodiacale du Soleil et de la Lune…ou encore celle de Vénus et de Mars…sont annoncées comme très attractives amoureusement, la rencontre Soleil-Lune l’étant idéalement et la rencontre Vénus-Mars, surtout sensuellement. Il y a là une condition symbolique propice à une interpénétration affective des deux individus..

Les aspects sont également à mettre en ligne de compte, bien qu’ils n’aient pas la même importance que la rencontre effective de deux astres (toujours la suprématie de la conjonction sur les aspects). Assurément, il est heureux, pour un couple, qu’il y ait un trigone ou sextile entre :

…Vénus de l’un et Mars de l’autre..

Par contre, il est regrettable qu’il se présente des carrés ou des oppositions entre ces planètes, et plus encore quand il en existe entre planètes contraires :

…Soleil avec Mars.. »

D’un autre auteur :

« Les significateurs de l’amour et du mariage sont les suivants :

.Vénus, qui représente le sentiment, l’attraction

.Mars, qui représente l’attraction sexuelle, la passion

.La Lune, significateur de l’émotivité, de la vie de famille, des femmes et de l’épouse en particulier, du mariage en nativité masculine

.Le Soleil qui, en nativité féminine, représente le mariage et l’époux. »

Spleen et Idéal2
Bénédiction (extraits)
…..Pourtant, sous la tutelle invisible d’un Ange,
L’Enfant déshérité s’enivre de soleil,
Et dans tout ce qu’il boit et dans tout ce qu’il mange
Retrouve l’ambroisie et le nectar vermeil.
Il joue avec le vent, cause avec le nuage,
Et s’enivre en chantant du chemin de la croix ;
Et l’Esprit qui le suit dans son pèlerinage
Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois.
Tous ceux qu’il veut aimer l’observent avec crainte,
Ou bien, s’enhardissant de sa tranquillité,
Cherchent à qui saura lui tirer une plainte,
Et font sur lui l’essai de leur férocité.
Dans le pain et le vin destinés à sa bouche
Ils mêlent de la cendre avec d’impurs crachats ;
Avec hypocrisie ils jettent ce qu’il touche,
Et s’accusent d’avoir mis leurs pieds dans ses pas….
L’albatros
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Elévation
Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par-delà le soleil, par-delà les éthers,
Par-delà les confins des sphères étoilées,
Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde,
Tu sillonnes gaiement l’immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.
Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;
Va te purifier dans l’air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.
Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
S’élancer vers les champs lumineux et sereins ;
Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
-Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes !
Correspondances (extraits)
…..Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
-Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.
V (extraits)
….Le poète aujourd’hui, quand il veut concevoir
Ces natives grandeurs, aux lieux où se font voir
La nudité de l’homme et celle de la femme,
Sent un froid ténébreux envelopper son âme
Devant ce noir tableau plein d’épouvantement.
O monstruosités pleurant leur vêtement !
O ridicules troncs ! torses dignes des masques !
O pauvres corps tordus, maigres, ventrus ou flasques,
Que le dieu de l’Utile, implacable et serein,
Enfants, emmaillota dans ses langes d’airain !
Et vous, femmes, hélas ! pâles comme des cierges,
Que ronge et que nourrit la débauche, et vous, vierges,
Du vice maternel traînant l’hérédité
Et toutes les hideurs de la fécondité !
Nous avons, il est vrai, nations corrompues,
Aux peuples anciens des beautés inconnues :
Des visages rongés par les chancres du cœur,
Et comme qui dirait des beautés de langueur ;
Mais ces inventions de nos muses tardives
N’empêcheront jamais les races maladives
De rendre à la jeunesse un hommage profond,
-A la sainte jeunesse, à l’air simple, au doux front,
A l’œil limpide et clair ainsi qu’une eau courante,
Et qui va répandant sur tout, insouciante
Comme l’azur du ciel, les oiseaux et les fleurs,
Ses parfums, ses chansons et ses douces chaleurs

CHAPITRE 1

« L’amour pour thème »

Il y a très peu de domaines relevant de l’astrologie qui se prêtent à l’analyse statistique.

Objets premiers de l’astrologie : la psychologie de l’être, sa nature, son tempérament relèvent du domaine de l’impalpable, de l’immatériel, et de ce fait sont difficilement classables, quantifiables,  et donc quasi invérifiables.

Objets seconds de l’astrologie : les actes et les évènements de l’existence ne le sont guère davantage ! En effet, les « petits évènements » de la vie, les évènements du quotidien, s’ils sont immensément nombreux, sont « trop petits » pour intéresser la société, car sans incidence sensible  sur elle ; ils relèvent du « domaine de la vie privée » et ne font donc l’objet d’aucun enregistrement;  « inexistants » officiellement, ils sont « invisibles » à l’observateur et donc non quantifiables et invérifiables également. Quant aux « grands évènements » de la vie, les accidents, les maladies, la carrière, les évènements heureux majeurs qui ont pour certains d’entre eux une incidence sur la société, ils sont eux  trop peu nombreux !

Si quelques uns font l’objet d’enregistrement, le respect de la vie privée de la personne, la CNIL et autres organismes empêchent d’y avoir accès !

Finalement, hors quelques domaines particuliers comme la carrière sociale, les seuls évènements survenant à autrui dont la connaissance est accessible aisément et légalement, et qui peuvent permettre d’entreprendre une étude sur un grand nombre d’individus, sont ceux qui sont inscrits au registre de l’Etat Civil: la naissance, le mariage et la mort !

Et de ces trois évènements majeurs qui ponctuent une existence terrestre, le mariage, et donc l’amour, est celui qui peut le plus aisément faire l’objet d’une recherche.

Car l’astrologie sur ce point est précise et affirme des règles: le Soleil et les planètes Lune d’une part, et Vénus et Mars d’autre part sont les ordonnateurs de l’amour, ses grands prêtre et prêtresses, fondamentalement  impliqués dans le processus du sentiment amoureux et du désir. Je cite un auteur connu* : « La tradition astrologique a enseigné la valeur de certaines rencontres, en particulier dans le domaine affectif. Ainsi, entre un homme et une femme, la « rencontre » zodiacale du Soleil et de la Lune…ou encore celle de Vénus et de Mars…sont annoncées comme très attractives amoureusement, la rencontre Soleil-Lune l’étant idéalement et la rencontre Vénus-Mars, surtout sensuellement. Il y a là une condition symbolique propice à une interpénétration affective des deux individus.. »

*dont je tairai le nom, par correction, compte tenu des résultats de cette étude

La présente étude va donc porter sur l’amour pour tenter de répondre à la question suivante : y a-t-il effectivement entre un homme et une femme mariés,  qui s’aiment, ou qui se sont aimés, des rapports astrologiques significatifs ?

 Dans cette étude seuls les rapports entre le Soleil, Mercure, Vénus et Mars y sont examinés, à l’exclusion de ceux de la Lune et de l’Ascendant qui feront l’objet d’une étude complémentaire ultérieure.

Les caractéristiques astrologiques de 629 couples, soit 1258 personnes, y sont étudiées ainsi que celles de 289 paires de couples dont les épouses sont nées le même jour, afin de répondre à la deuxième question : des femmes mariées nées le même jour ont-elles obéi à une influence  astrologique  semblable pour choisir leur époux ?

Au lecteur (extraits)
….Sur l’oreiller du mal c’est Satan Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.
C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent !
Aux objets répugnants nous trouvons des appas ;
Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas,
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.
Ainsi qu’un débauché pauvre qui baise et mange
Le sein martyrisé d’une antique catin,
Nous volons au passage un plaisir clandestin
Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.
Serré, fourmillant comme un million d’helminthes,
Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons,
Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.
Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie,
N’ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C’est que notre âme, hélas ! n’est pas assez hardie.
Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices,
Il en est un de plus laid, plus méchant, plus immonde !
Quoiqu’il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde ;
C’est l’Ennui !- l’œil chargé d’un pleur involontaire,
Il rêve d’échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
-Hypocrite lecteur,- mon semblable, -mon frère !

AVANT PROPOS

J’ai été longtemps passionné d’astrologie.

Sans doute poussé par l’excitation de la recherche et la griserie de savoir le pourquoi et le comment des actes et des destins des hommes.

J’ai lu des règles dans les ouvrages spécialisés, j’ai dressé des cartes des ciels de naissance- selon des techniques apprises dans les mêmes livres- et les ai interprétées pour établir des thèmes- toujours selon les règles apprises dans les livres.

Tout au long de ma pratique de l’astrologie, je me suis posé les mêmes questions: qui a mis au point ses règles si fines et si complexes? Comment et quand ont-elles été découvertes, par quels moyens, à la suite de quelles expériences, alors que leur objet- la psychologie et le comportement des hommes et les évènements de leur vie-  est si peu matériel ? Comment cette « mécanique » fonctionne-t-elle? Les règles appliquées sont-elles vraies, quelles preuves les confortent ?

Beaucoup de questions… mais si peu de réponses !

La présente étude ne porte que sur un point de l’astrologie, et ne donne qu’une réponse, en outre partielle.

Déjà !
Hé quoi ?…Déjà !… Amour léger comme tu passes !
A peine avons-nous eu le temps de les croiser
Que mutuellement nos mains se désenlacent.
Je songe à la bonté que n’a plus le baiser.
Un jour partira donc ta main apprivoisée !
Tes yeux ne seront plus les yeux dont on s’approche.
D’autres auront ton cœur et ta tête posée.
Je ne serai plus là pour t’en faire un reproche.
Quoi ? sans moi, quelque part, ton front continuera !
Ton geste volera, ton rire aura sonné,
Le mal et les chagrins renaîtront sous tes pas ;
Je ne serai plus là pour te le pardonner.
Sera-t-il donc possible au jour qui nous éclaire,
A la nuit qui nous berce, à l’aube qui nous rit,
De me continuer leur aumône éphémère,
Sans que tu sois du jour, de l’aube et de la nuit ?
Sera-t-il donc possible, hélas, qu’on te ravisse,
Chaleur de mon repos qui ne me vient que d’elle !
Tandis que, loin de moi, son sang avec délice
Continuera son bruit à sa tempe fidèle.
La voilà donc finie alors la course folle ?
Et tu n’appuieras plus jamais, sur ma poitrine,
Ton front inconsolé à mon cœur qui console,
Rosine, ma Rosine, ah ! Rosine, Rosine !
Voici venir, rampant vers moi comme une mer,
Le silence, le grand silence sans pardon.
Il a gagné mon seuil, il va gagner ma chair.
D’un cœur inanimé, hélas, que fera-t-on ?
Eh bien, respire ailleurs, visage évanoui !
J’accepte. A ce signal séparons-nous ensemble…
Me voici seul ; l’hiver là… c’est bien….Nuit.
Froid. Solitude…. Amour léger comme tu trembles !
Le vigneron champenois
Le régiment arrive
Le village est presque endormi dans la lumière parfumée
Un prêtre a le casque en tête
La bouteille champenoise est-elle ou non une artillerie
Les ceps de vigne comme l’hermine sur un écu
Bonjour soldats
Je les ai vus passer et repasser en courant
Bonjour soldats bouteilles champenoises où le sang fermente
Vous resterez quelques jours et puis remonterez en ligne
Echelonnés ainsi que sont les ceps de vigne
J’envoie mes bouteilles partout comme les obus d’une charmante artillerie
La nuit est blonde ô vin blond
Un vigneron chantait courbé dans sa vigne
Un vigneron sans bouche au fond de l’horizon
Un vigneron qui était lui-même la bouteille vivante
Un vigneron qui sait ce qu’est la guerre
Un vigneron champenois qui est un artilleur
C’est maintenant le soir et l’on joue à la mouche
Puis les soldats s’en iront là-haut
Où l’artillerie débouche ses bouteilles crémantes
Allons Adieu messieurs tâchez de revenir
Mais nul ne sait ce qui peut advenir
Carte postale
Je t’écris de dessous la tente
Tandis que meurt ce jour d’été
Où floraison éblouissante
Dans le ciel à peine bleuté
Une canonnade éclatante
Se fane avant d’avoir été
Un oiseau chante
Un oiseau chante ne sais où
C’est je crois ton âme qui veille
Parmi tous les soldats d’un sou
Et l’oiseau charme mon oreille
Ecoute il chante tendrement
Je ne sais pas sur quelle branche
Et partout il va me charmant
Nuit et jour semaine et dimanche
Mais que dire de cet oiseau
Que dire des métamorphoses
De l’âme en chant dans l’arbrisseau
Du cœur en ciel du ciel en roses
L’oiseau des soldats c’est l’amour
Et mon amour c’est une fille
La rose est moins parfaite et pour
Moi seul l’oiseau bleu s’égosille
Oiseau bleu comme le cœur bleu
De mon amour au cœur céleste
Ton chant si doux répète-le
A la mitrailleuse funeste
Qui claque à l’horizon et puis
Sont-ce les astres que l’on sème
Ainsi vont les jours et les nuits
Amour bleu comme est le cœur même
Chevaux de frise
Pendant le blanc et nocturne novembre
Alors que les arbres déchiquetés par l’artillerie
Vieillissaient encore sous la neige
Et semblaient à peine des chevaux de frise
Entourés de vagues de fils de fer
Mon cœur renaissait comme un arbre au printemps
Un arbre fruitier sur lequel s’épanouissent
Les fleurs de l’amour
Pendant le blanc et nocturne novembre
Tandis que chantaient épouvantablement les obus
Et que les fleurs mortes de la terre exhalaient
Leurs mortelles odeurs
Moi je décrivais tous les jours mon amour à Madeleine
La neige met de pâles fleurs sur les arbres
Et toisonne d’hermine les chevaux de frise
Que l’on voit partout
Abandonnés et sinistres
Chevaux muets
Nos chevaux barbes mais barbelés
Et je les anime tout soudain
En troupeau de jolis chevaux pies
Qui vont vers toi comme de blanches vagues
Sur la Méditerranée
Et t’apportent mon amour
Roselys ô panthère ô colombes étoile bleue
Ô Madeleine
Je t’aime avec délices
Si je songe à tes yeux je songe aux sources fraîches
Si je pense à ta bouche les roses m’apparaissent
Si je songe à tes seins le Paraclet descend
O double colombe de ta poitrine
Et vient délier ma langue de poète
Pour te redire
Je t’aime
Ton visage est un bouquet de fleurs
Aujourd’hui je te vois non Panthère
Mais Toutefleur
Et je te respire ô ma Toutefleur
Tous les lys montent en toi comme des cantiques d’amour et d’allégresse
Et ces chants qui s’envolent vers toi
M’emportent à ton côté
Dans ton bel Orient où les lys
Se changent en palmiers qui de leurs belles mains
Me font signe de venir
La fusée s’épanouit fleur nocturne
Quand il fait noir
Et elle retombe comme une pluie de larmes amoureuses
De larmes heureuses que la joie fait couler
Et je t’aime comme tu m’aimes
Madeleine
Chant de l’honneur
Le Poète
Je me souviens ce soir de ce drame indien
Le Chariot d’Enfant un voleur y survient
Qui pense avant de faire un trou dans la muraille
Quelle forme il convient de donner à l’entaille
Afin que la beauté ne perde pas ses droits
Même au moment d’un crime
Et nous aurions je crois
A l’instant de périr nous poètes nous hommes
Un souci de même ordre à la guerre où nous sommes
Mais ici comme ailleurs je le sais la beauté
N’est la plupart du temps que la simplicité
Et combien j’en ai vu qui morts dans la tranchée
Etaient restés debout et la tête penchée
S’appuyant simplement contre le parapet
J’en vis quatre une fois qu’un même obus frappait
Ils restèrent longtemps ainsi morts et très crânes
Avec l’aspect penché de quatre tours pisanes
Depuis dix jours au fond d’un couloir trop étroit
Dans les éboulements et la boue et le froid
Parmi la chair qui souffre et dans la pourriture
Anxieux nous gardons la route de Tahure
J’ai plus que les trois cœurs des poulpes pour souffrir
Vos cœurs sont tous en moi je sens chaque blessure
O mes soldats souffrants ô blessés à mourir
Cette nuit est si belle où la balle roucoule
Tout un fleuve d’obus sur nos têtes s’écoule
Parfois une fusée illumine la nuit
C’est une fleur qui s’ouvre et puis s’évanouit
La terre se lamente et comme une marée
Monte le flot chantant dans mon abri de craie
Séjour de l’insomnie incertaine maison
De l’Alerte la Mort et la Démangeaison
La Tranchée
O jeunes gens je m’offre à vous comme une épouse
Mon amour est puissant j’aime jusqu’à la mort
Tapie au fond du sol je vous guette jalouse
Et mon corps n’est en tout qu’un long baiser qui mord
Les Balles
De nos ruches d’acier sortons à tire-d’aile
Abeilles le butin qui sanglant emmielle
Les doux rayons d’un jour qui toujours renouvelle
Provient de ce jardin exquis l’humanité
Aux fleurs d’intelligence à parfum de beauté
Le Poète
Le Christ n’est donc venu qu’en vain parmi les hommes
Si des fleuves de sang limitent les royaumes
Et même de l’Amour on sait la cruauté
C’est pourquoi faut au moins penser à la Beauté
Seule chose ici-bas qui jamais n’est mauvaise
Elle porte cent noms dans la langue française
Grâce Vertu Courage Honneur et ce n’est là
Que la même Beauté
La France
Poète honore-la
Souci de la Beauté non souci de la Gloire
Mais la Perfection n’est-ce pas la Victoire
Le Poète
O poètes des temps à venir ô chanteurs
Je chante la beauté de toutes nos douleurs
J’en ai saisi des traits mais vous saurez bien mieux
Donner un sens sublime aux gestes glorieux
Et fixer la grandeur de ces trépas pieux
L’un qui détend son corps en jetant des grenades
L’autre ardent à tirer nourrit les fusillades
L’autre les bras ballants porte des seaux de vin
Et le prêtre-soldat dit le secret divin
J’interprète pour tous la douceur des trois notes
Que lance un loriot canon quand tu sanglotes
Qui dons saura jamais que de fois j’ai pleuré
Ma génération sur son trépas sacré
Prends mes vers ô ma France Avenir Multitude
Chantez ce que je chante un chant pur le prélude
Des chants sacrés que la beauté de notre temps
Saura vous inspirer plus purs plus éclatants
Que ceux que je m’efforce à moduler ce soir
En l’honneur de l’Honneur la beauté du Devoir
Chef de section
Ma bouche aura des ardeurs de géhenne
Ma bouche te fera un enfer de douceur et de séduction
Les anges de ma bouche trôneront dans ton cœur
Les soldats de ma bouche te prendront d’assaut
Les prêtres de ma bouche encenseront ta beauté
Ton âme s’agitera comme une région pendant un tremblement de terre
Tes yeux seront alors chargés de tout l’amour qui s’est amassé
Dans les regards de l’humanité depuis qu’elle existe
Ma bouche sera une armée contre toi une armée pleine de disparates
Variée comme un enchanteur qui sait varier ses métamorphoses
L’orchestre et les chœurs de ma bouche te diront mon amour
Elle te le murmure de loin
Tandis que les yeux fixés sur la montre j’attends la minute prescrite pour l’assaut
La jolie rousse
Me voici devant tous un homme plein de sens
Connaissant la vie et de la mort ce qu’un vivant peut connaître
Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l’amour
Ayant su quelques fois imposer ses idées
Connaissant plusieurs langages
Ayant pas mal voyagé
Ayant vu la guerre dans l’Artillerie et l’Infanterie
Blessé à la tête trépané sous le chloroforme
Ayant perdu ses meilleurs amis dans l’effroyable lutte
Je sais d’ancien et de nouveau autant qu’un homme seul pourrait des deux savoir
Et sans m’inquiéter aujourd’hui de cette guerre
Entre nous et pour nous mes amis
Je juge cette longue querelle de la tradition et de l’invention
De l’Ordre et de l’Aventure
Vous dont la bouche est faite à l’image de celle de Dieu
Bouche qui est l’ordre même
Soyez indulgents quand vous nous comparez
A ceux qui furent la perfection de l’ordre
Nous qui quêtons partout l’aventure
Nous ne sommes pas vos ennemis
Nous voulons vous donner de vastes et d’étranges domaines
Où le mystère en fleurs s’offre à qui veut le cueillir
Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues
Mille phantasmes impondérables
Auxquels il faut donner de la réalité
Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait
Il y a aussi le temps qu’on peut chasser ou faire revenir
Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières
De l’illimité et de l’avenir
Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés
Voici que vient l’été la saison violente
Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps
O soleil c’est le temps de la Raison ardente
Et j’attends
Pour la suivre toujours la forme noble et douce
Qu’elle prend afin que je l’aime seulement
Elle vient et m’attire ainsi qu’un fer l’aimant
Elle a l’aspect charmant
D’une adorable rousse
Ses cheveux sont d’or on dirait
Un bel éclair qui durerait
Ou ces flammes qui se pavanent
Dans les roses-thé qui se fanent
Mais riez riez de moi
Hommes de partout surtout gens d’ici
Car il y a tant de choses que je n’ose vous dire
Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire
Ayez pitié de moi
A l’Italie
L’amour a remué ma vie comme on remue la terre dans la zone des armées
J’atteignais l’âge mûr quand la guerre arriva
Et dans ce jour d’août 1915 le plus chaud de l’année
Bien abrité dans l’hypogée que j’ai creusé moi-même
C’est à toi que je songe Italie mère de mes pensées
Et déjà quand von Kluck marchait sur Paris avant la Marne
J’évoquais le sac de Rome par les Allemands
Le sac de Rome qu’ont décrit
Un Bonaparte le vicaire espagnol Delicado et l’Arétin
Je me disais
Est-il possible que la nation
Qui est la mère de la civilisation
Regarde sans la défendre les efforts qu’on fait pour la détruire
Puis les temps sont venus les tombes se sont ouvertes
Les fantômes des Esclaves toujours frémissants
Se sont dressés en criant SUS AUX TUDESQUES
Nous l’armée invisible aux cris éblouissants
Plus doux que n’est le miel et plus simples qu’un peu de terre
Nous te tournons bénignement le dos Italie
Mais ne t’en fais pas nous t’aimons bien
Italie mère qui es aussi notre fille
Nous sommes là tranquillement et sans tristesse
Et si malgré les masques les sacs de sable les rondins nous tombions
Nous savons qu’un autre prendrait notre place
Et que les Armées ne périront jamais
Les mois ne sont pas longs ni les jours ni les nuits
C’est la guerre qui est longue
Italie
Toi notre mère et notre fille quelque chose comme une sœur
J’ai comme toi pour me réconforter
Le quart de pinard
Qui met tant de différence entre nous et les Boches
J’ai aussi comme toi l’envol des compagnies de perdreaux des 75
Comme toi je n’ai pas cet orgueil sans joie des Boches et je sais rigoler
Je ne suis pas sentimental à l’excès comme le sont ces gens sans mesure
Que leurs actions dépassent sans qu’ils sachent s’amuser
Notre civilisation a plus de finesse que les choses qu’ils emploient
Elle est au-delà de la vie confortable
Et de ce qui est l’extérieur dans l’art et l’industrie
Les fleurs sont nos enfants et non les leurs
Même la fleur de lys qui meurt au Vatican
La plaine est infinie et les tranchées sont blanches
Les avions bourdonnent ainsi que des abeilles
Sur les roses momentanées des éclatements
Et les nuits sont parées de guirlandes d’éblouissements
De bulles de globules aux couleurs insoupçonnées
Nous jouissons de tout même de nos souffrances
Notre humeur est charmante l’ardeur vient quand il faut
Nous sommes narquois car nous savons faire la part des choses
Et il n’y a pas plus de folie chez celui qui jette les grenades
Que chez celui qui plume les patates
Tu aimes un peu plus que nous les gestes et les mots sonores
Tu as à ta disposition les sortilèges étrusques le sens de la majesté héroïque et le courageux honneur individuel
Nous avons le sourire nous devinons ce qu’on ne nous dit pas
Nous sommes démerdards et même ceux qui se dégonflent sauraient à l’occasion
Faire preuve de l’esprit de sacrifice qu’on appelle la bravoure
Et nous fumons du gros avec volupté
C’est la nuit je suis dans mon blockhaus éclairé par l’électricité en bâton
Je pense à toi pays des 2 volcans
Je salue le souvenir des sirènes et des scylles mortes au moment de Messine
Je salue le Colleoni équestre de Venise
Je salue la chemise rouge
Je t’envoie mes amitiés Italie et m’apprête à applaudir aux hauts faits de ta bleusaille
Non parce que j’imagine qu’il n’y aura jamais plus de bonheur ou de malheur en ce monde
Mais parce que comme toi j’aime à penser seul
Et que les Boches m’en empêcheraient
Mais parce que le goût naturel de la perfection que nous avons l’un et l’autre
Si on les laissait faire serait vite remplacé par je ne sais quelles commodités
Dont je n’ai que faire
Et surtout parce que comme toi je sais je veux choisir
Et qu’eux voudraient nous forcer à ne plus choisir
Une même destinée nous lie en cette occase
Ce n’est pas pour l’ensemble que je le dis
Mais pour chacun de toi Italie
Ne te borne point à prendre les terres irrédentes
Mets ton destin dans la balance où est la nôtre
Les réflecteurs dardent leurs lueurs comme des yeux d’escargots
Et les obus en tombant sont des chiens
Qui jettent de la terre avec leurs pattes après avoir fait leurs besoins
Notre armée invisible est une belle nuit constellée
Et chacun de nos hommes est un astre merveilleux
O nuit ô nuit éblouissante
Les morts sont avec nos soldats
Les morts sont debout dans les tranchées
Ou se glissent souterrainement vers les Bien-Aimées
O Lille Saint-Quentin Laon Maubeuge Vouziers
Nous jetons nos villes comme des grenades
Nos fleuves sont brandis comme des sabres
Nos montagnes chargent comme cavalerie
Nous reprendrons les villes les fleuves et les collines
De la frontière helvétique aux frontières bataves
Entre toi et nous Italie
Il y a des patelins pleins de femmes
Et près de toi m’attend celle que j’adore
O Frères d’Italie
Ondes nuages délétères
Métalliques débris qui vous rouillez partout
O frères d’Italie vos plumes sur la tête
Italie
Entends crier Louvain vois Reims tordre ses bras
Et ce soldat blessé toujours debout Arras
Et maintenant chantons ceux qui sont morts
Ceux qui vivent
Les officiers les soldats
Les flingots Rosalie le canon la fusée l’hélice la pelle les chevaux
Chantons les bagues pâles les casques
Chantons ceux qui sont morts
Chantons la terre qui bâille d’ennui
Chantons et rigolons
Durant des années
Italie
Entends braire l’âne boche
Faisons la guerre à coups de fouets
Faits avec les rayons du soleil
Italie
Chantons et rigolons
Durant des années
La traversée
Du joli bateau de Port-Vendres
Tes yeux étaient les matelots
Et comme les flots étaient tendres
Dans les parages de Palos
Que de sous-marins dans mon âme
Naviguent et vont l’attendant
Le superbe navire où clame
Le chœur de ton regard ardent
Il y a
Il y a un vaisseau qui a emporté ma bien-aimée
Il y a dans le ciel six saucisses et la nuit venant
On dirait des asticots dont naîtraient les étoiles
Il y a un sous-marin ennemi qui en voulait à mon amour
Il y a mille petits sapins brisés par les éclats d’obus autour de moi
Il y a un fantassin qui passe aveuglé par les gaz asphyxiants
Il y a que nous avons tout haché dans les boyaux de Nietzsche de Goethe et de Cologne
Il y a que je languis après une lettre qui tarde
Il y a dans mon porte-cartes plusieurs photos de mon amour
Il y a les prisonniers qui passent la mine inquiète
Il y a une batterie dont les servants s’agitent autour des pièces
Il y a le vaguemestre qui arrive au trot par le chemin de l’Arbre isolé
Il y a dit-on un espion qui rôde par ici invisible
Comme l’horizon dont il s’est indignement revêtu
Et avec quoi il se confond
Il y a dressé comme un lys le buste de mon amour
Il y a un capitaine qui attend avec anxiété les communications de la T.S.F. sur l’Atlantique
Il y a à minuit des soldats qui scient des planches pour les cercueils
Il y a des femmes qui demandent du maïs à grands cris devant un Christ sanglant à Mexico
Il y a le Gulf Stream qui est si tiède et si bienfaisant
Il y a un cimetière plein de croix à 5 kilomètres
Il y a des croix partout de-ci de-là
Il y a des figues de Barbarie sur ces cactus en Algérie
Il y a les longues mains souples de mon amour
Il y a un encrier que j’avais fait dans une fusée de 15 centimètres et qu’on n’a pas laissé partir
Il y a ma selle exposée à la pluie
Il y a les fleuves qui ne remontent pas leurs cours
Il y a l’amour qui m’entraîne avec douceur
Il y avait un prisonnier boche qui portait sa mitrailleuse sur le dos
Il y a des hommes dans le monde qui n’ont jamais été à la guerre
Il y a des Hindous qui regardent avec étonnement les campagnes occidentales
Ils pensent avec mélancolie à ceux dont ils se demandent s’ils les reverront
Car on a poussé très loin durant cette guerre l’art de l’invisibilité
Le chant d’amour
Voici de quoi est fait le chant symphonique de l’amour
Il y a le chant de l’amour de jadis
Le bruit des baisers éperdus des amants illustres
Le cri d’amour des mortelles violées par les dieux
Les virilités des héros fabuleux érigées comme des pièces contre avions
Le hurlement précieux de Jason
Le chant mortel du cygne
Et l’hymne victorieux que les premiers rayons du soleil ont fait chanter à Memnon l’immobile
Il y a le cri des Sabines au moment de l’enlèvement
Il ya aussi les cris d’amour des félins dans les jongles
La rumeur sourde des sèves montant dans les plantes tropicales
Le tonnerre des artilleries qui accomplissent le terrible amour des peuples
Les vagues de la mer où naît la vie et la beauté
Il y a le chant de tout l’amour du monde
Ecoute s’il pleut écoute s’il pleut
 
Puis écoutez tomber la pluie si tendre et si douce
 
Soldats aveugles perdus parmi les chevaux de frise sous la lune liquide
 
Des Flandres à l’agonie sous la pluie fine la pluie si tendre et si douce
 
Confondez-vous avec l’horizon beaux êtres invisibles sous la pluie fine
 
La pluie si tendre la pluie si douce
Les longs boyaux où tu chemines
Adieu les cagnats d’artilleurs
Tu retrouveras
La tranchée en première ligne
Les éléphants des pare-éclats
Une girouette maligne
Et les regards des guetteurs las
Qui veillent le silence insigne
Ne vois-tu rien venir
Au Périscope
La balle qui froisse le silence
Les projectiles d’artillerie qui glissent
Comme un fleuve aérien
Ne mettez plus de coton dans les oreilles
Ca n’en vaut plus la peine
Mais appelez donc Napoléon sur la tour
Allô
Le petit geste du fantassin qui se gratte au cou où les totos le démangent
La vague
Dans les caves
Dans les caves
L’inscription anglaise
C’est quelque chose de si ténu de si lointain
Que d’y penser on arrive à le trop matérialiser
Forme limitée par la mer bleue
Par la rumeur d’un train en marche
Par l’odeur des eucalyptus des mimosas
Et des pins maritimes
Mais le contact et la saveur
Et cette petite voyageuse alerte inclina brusquement la tête sur le quai de la gare à Marseille
Et s’en alla
Sans savoir
Que son souvenir planerait
Sur un petit bois de la Champagne où un soldat s’efforce
Devant le feu d’un bivouac d’évoquer cette apparition
A travers la fumée d’écorce de bouleau
Qui sent l’encens minéen
Tandis que les volutes bleuâtres qui montent
D’un cigare écrivent le plus tendre des noms
Mais les nœuds de couleuvres en se dénouant
Ecrivent aussi le nom émouvant
Dont chaque lettre se love en belle anglaise
Et le soldat n’ose point achever
Le jeu de mots bilingue que ne manque point de susciter
Cette calligraphie sylvestre et vernale
Dans l’abri-caverne
Je me jette vers toi et il me semble que tu te jettes vers moi
Une force part de nous qui est un feu solide qui nous soude
Et puis il y a aussi une contradiction qui fait que nous ne pouvons nous apercevoir
En face de moi la paroi de craie s’effrite
Il y a des cassures
De longues traces d’outils traces lisses et qui semblent être faites dans la stéarine
Des coins de cassures sont arrachés par le passage des types de ma pièce
Moi j’ai ce soir une âme qui s’est creusée qui est vide
On dirait qu’on y tombe sans cesse  et sans trouver de fond
Et qu’il n’y a rien pour se raccrocher
Ce qui y tombe et qui y vit c’est une sorte d’êtres laids
Qui me font mal et qui viennent de je ne sais où
Oui je crois qu’ils viennent de la vie d’une sorte de vie
Qui est dans l’avenir dans l’avenir brut
Qu’on n’a pu encore cultiver ou élever ou humaniser
Dans ce grand vide de mon âme il manque un soleil il manque ce qui éclaire
C’est aujourd’hui c’est ce soir et non toujours
Heureusement que ce n’est que ce soir
Les autres jours je me rattache à toi
Les autres jours je me console de la solitude et de toutes les horreurs
En imaginant ta beauté
Pour l’élever au-dessus de l’univers extasié
Puis je pense que je l’imagine en vain
Je ne la connais par aucun sens
Ni même par les mots
Et mon goût de la beauté est-il donc aussi vain
Existes-tu mon amour
Ou n’es-tu qu’une entité que j’ai créée sans le vouloir
Pour peupler la solitude
Es-tu une de ces déesses comme celles que les Grecs avaient douées pour moins s’ennuyer
Je t’adore ô ma déesse exquise même si tu n’es que dans mon imagination
Fusée
La boucle des cheveux noirs de ta nuque est mon trésor
Ma pensée te rejoint et la tienne la croise
Tes seins sont les seuls obus que j’aime
Ton souvenir est la lanterne qui nous sert à pointer la nuit
En voyant la large croupe de mon cheval j’ai pensé à tes hanches
Voici les fantassins qui s’en vont à l’arrière en lisant un journal
Le chien du brancardier revient avec une pipe dans sa gueule
Un chat-huant ailes fauves yeux ternes gueule de petit chat et pattes de chat
Une souris verte file parmi la mousse
Le riz a brûlé dans la marmite de campement
Ca signifie qu’il faut prendre garde à bien des choses
Le mégaphone crie
Allongez le tir
Allongez le tir amour de vos batteries
Balance des batteries lourdes cymbales
Qu’agitent les chérubins fous d’amour
En l’honneur du Dieu des Armées
Un arbre dépouillé sur une butte
Le bruit des tracteurs qui grimpent dans la vallée
O vieux monde du XIX siècle plein de hautes cheminées si belles et si pures
Virilités du siècle où nous sommes
O canons
Douilles éclatantes des obus de 75
Carillonnez pieusement
Désir
Mon désir est la région qui est devant moi
Derrière les lignes boches
Mon désir est aussi derrière moi
Après la zone des armées
Mon désir c’est la butte du Mesnil
Mon désir est là sur quoi je tire
De mon désir qui est au-delà de la zone des armées
Je n’en parle pas aujourd’hui mais j’y pense
Butte du Mesnil je t’imagine en vain
Des fils de fer des mitrailleuses des ennemis trop sûrs d’eux
Trop enfoncés sous terre déjà enterrés
Ca ta clac des coups qui meurent en s’éloignant
En y veillant tard dans la nuit
Le Decauville qui toussote
La tôle ondulée sous la pluie
Et sous la pluie ma bourguignotte
Entends la terre véhémente
Vois les lueurs avant d’entendre les coups
Et tel obus siffler de la démence
Où le tac tac tac monotone et bref plein de dégoût
Je désire
Te serrer dans ma main Main de Massiges
Si décharnée sur la carte
Le boyau Goethe où j’ai tiré
J’ai tiré même sur le boyau Nietzsche
Décidément je ne respecte aucune gloire
Nuit violente et violette et sombre et pleine d’or par moments
Nuit des hommes seulement
Nuit du 24 septembre
Demain l’assaut
Nuit violente ô nuit dont l’épouvantable cri profond
Devenait plus intense de minute en minute
Nuit qui criait comme une femme qui accouche
Nuit des hommes seulement
Océan de terre
J’ai bâti une maison au milieu de l’Océan
Ses fenêtres sont les fleuves qui s’écoulent de mes yeux
Des poulpes grouillent partout où se tiennent les murailles
Entendez battre leur triple cœur et leur bec cogner aux vitres
Maison humide
Maison ardente
Saison rapide
Saison qui chante
Les avions pondent des œufs
Attention on va jeter l’ancre
Attention à l’encre que l’on jette
Il serait bon que vous vinssiez du ciel
Le chèvrefeuille du ciel grimpe
Les poulpes terrestres palpitent
Et puis nous sommes tant et tant à être nos propres fossoyeurs
Pâles poulpes des vagues crayeuses ô poulpes aux becs pâles
Autour de la maison il y a cet océan que tu connais
Et qui ne repose jamais
Merveille de la guerre
Que c’est beau ces fusées qui illuminent la nuit
Elles montent sur leur propre cime et se penchent pour regarder
Ce sont des dames qui dansent avec leurs regards pour yeux bras et cœurs
J’ai reconnu ton sourire et ta vivacité
C’est aussi l’apothéose quotidienne de toutes mes Bérénices
Dont les chevelures sont devenues des comètes
Ces danseuses surdorées appartiennent à tous les temps et à toutes les races
Elles accouchent brusquement d’enfants qui n’ont que le temps de mourir
Comme c’est beau toutes ces fusées
Mais ce serait bien plus beau s’il y en avait plus encore
S’il y en avait des millions qui auraient un sens complet et relatif comme les lettres d’un livre
Pourtant c’est aussi beau que si la vie même sortait des mourants
Mais ce serait bien plus beau encore s’il y en avait plus encore
Cependant je les regarde comme une beauté qui s’offre et s’évanouit aussitôt
Il me semble assister à un grand festin éclairé a giorno
C’est un banquet que s’offre la terre
Elle a faim et ouvre de longues bouches pâles
La terre a faim et voici son festin de Balthasar cannibale
Qui aurait dit qu’on pût être à ce point anthropophage
Et qu’il fallût tant de feu pour rôtir le corps humain
C’est pourquoi l’air a un petit goût empyreumatique qui n’est ma foi pas désagréable
Mais le festin serait plus beau encore si le ciel y mangeait avec la terre
Il n’avale que les âmes
Ce qui est une façon de ne pas se nourrir
Et se contente de jongler avec des feux versicolores
Mais j’ai coulé dans la douceur de cette guerre
Avec toute ma compagnie au long des longs boyaux
Quelques cris de flamme annoncent sans cesse ma présence
J’ai creusé le lit où je coule en me ramifiant en mille petits fleuves qui vont partout
Je suis dans la tranchée de première ligne et cependant
Je suis partout ou plutôt je commence à être partout
C’est moi qui commence cette chose des siècles à venir
Ce sera plus long à réaliser que non la fable d’Icare volant
Je lègue à l’avenir l’histoire de Guillaume Apollinaire
Qui fut à la guerre et sut être partout
Dans les villes heureuses de l’arrière
Dans tout le reste de l’univers
Dans ceux qui meurent en piétinant dans le barbelé
Dans les femmes dans les canons dans les chevaux
Au zénith au nadir aux 4 points cardinaux
Et dans l’unique ardeur de cette veillée d’armes
Et ce serait sans doute bien plus beau
Si je pouvais supposer que toutes ces choses dans lesquelles je suis partout
Pouvaient m’occuper aussi
Mais dans ce sens il n’y a rien de fait
Car si je suis partout à cette heure
Il n’y a cependant que moi qui suis en moi
Exercice
Vers un village de l’arrière
S’en allaient quatre bombardiers
Ils étaient couverts de poussière
Depuis la tête jusqu’aux pieds
Ils regardaient la vaste plaine
En parlant entre eux du passé
Et ne se retournaient qu’à peine
Quand un obus avait toussé
Tous quatre de la classe seize
Parlaient d’antan non d’avenir
Ainsi se prolongeait l’ascèse
Qui les exerçait à mourir
Les collines (extraits)
Au-dessus de Paris un jour
Combattaient deux grands avions
L’un était rouge et l’autre noir
Tandis qu’au zénith flamboyait
L’éternel avion solaire
L’un était toute ma jeunesse
Et l’autre c’était l’avenir
Ils se combattaient avec rage
Ainsi fit contre Lucifer
L’Archange aux ailes radieuses
Ainsi le calcul au problème
Ainsi la nuit contre le jour
Ainsi attaque ce que j’aime
Mon amour ainsi l’ouragan
Déracine l’arbre qui crie
Mais vois quelle douceur partout
Paris comme une jeune fille
S’éveille langoureusement
Secoue sa longue chevelure
Et chante sa belle chanson
Où donc est tombée ma jeunesse
Tu vois que flambe l’avenir
Sache que je parle aujourd’hui
Pour annoncer au monde entier
Qu’enfin est né l’art de prédire
Certains hommes sont des collines
Qui s’élèvent d’entre les hommes
Et voient au loin tout l’avenir
Mieux que s’il était le présent
Plus net que s’il était passé……
….Voici le temps de la magie
Il s’en revient attendez-vous
A des milliards de prodiges
Qui n’ont fait naître aucune fable
Nul les ayant imaginés
Profondeurs de la conscience
On vous explorera demain
Et qui sait quels êtres vivants
Seront tirés de ces abîmes
Avec des univers entiers
Voici s’élever des prophètes
Comme au loin des collines bleues
Ils sauront des choses précises
Comme croient savoir les savants
Et nous transporteront partout
La grande force est le désir
Et viens que je te baise au front
O légère comme une flamme
Dont tu as toute la souffrance
Toute l’ardeur et tout l’éclat…..
Un fantôme de nuées
Comme c’était la veille du quatorze juillet
Vers les quatre heures de l’après-midi
Je descendis dans la rue pour aller voir les saltimbanques
Ces gens qui font des tours en plein air
Commencent à être rares à Paris
Dans ma jeunesse on en voyait beaucoup plus qu’aujourd’hui
Ils s’en sont allés presque tous en province
Je pris le boulevard Saint-Germain
Et sur une petite place située entre Saint-Germain-des-Prés et la statue de Danton
Je rencontrai les saltimbanques
La foule les entourait muette et résignée à attendre
Je me fis une place dans ce cercle afin de tout voir
Poids formidables
Villes de Belgique soulevées à bras tendu par un ouvrier russe de Longwy
Haltères noirs et creux qui ont pour tige un fleuve figé
Doigts roulant une cigarette amère et délicieuse comme la vie
De nombreux tapis sales couvraient le sol
Tapis qui ont des plis qu’on ne défera pas
Tapis qui sont presque entièrement couleur de la poussière
Et où quelques taches jaunes ou vertes ont persisté
Comme un air de musique qui vous poursuit
Vois-tu le personnage maigre et sauvage
La cendre de ses pères lui sortait en barbe grisonnante
Il portait ainsi toute son hérédité au visage
Il semblait rêver à l’avenir
En tournant machinalement un orgue de Barbarie
Dont la lente voix se lamentait merveilleusement
Les glouglous les couacs et les sourds gémissements
Les saltimbanques ne bougeaient pas
Le plus vieux avait un maillot couleur de ce rose violâtre
Qu’ont aux joues certaines jeunes filles fraîches
Mais près de la mort
Ce rose-là se niche surtout dans les plis qui entourent souvent leur bouche
Ou près des narines
C’est un rose plein de traîtrise
Cet homme portait-il ainsi sur le dos
La teinte ignoble de ses poumons
Les bras les bras partout montaient la garde
Le second saltimbanque
N’était vêtu que de son ombre
Je le regardai longtemps
Son visage m’échappe entièrement
C’est un homme sans tête
Un autre enfin avait l’air d’un voyou
D’un apache bon et crapule à la fois
Avec son pantalon bouffant et les accroche-chaussettes
N’aurait-il pas eu l’apparence d’un maquereau à sa toilette
La musique se tut et ce furent des pourparlers avec le public
Qui sou à sou jeta sur le tapis la somme de deux francs cinquante
Au lieu des trois francs que le vieux avait fixés comme prix des tours
Mais quand il fut clair que personne ne donnerait plus rien
On se décida à commencer la séance
De dessous l’orgue sortit un tout petit saltimbanque habillé de rose pulmonaire
Avec de la fourrure aux poignets et aux chevilles
Il poussait des cris brefs
Et saluait en écartant gentiment les avant-bras
Mains ouvertes
Une jambe en arrière prête à la génuflexion
Il salua ainsi aux quatre coins cardinaux
Et quand il marcha sur une boule
Son corps mince devint une musique si délicate
Que nul parmi les spectateurs n’y fut insensible
Un petit esprit sans aucune humanité
Pensa chacun
Et cette musique des formes
Détruisit celle de l’orgue mécanique
Que moulait l’homme au visage couvert d’ancêtres
Le petit saltimbanque fit la roue
Avec tant d’harmonie
Que l’orgue cessa de jouer
Et que l’organiste se cacha le visage dans les mains
Aux doigts semblables aux descendants de son destin
Fœtus minuscules qui lui sortaient de la barbe
Nouveaux cris de Peau-Rouge
Musique angélique des arbres
Disparition de l’enfant
Les saltimbanques soulevèrent les gros haltères à bout de bras
Ils jonglèrent avec les poids
Mais chaque spectateur cherchait en soi l’enfant miraculeux
Siècle ô siècle des nuages
A Nîmes
Je me suis engagé sous le plus beau des cieux
Dans Nice la Marine au nom victorieux
Perdu parmi 900 conducteurs anonymes
Je suis un charretier du neuf charroi de Nîmes
L’Amour dit Reste ici Mais là-bas les obus
Epousent ardemment et sans cesse les buts
J’attends que le printemps commande que s’en aille
Vers le nord glorieux l’intrépide bleusaille
Les 3 servants assis dodelinent leurs fronts
Où brillent leurs yeux clairs comme mes éperons
Un bel après-midi de garde à l’écurie
J’entends sonner les trompettes d’artillerie
J’admire la gaieté de ce détachement
Qui va rejoindre au front notre beau régiment
Le territorial se mange une salade
A l’anchois en parlant de sa femme malade
4 pointeurs fixaient les bulles des niveaux
Qui remuaient ainsi que les yeux des chevaux
Le bon chanteur Girault nous chante après 9 heures
Un grand air d’opéra toi l’écoutant tu pleures
Je flatte de la main le petit canon gris
Gris comme l’eau de la Seine et je songe à Paris
Mais ce pâle blessé m’a dit à la cantine
Des obus dans la nuit la splendeur argentine
Je mâche lentement ma portion de bœuf
Je me promène seul le soir de 5 à 9
Je selle mon cheval nous battons la campagne
Je te salue de loin belle rose ô tour Magne
2ème canonnier conducteur
Me voici libre et fier parmi mes compagnons
Le Réveil a sonné et dans le petit jour je salue
La fameuse Nancéenne que je n’ai pas connue
« As-tu connu la putain de Nancy qui a foutu la vxxxxx à toute l’artillerie
L’artillerie ne s’est pas aperçu qu’elle avait mal au …. »
Les 3 servants bras dessus bras dessous se sont endormis sur l’avant-train
Et conducteur par mont par val sur le porteur
Au pas au trop ou au galop je conduis le canon
Le bras de l’officier est mon étoile polaire
Il pleut mon manteau est trempé et je m’essuie parfois la figure
Après la serviette-torchon qui est dans la sacoche du sous-verge
Voici des fantassins aux pas pesants aux pieds boueux
La pluie les pique de ses aiguilles le sac les suit
« Sacré nom de Dieu quelle allure
Nom de Dieu quelle allure
Cependant que la nuit descend descend »
« Souvenirs de Paris avant la guerre
Ils seront bien plus doux après la victoire »
« Salut Monde dont je suis la langue éloquente
Que sa bouche Ô Paris tire et tirera
Toujours aux Allemands »
Fantassins
Marchantes mottes de terre
Vous êtes la puissance
Du sol qui vous a faits
Et c’est le sol qui va
Lorsque vous avancez
Un officier passe au galop
Comme un ange bleu dans la pluie grise
Un blessé chemine en fumant une pipe
Le lièvre détale et voici un ruisseau que j’aime
Et cette jeune femme nous salue charretiers
La Victoire se tient après nos jugulaires
Et calcule pour nos canons les mesures angulaires
Nos salves nos rafales sont ses cris de joie
Ses fleurs sont nos obus aux gerbes merveilleuses
Sa pensée se recueille aux tranchées glorieuses
« J’entends chanter l’oiseau
Le bel oiseau rapace »
L’inscription anglaise
C’est quelque chose de si ténu de si lointain
Que d’y penser on arrive à le trop matérialiser
Forme limitée par la mer bleue
Par la rumeur d’un train en marche
Par l’odeur des eucalyptus des mimosas
Et des pins maritimes
Mais le contact et la saveur
Et cette petite voyageuse alerte inclina brusquement la tête sur le quai de la gare à Marseille
Et s’en alla
Sans savoir
Que son souvenir planerait
Sur un petit bois de la Champagne où un soldat s’efforce
Devant le feu d’un bivouac d’évoquer cette apparition
A travers la fumée d’écorce de bouleau
Qui sent l’encens minéen
Tandis que les volutes bleuâtres qui montent
D’un cigare écrivent le plus tendre des noms
Mais les nœuds de couleuvres en se dénouant
Ecrivent aussi le nom émouvant
Dont chaque lettre se love en belle anglaise
Et le soldat n’ose point achever
Le jeu de mots bilingue que ne manque point de susciter
Cette calligraphie sylvestre et vernale
Dans l’abri-caverne
Je me jette vers toi et il me semble que tu te jettes vers moi
Une force part de nous qui est un feu solide qui nous soude
Et puis il y a aussi une contradiction qui fait que nous ne pouvons nous apercevoir
En face de moi la paroi de craie s’effrite
Il y a des cassures
De longues traces d’outils traces lisses et qui semblent être faites dans la stéarine
Des coins de cassures sont arrachés par le passage des types de ma pièce
Moi j’ai ce soir une âme qui s’est creusée qui est vide
On dirait qu’on y tombe sans cesse  et sans trouver de fond
Et qu’il n’y a rien pour se raccrocher
Ce qui y tombe et qui y vit c’est une sorte d’êtres laids
Qui me font mal et qui viennent de je ne sais où
Oui je crois qu’ils viennent de la vie d’une sorte de vie
Qui est dans l’avenir dans l’avenir brut
Qu’on n’a pu encore cultiver ou élever ou humaniser
Dans ce grand vide de mon âme il manque un soleil il manque ce qui éclaire
C’est aujourd’hui c’est ce soir et non toujours
Heureusement que ce n’est que ce soir
Les autres jours je me rattache à toi
Les autres jours je me console de la solitude et de toutes les horreurs
En imaginant ta beauté
Pour l’élever au-dessus de l’univers extasié
Puis je pense que je l’imagine en vain
Je ne la connais par aucun sens
Ni même par les mots
Et mon goût de la beauté est-il donc aussi vain
Existes-tu mon amour
Ou n’es-tu qu’une entité que j’ai créée sans le vouloir
Pour peupler la solitude
Es-tu une de ces déesses comme celles que les Grecs avaient douées pour moins s’ennuyer
Je t’adore ô ma déesse exquise même si tu n’es que dans mon imagination
Fusée
La boucle des cheveux noirs de ta nuque est mon trésor
Ma pensée te rejoint et la tienne la croise
Tes seins sont les seuls obus que j’aime
Ton souvenir est la lanterne qui nous sert à pointer la nuit
En voyant la large croupe de mon cheval j’ai pensé à tes hanches
Voici les fantassins qui s’en vont à l’arrière en lisant un journal
Le chien du brancardier revient avec une pipe dans sa gueule
Un chat-huant ailes fauves yeux ternes gueule de petit chat et pattes de chat
Une souris verte file parmi la mousse
Le riz a brûlé dans la marmite de campement
Ca signifie qu’il faut prendre garde à bien des choses
Le mégaphone crie
Allongez le tir
Allongez le tir amour de vos batteries
Balance des batteries lourdes cymbales
Qu’agitent les chérubins fous d’amour
En l’honneur du Dieu des Armées
Un arbre dépouillé sur une butte
Le bruit des tracteurs qui grimpent dans la vallée
O vieux monde du XIX siècle plein de hautes cheminées si belles et si pures
Virilités du siècle où nous sommes
O canons
Douilles éclatantes des obus de 75
Carillonnez pieusement
Désir
Mon désir est la région qui est devant moi
Derrière les lignes boches
Mon désir est aussi derrière moi
Après la zone des armées
Mon désir c’est la butte du Mesnil
Mon désir est là sur quoi je tire
De mon désir qui est au-delà de la zone des armées
Je n’en parle pas aujourd’hui mais j’y pense
Butte du Mesnil je t’imagine en vain
Des fils de fer des mitrailleuses des ennemis trop sûrs d’eux
Trop enfoncés sous terre déjà enterrés
Ca ta clac des coups qui meurent en s’éloignant
En y veillant tard dans la nuit
Le Decauville qui toussote
La tôle ondulée sous la pluie
Et sous la pluie ma bourguignotte
Entends la terre véhémente
Vois les lueurs avant d’entendre les coups
Et tel obus siffler de la démence
Où le tac tac tac monotone et bref plein de dégoût
Je désire
Te serrer dans ma main Main de Massiges
Si décharnée sur la carte
Le boyau Goethe où j’ai tiré
J’ai tiré même sur le boyau Nietzsche
Décidément je ne respecte aucune gloire
Nuit violente et violette et sombre et pleine d’or par moments
Nuit des hommes seulement
Nuit du 24 septembre
Demain l’assaut
Nuit violente ô nuit dont l’épouvantable cri profond
Devenait plus intense de minute en minute
Nuit qui criait comme une femme qui accouche
Nuit des hommes seulement
Océan de terre
J’ai bâti une maison au milieu de l’Océan
Ses fenêtres sont les fleuves qui s’écoulent de mes yeux
Des poulpes grouillent partout où se tiennent les murailles
Entendez battre leur triple cœur et leur bec cogner aux vitres
Maison humide
Maison ardente
Saison rapide
Saison qui chante
Les avions pondent des œufs
Attention on va jeter l’ancre
Attention à l’encre que l’on jette
Il serait bon que vous vinssiez du ciel
Le chèvrefeuille du ciel grimpe
Les poulpes terrestres palpitent
Et puis nous sommes tant et tant à être nos propres fossoyeurs
Pâles poulpes des vagues crayeuses ô poulpes aux becs pâles
Autour de la maison il y a cet océan que tu connais
Et qui ne repose jamais
Merveille de la guerre
Que c’est beau ces fusées qui illuminent la nuit
Elles montent sur leur propre cime et se penchent pour regarder
Ce sont des dames qui dansent avec leurs regards pour yeux bras et cœurs
J’ai reconnu ton sourire et ta vivacité
C’est aussi l’apothéose quotidienne de toutes mes Bérénices
Dont les chevelures sont devenues des comètes
Ces danseuses surdorées appartiennent à tous les temps et à toutes les races
Elles accouchent brusquement d’enfants qui n’ont que le temps de mourir
Comme c’est beau toutes ces fusées
Mais ce serait bien plus beau s’il y en avait plus encore
S’il y en avait des millions qui auraient un sens complet et relatif comme les lettres d’un livre
Pourtant c’est aussi beau que si la vie même sortait des mourants
Mais ce serait bien plus beau encore s’il y en avait plus encore
Cependant je les regarde comme une beauté qui s’offre et s’évanouit aussitôt
Il me semble assister à un grand festin éclairé a giorno
C’est un banquet que s’offre la terre
Elle a faim et ouvre de longues bouches pâles
La terre a faim et voici son festin de Balthasar cannibale
Qui aurait dit qu’on pût être à ce point anthropophage
Et qu’il fallût tant de feu pour rôtir le corps humain
C’est pourquoi l’air a un petit goût empyreumatique qui n’est ma foi pas désagréable
Mais le festin serait plus beau encore si le ciel y mangeait avec la terre
Il n’avale que les âmes
Ce qui est une façon de ne pas se nourrir
Et se contente de jongler avec des feux versicolores
Mais j’ai coulé dans la douceur de cette guerre
Avec toute ma compagnie au long des longs boyaux
Quelques cris de flamme annoncent sans cesse ma présence
J’ai creusé le lit où je coule en me ramifiant en mille petits fleuves qui vont partout
Je suis dans la tranchée de première ligne et cependant
Je suis partout ou plutôt je commence à être partout
C’est moi qui commence cette chose des siècles à venir
Ce sera plus long à réaliser que non la fable d’Icare volant
Je lègue à l’avenir l’histoire de Guillaume Apollinaire
Qui fut à la guerre et sut être partout
Dans les villes heureuses de l’arrière
Dans tout le reste de l’univers
Dans ceux qui meurent en piétinant dans le barbelé
Dans les femmes dans les canons dans les chevaux
Au zénith au nadir aux 4 points cardinaux
Et dans l’unique ardeur de cette veillée d’armes
Et ce serait sans doute bien plus beau
Si je pouvais supposer que toutes ces choses dans lesquelles je suis partout
Pouvaient m’occuper aussi
Mais dans ce sens il n’y a rien de fait
Car si je suis partout à cette heure
Il n’y a cependant que moi qui suis en moi
Exercice
Vers un village de l’arrière
S’en allaient quatre bombardiers
Ils étaient couverts de poussière
Depuis la tête jusqu’aux pieds
Ils regardaient la vaste plaine
En parlant entre eux du passé
Et ne se retournaient qu’à peine
Quand un obus avait toussé
Tous quatre de la classe seize
Parlaient d’antan non d’avenir
Ainsi se prolongeait l’ascèse
Qui les exerçait à mourir
Cauchemard
Je le sens, la dépression me guette
Mais que faire ? Car chaque nuit
 Qui vient soufflent dans ma tête, sans répit,
 En horrible tempête les assauts
Effrayants de mes délires cérébraux.
Vision d’œufs par milliards, d’invasion
Monstrueuse des œufs-embryons
Sortis des  ventres des mères vivipares
Peuplant la terre, par milliards ! Cauchemard
D’océan-placenta visqueux où je me noie
Dans un grand cri d’effroi !
Millions d’oeufs des abdomens boursouflés
Des multitudes,  insectes et gentes ailées
Pondant à l’infini, sans cesse, été, hiver
Dessous les pierres, les souches, en terre
A la cime des arbres, ovipares
De la terre et du ciel, par milliards ! Cauchemard
D’oeufs-larves affamés qui me pénètrent
Et me dévorent jusqu’au fond de mon être !
Milliards d’œufs des êtres aquatiques
Des mers, des lacs et profondeurs océaniques
Cauchemard dantesque lorsque je les piétine
En gigantesques gerbes de gélatine
Graines, polens ! Copulation
Fécondation planétaires, reproduction
En ma tête tout se mélange en explosion
Cauchemards qui me réveillent en sueur
Habillé par la peur
Fête
Feu d’artifice en acier
Qu’il est charmant cet éclairage
Artifice d’artificier
Mêler quelque grâce au courage
Deux fusants
Rose éclatement
Comme deux seins que l’on dégrafe
Tendent leurs bouts insolemment
IL SUT AIMER
Quelle épitaphe
Un poète dans la forêt
Regarde avec indifférence
Son révolver au cran d’arrêt
Des roses mourir d’espérance
Il songe aux roses de Saadi
Et soudain sa tête se penche
Car une rose lui redit
La molle courbe d’une hanche
L’air est plein d’un terrible alcool
Filtré des étoiles mi-closes
Les obus caressent le mol
Parfum nocturne où tu reposes
Mortification des roses
Les saisons
C’était un temps béni nous étions sur les plages
Va-t-en de bon matin pieds nus et sans chapeau
Et vite comme va la langue d’un crapaud
L’amour blessait au cœur les fous comme les sages
As-tu connu Guy au galop
Du temps qu’il était militaire
As-tu connu Guy au galop
Du temps qu’il était artiflot
A la guerre
C’était un temps béni Le temps du vaguemestre
On est bien plus serré que dans les autobus
Et des astres passaient que singeaient les obus
Quand dans la nuit survint la batterie équestre
As-tu connu Guy au galop
Du temps qu’il était militaire
As-tu connu Guy au galop
Du temps qu’il était artiflot
A la guerre
C’était un temps béni Jours vagues et nuits vagues
Les marmites donnaient aux rondins des cagnats
Quelque aluminium où tu t’ingénias
A limer jusqu’au soir d’invraisemblables bagues
As-tu connu Guy au galop
Du temps qu’il était militaire
As-tu connu Guy au galop
Du temps qu’il était artiflot
A la guerre
C’était un temps béni La guerre continue
Les Servants ont limé la bague au long des mois
Le Conducteur écoute abrité dans les bois
La chanson que répète une étoile inconnue
As-tu connu Guy au galop
Du temps qu’il était militaire
As-tu connu Guy au galop
Du temps qu’il était artiflot
A la guerre
La nuit d’avril 1915
Le ciel est étoilé par les obus des Boches
La forêt merveilleuse où je vis donne un bal
La mitrailleuse joue un air à triple-croches
Mais avez-vous le mot
Eh ! oui le mot fatal
Aux créneaux Aux créneaux Laissez là les pioches
Comme un astre éperdu qui cherche ses saisons
Coeur obus éclaté tu sifflais ta romance
Et tes mille soleils ont vidé les caissons
Que les dieux de mes yeux remplissent en silence
Nous vous aimons ô vie et nous vous agaçons
Les obus miaulaient un amour à mourir
Un amour qui se meurt est plus doux que les autres
Ton souffle nage au fleuve où le sang va tarir
Les obus miaulaient
Entends chanter les nôtres
Pourpre amour salué par ceux qui vont mourir
Le printemps tout mouillé la veilleuse l’attaque
Il pleut mon âme il pleut mais il pleut des yeux morts
Ulysse que de jours pour rentrer dans Ithaque
Couche-toi sur la paille et songe un beau remords
Qui pur effet de l’art soit aphrodisiaque
Mais
Orgues
Aux fétus de la paille où tu dors
L’hymne de l’avenir est paradisiaque
La boucle retrouvée
Il retrouve dans sa mémoire
La boucle de cheveux châtains
T’en souvient-il à n’y pas croire
De nos deux étranges destins
Du boulevard de la Chapelle
Du joli Montmartre et d’Auteuil
Je me souviens murmure-t-elle
Du jour où j’ai franchi ton seuil
Il y tomba comme un automne
La boucle de mon souvenir
Et notre destin qui t’étonne
Se joint au jour qui va finir
Les feux du bivouac
Les feux mouvants du bivouac
Eclairent des formes de rêve
Et le songe dans l’entrelacs
Des branches lentement s’élève
Voici les dédains du regret
Tout écorché comme une fraise
Le souvenir et le secret
Dont il ne reste que la braise
Le palais du tonnerre
Par l’issue ouverte sur le boyau dans la craie
En regardant la paroi adverse qui semble en nougat
On voit à gauche et à droite fuir l’humide couloir désert
Où meurt étendue une pelle à la face effrayante à deux yeux réglementaires
Qui servent à l’attacher sous les caissons
Un rat y circule en hâte tandis que j’avance en hâte
Et le boyau s’en va couronné de craie semé de branches
Comme un fantôme creux qui met du vide où il passe blanchâtre
Et là-haut le toit est bleu et couvre bien le regard fermé par quelques lignes droites
Mais en deçà de l’issue c’est le palais bien nouveau et qui paraît ancien
Le plafond est fait de traverses de chemin de fer
Entre lesquelles il y a des morceaux de craie et des touffes d’aiguilles de sapin
Et de temps en temps des débris de craie tombent comme des morceaux de vieillesse
A côté de l’issue que ferme un tissu lâche d’une espèce qui sert généralement aux emballages
Il y a un trou qui tient lieu d’âtre et ce qui y brûle est un feu semblable à l’âme
Tant il tourbillonne et tant il est inséparable de ce qu’il dévore et fugitif
Les fils de fer se tendent partout servant de sommier supportant des planches
Ils forment aussi des crochets et l’on y suspend mille choses
Comme on fait à la mémoire
Des musettes bleues des casques bleus des cravates bleues des vareuses bleues
Morceaux du ciel tissus des souvenirs les plus purs
Et il flotte parfois en l’air de vagues nuages de craie
Sur la planche brillent des fusées détonateurs joyaux dorés à tête émaillée
Noirs blancs rouges
Funambules qui attendent leur tour de passer sur les trajectoires
Et font un ornement mince et élégant à cette demeure souterraine
Ornée de six lits placés en fer à cheval
Six lits couverts de riches manteaux bleus
Sur le palais il y a un haut tumulus de craie
Et des plaques de tôle ondulée
Fleuve figé de ce domaine idéal
Mais privé d’eau car ici il ne roule que le feu jailli de la mélinite
Le parc aux fleurs de fulminate jaillit des trous penchés
Tas de cloches aux doux sons des douilles rutilantes
Sapins élégants et petits comme en un paysage japonais
Le palais s’éclaire parfois d’une bougie à la flamme aussi petite qu’une souris
O palais minuscule comme si on te regardait par le gros bout d’une lunette
Petit palais où tout s’assourdit
Petit palais où tout est neuf rien rien d’ancien
Et où tout est précieux où tout le monde est vêtu comme un roi
Une selle est dans un coin à cheval sur une caisse
Un journal du jour traîne par terre
Et cependant tout paraît vieux dans cette neuve demeure
Si bien qu’on comprend que l’amour de l’antique
Le goût de l’anticaille
Soit venu aux hommes dès le temps des cavernes
Tout y était si précieux et si neuf
Tout y est si précieux et si neuf
Qu’une chose plus ancienne ou qui a déjà servi y apparaît
Plus précieuse
Que ce qu’on a sous la main
Dans ce palais souterrain creusé dans la craie si blanche et si neuve
Et deux marches neuves
Elles n’ont pas deux semaines
Sont si vieilles et si usées dans ce palais qui semble antique sans imiter l’antique
Qu’on voit que ce qu’il y a de plus simple de plus neuf est ce qui est
Le plus près de ce que l’on appelle la beauté antique
Et ce qui est surchargé d’ornements
A besoin de vieillir pour avoir la beauté qu’on appelle antique
Et qui est la noblesse la force l’ardeur l’âme l’usure
De ce qui est neuf et qui sert
Surtout si cela est simple simple
Aussi simple que le petit palais du tonnerre
Veille
Mon cher André Rouveyre
Troudla la Champignon Tabatière
On ne sait quand on partira
Ni quand on reviendra
Au Mercure de France
Mars revient tout couleur d’espérance
J’ai envoyé mon papier
Sur papier quadrillé
J’entends les pas des grands chevaux d’artillerie
Allant au trot sur la grand-route où moi je veille
Un grand manteau gris de crayon comme le ciel
M’enveloppe jusqu’à l’oreille
Quel
Ciel
Triste
Piste
Où
Vale
Pâle
Sou-
Rire
De la lune qui me regarde écrire
Ombre
Vous voilà de nouveau près de moi
Souvenirs de mes compagnons morts à la guerre
L’olive du temps
Souvenirs qui n’en faites plus qu’un
Comme cent fourrures ne font qu’un manteau
Comme ces milliers de blessures ne font qu’un article de journal
Apparence impalpable et sombre qui avez pris
La forme changeante de mon ombre
Un indien à l’affût pendant l’éternité
Ombre vous rampez près de moi
Mais vous ne m’entendez plus
Vous ne connaîtrez plus les poèmes divins que je chante
Tandis que moi je vous entends je vous vois encore
Destinées
Ombre multiple que le soleil vous garde
Vous qui m’aimez assez pour ne jamais me quitter
Et qui dansez au soleil sans faire de poussière
Ombre encre du soleil
Ecriture de ma lumière
Caisson de regrets
Un dieu qui s’humilie
C’est Lou qu’on la nommait
Il est des loups de toute sorte
Je connais le plus inhumain
Mon cœur que le diable l’emporte
Et qu’il le dépose à sa porte
N’est plus qu’un jouet dans sa main
Les loups jadis étaient fidèles
Comme sont les petits toutous
Et les soldats amants des belles
Galamment en souvenir d’elles
Ainsi que les loups étaient doux
Mais aujourd’hui les temps sont pires
Les loups sont tigres devenus
Et les soldats et les Empires
Les Césars devenus Vampires
Sont aussi cruels que Vénus
J’en ai pris mon parti Rouveyre
Et monté sur mon grand cheval
Je vais bientôt partir en guerre
Sans pitié chaste et l’œil sévère
Comme ces guerriers qu’Epinal
Vendait Images populaires
Que Georgin gravait dans le bois
Où sont-ils ces beaux militaires
Soldats passés Où sont les guerres
Où sont les guerres d’autrefois
Mutation
Une femme qui pleurait
Eh ! Oh ! Ha !
Des soldats qui passaient
Eh ! Oh ! Ha !
Un éclusier qui pêchait
Eh ! Oh ! Ha !
Les tranchées qui blanchissaient
Eh ! Oh ! Ha !
Des obus qui pétaient
Eh ! Oh ! Ha !
Des allumettes qui ne prenaient pas
Et tout
A tant changé
En moi
Tout
Sauf mon Amour
Eh ! Oh ! Ha !
De la batterie de tir
Nous sommes ton collier France
Venus des Atlantides ou bien des Négrities
Des Eldorados ou bien des Cimméries
Rivière d’hommes forts et d’obus dont l’orient chatoie
Diamants qui éclosent la nuit
O Roses ô France
Nous nous pâmons de volupté
A ton cou penché vers l’Est
Nous sommes l’Arc-en-terre
Signe plus pur que l’Arc-en-Ciel
Signe de nos origines profondes
Etincelles
O nous les très belles couleurs
Les soupirs du servant de Dakar
C’est dans la cagnat en rondins voilés d’osier
Auprès des canons gris tournés vers le nord
Que je songe au village africain
Où l’on dansait où l’on chantait où l’on faisait l’amour
Et de longs discours
Nobles et joyeux
Je revois mon père qui se battit
Contre les Achantis
Au service des Anglais
Je revois ma sœur au rire en folie
Aux seins durs comme des obus
Et je revois
Ma mère la sorcière qui seule du village
Méprisait le sel
Piler le millet dans un mortier
Je me souviens du si délicat si inquiétant
Fétiche dans l’arbre
Et du double fétiche de la fécondité
Plus tard une tête coupée
Au bord d’un marécage
O pâleur de mon ennemi
C’était une tête d’argent
Et dans le marais
C’était la lune qui luisait
C’était donc une tête d’argent
Là-haut c’était la lune qui dansait
C’était donc une tête d’argent
Et moi dans l’antre j’étais invisible
C’était donc une tête de nègre dans la nuit profonde
Similitudes Pâleurs
Et ma sœur
Suivit plus tard un tirailleur
Mort à Arras
Si je voulais savoir mon âge
Il faudrait le demander à l’évêque
Si doux si doux avec ma mère
De beurre de beurre avec ma sœur
C’était dans une petite cabane
Moins sauvage que notre cagnat de canonniers-servants
J’ai connu l’affût au bord des marécages
Où la girafe boit les jambes écartées
J’ai connu l’horreur de l’ennemi qui dévaste
Le Village
Viole les femmes
Emmène les filles
Et les garçons dont la croupe dure sursaute
J’ai porté l’administrateur des semaines
De village en village
En chantonnant
Et je fus domestique à Paris
Je ne sais pas mon âge
Mais au recrutement
On m’a donné vingt ans
Je suis soldat français on m’a blanchi du coup
Secteur 59 je ne peux pas dire où
Pourquoi donc être blanc est-ce mieux qu’être noir
Pourquoi ne pas danser et discourir
Manger et puis dormir
Et nous tirons sur les ravitaillements boches
Ou sur les fils de fer devant les bobosses
Sous la tempête métallique
Je me souviens d’un lac affreux
Et de couples enchaînés par un atroce amour
Une nuit folle
Une nuit de sorcellerie
Comme cette nuit-ci
Où tant d’affreux regards
Eclatent dans le ciel splendide
Ecrire
 
On écrit par accidents
en tombant sur les mots
en trébuchant.
On écrit par défaut
pour y croire
parce qu’il le faut.
On écrit par suicide
action lente
d’une vie qu’on dévide.
On écrit par meurtre
tuer l’autre
le visage de soi qui nous heurte.
On écrit par pudeur
fermer les volets
aux regards et à cette peur.
On écrit par courage
pour se dévoiler
mettre son audace sur la page.
On écrit par aveux
dire ce qu’on est
tout ce qu’on veut.
On écrit pour dire au revoir
à quelqu’un
ou à soi, parfois.
Sans abri
Je vais bientôt quitter le poème
Et être sans abri.
Juste abandonner les saisons
Un soir de décembre
Parmi les raisons
L’envie de me descendre.
J’ai perdu l’habitude de la parole
Je vis sans
Entre les mots qui vont et volent.
Je passe entre les mois
En frôlant les rires et les restes
Je vis sans moi.
Je sens l’encens et les cendres
Ecrivain absurde des sens
Et si je rêve de me descendre
C’est pour crier mon silence
Je vais bientôt quitter le poème
Et être sans abri.
Omelette
Recette pour une omelette goûtue :
Prenez un œuf de caille, jaune, bien battu
Puis, en son milieu, trônant
Rouge, déposer un dé gras de lardon
Couronné de cinq pétales de champignon
Noirs, et cinq brins de râpé
Intercalés.
Cuisson un zest de temps.
Avec sa frange blanche finement dorée
Qu’elle était belle à regarder
Mon omelette ! Trop pour être mangée !
Alors, amoureux de sa gracile beauté
J’ai sacrifié ma faim : sans hésiter
Doucement je l’ai congelée
Pour l’éternité.
La petite auto
Le 31 du mois d’Août 1914
Je partis de Deauville un peu avant minuit
Dans la petite auto de Rouveyre
Avec son chauffeur nous étions trois
Nous dîmes adieu à toute une époque
Des géants furieux se dressaient sur l’Europe
Les aigles quittaient leur aire attendant le soleil
Les poissons voraces montaient des abîmes
Les peuples accouraient pour se connaître à fond
Les morts tremblaient de peur dans leurs sombres demeures
Les chiens aboyaient vers là-bas où étaient les frontières
Je m’en allais portant en moi toutes ces armées qui se battaient
Je les sentais monter en moi et s’étaler les contrées où elles serpentaient
Avec les forêts les villages heureux de la Belgique
Francorchamps avec l’Eau Rouge et les pouhons
Région par où se font toujours les invasions
Artères ferroviaires où ceux qui s’en allaient mourir
Saluaient encore une fois la vie colorée
Océans profonds où remuaient les monstres
Dans les vieilles carcasses naufragées
Hauteurs inimaginables où l’homme combat
Plus haut que l’aigle ne plane
L’homme y combat contre l’homme
Et descend tout à coup comme une étoile filante
Je sentais en moi des êtres neufs pleins de dextérité
Bâtir et aussi agencer un univers nouveau
Un marchand d’une opulence inouïe et d’une taille prodigieuse
Disposait un étalage extraordinaire
Et des bergers gigantesques menaient
De grands troupeaux muets qui broutaient les paroles
Et contre lesquels aboyaient tous les chiens sur la route
Je n’oublierai jamais ce voyage nocturne où nul de nous ne dit un mot
Ô départ sombre où mouraient nos trois phares
Ô nuit tendre d’avant la guerre
Ô villages où se hâtaient les maréchaux-ferrants rappelés
Entre minuit et une heure du matin
Vers Lisieux la très bleue
Ou bien vers ailles d’or
Et trois fois nous nous arrêtâmes pour changer un pneu qui avait éclaté
Et quand après avoir passé l’après-midi
Par Fontainebleau
Nous arrivâmes à Paris
Au moment où l’on affichait la mobilisation
Nous comprîmes mon camarade et moi
Que la petite auto nous avait conduits dans une époque
Nouvelle
Et bien qu’étant déjà tout deux des hommes mûrs
Nous venions cependant de naître.

Les gens sont méchants

« Sec comme une trique ! Aussi maigre qu’un clou !

Un pied dedans la tombe !» Voilà des jaloux

Et médisants les propos, ce qui se dit

Sur moi à tout moment, matin, soir et midi.

Mais  n’en déplaise aux sots j’ai des rondeurs notoires

Encore faut-il les voir !

D’autres, méchants pareillement, ou les mêmes,

Me traitent de face de carême

Mais de tout ce qu’on ose dire

En face ou dans mon dos le pire

Vise mon crâne

Hélas de parure capillaire en panne ;

« Crâne d’œuf ! » ou, selon les rieurs, « Crâne d’œufs ! »

Ainsi m’affublent toutes celles et ceux

Dont le chef chanceux n’est pas encore veuf

De système pileux. « Crâne d’œuf ! »

Brillant tel un phare nocturne, on ricane

Et on jase à tout va sur mon crâne.

Pourtant un œuf c’est beau et même parfait

Comment le faire comprendre à tous ces niais ?

Et faire cesser leurs quolibets ?

Allons ! Décidons-nous ! Courons chez le vendeur

De postiches- perruquier, coiffeur-

Qu’il m’habille élégamment la tête pour qu’enfin

Dans les rues, les halles, partout, soudain

Se fasse un grand silence neuf

Sur mon crâne d’œuf

Jeudi
« On est quel jour ? » – « Jeudi »
« Vous en êtes sûr ? Ne serait-ce pas plutôt  lundi ? »
« Non !puisque je vous le dis !
Aujourd’hui, c’est  jeudi,
Sûr comme cinq et cinq font dix ! »
« Mince alors, comme le temps passe ! »
« Oh, oui !mille fois oui !
Mais il fait plus hélas :
Il trépasse ! »
Lundi… jeudi…. samedi….
Janvier… mars…. septembre…le Nouvel An….
An onze, an douze, an treize, à tout vent
File le temps
Comme la vie !
L’ange du soir
L’inconnue avait bien fière allure auprès de mon parterre
Où fleurissaient narcisses et primevères,
Enveloppée dans un long manteau noir
La protégeant du froid du soir
Et d’une écharpe rouge qui sublimait le noir
De ses cheveux et sa pâle beauté.
« Comme Bruant au temps passé
Sur son affiche », ai-je pensé
En la voyant ; moi, j’étais déjà tout à ses pieds !
Genou au sol- comme une supplique !- pour mieux ôter
Ce qui ne devait pas y pousser ;
Près d’elle, j’avais bien pauvre allure, boueux, crotté
Botté, les mains terreuses, en tablier !
Merveilleuse apparition !
Qui n’était pas sans intention
Car la belle dame, brûlée comme Paul d’une ardeur
Prosélyte, émue sans doute par l’énergie dernière
Que je mettais à faire éclore de terre
L’éphémère beauté des fleurs,
Voulait me révéler l’éternelle Beauté
Des Saintes Ecritures, ou à ma Foi insuffler
Une chaleur nouvelle si les frimas de ma vie
L’avaient par trop refroidie.
« Ma Foi déplace les montagnes, ose ! » s’est dit
En me voyant le bel apôtre de Jésus Christ
Car j’avais l’air assurément d’un humble jardinier
Où la Parole semée
Pouvait germer.
Surpris, n’attendant guère
Un tel apostolat auprès de mes primevères,
Je l’ai d’abord de son intention remerciée
Puis lui ai confessé que je ne l’avais plus
-Depuis longtemps perdue-
Et que je ne comptais pas tantôt la retrouver.
Sans s’émouvoir, elle a encore tenté
De me convaincre, disant que la Terre était belle, les fleurs
Les oiseaux…. l’œuvre du Créateur
Dans son immense Bonté. Je lui ai dit qu’assurément
Les fleurs étaient pour tous un enchantement
Mais que chiendent et mauvaises herbes continument
Poussaient aussi, et que la terre hélas !
Etait pour moi toujours plus basse.
Elle m’a dit bien des choses encore
Sur sa Religion, là, dehors,
Dans l’air du soir
Toute belle en rouge et noir,
Sans toutefois jamais évoquer
Des sujets qui nous auraient fâchés
-La damnation, la rédemption, le péché-
Mais seulement l’Amour et la Beauté.
Bien étrange conversation
Ayant pour seuls témoins deux-trois oiseaux, un papillon
Quelques abeilles, mes fleurs, mais que dans d’autres conditions
Nous aurions pu, amis, avoir
Assis au coin d’un feu, chez l’un ou l’autre, un soir.
Nous la continuâmes pourtant
Quelques instants encore courtoisement,
Sans passion. Elle cherchait une âme à sauver
Ou à aider, à qui montrer le Ciel, donner
Un peu d’amour, celui qui lui gonflait le cœur,
Celui qu’elle portait à son Seigneur.
Elle ne l’a trouva pas ; alors déçue ou attristée
Devant mon âme irrémédiablement athée
Et la fraîcheur tombant du ciel très pur, après un au-revoir
Elle me quitta : bonsoir.
Regret ; du regard un bref instant je l’ai suivie
Se fondant en rouge et noir dans l’ombre naissante de la nuit :
La belle inconnue s’en fut
Comme elle était venue.
Devant mes fleurs j’ai jardiné encore un peu
Le cœur empli de joie, heureux
Qu’un si bel Ange du soir
Soit gentiment passé me voir.
Adam et Eve
Un beau jour de printemps
Splendide comme les jours précédents
Car Dame Nature pour la nouvelle année
Faisait merveille, peignant sans se lasser
Le ciel de mille nuances bleutées
J’allais me promenant
Parmi les fleurs et les oiseaux chantant ;
Je me sentais chemin faisant
Devenir fleur, parfum, oiseau pépiant
Et c’est bien vrai qu’abeilles et papillons voletant
Fleurs, oiseaux, soleil et ciel tout bleu
-Un Paradis !- tout me rendait heureux.
Rêveur, mes pas légers me firent longer
Bientôt un grand verger de beaux pommiers
Qui scintillaient comme mille étoiles mais bizarrement
Ornés non pas des fleurs qui les pomponnent habituellement
En cette saison mais sur chaque branche bien accrochées
De pommes paraissant mûres bonnes à croquer ;
Vaquant dessous une demoiselle
D’un large chapeau ombrée
En robe, de blanc vêtue et de dentelle
Chargeait délicatement de fruits un grand panier.
Etonnement !
Comment, des pommes mûres en ce printemps ?
Ravissement !
Quel charme, cette demoiselle en blanc
Sous ses pommiers cueillant !
Soudain bien moins rêveur mes pas allègrement
-Je sais maintenant pourquoi !- me firent me rapprocher
De ce nouvel Eden. Oh ! Ma Doué !
Sainte Vierge et Doux Jésus! Quelle splendeur cette donzelle
Cette demoiselle en dentelle !
Jamais mes yeux émerveillés
N’avaient vu femme porter si grande beauté
Etait-ce Amour paré en cette dame ? Surement !
Il ne pouvait en être autrement !
Oh, oui, qu’elle était belle
A se damner, cette jeune femelle !
Agissant tout à son gré, mon sang
Ne fit qu’un tour et sans perdre un instant
-que dis-je : avec grand empressement !-
Me poussa à lui sourire
Lui souhaiter bonjour aimablement
Et sans reprendre souffle lui dire
Qu’il faisait bon se promener
Par ce soleil, par ce printemps joli, ou jardiner
Ou s’occuper de son verger
Comme elle en ce moment
Bref, lui faire mon boniment
Charmeur- autant que je pouvais- pour l’accrocher
Ce que- incessamment- je dis
Ce que- incessamment-  je fis.
La Belle appréciant ma nouvelle compagnie
-Elle semblait seule en son jardin
Et dans les alentours en vue aucun voisin-
Et mon discours aimable à mon sourire répondit
De toutes ses dents- qu’elle avait blanches- et à mes dits
« Bonjour, Eve je m’appelle », elle dit
« Et vous ? » « Adam » « Non ! » « Si ! »
Tous deux à grands éclats nous avons ri !
Il n’en fallait pas plus ! Nous deux c’était parti !
Sans plus de mot, sous ses pommiers
Tout aussitôt Eve la belle alla cueillir un fruit, une pomme
Celle convenant pour notre rencontre : la Pomme
Sa Pomme, qu’elle m’offrit émotionnée
Tremblante, disant « Adam, vas-y ! »
« Croque ! Je t’en prie ! »
Elle aurait ajouté « Chéri »
Qu’elle ne m’aurait pas surpris
Tant ses yeux- qu’elle avait beaux- étaient  brillants
Très excités, si aguichants
Jubilatoires.
Devais-je ou non croquer le fruit ?
Eve m’en priait, elle était belle, la pomme aussi
Pourquoi m’en serais-je défendu ?
Pourquoi ne l’aurais-je fait? Je fis.
Ce fut pour nous, Adam et Eve, notre début
Celui d’une longue histoire !

Tic Tac

Quand je la vis, ce fut un choc

Apocalyptique

Mon cœur, soudain frénétique

Prit la vitesse supersonique :

Tic tic tic tic

Toc toc toc toc

Et encore tic tic

Electriques

C’était une vraie bombe atomique :

Quelle plastique!

Et quel chic !

J’avais un maxi trac

Mais l’abordai et tout à trac

Lui vidai d’un coup mon sac

Volcanique

Elle réagit du tac au tac

Par une grande paire de claques

Ce fut un lamentable couac

Et comme un coup de matraque !

Sonné, je m’étalai dans une flaque

Avec elle ainsi furent mes débuts, pas héroïques

Plutôt tragi-comiques

Elle prit pitié, et dans un snack

Pour réconfort me proposa un Cacolac

Patraque

J’optai pour un cognac

Je n’avais pas la forme olympique

Mais je fis face, stoïque

Elle trouvait notre situation comique

Et dans un grand rire mélodique

Fit son autocritique

Sur son caractère très colérique

Je lui étais très sympathique

Et amicale mit deux glaçons comacs

Sur mes deux joues couleur citrique

Elle avait des yeux fantastiques

Une grande bouche érotique

Aux lèvres magnétiques

Oh ! comme sa présence était magique

Et mon cœur depuis longtemps avait fait clic

Je redevenais peu à peu hystérique

Et pour me calmer parla musique

Ses goûts étaient très éclectiques :

Musique classique

Pop-music

Musique électronique

Elle me dit ensuite en vrac :

Qu’elle venait d’avoir son bac

Qu’elle allait continuer à la fac

Pour des études de mathématique

Quelle fac ? Oh, moi aussi, chic !

Moi, ce serait la physique

Elle m’a demandé mon nom : Patrick

Elle m’a donné le sien : Véronique

Ce fut idyllique

Paradisiaque

Qu’elle était belle, un vrai aphrodisiaque

On se quitta amis, jurant de garder le contact

Toujours pareils

Toujours pareils

Les chants des chansonnettes

Les vers des poètes !

Qu’ils aient été gravés dans de la pierre

Du marbre ou de la terre

Ou bien encore sur des CD

Ecrits sur du papier, en vers châtiés

En grandes envolées lyriques, ou rimaillés,

Depuis longtemps, un siècle, mille ans

Même davantage, ou récemment, maintenant :

Leurs cris du cœur, de joie, de peine

Ce sont toujours les mêmes !

Vêtu de ses peaux de bêtes,

Armé de son épieu, de son casse-tête,

Déjà l’ancêtre Cromagnon

Ou trente mille ans plus tard Toutânkhamon

Khéops, Khéphren, Ramsès, les pharaons

Maîtres des pyramides, chantaient déjà les mêmes chansons :

 « Oh, quel bonheur

Ma douce, d’être près de toi, mon cœur ! »

 « Chéri, mon bien-aimé

Oh mon amour, pourquoi m’as-tu quittée ? »

Tous ces soupirs énamourés

Tous ces cris déchirés

Aux murs des cavernes, aux feuilles des papyrus, ont été

Déjà mille fois gravés, poussés !

Cris de détresse

Peurs de souffrir, de la vieillesse

Et de la fin ultime : La Grande Faucheuse- la Mort-

Pour tous le dernier port

Bat- cette funeste- bien des records

De loin la Dame des pensées, l’Inspirateur

Des gens rimeurs et rimailleurs !

Il faut dire qu’elle fait grand peur

Annonciatrice des dernières heures !

Au long des temps

Aux quatre coins du monde, sur tous les continents

Dans toutes les langues, ce sont les mêmes chants !

Il n’y a point sujets nouveaux chez les rimeurs :

Amours, Bonheur, Malheur, Mort, seule la Forme change

C’est bien tout ce qui change

Le Fond reste semblable

Immuable !

Toujours pareils

Les chants des chansonnettes

Les vers des poètes !

J’y comprends rien

J’y comprends rien
Rien de rien

La pomme qui tombe, avec Newton
C’était facile, je comprenais, j’arrivais à suivre, la gravitation
Ca tombait sous le sens ; pareil avec Coulomb
Ampère
Et leurs compères
Explorateurs des courants électriques
Ou des ondes magnétiques ;
Par son côté pratique
Tout cela n’était pas trop énigmatique.

Mais avec le quarteron
Des nouveaux: Einstein, Bohr, Planck, ma raison
Ne suit plus, c’est une autre chanson ;
Pourtant très attentif j’ai écouté et appris ma leçon :
Sur les atomes, maintenant j’en connais un rayon
Mais il n’y a rien à faire : j’y comprends rien
Rien de rien !

On m’a dit : « Dans la nature, y’a douze bosons
Et douze fermions »
Bon !
Et puis, dans les atomes, y’a les neutrons
Avec quelques protons
Et tout autour des électrons »
Re-bon !
« Sauf que dans les neutrons
Il y a les quarks- drôle de nom !
Les « Up » et les « Down », pareil dans les protons »
Je dis : « Pourquoi pas ?
S’ils arrivent, nos forts en maths,  à trouver ça
Moi, je suis content pour eux et ça ne me gêne pas
Je dis même plus : bravo les gars !
Et pour le moment, j’arrive à suivre, ça va »

Mais c’est que l’histoire est loin d’être finie
Il y en a d’autres aussi
-Je veux dire des particules- toute une kyrielle
Une ribambelle :
D’abord les photons
Nos amis qui nous donnent la lumière
Tant parfois qu’en plein soleil ils nous font baisser les paupières
Et pour coller l’ensemble les gluons
-Sans eux, les autres jouent rip, s’en vont
Au diable vaut vert, au bout de l’horizon
Au-delà de Saturne et de Pluton !-
Et leurs copains les bosons
L’un deux a du sang bleu, avec sa particule attachée
Un « De Higgs », mais on ne l’a pas encore trouvé
Bien que ce ne soit pas faute de le chercher !
Et tous les autres : les muons
Les neutrinos, les charms, les stranges, les leptons….

Toutes tant qu’elles sont
Ces particules m’empêchent de dormir en rond
Me fatiguent, un vrai zoo, drôles de bestioles !
Je vous l’accorde, je fais un peu le mariole
Mais c’est parce que à tout ça j’y comprends rien
Rien de rien !

Car il y a une suite, eh oui ce n’est pas tout !
Là où vraiment ça se complique
C’est avec la mécanique quantique
Pour l’esprit, une sacré gymnastique !
Et avec sa jumelle la relativité générale
Avec son temps mou tout élastique !
Des théories bien peu banales
Certains- nombreux- disent géniales

Permettez-moi d’en penser autrement

Je l’avoue bien humblement
Je ne suis pas assez intelligent ;
Les psychologues gentils ne m’ont rien dit
Voulant me ménager, mais je sais que mon QI
N’a pas le niveau requis.

Car vraiment, j’y comprends rien
Rien de rien !

PRIERE AU SOLEIL

Il fait soleil
Pas un nuage
Quelle chance j’ai.

« Oh, Soleil, bel astre du jour, dis-moi :
Ton disque d’or qui trône là-haut dans le ciel bleu
Est-il le présage joyeux
Que la roue de mon destin
Tourne enfin ? »

« Et que toutes les galaxies lointaines d’astres divers
Et les myriades d’étoiles de l‘univers
Soient désormais pour longtemps
Longtemps, longtemps, longtemps…….
Toujours gentilles et bonnes pour moi? »

« Répondras-tu, joli soleil ?
Donneras-tu le signe que j’espère tant ?

J’ai mis Bach

J’ai mis Bach

Sa toccata en Ré majeur

Oh ! Bonheur !

J’ai mis Mozart

Les Noces de Figaro

J’ai mis Tchaïkovski

Le Sacre du printemps

J’ai mis Gershwin

Sa Rapsodie in blues

Paganini

Lulli

J’ai mis Beethoven

Chopin

Pavarotti

Johnny

Nougaro

Comme ce fût bon !

Je suis monté au septième ciel

Dès la première note !

J’y suis encore!

Je n’ai pas envie d’en descendre

J’y suis si bien !

Maintenant, je vais mettre Mendelssohn

Puis Haendel

Coltrane

Miles Davis

Et puis aussi Brel

Ferré

Brassens

Encore et encore d’autres

Oh! Quels plaisirs

Sur mon nuage musical à venir !

Oh ! Quel bonheur

Là, à saisir

Bientôt, dans l’heure !

Ma Muse

Ma Muse n’a pas le cœur à rire en ce moment
Chagrine en diable lorsqu’elle me lit ;
Sans détours hier elle me l’a dit :
« Mon chou, tu n’as aucun talent ! »

C’est que ma Muse a des goûts fort classiques :
Les poètes antiques, les Grecs, les Latins,
Bien sûr, Hugo, Verlaine, les Romantiques
Aussi, mais les Modernes, elle ne les supporte pas
Il n’y a rien à faire- moi non plus
D’ailleurs, très peu- ni davantage les fans de Dada-
Les Dadaïstes- ni les Surréalistes
Et les nouveaux poètes en « istes »
-Pareil pour moi- pas plus
Ceux qui écrivent en prose et moins encore les « Hermétiques »
Et les « Obscurs » dont on ne comprend rien !
M’incluant véhémentement dans ses critiques
Elle me reproche de ne pas suivre des Anciens
Les règles ni de faire aucun effort technique,
Faisant fi des beaux alexandrins aux douze pieds
Comme des octomètres aux huit pieds ;
A ses yeux- ce sont ses mots- je versifie comme un cochon !

Bien qu’étant en poésie sans prétention
De ses propos j’en ai été blessé, et grognon
Mais sans élevé la voix, sans colère ni éclats
Je lui ai expliqué qu’à mon pas
Je voulais marcher, vagabonder, rêver
Emprunter sentes et sentiers à peine tracés
Plutôt que les larges chemins bornés
Et que la règle des pieds
A laquelle elle est très attachée
Sans profit me contraignait, brimait ma liberté
Et au final me les brisait menu, en clair me cassait les pieds !

Ma chère Muse- je lui donne ce qualificatif affectueux
Car nous étions jusqu’à ce jour très amoureux-
-Ayant la tête près du bonnet- très contrariée
Que je la contredise, et par ma façon bien peu châtiée
De m’exprimer, sans fioritures ni ambages
Faisant sien mon rude langage
M’a asséné qu’incessamment elle me laisserait choir !

Quel coup reçu ! Imaginez mon désespoir !
Finie notre belle histoire !
Ma Muse ma bien-aimée me quitte sans un possible au-revoir
Rompt, divorce, alors qu’ensemble main dans la main
Depuis longtemps nous parcourions le même chemin !

Depuis ses mots si durs, je ne sais trop quoi faire
Pour à ma Muse plaire
Et qu’elle revienne à de plus douces intentions.
Ecrire des alexandrins, il n’en est pas question :
Je ne peux me refaire !
Tout ce que je puis tenter
Je crois- c’est essayer de la persuader
De  la convaincre sans la brusquer
Que malgré mes efforts, je ne sais pas mieux faire
Que son poète chéri ne deviendra jamais du grand Hugo
De près ou de loin le frère jumeau
Et que ses ambitions pour moi tombent à l’eau
Lui faire admettre aussi tout en douceur que pour coucher
Un vers ou deux sur le papier
Même médiocres- tant pis pour les lauriers !
J’ai grand besoin de liberté.

En attendant, pour les prochains,
Ceux qui plus tard viendront
Demain peut-être – j’espère-  selon l’inspiration
Qui ne seront pas des quatrains,
Pour ma Muse tant aimée,
A qui j’adresse un doux baiser
Je vais bien m’appliquer !

Le cresson

Je me suis pris d’une nouvelle passion

Puissante, irrésistible.

A beaucoup elle paraîtrait risible

Mais c’est ainsi : totalement dominé par ma pulsion

Je ne suis plus maître de ma raison

Et m’interroge : deviendrais-je débile ?

Je suis devenu fou du cresson

A m’en rendre malade !

Oui, d’une salade !

Mais c’est si bon !

Mon nez

« Il a le nez de sa mère ! »

Voilà comment tous d’une même voix ils s’exclamèrent

Docteurs, sages-femmes et infirmières

Lorsqu’ils me virent né, nu comme un ver.

Oui, j’ai le nez de ma mère.

C’est ainsi que je suis venu sur Terre

Mais à dire vrai il n’est pas celui que je préfère ;

De mes parents aimés, j’aurais voulu porter le nez de mon père

Pour son allure plus altière.

Mieux choyés par le destin, mes frères

Ont hérité de son organe fier.

                                                                      Le mien, je le trouve ordinaire

De peu de caractère

Mais je n’y peux rien faire

Sauf- mais l’idée ne me tente guère-

D’aller en chirurgie pour qu’on m’opère.

Toutefois mon appendice nasal n’est point calvaire

Ni même misère

Ni fait de moi un pauvre hère

Qui se lamente sans fin et désespère

Lançant ses bras au ciel et ses prières.

S’il n’est le paradis, mon nez n’est pas non plus l’enfer !

Ainsi donc, et sans intention suicidaire

Ni maintenant ni davantage demain j’espère

Je porterai le nez de ma mère

Dont je suis le seul dépositaire

Du premier cri jusqu’à mon heure et ma demeure dernières

-« Requiescat in pace »- au cimetière.

01 Alcools

 

01 Zone

 

A la fin tu es las de ce monde ancien

Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin

Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine

Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes

La religion seule est restée toute neuve la religion

Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation

Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme

L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X

Et toi que les fenêtres observent la honte te retient

D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin

Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut

Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux

Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières

Portraits des grands hommes et mille titres divers

J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom

Neuve et propre du soleil elle était le clairon

Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes

Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent

Le matin par trois fois la sirène y gémit

Les inscriptions des enseignes et des murailles

Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent

J’aime la grâce de cette rue industrielle

Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes

Voici la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant

Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc

Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize

Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Eglise

Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette

Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège

Tandis qu’éternelle et adorable profondeur améthyste

Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ

C’est le beau lys que tous nous cultivons

C’est la torche aux cheveux roux que n’éteint pas le vent

C’est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère

C’est l’arbre toujours touffu de toutes les prières

C’est la double potence de l’honneur et de l’éternité

C’est l’étoile à six branches

C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche

C’est le christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs

Il détient le record du monde pour la hauteur

Pupille Christ de l’œil

Vingtième pupille des siècles il sait y faire

Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l’air

Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder

Ils disent qu’il imite Simon Mage en Judée

Ils crient qu’il sait voler qu’on l’appelle voleur

Les anges voltigent autour du joli voltigeur

Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane

Flottent autour du premier aéroplane

Ils s’écartent parfois pour laisser passer ceux que transporte la Sainte-Eucharistie

Ces prêtres qui montent éternellement élevant l’hostie

L’avion se pose enfin sans refermer les ailes

Le ciel s’emplit alors de millions d’hirondelles

A tire-d’aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux

D’Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts

L’oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes

Plane tenant dans les serres le crâne d’Adam la première tête

L’aigle fond de l’horizon en poussant un grand cri

Et d’Amérique vient le petit colibri

De Chine sont venus les pihis longs et souples

Qui n’ont qu’une seule aile et qui volent par couple

Puis voici la colombe esprit immaculé

Qu’escortent l’oiseau-lyre et le paon ocellé

Le phénix ce bûcher qui soi-même s’engendre

Un instant voile tout de son ardente cendre

Les sirènes laissant les périlleux détroits

Arrivent en chantant bellement toutes trois

Et tous aigle phénix et pihis de la Chine

Fraternisent avec la volante machine

Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule

Des troupeaux d’autobus mugissants près de toi roulent

L’angoisse de l’amour te serre le gosier

Comme si tu ne devais jamais plus être aimé

Si tu vivais dans l’ancien temps tu entrerais dans un monastère

Vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière

Tu te moques de toi et comme le feu de l’Enfer ton rire pétille

Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie

C’est un tableau pendu dans un sombre musée

Et quelquefois tu vas le regarder de près

Aujourd’hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées

C’était et je voudrais ne pas m’en souvenir c’était au déclin de la beauté

Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m’a regardé à Chartres

Le sang de votre Sacré-Cœur m’a inondé à Montmartre

Je suis malade d’ouïr les paroles bienheureuses

L’amour dont je souffre est une maladie honteuse

Et l’image qui te possède te fait survivre dans l’insomnie et dans l’angoisse

C’est toujours près de toi cette image qui passe

Maintenant tu es au bord de la Méditerranée

Sous les citronniers qui sont en fleur toute l’année

Avec tes amis tu te promènes en barque

L’un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques

Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs

Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur

Tu es dans le jardin d’une auberge aux environs de Prague

Tu te sens tout heureux une rose est sur la table

Et tu observes au lieu d’écrire ton conte en prose

La cétoine qui dort dans le cœur de la rose

Epouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit

Tu étais triste à mourir le jour où tu t’y vis

Tu ressembles au Lazare affolé par le jour

Les aiguilles de l’horloge du quartier juif vont à rebours

Et tu recules aussi dans ta vie lentement

En montant au Hradchin et le soir en écoutant

Dans les tavernes chanter des chansons tchèques

Te voici à Marseille au milieu des pastèques

Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant

Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon

Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide

Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde

On y loue des chambres en latin Cubicula locanda

Je m’en souviens j’y ai passé trois jours et autant à Gouda

Tu es à Paris chez le juge d’instruction

Comme un criminel on te met en état d’arrestation

Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages

Avant de t’apercevoir du mensonge et de l’âge

Tu as souffert de l’amour à vingt et à trente ans

J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps

Tu n’oses plus regarder tes mains et à tous moments je voudrais sangloter

Sur toi sur celle que j’aime sur tout ce qui t’a épouvanté

Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants

Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants

Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare

Ils ont foi dans leur étoile comme les rois-mages

Ils espèrent gagner de l’argent dans l’Argentine

Et revenir dans leur pays après avoir ait fortune

Une famille transporte un édredon rouge comme vous transportez votre cœur

Cet édredon et nos rêves sont aussi réels

Quelques-uns de ces émigrants restent ici et se logent

Rue des Rosiers ou rue des Ecouffes dans des bouges

Je les ai vus souvent le soir ils prennent l’air dans la rue

Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs

Il y a surtout des Juifs leurs femmes portent perruque

Elles restent assises exsangues au fond des boutiques

Tu es debout devant le zinc d’un bar crapuleux

Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux

Tu es la nuit dans un grand restaurant

Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant

Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant

Elle est la fille d’un sergent de ville de Jersey

Ses mains que je n’avais pas vues sont dures et gercées

J’ai une pitié immense pour les coutures de son ventre

J’humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche

Tu es seul le matin va venir

Les laitiers font tinter leurs bidons dans les rues

La nuit s’éloigne ainsi qu’une belle Métive

C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive

Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie

Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie

Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied

Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée

Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance

Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances

Adieu Adieu

Soleil cou coupé

02 Le pont Mirabeau

Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Et nos amours

Faut-il qu’il m’en souvienne

La joie venait toujours après la peine

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face

Tandis que sous

Le pont de nos bras passe

Des éternels regards l’onde si lasse

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

L’amour s’en va comme cette eau courante

L’amour s’en va

Comme la vie est lente

Et comme l’Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines

Ni temps passé

Ni les amours reviennent

Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

La Loreley

A Bacharach il y avait une sorcière blonde

Qui laissait mourir d’amour tous les hommes à la ronde

Devant son tribunal l’évêque la fit citer

D’avance il l’absolvit à cause de sa beauté

Ô belle Loreley aux yeux pleins de pierreries

De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie

Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits

Ceux qui m’ont regardée évêque en ont péri

Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries

Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie

Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley

Qu’un autre te condamne tu m’as ensorcelé

Evêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge

Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège

Mon amant est parti pour un pays lointain

Faites-moi donc mourir puisque je n’aime rien

Mon cœur me fait si mal il faut bien que je meure

Si je me regardais il faudrait que j’en meure

Mon cœur me fait si mal depuis qu’il n’est plus là

Mon cœur me fait si mal du jour où il s’en alla

L’évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances

Menez jusqu’au couvent cette femme en démence

Va-t-en Lore en folie va Lore aux yeux tremblants

Tu seras une nonne vêtue de noir et blanc

Puis ils s’en allèrent sur la route tous les quatre

La Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres

Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si haut

Pour voir encore mon beau château

Pour me mirer une fois encore dans le fleuve

Puis j’irai au couvent des vierges et des veuves

Là-haut le vent tordait ses cheveux déroulés

Les chevaliers criaient Loreley Loreley

Tout là-haut sur le Rhin s’en vient une nacelle

Et mon amant s’y tient il m’a vue il m’appelle

Mon cœur devient si doux c’est mon amant qui vient

Elle se penche alors et tombe dans le Rhin

Pour avoir vu dans l’eau la belle Loreley

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

D’infinis paysages
Thème du Printemps des Poètes 2011
ELLE
LUI
>Bonsoir mon chéri
>Sais-tu la nouvelle mon amour ?
>Tu vas être content, mon chéri !
Oh, oui ! Tu l’attends depuis si longtemps!
Mais avant, je t’en prie !
Fais-moi plaisir : essaye de deviner, mon amour
>Alors écoute, mon doux seigneur,
Seigneur de mon coeur :
Le thème du Printemps des Poètes cette année
Est : « D’infinis paysages »
>Oui, j’en suis sûre, mon aimé
>Ah, bon ?
Mais mon chéri, voyons !
Imagine les grands espaces, les immensités
L’océan, la mer
Les montagnes, les déserts
Le ciel ! Tiens, même la voie lactée !
Il y a de quoi dire
Pour toi, mon amour, non ? Et autant à écrire ?
>Je suis étonnée mon chéri
Doux amant de mes nuits et de mes jours
De ce que tu me dis
Pourquoi aller alors, mon amour
Mon cœur, tous les étés
De nos vacances à la montagne
Ou en campagne ?
Et les fins de semaine voir les forêts, les bois
Ou les bords de rivières, quelques fois ?
Oh, mon beau cygne chanteur, mon rossignol, dis-moi !
>Bon, mon chéri
C’est dommage
Mais puisque tu le dis !
>Oh, oui, mon amour !
Voyageons ainsi, mon amour !
>Bonsoir mon amour
>Non, ma chérie
Mais tu vas me la dire, mon amour
>J’aimerais bien, ma chérie, mais comment
 Le pourrais-je, mon amour ?
>« D’infinis paysages » !
Tu en es sûre, mon amour
Ma princesse, ma sirène adorée ?
>Tiens donc ! Quelle drôle d’idée ! Etonnant
Ce thème, tu ne trouves pas,
Toi que j’aime
Et qui m’aimes?
Vois-tu, mon amour, comme ça,
Au débotté
Ce thème ne m’inspire nullement !
>Eh bien non
Ma chérie, ma jolie fleur parfumée !
Toi mon lys, mon orchidée
Mon rouge coquelicot, vraiment non !
Vois-tu, mon amour
Ce que j’aime, ce que je préfère
Et qui m’inspire pour l’écriture
C’est la culture
L’histoire humaine
La ville, la vie urbaine
Mais les oiseaux, les papillons
A longueur de journée, les poissons
Les fleurs, les arbres, les rivières
J’aime bien
Certes, je ne vais pas dire non
Ni que toutes ces beautés ne me disent rien
Mais elles ne me disent guère
>Tu as raison
Ma libellule, mon joli papillon
Toi mon abeille butineuse: j’aime la campagne
-Beaucoup- les champs, la montagne
La forêt
Les rivières, les lacs, les marais
Mais pas longtemps
Juste ce qu’il faut : un petit moment
C’est tout, pour changer
Me ressourcer, me refaire une santé
En voyant de la nature la beauté
En ta si douce compagnie
Car après….je m’ennuie !
Voilà, c’est dit
Tu le sais, mon joli colibri
Ma douce colombe, je ne suis ni randonneur
Ni cycliste, ni davantage pêcheur
Ni flâneur
A peine rêveur
Et moins encore adepte de la méditation !
Alors ! Et puis, là, mon aimée
Ma petite caille, ma jolie grive dorée
Ma fauvette babillarde, attention
Ce sont les « infinis paysages »
Ce ne sont plus les mêmes dimensions !
A part la mer
-Qui me fait peur, la mer
Avec ses vagues, ses tempêtes
Et dedans ses grosses bêtes-
Je ne connais rien aux « infinis », moi : le Sahara
Non !
Les immensités glacées, la toundra, la taïga
Non !
La banquise, non !
Jamais je n’ai gravi le sommet d’une montagne
au-dessus des nuages
Finalement, j’ignore ce que sont les « infinis paysages » !
>Oui, mon amour
Ma tendre dame de cœur, mais pour toi,
Pour te faire plaisir, tu le sais, toujours
J’essayerai d’écrire quelque chose, et ma foi
Si je n’y arrive pas, ils iront se faire lanlaire
Avec leur Printemps pas clair !
Mais pour le moment, tous les deux
Ma bienaimée, on a, en amoureux
Des choses si douces  à faire !
Allons, viens, ma chérie
Ma tourterelle, mon arc en ciel
Ne perdons plus de temps
Allons un long moment
D’amour remettre le couvert
Voyageons ! Envoyons-nous au septième ciel
Au-delà des étoiles, faire le grand tour
Des « infinis paysages » de notre amour !
>Viens vite, mon amour
Quatre vingt dix
Il a quatre vingt dix ans
La tête claire
Sans un soupçon d’Alzheimer
Toujours bon pied bon œil
Et de son état il en est fier
Comme Artaban
Alors il marche droit, empli d’orgueil.
Les autres de son âge ne sont plus de ce monde
Mangés de vers dans leur tombe
Ou mal en point, souffreteux
Impotents ou gâteux
Gangrenés de leur cancer immonde.
Lui va au Club des Vieux
Où il est roi, il danse avec brio
Sans se lasser, toujours dans le tempo
Il roucoule, il fait le beau
Il plait aux vieilles dames, bientôt il serait amoureux !
Son appétit est celui d’un vingt ans
Jamais rien se refusant
-Monsieur ne suit aucun régime- et gaillardement
Il boit le jus de la treille et la fine aussi de temps en temps.
Il raconte des histoires, il rit
A l’écouter, on s’esclaffe, on rit
De toutes et tous, il est le plus jeune d’esprit
De cœur de corps aussi.
Il croit dur comme fer en son avenir
Qu’il voit radieux- pour lui
Rien encore ne peut finir-
Qu’il va durer longtemps ainsi
Jamais il ne fût aussi bien, ni aussi sûr de lui.
Il a la certitude qu’il est le meilleur
Qu’il tient une revanche, victorieux d’un bonheur
Avare aux temps passés, il est sur un nuage
Il surfe sur son âge.
Pour lui, quatre vingt dix, c’est le plus bel âge.
J’aime pas la classe
J’aime pas la classe
J’aime pas lire
Les bafouilles d’Alphonse Daudet c’est nul à chier !
La bique du père Seguin, j’en ai rien à cirer !
D’ailleurs il yoyote de la touffe
Le cul-terreux, avec sa chèvre ! Et si le loup la bouffe
C’est bien fait pour sa tronche ! J’vais pas pleurer !
I’m’court sur le haricot, il me les casse, Alphonse !
Y’a pas plus barge comme gonze !
Et j’ai pas peur, je lui dirai au prof !
Et lui si m’souffle dans les bronches, pour qu’je file doux
J’lui claque une beigne, moi, s’il m’pousse à bout
J’l’émiette ! Et j’dirai pareil pour Michel Strogoff !
Non mais quoi : avec ses hublots brûlés
Et qui revoit après ! Il nous prend pour des demeurés
Des gnards, Jules Verne, il nous bourre le mou, le vieux
Et l’autre, j’sais plus son blaze, mais c’est  pas mieux
Ah, oui, Alexandre Dumas, qui nous prend pour des branques, des cons
Vraiment, avec son Monte Cristo, Edmond
Nul à chier aussi comme prénom !
Sauf pour les meufs peut-être, qui d’sa prison
Sa taule, le château d’If, s’fait la pige à la nage, dans la mer
La grande bleue, à la Johnny Weissmuller
Malgré les pieuvres géantes, les requins et les espadons !
Et c’est pas fini ! L’extase : il s’enfouille un trésor
Une montagne de thunes, des diams, des rubis, de l’or !
Vraiment pourquoi i’faut s’farcir des stories aussi con !
Moi c’qui m’fait flipper
C’est pas les books, non, c’est les BD
Là j’m’éclate ! J’m’envoie en l’air, j’suis sous amphet
Sous acide ! C’est qu’les BD ça pète
C’est d’la bombe, ça arrache du pâté !
J’aime pas la classe
J’aime pas écrire
Le masculin
Le féminin
Encore là  j’peux piger
Le mec il a sa nouille, son braquemart
La meuf son berlingot, ses nibards
Ok, mais l’imparfait
Hein, pourquoi il l’est pas, parfait ?
Qu’est-ce qu’il a déconné, qu’est-ce qu’il a fait ?
Et le plus-que-parfait ? Là c’est le bouquet !
Il est tellement parfait qu’il est plus que parfait
Comme la lessive qui lave plus blanc que blanc !
Et y’en a d’autres au défilé pas plus marrants
L’futur et l’autre qui vient d’clamser, l’passé
Oh, j’en ai ras les burnes, ras la casquette
De tout c’micmac, je m’en beurre les noisettes !
Faut dire que l’prof, il assure nul, que dalle, pas un cachou
Coincé un max, un balai dans l’cul, rien dans l’chou
Un vieux débris ! Y’a pas plus relou !
Lui et sa grammaire !
C’est pas l’genre à s’mettre un prince Albert !
J’aime pas la classe
J’aime pas l’Histoire, ni la Géo, ni la Physique
Ni la chimie, ces trucs vachards,
Ni la gymnastique
Ni la musique
Mon MP3, ok, mais j’suis pas né Mozart
Et encore moins les mathématiques
Là, j’entrave couic
J’suis dans l’potage ! Les additions
Les soustractions
Les divisions
Les multiplications
Ca me donne des boutons, des éruptions
J’aime pas la classe
J’aime rien
Y’a qu’les copains
Qu’avec j’suis bien
Quand au troquet du coin
Chez la Mado, avec Abdel, Juju, mes potes
On s’tire la bourre au flip, ou qu’on s’éclate sur ma console
Quand j’drague les meufs, qu’je leur propose la botte
Qu’elles passent à la casserole
Là au moins j’rigole.
Mes profs, mes vioques, les lardus
I’m’disent : « Toi, à courir les rues
Tu s’ras Bac moins quinze, tu finiras clodo, bon à rien, voyou ».
Rien à branler, J’m’en balance, j’m’en tamponne, j’m’en fous.
J’aime pas la classe
Gourmandise
J’ai chapardé des figues tout au long du chemin
Vertes
Et si finement parfumées !
De quelques ceps noueux j’ai volé les raisins
Noirs
Et d’un jus si sucrés !
Avide, j’ai saisi sur des arbres sauvages des pêches
Blanches
Et goûteuses
Ainsi que des amandes sèches
Brunes
Amères et bien rugueuses
J’ai humé du pays les parfums
-Celui des fleurs et ceux du romarin
Du fenouil et du thym-
Baignés du chaud soleil et de son vent marin
J’ai oui émerveillé
Tous les chants des oiseaux
Le bruissement des herbes sur les coteaux
Et des ramées
Mon regard a saisi du ciel
Et de la terre
Leur arc en ciel
Et toutes les nuances des bleus, des ocres, des verts
Tant de saveurs
Sur mon chemin, tant de senteurs
Et de couleurs !
Oh, oui ! Que fût grand mon bonheur !
Pas un cadeau !
Ma mère m’a donné la vie
Vraiment, ce n’était point cadeau à faire
Elle aurait dû s’abstenir, et mon père
Aussi
Moi même à deux enfants j’ai donné vie
J’aurais dû m’abstenir aussi.

C’est foutu !

C’était quoi l’idée

Qui m’a donné l’envie

D’écrire une poésie ?

Je ne m’en souviens plus !

A peine venue

Elle est partie

Plus vite que courant d’air. Pfuitt…envolée

Sur ses grandes ailes évanescentes ! Evaporée !

Où est-elle maintenant cette idée ?

Dans les éthers probablement et les nuées !

Insaisissable, elle joue sans doute à chat perché

Ou à cache cache sur les rondeurs blanches des cieux

Avec l’astre solaire, maître des lieux !

Lui est aux anges surement, radieux :

« Cette idée d’un humain malhabile échappée

Qui me rend une visite, quelle chance !

Je vais m’en faire une amie

Et l’inviter très longtemps à rester !

Enfin je vais pouvoir me distraire et j’espère m’amuser !

 Car les planètes, les étoiles, c’est gentil

Mais de toute éternité

A la longue, je m’ennuie !

Oh, oui, les rondes galactiques, ça suffit ! »

Plein d’espoir, le soleil est content, moi non ! L’idée poétique est partie

C’est foutu !

La cavalière
La jolie cavalière
Depuis trop longtemps
Avait le cœur en bandoulière
Un jour, n’en pouvant plus
L’âme perdue
Elle s’est foutue en l’air
Le cœur désespérant
Insupportant la perte de son amant.
Désarçonnée par la vie
Son beau cheval est rentré seul à l’écurie.
Par moment
Les jours de gris
Je l’envie
J’en ferais bien autant.
Dans le train de Bordeaux
Un bon matin
-Etait-il bon ? Etait-il beau ? Je n’en sais rien
Car je ne m’en souviens plus, mais c’était assez tôt
De cela je suis certain-
J’ai pris le train
Destination Bordeaux.
J’ai laissé en Arcachon
Où je faisais villégiature
Après avoir globe-trotter toute la saison
Sa dune, ses plages et ses anciennes maisons
Ainsi que ma voiture
Tout derrière moi
Pour une journée, sans grand émoi
Plutôt ravi de l’aventure.
Bordeaux est une grande ville
Très belle, paraît-il
Jamais je n’y étais allé
Ou il y a si longtemps, de l’eau avait coulé
Sous ses vieux ponts en quantité
J’avais tout oublié
Et voulais donc m’en assuré.
J’ai pris ma place sur la banquette
En compagnie des voyageurs : en face une fillette
Gentille avec sa mère
Et à côté deux jeunes compères
L’un gros petit et fagoté comme l’as de pique
L’autre, escogriffe maigre comme un coup de trique
Un peu Laurel et son Hardy, bien sympathiques.
Puis au moment de partir
Avant que « clic ! »
 Se ferment les portes
Et que le train ne nous emporte
Dans son périple mécanique
Une jeune femme sans coup férir
Squatta à gauche la place vacante
Après un « Je peux ? » « Merci » très obligeante.
Entouré ainsi d’une telle jeunesse
Mon aventure bordelaise me parût bien engagée
Aussi dans ma banquette bientôt calé
Avec le cœur au vent plein d’allégresse
Je me laissai un peu aller.
En face la mère sa fille faisaient une causette
Presque un murmure, extrêmement discrètes
Alors qu’à  droite les jeunes taillaient une bavette
A forte voix interrompue de temps en temps
De larges rires éclatants
Il n’y avait que moi qui demeurais très silencieux
Et ma voisine avec un air studieux.
C’est que, à peine assise, avec célérité
Sans prendre le temps de respirer
Elle avait d’une noire serviette
Sorti un bloc papier qui me sembla bien quadrillé
A lettres ?
Peut-être
-Aux temps modernes d’aujourd’hui
Qui courent et font feu de tout bois, on écrit sur des papiers
De toutes sortes, jaune, vert, de fantaisie-
Bref, une feuille avec dessus des choses annotées.
La liste était fort longue avec en tête
Un titre « A faire »
Bien gras, bien souligné, bien encadré, un vrai repère
Un pense-bête
Pour ne rien oublier ni perdre, surtout la tête
La jeune femme l’avait d’ailleurs jolie
Nul doute qu’elle fût aussi remplie.
Le temps passant, pour le meubler
Et qu’il s’écoule plus agréablement
-Derrière la vitre, le plat pays se déroulant
Etait fort peu enthousiasmant-
J’ai dit trois mots à ma voisine studieuse
Quelques bêtises, calembredaines des moins sérieuses
Pour la distraire
De sa longue liste « A faire ».
C’était très égoïste
Elle travaillait
Et moi tranquille comme Baptiste
Je m’ennuyais
Mais il faut croire que mon interruption lui plut
Puisque du tac au tac et en souriant il me fut répondu
La jeune femme était charmante
Et avenante
Nous conversâmes sans plus désemparer
Jusqu’à notre arrivée.
Et patati et blablabla
Et blablabla et patata
Nous parlâmes d’un peu de tout
D’elle, de moi, de nous
Le temps soudain très vite passa
Comme un coup de vent ; à nos côtés la fille la mère
Et nos Laurel Hardy les deux compères
Nous imitaient, le train ici était une vraie volière.
Le trajet entre Bordeaux et Arcachon
Ou son inverse n’est pas très long
-Le train fit son affaire des kilomètres comme un glouton-
Il le fût moins encore ce jour
J’étais en bonne compagnie et le trouvai beaucoup trop court
A bavarder ainsi, trop tard me vint l’idée
Pour retrouver ma belle voisine et continuer à discuter
Et plus encore en cas d’affinité
De l’inviter à déjeuner
C’est que sitôt que freins crissant le train stoppa en gare
Sans perdre une minute, ni prendre de retard
Elle enfourcha son grand vélo
Et fila illico
Que dis-je : dare dare
Et même plus vite encore, presto
Façon Bernard Hinault
Pour toutes ses choses « à faire » dans Bordeaux.
A peine eux-je le temps de gratifier la belle d’un signe d’adieu
Ni elle d’un sourire gracieux
Ce fut fini.
Jamais je ne l’ai vue depuis
Ni au retour
Ni lors d’un autre jour.
Mon voyage Arcachon-Bordeaux
Se déroula ainsi; en arrivant il faisait beau
Les ruelles moyenâgeuses, les beaux quartiers
M’attendaient tout à côté
Alors avec plaisir je commençai tranquillement à pieds
La découverte de Bordeaux.
Une drôle de tête
Oh, putain ! Bonjour le désespoir
Quand dans le miroir
Je vois ma gueule, de bon matin ou bien le soir
-Hélas il n’y a pas d’heures
Qui soient entre elles meilleures
Ni la première
Ni la dernière
Aucune, à tous les coups je me fais peur-
C’est là face au reflet chaque fois que je me dis :
« Adieu, Jeunesse
Oh toi si belle
Papillon du printemps virevoltant entre les fleurs, tu es si vite partie
Je ne t’ai pas vue passer ! Un souffle! Un courant d’air !
La courte vie d’un éphémère !
Presque irréelle
Et toi, Vieillesse
Vieillerie
Déconfiture du corps et de l’esprit
Feuille d’automne qui va pourrir au sol, que j’aimerais fuir, dont j’ai horreur
Et qui pourtant est là
Je ne te salue pas !
Tu es tellement vite arrivée
Sans pour autant t’avoir appelée !
Oh la cruelle !
Voilà ce que face au miroir je dis
Ou peut-être ce qu’il me dit
Et puis aussi :
« Pour toi, mon vieux, c’est cuit
Bientôt, ton misérable spectacle terminé, tu vas tirer ta révérence
Quitter définitivement la scène, avec dans l’âme nulle espérance.
La comédie de ta vie
Tragique et combien brève
S’achève.
Tu glisses sur la pente maintenant
Comme sur un toboggan
Sans pouvoir t’arrêter, sans frein
Sans pouvoir te raccrocher à rien
Celle qui doucement ou rapidement
 –Comment savoir ?-
Te mène droit au trou noir ».
Il y a des jours
Où je me fais des longs discours
De cette sorte ; c’est que ma gueule, elle a une vraie sale tête
Qui- c’est bien peu dire- m’embête
M’irrite, m’angoisse, m’effraie : de la chair flasque
Déjà qui se délite, un sale masque !
Mais je ne peux hélas ni la couper
Pour la changer
A peine l’arranger
Pour tricher.
La seule chose que je puisse faire, à ma tête
Pour que je puisse la supporter
Encore, avec elle me réconcilier
Un peu, et même à nouveau l’apprécier
C’est de m’en moquer
Sans retenue, de lui donner une drôle de tête
Me foutre carrément de sa tête :
La grimer
L’habiller
La coiffer
De bonnets, de casquettes
D’une barbe, de moustaches ou bien de rouflaquettes
De perruques, de frisettes façon payos et de lunettes
Excentriques
En somme lui faire sa fête
Il faut assurément que désormais ma tête
En jette
Qu’elle pète !
Je crois qu’ainsi à n’être plus sérieuse,
Et même plutôt comique
Elle me sera moins disgracieuse
Je lui trouverai l’air sympathique
Et qu’elle perdra sa mine tragique
Et pathétique.
Il n’y a pas d’autre issue
Je n’en ai pas trouvé, pas une de plus
Sauf de casser le miroir
Pour ne plus me voir.
A Granville
Dans cette ville cotentine naguère
Fortifiée pour la guerre
Où moult combats au fil des ans se déroulèrent
Ville de pirates et de corsaires,
Des statues se dressent partout
D’hommes belliqueux qui debout,
Semblant jaillir de terre et dont on ne sait d’où,
Comme voulant vous assaillir brandissent des épées
Des fusils, des pics d’un air décidé
A vous faire la peau et vous couper
En petits morceaux ; ils ne semblent pas contents
Du tout
Et même plutôt méchants !
Il y en a un qui en a une en bois
-Une jambe- ça m’a donné un coup d’effroi !
Je les ai vus à la tombée du soir
A la montée des brumes quand viennent les ombres noires
Leur regard torve comme après moi
Et j’ai eu peur ! Craignant qu’il leur soit fait un mauvais sort
J’ai numéroté mes abattis très soigneusement
Et même envisagé la mort
J’ai failli quitter la ville sur le champ
Tant ils m’avaient rendu anxieux !
Mais le lendemain, sous le soleil radieux
Du nouveau jour, alors que la mer Manche
Se prélassait comme si c’était dimanche
Tout alla mieux :
Je les ai pris moins au sérieux
Ils paraissaient bien moins hargneux
Et moins antipathiques ; il faut dire que pris
Dans leur gangue de bronze et de granit
Ils bougent très peu
Et sont finalement peu dangereux.
Rassuré
Je suis resté
C’est que hormis tous ces soldats armés, Granville
Est bien tranquille
Et une bien jolie ville.
Y’en a marre !
Y’en a marre
De toujours me serrer la ceinture,
-Un cran, puis deux, puis trois- en moins bien sûr
Ca n’en finira pas- de tout prendre mesure
Calculer, peser jusques aux grammes
Aux milligrammes
Pour ne pas prendre un kilogramme
-Plutôt le perdre !- Se nourrir de radis
De salade, de toutes sortes de verdures
Comme font les bœufs et les moutons à la pâture
Tous les midis
Du lundi au samedi
Pas de jour de relâche- et le dimanche aussi !
Là, pour le Jour du Seigneur, c’est pire, presque l’enfer
Il faut garder la ligne, une ligne de fil de fer !
Carotte, choux et pommes de terre
-Une seulement !- Se restreindre à longueur de journée
  En évitant le gras, pas de sucre, et l’alcool prohibé !
Y’en a marre
De devoir faire ma gymnastique
Chaque jour matinalement
Quand le soleil se lève, mes étirements, mes assouplissements
Pour rester élastique
Autant qu’une liane amazonique
Et tonique
Devoir muscler tous mes abdominaux
Mes pectoraux et mes dorsaux
Courir jusqu’à plus suer et marcher
-En marche rapide !- à s’en user la plante des pieds
Pour bien évidemment la forme et la santé garder
Longtemps….
Jusqu’à mon enterrement !
Y’en a marre
De devoir pour aimer
Comme s’il soufflait tempête ou gelait à pierre fendre m’habiller
Me capoter, m’encapuchonner!
Comme si pour la Belle pour bien lui plaire
Et m’en faire désirer, je devais porter bonnet, cache-nez et pull-over
Echarpe et gants d’hiver
Mais attention : encore en cette matière
Prisée par toutes et tous et bien particulière
Les directives sont claires : trop n’en faut user
Ni abuser
Il faut rester en amour fort modéré
 Pour ne pas s’épuiser.
Y’en a marre
De faire attention à tout : à mon foie, mes reins
Mon colon, mon cœur, mon cerveau, mes articulations, ma prostate, mes poumons, mes intestins !
De devoir craindre sans cesse mon cancer
Mon cholestérol, mon sida, mon diabète, mes calculs, mon Alzheimer !
Y’en a marre
Marre
Archi marre !
Car hélas s’il n’y avait que la seule santé pour souci
Avec quelques efforts ce serait supportable ! Mais il y a tout le reste
La partie immergée de l’iceberg, l’Himalaya, l’Everest !
Ainsi la route, et la voiture aussi :
Il faut en ville rouler à trente
On ne peut plus lentement, ou à cinquante
Guère plus vite, et en campagne à quatre vingt et dix
Ou à cent dix
Surtout vitesses à ne pas dépasser
Sinon sans coup férir c’est la maréchaussée
Qui verbalise et le pv
Rouler comme escargot
En craignant les multiples interdictions
Et les limitations
Alors qu’on voudrait tant rouler plein pot
Itou les écolos
-De loin les moindres de tous les rigolos-
Qui m’obligent à réduire de mon auto les gaz d’échappement
A une misère pour préserver l’environnement
-L’effet de serre
Pour la pauvre Terre-
Ne rien jeter
Tout recycler
Les cartons, les papiers
Le plastique, le verre
Le bois, le fer
Et les ordures ménagères
-Ils vous écharpent ou au bûcher
Vous mettent, vous clouent au pilori
En signe d’infamie
Si par malheur vous déviez de la ligne tracée
D’une bagatelle, un rien, une futilité !-
Déjà ils ont dans leurs collimateurs
Toute la gente bovine qui ruminant dans les vertes prairies
 Pètent et rotent en trop grande quantité
-Il faut manger désormais du poisson !-et les incinérateurs
De nos funérariums pour nous empêcher de partir en fumée !
 Préserver la biodiversité
Ne pas tuer le moustique vampire qui veut en loucedé
S’abreuver de mon sang ! Sale bête ! Je vais me gêner !
Consommer moins- encore !
Consommer bio : je vais y perdre le nord !
Je suis déboussolé.
Moi
Je vous le dis tout net, encore et encore
Et très clairement : Y’en a marre !
Mare !
Archi marre !
Je n’en peux plus ! Au bout du rouleau je suis !
C’est assez, c’est trop, ça suffit!
Moi
 Je veux me laisser aller
Oui! Complètement ! Je veux manger
A satiété, autant qu’il peut me plaire, et si l’envie me prend me goinfrer
Boire le vin et l’alcool, et me saouler
Seul ou mieux encore en joyeuse compagnie, jusqu’à rouler
Dessous la table, jouir
Sans frein, aimer ma Belle et lui donner plaisir
Sans crainte et ensemble prendre plaisir
Je ne veux plus courir
Et encore moins maigrir
Non, je veux grossir
Prendre des rondeurs s’il doit en être ainsi et fainéanter
Des heures et jours entiers.
Je veux me libérer
Retrouver enfin ma liberté d’exister !
Je ne veux plus avoir peur, appréhender, compter
Et je veux user
Même abuser de tout
Voilà, c’est tout !
Mourir maintenant
C’est décidé
J’ai décidé d’arrêter
D’arrêter d’exister.
Et ce sera maintenant
Ou bientôt, prochainement
-Il me faut quelque temps-
En tout cas, ma décision est prise, elle est irrévocable
Et personne ni rien ne m’en fera changer.
Car je connais ma fin, hélas inéluctable
Mais surtout tellement lamentable
-A y penser je ne peux m’empêcher de frémir
A côté c’est si peu de mourir-
Pareille à celle des vieilles gens- les vieux
C’est le nom qu’on leur donne et le mien très bientôt- ayant vécu trop vieux
Hélas, tant qu’ils en sont gâteux
Incapables, impuissants
Qu’il faut aider sans cesse, dépendants
Ombres d’eux-mêmes, oublieux de ce qu’ils ont étés
Comme de ceux qu’ils ont aimés
Je ne veux pas passer comme eux
Par cette étape ultime
Indigne
Je ne veux pas que ceux qui m’aiment encore
S’attristent de mon état
D’être tombé si bas
Me voient en déchéance et souhaitent ma mort
Qu’ils pensent ou pire qu’ils disent : « Vivement qu’il passe
Oui, vite qu’il trépasse ! »
Impatients d’être débarrassés
Du vieux gâteux déraisonné.
Je ne veux pas de tout le voisinage
Etre sujet de la conversation, que chacun à propos de mon âge
Pire médise et se moque:
« Le vieux, il pédale dans la semoule, il débloque
Il a perdu la boule, bat la breloque
Et yoyotte de la touffe » cherchant l’un après l’autre en riant
L’expression la plus drôle ou le mot amusant.
Quand le temps est venu, il faut savoir partir
Et mourir.
Vouloir durer au pire prix
S’accrocher pitoyablement à sa vie
C’est mollesse et lâcheté.
C’est donc décidé car je sais que mon tour
Désormais est tout proche, sans doute moins d’un millier de jours
Et qu’il sera ensuite pour agir trop tard. Mais je ne sais quel sort
Je dois me réserver ni quel procédé retenir pour ma mort
Afin que mon trépas ne me cause souci
Ni aux autres aussi.
Le poison ? Moyen on ne peut plus classique
Facile avec mes amis amanites et bolets sataniques
Champignons vénéneux comme il faut, ou les barbituriques
Ou encore l’arsenic ;
La corde ? Oui, solide, au nœud bien coulissant
Sur un arbre lacée
Ou en tout autre endroit élevé ;
La saignée ? Au poignet ou à la carotide pour perdre tout mon sang
Et puis aussi la balle, pointue, violente, rapide et dure
Ou même la chevrotine, et encore la voiture
Au ravin ou fracassée contre un mur
Enfin la chute, d’un pont, ou d’une Tour Eiffel, plus sure.
Entre toutes ces morts violentes et subites
Il va falloir choisir
Je vais y réfléchir
Vite.
Non, la mer n’a rien de romantique
La mer, c’est seulement de la flotte
Une grande mare d’eau où des bestioles dedans barbotent
C’est tout ! Avec du sel
Beaucoup de sel
Au point d’être imbuvable
Avec du pastis, même rafraîchi de glaçons, c’est impensable !
Pouah ! La seule chose qu’on puisse faire
C’est de l’enlever
Après l’avoir asséchée
La mer !
Les paludiers savent faire.
D’accord, il y a quelques poissons dedans bons à manger
Mais c’est qu’il faut les attraper
Ces drôles de bêtes, elles ne se laissent pas faire
Il faut sur des grands bateaux de fer
Naviguer loin, lancer de longs filets au plus profond de la mer.
Et puis c’est plein d’arêtes qui piquent le gosier
En plus, beaucoup sont très méchants armés d’aiguilles, de pics
Et de venin, et d’autres comme des piles électriques
A les attraper innocemment, on risque un tas de maladies
De cœur et autres et des paralysies.
Ne parlons pas des crabes, homards, langoustes et araignées
Horribles insectes aquatiques
Semblables aux monstres préhistoriques
Tous bien armés et carapaçonnés
Avec leurs pinces énormes comme pour la guerre
Ni des palourdes, huitres, coques et praires
Avec leurs corps visqueux !
Beurk ! C’est absolument hideux !
Sans oublier les plus costauds d’entre eux, les rorquals
Et leurs cousins les requins et tous les squales
Qui ne pensent qu’à vous croquer
Avec leurs dents énormes et à vous digérer !
Non, la mer n’a rien de romantique.
Et puis, toutes ces bestioles qui s’entretuent, qui se dévorent
Les plus petits et les plus faibles mangés par les plus forts
Ne pensent qu’à une seule chose : à s’accoupler
A qui mieux mieux dans tous les coins de la mer et ses recoins, à forniquer
Car leur petit cerveau ne porte qu’une obsession :
Faire des petits, à tout prix, assurer leur reproduction
Et sauvegarder l’espèce. Des quatre points cardinaux
Du nord au sud, de l’ouest à l’est,  dans toute la mer ainsi
Naviguent entre deux eaux
Leurs spermes et leurs petits
Des larves en nombre incalculable
Monstrueux , incommensurable.
Non, la mer n’a rien de romantique
Et attention, si l’envie vous prend inopportunément d’aller voguer
Dessus ou d’y pêcher
Et que le bateau, manque de pot
Prenne l’eau : noyade ! Et vous voilà bientôt
Dans l’estomac de ces crustacés et de ces poissons
Coupés en petits morceaux
Dépecés
Déchiquetés
Broyés
Finement hachés
Comme un pâté !
Si par hasard tenté par l’aventure en soit bien moins risquée
D’y tremper le pied
Ou plus encore de vous baigner
Vraiment quelle drôle d’idée !
Montrer ainsi à tous que vous savez nager
Attention encore une fois :
La mer, ça mouille, c’est froid
Très vite, surtout s’il y a du vent
On grelotte, on claque des dents,
On a la chair de poule, on attrape froid
Alors, plus vite encore
Il faut non pas au petit trot mais au galop se sécher
Sortir du sac de plage des affaires chaudes et se changer
Sinon à tous les coups on prend la mort.
Non, la mer n’a rien de romantique
Et puis il faut le dire et le redire :
Elle est polluée, la mer, il n’y a pas pire
C’est une poubelle ; tous les ruisseaux
Toutes les rivières, les fleuves déversent dans ses eaux
Tout ce qu’ils ont trouvé par monts et vaux
Au fil  de leurs longs cours, depuis les glaces des hautes montagnes
Aux plaines et aux campagnes
Et toutes les villes traversées
Tout ce qu’on a jeté
Abandonné et oublié
Des monceaux d’ordures
Et d’immondices, des Everest de pourritures
Tout arrive à la mer, et à ses habitants, les poissons
Les crustacés, les algues, une manne pour ces gloutons
 Dont nous nous régalons.
Bruyante aussi, la mer, à chaque instant
Sans moment de répit, par grand calme ou par fort vent
Toujours le clapotis sur le rivage
Ou le ressac et l’écrasement des vagues sur les rochers par grands orages
Jamais le doux silence ; le soir après une journée de mer
Les oreilles sifflent comme un chemin de fer.
Non, la mer n’a rien de romantique.
Les poètes- illuminés
Pour la plupart et tous rêveurs- j’ai rencontré
Beaucoup d’entre eux- grands poètes ou à dix sous
Qui tous veulent disperser leurs cendres dans la mer : des fous !
Disent avec de jolies phrases et plein de mots que la mer
Certains jours de pleine lune a des colères
Terribles, qu’elle s’emporte, qu’elle fait sa mauvaise tête
Et qu’en courroux déchaîne la tempête
Mais qu’au contraire sous d’autres jours et d’autres lunes elle devient sage
Et très gentille, en somnolant sur le rivage.
Bêtises ! La mer n’a pas de sentiments
Quand elle bouge, c’est grâce au vent très agissant et dynamique
Et à la lune, un point c’est tout ! C’est mécanique
Car elle est molle, mollasse et malléable, la mer
Elle est sans énergie, elle n’a pas de caractère
La mer !
Non, la mer n’a rien de romantique.
C’est de la flotte, la mer, juste H2O
De l’eau.
Non, la mer n’a rien de romantique.

Je veux être gay

Je me sens depuis quelques temps

Triste, pas gai, avec en prime

Un fond de déprime.

Certes, en moi l’anticyclone résiste

Mais la dépression en se creusant

Pousse fort, insiste

Le temps se gâte avec un vent qui souffle du noroit.

Mes amis s’en attristent et me disent : « Marc, tu as très mauvaise mine

Tu tires un sale coton, allons, ressaisis-toi ! »

Mes amis sont gentils avec moi

Et de fort bon conseil, pourtant si difficile à suivre! Aussi ai-je pensé

Que pour être plus gai

Revoir la vie en rose d’autrefois

Je devais peut-être suivre la mode, devenir gay

Comme tout le monde, virer de bord et ma cuti

Troquer la voile pour la vapeur, comme on le dit ici

Changer de tout au tout, surtout de libido

Ce serait certainement rigolo

Et je serais ainsi guéri.

Certes il me faudrait dépenser quelques sous

Pour ma nouvelle garde-robes, acheter des jupettes

Des choses féminines pour faire un peu tapette

Affriolantes en diable, des dessous

Très coquins, des culottes en dentelle, des guêpières

Du rouge à lèvres, du fard pour les paupières

Que sais-je encore ? Peut-être aussi en recours ultime

Faire appel à la chirurgie esthétique pour les choses intimes ?

Avec quel  homme me mettrais-je en ménage ?

Un grand nordique, imberbe, blond et très pâle de teint?

Ou un petit noiraud bien méditerranéen

Apollon tout en muscles et velu? De mon âge

En tous cas ; et comme une bonne ménagère

Attentionnée en tout je lui ferais cuisine, courses et bien sûr repassage

Et bien que cela ne se pratique plus guère

Comme autrefois aux temps durs des disettes

Amoureusement je repriserais ses chaussettes

Le soir, je serais à ses soins

Et pour mon bien-aimé

Au retour du travail après une rude journée:

Câlins, apéritif ou bière, et les potins

Et le dimanche, jour de fête :

Poulet grillé, frites, pastis ou anisette

Oh oui, ce changement de rôle

Pourrait me semble-t-il être bien drôle !

Mais à vrai dire je suis très hésitant

C’est que le saut à faire est important

Un peu comme pour César le Rubicon

En plus sous l’œil moqueur de Cupidon !

Le résultat est garanti

Bien sûr, mais à quel prix !

Je vais donc sans précipitation

M’accorder un délai long de réflexion

Tout le temps qu’il faudra- pour prendre ma décision

De devenir ou non

Gay pour de bon

Comme ce fut bon !
J’ai descendu les marches de pierre
Et lorsque plus il y en eu
J’ai posé mes pieds sur la terre
Et les cailloux qui s’agençaient obligeamment en escaliers
Devant mes pas. J’ai agi bien prudemment.
C’était pentu
                                                   Tellement, instable aussi, il me fallait être vigilant
Sans quoi : plouf ! Dans la mer
Après m’être déchiré
Les os sur les rochers.
Ce cheminement très mesuré
Vers l’eau en contrebas
Miroitant sur des fonds d’algues et de graviers
Me donna un plaisir exquis
Pourquoi ? Je ne sais pas
Ce fut ainsi.
La crique était petite, serrée dans ses parois
Hautaines ; personne, sauf moi
Et des oiseaux pour compagnie. J’ai fait grande attention à mettre ni mains
Ni pieds sur les quelques oursins
Hôtes des lieux. Il y avait du fond
Mais bien peu d’algues et de poissons.
Pour me souhaiter la bienvenue, peu de vie végétale
Et animale
En somme une eau très minérale.
Alors mon corps nu en un élan presque vertical
S’est immergé dans l’onde primordiale
Comme un retour à l’onde fœtale.
L’eau était fraîche, si transparente et douce comme une caresse
Oh, ce plaisir exquis! Presque l’ivresse !
Comme ce fut bon !
CE SERA TOUT POUR AUJOURD’HUI
J’ai une petite envie d’écrire
Comme une gourmandise
Mais je ne sais quoi dire.
Le temps, en s’égrenant, l’aiguise
Pourtant même sur rien
Rien ne vient.
Et comme un musicien
Qu’aucune note n’inspire
Je tape sur mon « La »
Mais mon « Si » ne vient pas.
Vraiment, il n’y a rien à faire, à l’esprit
Je n’ai nulle poésie
Simplement une envie.
Tant pis !
Je vais en prendre mon parti !
Ce sera tout pour aujourd’hui !
LA BELLE DAME DE MEETIC
En surfant sur Meetic un jour
Par chance j’ai croisé une jolie dame en quête d’amour.
En la voyant, mon cœur ne fit qu’un tour
Que dis-je : un quart de tour !
Tant elle me plût, et  aussitôt bien sûr et sans détours
Lui tins, cherchant mes mots, en m’appliquant
Comme collégien sur son devoir, ce beau discours :
« Madame, vous avez de beaux yeux
Et votre sourire est merveilleux ».
Confiant, je comptais la conquérir irrésistiblement
Avec ma fine littérature : quelle femme peut résister-
Pensai-je- à un tel compliment et un langage châtié
De cette qualité
Digne des mondanités les plus recherchées?
Certes en m’inspirant des célèbres littérateurs
J’aurais pu mieux laisser parler mon cœur
Etre plus disert, et comme Cyrano le Gascon
A Roxane ou Roméo à Juliette tout dessous son balcon
Lui adresser fougueux une longue déclaration
Mais voilà je n’en fis rien, bien trop pressé.
Avec appréhension je cliquai donc sur « envoyer »
Craignant que mon précieux message d’amour
Fasse de la Terre mal le tour
Ne puisse bien voyager
Et ne soit à ma Belle livré.
Car hélas avec l’informatique
Le Net et la machinerie électronique
Il y a souvent des « hic » et des problèmes pratiques
Qui font que- on ne sait pourquoi- la technique ne marche pas.
Mais par chance ce ne fut pas le cas
Et par le même chemin très éthéré, sans trop tarder
La dame me répondit aimablement :
« Merci
C’est très gentil.
Je vous souhaite une belle rencontre ». C’était charmant
Vraiment, si féminin, très élégant
D’une telle diplomatie !
Mais c’était dit !
La messe et la Sainte Eucharistie aussi!
J’avais compris
La Belle devant mon charme littéraire n’avait en rien faibli !
La fenêtre électronique s’en trouva vite fermée
Et d’elle plus n’entendis parler.
Oh, comme j’ai regretté que notre rencontre finisse ainsi.
Cette femme était si belle
Tant que souvent je pense encore à elle.
Avait-elle triché
En se montrant sous ses plus jeunes années ?
Elle faisait si peu l’âge annoncé !
Quoiqu’il en soit, la Belle de Meetic
Avec sa souris électronique
A fait un « clic » :
« Message terminé »
« Fermé ».
JE N’AI RIEN DEMANDE
Je n’ai pas demandé
A être sur cette terre
Pourtant  j’y suis, mais pourquoi faire ?
Toi qui me lis, tu n’as pas demandé
Ni lui, ni nous, ni vous, ni eux n’ont demandé
Personne n’a demandé
A être sur cette terre
Pourtant tous nous y sommes, mais pourquoi faire ?
Pourquoi sommes-nous sur cette terre ?
Pourquoi sommes-nous, par milliards, non volontaires
A naître
Puis, en fin de vie, par milliards, non volontaires
A disparaître ?
Je n’ai rien demandé
Pourquoi suis-je sur cette terre ?
CHIEN ET CHAT
Sur la plage je l’ai croisée
Marchant sur le sable mouillé
Nonchalamment ;
La dame était fort belle à regarder ;
Vêtue élégamment,
Elle s’accompagnait d’un petit chien au pelage blanc
Qui vint me renifler
Effrontément.
Il avait comme les caniches le poil frisé
-C’en était un sûrement-
Qui aurait dû être tout blanc,
Mais il était mouillé
Avec beaucoup de sable dedans.
J’ai dit à sa maîtresse en souriant :
« Il vous faudra ce soir bien le rincer !»
Mais je ne sais pourquoi en lui parlant
A autre chose j’ai pensé ;
Je n’aurais dû, sûrement
Mais c’est ainsi, c’est arrivé
On n’est pas toujours maître du cours de sa pensée.
Association d’idées
Voir l’un peut à une autre faire rêver ;
En lui faisant mimi et le flattant
Le chien à la chatte de sa maîtresse m’a fait penser.
Rien de plus aisé
Chien, chat, minou, minette étant peu différents
Tous deux des animaux à poils, l’un aboyant
Parfois bien bruyamment, l’autre miaulant,
De compagnie aimant être caressés.
La maîtresse étant fort brune, sa petite chatte probablement
Devait l’être pareillement
A moins que- je l’ai imaginé-
De par sa fantaisie elle l’ait colorée tout autrement :
Blonde, ou rousse, ou tachetée
Ou même multicolore ; j’ai trouvé mes idées
Fantasques, incongrues assurément et déplacées
Et de les avoir je m’en suis reproché.
Heureusement
De mes songeries je n’ai rien dévoilé
La dame s’en serait offusquée
Probablement scandalisée
Qui n’a vu en moi qu’un homme souriant
Parlant aimablement, mais pas pensant !
Qui sait, peut-être qu’en me voyant
Elle m’a aussi imaginé
Phantasmes débridés
Satire libidineux en différents positionnements
Et dans le stupre fourvoyé !
Ayant ainsi un moment bavardé
Sur tout et rien, nos animaux très familiers
Les chiens, les chats- j’ai même osé parler
Des chattes- le temps plaisant de la  soirée
Et de notre promenade l’agrément
Nous nous sommes quittés bien gentiment
Chacun de son côté
Heureux de notre rencontre et de l’instant passé.
Mais je n’ai pu m’en empêché
Après cinq ou six pas il m’a fallu me retourner
Elle marchait comme avant sur le sable mouillé
Avec non loin son petit chien pas blanc
Jappant, sautant, jouant
Qu’elle appelait de temps en temps.
Encore une fois le chien m’a fait penser
Ah, l’animal ! à la chatte de la belle dame, bien drôle d’idée
Décidément !
A LA CASSE
Ma voiture a deux cents trente mille kilomètres au compteur
C’est un modèle robuste, avec un bon moteur
Voiture de marque
Je devrais pouvoir avant qu’elle tombe patraque
Lui demander encore de cheminer cent bons milliers
Au moins, sans qu’elle se fasse trop prier.
Après……..
J’ai au calendrier soixante quatre ans
Père vécut cent ans
Grand mère paternelle quatre vingt dix huit ans
Grand père maternel quatre vingt dix sept ans.
Bâtis à chaux et à sable, il y a chez mes géniteurs
Une forte propension à être robuste du coeur
A tenir sur ses jambes debout longtemps
Dans les cent ans
Je peux donc en espérer autant.
Après…….
Après, hélas
La voiture et son chauffeur iront, moteur et cœur foutus, en casse.
SEVILLE
Hier
Par les chemins du ciel, un bel oiseau d’acier m’a mené à Séville
J’y ai vu des merveilles, ainsi qu’une jolie fille
Aux yeux clairs.
Depuis, sans relâche me tenaille l’envie
De pouvoir à nouveau m’éblouir
En tous lieux et qu’il fasse minuit ou midi
Des mille beautés du monde, de toutes ses Séville
Et de leurs jolies filles !
Oh, vite, il me faut repartir
Car le temps m’est compté
A vivre il me reste peu d’années.
 « Oh, bel oiseau d’acier, qui aimes le ciel
Tout noir du soir et ses étoiles, tout bleu du jour et son soleil
Radieux, qui fais par moment ta demeure des nuages
Passant sur ton chemin chaque jour
Légers, chargés de pluie ou de lourds orages
Qui les salues d’un grand bonjour : « bonjour ! »
Ainsi que les oiseaux croisés qui migrent vers l’Afrique
Où s’en reviennent chez eux aux mers baltiques,
 Qui le parcours si aisément
Comme en promenade en se jouant
De continent en continent,
Oh, bel oiseau d’acier si fort et si véloce, gentil oiseau, je t’en prie,
Vite, vers les beautés du monde il me faut m’envoler
Emporte-moi, ne ménage pas ta peine, je t’en prie
Car il y a tant à faire et je ne peux tarder ».
CE N’EST PAS ELLE
Sa chevelure est celle d’Elle
Blonde et dorée
Ondoyant comme les blés mûrs d’été,
Son teint aussi est celui d’Elle
Si pâle et peu hâlé
Des ondes solaires et des ventées.
La ligne de son nez n’est point jumelle de celle d’Elle
Toute droite comme une règle
La sienne semblait celle d’un aigle,
Ni la couleur de ses beaux yeux de celle d’Elle
Sombre, serait-ce noisette ? je n’en suis pas très sûr
Les siens je m’en souviens étaient couleur d’azur.
Son joli corps fait souvenance de celui d’Elle
Belle gazelle, mince et nerveux
Sans doute pas encore amoureux.
Oh ! Tant d’elle me rappelle Elle.
Hélas ce n’est pas Elle !
Quand même, comme elle est belle !
DIEU ME GUETTE DERRIERE SA PORTE
Dieu me guette derrière sa porte, de son haut
Je le sais, tout là haut
Dessus son nuage blanc, Il compte et Il recompte
Il fait ses comptes
A mon égard
« Ah ! Ah ! Ah ! Ce lascar
-se dit-Il dans sa barbe fleurie-
Est impie !
Fait-il chaque soir ses devoirs de prières
Comme il devrait, son Pater
Ses Dévotions ?
Non ! Fait-il chaque matin que je fais son rosaire
Son Crédo, devant Moi ses genouflexions
Non ! Trois fois non ! Jamais ce mécréant ne prie
Jamais de ses péchés il n’est contrit
Jamais des Saintes Ecritures il ne s’instruit !
Avec lui, c’est toujours jamais ! C’est de tous les ingrats
Le pire, qui n’admire pas
Ni ne me remercie de ce que pour ses semblables et lui
J’ai fait: les fleurs, les fruits
Les oiseaux, les papillons, les vers
Eh, oui, aussi ! Le soleil, les galaxies !
Certes, J’admets qu’il y a quelques ennuis
A vivre sur la Terre
C’est un fait : la mort, la maladie, la guerre
La famine, la souffrance….rien de bien réjouissant
Pour mes petits, mes chers enfants.
Je reconnais – à contre-coeur- qu’effectivement de ce côté
Je ne les ai guère gâtés,
Ma création est à moitié réussie
Et n’en suis guère satisfait.
Pourtant il n’est nulle question de la refaire : jamais !
Six jours de travail, ça suffit !
Mais revenons à nos moutons ! Toi, mon gaillard
Je t’assure, ton compte est bon, tu es cuit ! »
Dieu me guette derrière sa porte
Je le sais, Il m’épie
Et je sais aussi sur moi ce qu’Il se dit
Mais qu’importe !
Ou plutôt non, tant pis !
Impie, incroyant depuis tant de temps, en Enfer
J’irai, tenir compagnie au méchant Lucifer !
Avec sa fourche il me piquera, je rôtirai comme un jambon
Eternellement ! Oh, ce sera bien coton !
Je me sais condamné
Alors, avant l’heure dernière, la minute fatale
Où je serai plongé ad vitam aeternam
Avec les autres âmes
Damnées dans la marmite infernale
Vite, sur cette terre il me faut profiter :
A moi tous les plaisirs, à moi toutes les orgies, à moi les bacchanales !
SAB
Je l’appelle SAB, ça me plait, c’est court
Tonique, avec un zest d’humour
Un surnom que je lui donne chaque jour.
Mais, pour changer, par amour
Et lui faire plaisir je l’appelle de bien d’autres façons
Mêlant à l’envie les lettres de son nom.
Ainsi SABINE
C’est joli, connu par ici et classique
Du nom de la martyre et de sa basilique
Perchée sur le mont aventin
En souvenir de Romulus le latin
L’enlèvement des Sabines
Rome, ses légions et tous les jeux du cirque.
Ou encore SANBIE
Joli aussi, non ? Ou SANEBI
ASIBEN, ASINBE ou ASENBI
Tous ces noms qui évoquent l’Afrique
Son soleil chaud et ses filles magnifiques
Noires comme l’ébène, pieds nus portant sur leur tête dressée
Fière la cruche d’eau bordée.
Mais aussi BSIANE, ISANBE ou ISBANE
ISENBA, ESANBI, SBIANE
Comme ces filles nommées de la région des Maures, aux voiles blancs
Gonflés agités par le vent
Dansant le jour au dos des dromadaires
Sur les immensités de sable et de pierres
Et servant le soir sous la tente dressée
Aux bédouins las une menthe parfumée
Non loin des troupeaux de chèvres et de brebis.
Je l’appelle ABSINE, ABNISE ou BANSIE
Prénoms qui nous plaisent aussi
Tout comme IABSEN aux sonorités plus nordiques
De Suède ou de Norvège ou des rives baltiques
Du nom de ces filles aux yeux bleus
Teint clair et blonds cheveux
Payses de la toundra aux étendues glacées
Blanches enneigées dans leur immensité
Gardiennes des rennes et caribous
Contre la dent vorace de l’ours et du loup.
Ou IANSBE, de Chine, ou IANBSE
Riveraines du Fleuve jaune ou du Yang Tse
Pays de la Muraille immense et du thé
Filles de Mao aux yeux bridés.
Je l’appelle ABINES
AIBNES ou IBANES
Ainsi qu’on nomme les filles du pays andalou
Des villes splendides de Séville ou Cordou
Filles de feu brunes aux yeux noirs comme le sont leurs taureaux
Danseuses si belles de flamenco.
Et puis SINBAE, fille du Vietnam, ou SENBAI
Ou NIABSE, du pays voisin des Thaïs
Fines et racées
Souriantes et de fleurs décorées.
Enfin SIBANE, ANSIBE ou IBSANE, prénoms d’ailleurs ou de chez nous
Que je prononce pour SAB, avec beaucoup d’amour…tout doux…tout doux.
Prison
Mon âme fait le gros dos à l’hiver
Autant qu’elle peut elle se calfeutre
Se resserre
 Ni ne bouge, ferme les yeux comme pleutre
Pour ne pas voir les barreaux de la pluie
Les barreaux du ciel gris
Ceux des jours trop courts, du temps qui passe, de l’ennui
Tous les barreaux qui l’enferment en une sombre prison
Où elle n’espère rien et n’a plus d’horizon.
Mon âme fait le gros dos
Pour se préserver de l’Angoisse qui telle un aigle noir fondrait
Des hauteurs sur elle et aussitôt
Y enfoncerait ses serres si fort et la déchiquèterait
Qu’elle en mourrait.
Mon âme fait le gros dos, passera-t-elle l’hiver ?
BLACK
Ils sont noirs, tout black
Vendeurs de montres de pacotille, de sacs
Lunettes de soleil et autres bimbeloteries ;
Leur marchandise a longtemps voyagé, des ports d’Indonésie
Ou de Chine, ou de quelque pays asiatique.
Eux ont migré de moins loin, d’Afrique
Le continent d’en face, d’à côté
-1 heure seulement de traversée-
Qu’ils peuvent voir d’où ils sont en large panoramique
De Gibraltar ou de l’Andalousie.
Sont-ils venus de Tanger en catimini ?
Ont-ils comme d’autres sur bateaux de fortune
Traversé le détroit par une nuit sans lune
Noire, se cachant, embarqués secrètement d’une crique marocaine
Pour Tarifa la blanche et ses plages lointaines
Et ainsi échapper aux polices maritimes et aux gardes frontières ?
A toute heure du jour ou de la nuit, au long de la promenade
Qui suit le bord de mer
Chacun les bras chargés, ils sont une dizaine
Proposant aux touristes en balade
Heureux, nantis, ainsi qu’aux indigènes
Avec ténacité leurs montres de contrefaçon
Leurs sacs et leurs lunettes n’offrant aux yeux nulle protection.
C’est qu’il leur faut trouver des clients à tout prix
Vendre est pour eux une question de survie
-Que mangeront-ils, où dormiront-ils ce soir
S’ils échouent ?-pour éviter la misère et pouvoir
Envoyer au pays à leur douce mama et aux sœurs
Qui attendent et espèrent, quelques sous, toutes leurs économies.
Et puis, gare à la police- il ne faut pas être pris-
Qu’ils guettent sans relâche, disparaissant aussitôt
A la vue d’une patrouille, comme envol de moineaux.
Chez eux, ils avaient leur honneur
Pauvres certes mais libres et fiers
Ici ils ne sont rien
N’ont rien, juste des étrangers
Dont la couleur de peau dérange, mal aimés
Rejetés, juste des clandestins
Endettés, sans papiers, sans droits
Livrés aux passeurs et aux voyous sans loi
Ni foi, négriers qui les exploitent avidement ; hier
Ils étaient sous le soleil d’Afrique honnêtes
Demain ici ils trafiqueront, ils seront malhonnêtes :
« Ventre creux n’a point d’oreille »
« Nécessité fait loi », c’est pareil.
Leurs amis, leurs cousins, leurs frères
Vers la France ou encore l’Italie
Comme eux l’Andalousie
Ont pris le même chemin d’exil, avec l’espoir
Semblable au ventre- rien d’autre- d’y réussir leur vie.
Mais en quittant le pays ils ignoraient qu’ils auraient en cadeau
La peur-affreuse, constante- qui colle à la peau
D’être, comme le sont les animaux pourchassés
A la fin par les chasseurs pris
Puis par eux abominablement enchaînés
Encagés
Comme le furent leurs ancêtres
Peur que leur rêve finisse ainsi
De devoir au pays reparaître
Avec pour seul bagage la honte d’avoir échoué
Et un immense désespoir.
Pour ces blacks
Vendeurs de lunettes et de sacs
Le ciel bleu d’Andalousie est trompeur
Il ment : leur vie est d’une toute autre couleur
De celle de leur peau sombre : noire !

Couleurs Femmes

Elle a les cheveux rouge et bleu

Tranchés de mèches orange et vert

Flamboyants, crêtés

Rasés sur les côtés.

Ses yeux sont couleur de pierre

Cerclés de mauve et sa peau rayée du bleu

Des veines, blanche comme le lait.

Oh, comme ainsi arc en ciel elle me plait !

Des piercings étincellent à sa lèvre et pareil

A sa narine et son lobe d’oreille.

Elle porte un pantalon de jean moulé

Rapiécé, effrangé et troué

Des bottes et un blouson de cuir noir clouté

Sur un chemisier rouge ; une chaîne ceinture sa taille fine d’acier.

A son bras une jeune black d’Ethiopie

Sa copine de gauche est asiate, d’Indonésie

Toutes les trois en âge jumelles

En esprit, en habits, toutes trois jeunes gazelles

Parlent fort en marchant du même pas

Et rient sans retenue aux éclats

Elles provoquent, elles allument, elles ont dans le regard un défi

Et une grande faim à mordre dans la vie.

Elles ont vingt ans, elles sont belles

Et comme j’ai le désir d’elles !

Elle est rousse couleur d’oxyde de fer

Cheveux courts à la garçonne ; ses yeux verts

Ont des lueurs mauves et ambrées

Elle a le teint hâlé

Par le soleil des Tropiques ; elle porte du Dior

Pantalon de cuir noir, du Chanel, blanc, et du Gaultier

Ses bijoux sont des Cartier

A ses doigts, à ses poignets, au cou brillent l’or

Et les diamants ; elle est grande et de ses talons hauts

Elle resplendit comme une étoile et regarde le monde de très haut

Elle a la beauté, l’argent et ses amants

Riches et beaux comme elle, l’attendent sur tous les continents

Elle a du chic, du chien, voyage en 1ère classe

Champagne, hôtels de luxe, palaces

Elle se baigne nue dans les eaux bleues des Maldives et des Seychelles

Elle ne doute de rien, sûre d’elle.

Elle a trente ans, elle est belle

Et comme j’ai le désir d’elle !

Elle est blonde avec les yeux

Comme un ciel tout bleu

Du soleil son corps n’a pas exagéré

Elle est à peine hâlée

Elle semble venir des pays nordiques

De Suède, de Norvège ou des Pays baltiques

Où le soleil est froid et pâle ; ses cheveux

Tombent sur ses épaules ondoyant

A chacun de ses pas ; elle est toute vêtue de blanc

Sagement

Gilet et jupe longue, sauf un chemisier à fleurs

Vives. Son regard et son sourire rayonnent d’amour et de bonheur

Un anneau brille à son doigt, dans ses bras un jeune enfant

Par la main elle tient un autre plus grand

A côté, l’aîné ; leur père, ses petits

C’est toute sa vie.

Elle a quarante ans, elle est belle

Mais je n’ose avoir un désir d’elle !

Elle est brune, cheveux noir corbeau

Brillants, et ses yeux sont pareils ; sa peau

A bu toutes les ondes solaires, ocrée

Sa lèvre fardée de rouge est fine et son nez

A du profil des aigles la beauté

Elle porte une grande jupe noire

Et un chemisier pourpre de moire

Aux reflets changeant ; l’or orne son cou et ses poignets ; on dirait une gitane

Une andalouse de Séville ou une née de Catane

Son sourire est éclatant mais déjà quelques fils d’argent aux cheveux

Quelques plis d’amertume, des rides aux coins des yeux

Montrent que le temps a passé

Et que les années ont compté.

Elle a cinquante ans, elle est encore belle

Et comme j’ai le désir d’elle !

Le lombric

Lors de ma promenade ce matin j’ai failli marcher sur un lombric.

Cet animal  que je trouve fort sympathique

Pour vouloir faire de la terre

Où il demeure un immense gruyère

Traversait le chemin de ses reptations élastiques

Aussi vite qu’il le pouvait : il allait bien lentement !

Tout occupé à admirer le ciel, je l’ai vu au dernier moment

C’est qu’il se déplaçait silencieusement !

De belle taille, il était rond et d’un rouge éclatant.

Que faisait là ce ver ?

C’est un bien  grand mystère

Car d’habitude ces animaux ne sortent guère

Ni en plein jour ni de leurs trous de terre.

Ce ne sont pas des vagabonds.

Et ils ont bien raison

Car au dehors les guettent dans les airs

Voraces des animaux à plumes dotés d’un méchant bec

Qui les dégustent sec.

Ils ont pour nom Corbeau- aussi noir que charbon-

Ou Corneille, c’est selon

Et Pie- aux deux couleurs-

Qui à la chasse sont loin d’être amateurs.

Ces deux oiseaux sont de vrais tueurs

-Des drôles d’oiseaux, je vous assure-

Qui des vers font leur pâture.

Ils s’en régalent d’un coup de bec tranchant, comme un ciseau

Les découpant en quatre, en six, en petits morceaux

Puis les gobant presto.

Et quand au printemps de leurs amours naissent des petits

A tire d’ailes ils les apportent au nid

Ainsi tout tronçonnés, tout préparés

Aux affamés goulus pour être dégustés !

Bien qu’elles fréquentent nos villes et le voisinage

De nos maisons, Corneilles et Pies sont demeurées des bêtes sauvages

Qui chassent et tuent comme nous humains aux Premiers Ages.

Aujourd’hui il paraitrait que nous agirions bien autrement et à notre avantage

Car nous ferions de l’élevage.

Mais c’est un grand mensonge, et cent fois pire nous faisons

Car lorsque le bœuf ou le mouton

Ayant brouté paisiblement leur pré, le poulet ou le cochon

Sont bien dodus, bien engraissés, bien ronds

Aussitôt sans hésiter nous les tuons.

Hypocritement avant on les insémine

Pour qu’ils soient plus nombreux plus gros plus vite, on les vaccine

 On les gave et les chouchoute jusqu’à les baptiser de tendres noms

« Marguerite », « Blanquette » ou « Pompon »

Puis on les assassine !

Même les petits encore à la tétine

Veaux, porcelets, agneaux !

Alors une fois pendus aux crocs

Avec dextérité on les découpe à la scie ou au couteau

En tranches, en filets, en gigots

On les mixe, on les broie pour au four ou au chaudron

A la broche ou à la poêle leur assurer une bonne cuisson

Pour qu’ils remplissent nos assiettes et nos bedons !

Sans états d’âme et sans remords nous en faisons des boulettes

Des pâtés et pour nos chiens des croquettes !

Les pieds, le foie, la cervelle, la tête

La peau, tout y passe, rien ne reste !

Nous sommes en fait comme ces oiseaux des tueurs

Mais bien moins qu’eux des amateurs

Car tout par nous est planifié, organisé et calculé

-C’est une vraie industrie- pour tuer et pour manger.

Et ce massacre a pris de gigantesques proportions maintenant

Que nous sommes 6 milliards d’habitants

Telles que pour assurer toutes nos ripailles, sans fin

Chaque jour et en tous lieux coulent sur la terre des rivières de sang

De tous ces animaux morts que l’homme pour assouvir sa faim

A tués.

Voilà ce à quoi j’ai pensé

En voyant le ver traverser.

J’ai fait un écart pour ne pas l’écraser.

Je n’aurais point voulu que mon lombric

Se transforme soudain en un éclat rouge magnifique.

Je l’ai pris délicatement

-Il protestait en gigotant dans tous les sens- et doucement

Je l’ai posé dans l’herbe verte où

Vite Il irait faire son trou.

Et je lui ai dit silencieusement: « Ami lombric, fais attention !

                                                       Ne vas pas n’importe où avec tes reptations !

Dehors il y a des prédateurs

Qui veulent te manger, des oiseaux tueurs ! »

Je suis resté avec le ver

Jusqu’à ce qu’il entre dans son abri de terre.

Puis j’ai continué mon chemin tranquillement

En regardant où je mettais mes pieds,  très soigneusement.

Les St Jacques
Les uns après les autres en un ballet bien ordonné les bateaux accostent et repartent du port
Déchargeant leurs coquilles valant pépites d’or.
Chaque heure est précieuse, le temps leur est compté
Car bientôt les moteurs s’arrêteront et comme morts
Les bateaux aux quais resteront amarrés : interdit de pêcher.
Alors, vite, il faut emplir les coffres d’or
Tant que la Loi l’autorise en prévision des temps
Où pour vivre il faudra y puiser, journellement,
Jusqu’au nouveau départ ; aussi, foin du froid qui desquame la peau
Brûle et crevasse comme un coup de couteau !
Foin du vent fort, des nuits noires sans étoiles ni lune, et du temps au labeur !
Il faut savoir ne pas compter les heures
Pour pouvoir décharger sans délais
Les coquilles sur le quai
Peser sa pêche
Puis-vite encore- on se dépêche-
Préparer le bateau à nouveau
Et en deux quarts de cercle repartir aussitôt
Vers la grande mer
Toute proche, la mère nourricière.
Car qu’il fasse beau ou un vent comme il souffle en enfer
Il faut y aller, le métier doit se faire.
Aux yeux émerveillés des badauds
Capitaines encapuchonnés de cirés et matelots
Comme les marins d’autrefois se parent d’aventure
Partant affronter vagues énormes et tempêtes
Et des abysses opaques des monstres plus sombres peut-être.
De ces vaillants avec leur bateau quelques uns sombreront
La mort est trop souvent leur mauvais compagnon.
Mais même sans cette démesure
Le métier tous les jours est bien dur
Il use son homme, sa jeunesse, comme la lime le fer
Et bientôt il faudra à chacun déposer sac à terre
Pour définitivement faire une croix sur sa vie d’homme de mer.
Continuant sans répit leur manège, les bateaux accostent et repartent encore
Déchargeant leur pêche valant pépites d’or.
Dans les paniers et sur le quai les coquilles claquent
Semblant héler fièrement les badauds sur le port :
« Voyez Mesdames, voyez Messieurs : Nous, c’est du « St Jacques »
Pêchées sur fonds de sables et de graviers en Manche
Du beau, du bon, du frais, pour votre plaisir demain dimanche ! »
La mémé
Elle avait besoin d’une présence et de parler
De dire deux mots, la mémé
Pour rompre sa solitude et crier sa détresse
A  demeurer au long des heures et des jours seule
Toujours seule, oh, si seule.
Surtout en cette fin d’année
En ces moments de liesse
Qui rassemblent enfants et familles, amants, amis
Dans la joie et auxquels elle ne serait pas conviée
La laissant à l’écart
Encore une fois, seule ; j’ai senti
Son âme fissurée
Saisie par les grands froids et les glaces, et son regard
Déjà plongé dans les tréfonds noirs
Des abysses sans fin et sans retour
Où il n’y a plus d’amour
Ni d’espoir.
Pourtant je devinais qu’encore elle était forte, la mémé
Qu’elle n’abandonnait pas et calfeutrait le bateau
De sa vie qui de toutes parts prenait l’eau.
Mais combien de jours, de mois, d’années
Tiendrait-elle ainsi, combien de temps avant de couler ?
Je lui ai souri
J’ai écouté ses premiers mots
Et ceux nombreux qui ont suivi
Je les lui ai rendus, ses mots
Et même bien d’autres aussi.
Elle était gentille, la mémé
Du réconfort, de l’amitié je lui en ai donnés
Autant que j’ai pu, mais pas assez, ce fut pour elle trop court
Quelques minutes, alors qu’elle criait mais sans le dire « au secours »
Et demandait « toujours ».
De faire davantage, je n’ai pas su et n’en ai pas été capable.
Depuis
Sourdement
Douloureusement
Pensant à elle chaque fois quelque chose tiraille en moi et crie
« Coupable ! »

Je suis très bien ici

A travers mes fenêtres les lumières

Brillent dans l’eau du port

Les guirlandes de la ville et ses réverbères

Ne me donneraient guère plus d’ors.

Venu de l’Est se répand un grand froid

Sur les quais il faut bien se couvrir

Ce n’est pas comme chez moi

Où je peux me dévêtir.

Demain peut-être j’irai voir

Les filles jolies et les lumières des trottoirs

Mais ce soir je lis et j’écris

Tranquillement des poésies.

Le spectacle du port

Me suffit

Point n’ai besoin du dehors

Je suis très bien ici.

Baiser volé

Je lui ai volé un baiser

Fugace, léger

Quand je lui ai souhaité la bonne année

Comme ses lèvres étaient douces et si doux ce baiser !

Jamais une année n’avait si bien commencé !

Me dénoncera-t-elle à la maréchaussée

De l’avoir dérobé ? Ma Belle ne s’est point débattue

S’est laissée faire, n’a pas crié non plus

Mon baiser elle me l’a même rendu !

Non, je crois que je ne serai pas pendu.

Depuis chaque jour je suis empli de joie

Car mon baiser volé, j’y pense, le sens et le revois

Tel un phare il éclaire ma vie. Oh, comme je suis heureux

D’être si amoureux !

Et comme j’aimerais lui en voler en cent autres occasions

A son anniversaire, au beau jour de sa fête, mille fois, à profusion!

Désormais je vais épier

Impatient, toutes les dates du calendrier.

Je suis un voleur de baiser

De ma Belle follement énamouré

Saurais-je au long de cette année

Encore lui en voler ?

Aux trois Magots
Je suis entré aux Trois Magots
Pour m’asseoir en terrasse prendre un verre de Porto
Car au dehors l’air n’était pas chaud
En ce dimanche, tout juste un peu au-dessus de zéro.
Les trois gros
Perchés contemplaient placidement le bistro,
Ils m’ont laissé faire et n’ont dit aucun mot.
Sans vouloir les offenser, je leur ai tourné le dos
Pour regarder passer les autos
Les motos
Les vélos
Du boulevard et aussi les badauds.
Non loin sur son socle le regard vers le ciel Diderot
Un pigeon sur la tête, méditait pensant « au Grand Rouleau »
Tournant comme carrousel là haut.
Et sous sa toque de neige Bernard Palissy dans son clos
Veillé de quelques marginaux
Réfléchissait aussi à son œuvre, céramiques et émaux.
Au porche de l’église St Germain un soûlaud
Tremblant de froid et de tord-boyaux
Tendait sa sébile qui semblait un fardeau ;
Les touristes heureux tiraient photos sur photos
Quelques jeunes faisaient les zigotos.
Pendant que je regardais ainsi à travers mon hublot
Dans ce lieu parisien sont entrés un vendeur de journaux
-Invendus- ressorti aussitôt
Puis des femmes portant chic de longs vêtements de peau
Vison, chinchilla, marmotte ou veau
Et leurs hommes- beaux
Costauds
Ou falots
C’était selon ; parmi elles une virago
Bien typée remarquée et une ribambelle de loupiots.
Illico, dans un style très pro
Les garçons ont servi les boissons : lait chaud
Chocolat chaud
Vin chaud
A la demande, et des gâteaux
Joliment décorés par la main du cuistot
Rarement de l’eau
Une fois un Pinot
En carafe et en pot
Sur de grands plateaux.
A ma gauche une jeune fille s’enflammait d’un roman en photos
A ma droite, mon voisin, plus sérieux, intello
S’interrogeait sur le sens de sa vie dans un livre de philo ;
Un gigolo
Deux travelos- drôles d’oiseaux-
Et plusieurs tourtereaux
Complétaient le tableau.
En ce lieu recherché et clos
Comme à Babel se parlaient bien des langues, l’argot
Et même l’Espéranto
Je crois, auxquelles hélas n’a rien compris mon cerveau.
Une heure passée chrono
En cet endroit douillet, j’ai repris à regret mon manteau
Mon chapeau
Mes gants et mon écharpe en poil de chameau ;
J’ai laissé en pourboire quelques centimes d’euro
Puis j’ai quitté les trois gros
Obèses toujours perchés placidement du bistro.
Avec un frisson je me suis jeté dans l’air très peu chaud
Du dehors- un ou deux degrés au dessus du zéro,
La neige fondait encore aux caniveaux-
Pour prendre la direction du métro.
Passant devant Palissy et Diderot
Immobiles de froid, je leur ai promis de venir bientôt
Au printemps les saluer à nouveau
Et boire à l’heure où l’on prend l’apéro
Un alcool un peu fort en la compagnie des Magots.
A Trouville
Oh, comme cette journée fut belle ! Tant même
Que mon âme- heureuse- veut s’ouvrir d’un poème.
Car en ces heures de décembre, d’un dimanche
A Trouville, le soleil avec moi se lia d’amitié
Et brilla comme aux plus beaux jours de l’été.
Sous un ciel bleu très froid, mais bien emmitouflé
-mer calme, aucun vent sur la Manche-
Là où mes pas m’ont conduit je me suis promené.
Le long des quais au marché de la mer tout d’abord
Parmi les monstres fortement cuirassées
Homards, crabes et autres crustacés
Guerriers des mers aux senteurs iodées
-certains avaient leurs pinces liées-
Et tous les poissons plats et ronds aux formes très variées
-Mais je n’en ai point vu de carrés !-
Luisant sur fond de glace fraîchement débarqués
Des bateaux amarrés sur le port.
Oh, quel plaisir j’ai pris à voir, sentir et parfois à toucher
Tous ces êtres marins auxquels je suis peu habitué !
Habillés de mystère
Chaque fois leur vue me fait penser
Non sans effroi aux immensités indomptées
Et dangereuses et aux vertigineux et enténébrés abysses de la mer.
Puis du pas tranquille des chalands au marché de la terre
Près des vendeurs de pommes et diverses cochonailles
Et moult objets variés où j’ai fait quelques emplettes, à manger
Pour l’heure du midi ou le soir au dîner
Empli mon sac de poires et d’autres victuailles
Et puis d’un livre et d’un bonnet pour ma tête
-léger, de poésie
-chaud, en laine, avec pompon et oreillettes
Venu sans doute par mer des lointaines Amériques ou d’Asie.
Enfin au marché des artistes pour finir gaiement
Cette belle matinée
Avec Savignac, un homme affichant bien son talent
Un peu plus tard, près de deux heures passées
A l’horloge de l’église, mes pas m’ont guidé dans la direction opposée
Sur les planches ; les promeneurs devisant me croisaient d’un « bonjour »
Les amoureux enlacés me souriaient d’un « bonjour »
Interrompant leur baiser ; toutes proches, belles et qui faisaient les fières
Les maisons d’autrefois bâties face à la mer
Dont les vastes étendues de sables à leur pied m’ont souri
Scintillantes au soleil : « Fais le fou », « Joue », « Cours »
Semblaient-elles me dire. La mer aux vagues aplaties
Calme et comme ensommeillée
Me tenait un semblable discours.
La bonne humeur et la joie étaient au rendez-vous dans cet air iodé.
Toutefois, tout au long de ma marche, distants
Les cormorans et les mouettes me suivaient du regard, prudents.
Au retour, les boutiques de la ville ancienne
Ont déployé les vieux livres et leurs antiquités
Et les œuvres des artistes oubliés.
J’ai failli dépenser quelques sous : « Carpe diem »
Chuchotaient-ils dans leur langue de muets
Mais je n’ai pas écouté et donc n’en ai rien fait
Sauf au boulanger pour m’éviter la disette
A  mon repas du soir, une baguette.
J’écris ces quelques mots en regardant le port
Et les lumières qui scintillent dans le soir
Se mirant dans les eaux, comme des ors ;
Les goélands à la recherche d’un ver
Fouillent la vase et les goémons ;
Il fait sec, froid, le ciel est clair, c’est l’hiver
Mais le spectacle est beau, si agréable à voir.
Et mon âme comblée est en paix, et c’est bon.

LE PRINTEMPS DES POETES 2009 : EN RIRE

Je ne ris plus

Hier, j’ai ri

Avant-hier, j’ai ri

Et tous les jours d’avant, autant qu’il m’en souvienne, aussi.

A chaque fois que j’ai pu, j’ai ri de tout

J’ai ri de moi surtout

Finalement, chaque jour passé fut un très grand esclaffement

Et je m’en suis trouvé fort bien portant.

Mais aujourd’hui je ne ris plus, je fais grise mine

Et je me mine

Même pire encore  je crois déprime.

 Car « Le Printemps des Poètes » lancé aux rimailleurs par la mairie

Impose le rire pour thème. Et j’en suis fort marri !

Car ça ne me plait en aucune sorte,  et du coup

Par contrecoup, je ne ris plus du tout.

Car j’insupporte- j’ai  en horreur- d’être embrigadé

Même pour du beurre, pour rire, pour versifier, d’être obligé.

Car  sur le fond  je suis rebelle, j’aime vivre et être en liberté

Je suis un anarchiste et m’insupportent  toutes  choses imposées

Pour dire : des  soirs, je sors de mon placard le drapeau noir

Et ceins pour le plaisir mon front du bandeau noir

Et quelques fois ainsi drapé file sur Paris

La grande ville où tout y est permis.

Et puis le rire ne se commande pas

 En simplement claquant les doigts ; ce ne sont pas

 Des phrases, de simples mots

Alignés l’un après l’autre au fil de l’eau.

 Ceux qui pensent ainsi  ne sont que des petits rigolos.

Si encore sur le sujet j’avais quelques idées

Je me forcerais, à contre cœur bien sûr, de suivre la voie tracée

Je me ferais violence ! Mais de mon inspiration le puis est totalement tari

Sa source aussi, sèche comme d’autres  le sont  l’été en plein midi.

Depuis, stressé,  je serre les dents, les poings, les fesses, tout

J’en ai perdu le sommeil, et l’appétit itou

Depuis que mes zygomatiques

N’exercent  plus leur bienfaisante  gymnastique.

En outre-horreur-  sur tout mon corps poussent  des eczémas

Non, plus rien ne va !

Pire, il m’est venu au nez un gros bouton

Enorme, protéiforme, comme un bubon

Que fuient  les jeunes filles en fleur et les femmes plus mûres !

Dur !

Mon rire ne s’exhale plus  de mes poumons

Je ne pleure plus à chaudes larmes, ni ne tressaute mon ventre rond.

Que faire pour retrouver ma joie de vivre

Pour, à nouveau, enfin rire ?

Car il faut que mes maux cessent et en finir.

J’ai bien pensé porter une plainte contre le maire et la mairie

Pour mise en danger de la santé d’autrui.

Ce ne serait que justice ! Certes ils ne trouveraient pas la chose à rire

Et les délais seraient fort longs pour aboutir.

Je serais sans doute malade et alité, peut-être même mourant

Avant !

Non, il faut que j’essaie autre chose, moins hostile

Et surtout plus rapide et facile.

Bon, tant pis, c’est décidé, je vais forcer ma vraie nature,

Comme demandé, je vais faire des travaux d’écriture

 Tout au moins essayer- sur le rire

Pour guérir.

LE PRINTEMPS DES POETES 2009 : EN RIRE
Mon enfant
Mon enfant est malade, ma puce, mon tout petit
Mon amour est alité
Gravement. Mon cœur se serre à le voir ainsi
Pâle comme les draps de son lit
Les yeux cernés de gris, ternes, fatigués
Et sans forces aucunes. La maladie
Est sérieuse, et il faudra du temps
Pour qu’il dompte son mal et court comme avant.
Il me regarde dans un faible sourire
Ses larmes ne sont pas loin. Comme lui
J’ai le cœur à pleurer, mais en sa compagnie
Même s’il faut me forcer, je veux rire
Faire comme si, pour lui,
Pour tuer son ennui
Et le faire sourire et  rire
Pour qu’il trouve à nouveau joie à vivre.
D’un grand sac j’ai sorti un chapeau emprunté
Noir, rond, tout petit
Bien trop pour mon crâne dégarni
Puis un nez de paillasse, rouge vif, et rond aussi
Qu’au mien j’ai planté ;
De la couleur aux joues et aux lèvres, une veste à carreaux, des gants
Mon tout petit m’a suivi dans mon déguisement.
J’ai vu ses yeux peu à peu s’éveiller et s’ouvrir
Et son intérêt grandir comme une fleur au printemps
Puis son visage s’épanoui r d’un sourire
Large, toujours plus grand
Et tellement  beau à voir ! Oh, comme il était heureux déjà mon enfant !
Puis dès le commencement de mes amusements
Son rire a éclaté en bombe, en cascade, en soubresauts sans fin
C’est que son rire venait de loin !
Mon amour , de rire, en avait tant besoin !
J’ai continué ainsi longtemps, comme j’ai pu
Mes clowneries, jusqu’à ce qu’il en fut repu
Puis il s’est endormi, fatigué mais heureux ; alors je l’ai quitté
Après l’avoir tendrement embrassé.
Oh, je le jure, je reviendrai chaque jour
Autant qu’il le faudra auprès de mon petit, mon amour
Mon enfant, pour doucement lui dire
Combien je l’aime et  l\’aider à guérir
En le faisant rire.
UN HOMME EN PLEUR
Ce soir, j’ai vu un homme en pleur
Dans les bras de son amie
Sa femme peut-être, sur un banc serrés tous deux assis.
Il pleurait fort tout en parlant. Je suis passé
Bien sûr sans m’arrêter.
Qu’avait-il donc tant sur le cœur
Cet homme, à se laisser aller ainsi ?
Quelle peine si lourde, quelle douleur
Au fond de lui, à l’intérieur
Pour à ce point craquer
Et devant tous, sans retenue, pleurer ?
Un travail perdu ? Un amour parti, envolé ?
La mort d’un être cher ? Comment savoir ou deviner ?
Après tout, peu importe, savoir n’y aurait rien changé.
Simple curiosité. La femme savait
Le consolait, et l’homme quand même pleurait.
Alors ? Cette scène cependant m’a touché,
C’est rare de voir un homme pleurer
Surtout que sa tristesse semblait venir de loin
Vraiment un gros chagrin !
Je me suis peu apitoyé, mais j’ai frémi ;
En moi soudain j’ai ressenti
Comme d’un tambour, ainsi qu’une grande onde
Toute la douleur, la grande souffrance du monde
Ce cri terrible, immense clameur, quand on l’entend
Quand les oreilles s’ouvrent de temps en temps !
Souffrance !
Cet homme pleurant m’a rappelé
De la vie la dure réalité
Et la fausseté souvent des apparences :
Jolis oiseaux, fleurs, soleil couchant
Quiétude, douce température du printemps
Robes légères, filles jolies aux yeux brillants
Sourire, gaieté,
Hélas ! La face cachée du monde, l’autre côté
Est toujours noir et plus affreux
Qu’on imagine lorsque par chance on vit heureux.
Ce soir, j’ai vu un homme dans son malheur.
Je suis passé sans m’arrêter, mais me souviens de l’homme en pleur.
L’ORAGE
L’orage tonne.
Il pleut, le ciel est noir et gris
Chargé de brume et de rideaux de pluie.
Je frissonne.
Les éclairs zèbrent le ciel
Et l’illuminent d’étincelles,
Le tonnerre claque en sourds et puissants grondements.
Apeuré, mon chien se serre contre moi tout tremblant.
La pluie tombe de plus belle
L’eau clapote de partout et ruisselle.
Ah ! Une femme près de moi, un feu dans la cheminée !
J’aurais tant aimé cette soirée !
Mais ma seule compagnie
C’est mon chien ! Quand même, c’est bien ainsi.
Et clac ! Et clac ! Et ran ! Et ran !
Ca craque de partout
Le ciel semble devenu fou
Que s’en est effrayant.
Les gouttelettes innombrables ravinent le sol et deviennent rivière
Demain les chemins ne seront que de pierres.
Fleuves, océans, que d’eau, que d’eau !
J’ai mis ma veste de laine pour avoir plus chaud.
Dehors, c’est maintenant tempête,
Le vent souffle en furie,
Les arbres gémissent et crient
Seules les grenouilles sont en fête.
Les nuages filent comme le vent
Très sombres, noirs, parfois tout blancs.
En mer, les marins doivent souffrir
Ballotés en tous sens
Par des vagues immenses
Beaucoup croiront mourir.
Et les éclairs
Et le tonnerre
Toujours plus forts !
On est si bien chez soi les soirs noirs d’orage
Mais pour ceux qui- malchance- sont encore dehors
Dessous le ciel en rage
C’est une autre chanson : un abri, vite, un toit !
Le chercher, le trouver
Et l‘on est tout trempé
Et l’on a froid
Craignant que le ciel ne vous tombe sur la tête.
Voilà, l’orage s’éloigne ainsi que la tempête.
Je m’approche de la fenêtre
Pour mieux voir.
Mon chien, dans son bien-être
Dort apaisé comme un loir.
Dehors, ça roule et claque moins souvent
La pluie bruit soudain doucement.
Tout s’apaise lentement.
Oui, tout va mieux, tout va bien maintenant.
MON CHAPEAU
J’ai mis aujourd’hui à Paris
Par un temps gris sans pluie
Mon chapeau rond afghan
Acheté rue Mouffetard il y a quelque temps
Pour fêter l’an 2000 ; il est sympa, marrant
Tout rond. Je n’avais pas osé
Jusqu’à présent le porter
Mais aujourd’hui, la chose est faite !
Les premiers temps il m’a gratté la tête,
Heureusement c’est fini
Et nous sommes devenus bons amis.
A Paris, personne n’a remarqué mon chapeau rond.
Ici, on ne s’étonne de rien
On peut tout faire et se permettre
Pour les habits, tout mettre,
Que vous soyez sapé comme un rupin,
Cousu d’or comme milord ou habillé de rien
Traîne-lattes ou traîne misère, tenue de vagabond
Tout est bon.
Quoique vous portiez
Quoique vous mettiez
Vous passerez inaperçu
Ni vu ni connu
Ou presque ! Mon chapeau rond
A rencontré nombre de compagnons
Sur d’innombrables têtes
A Notre-Dame, St Michel ou rue de la Huchette :
Chapeaux en cloche, bizarres, casquettes
De toutes les couleurs, bonnets à oreillettes
Pour les heures froides de l’hiver
Et autres couvre-chefs divers
Toutes sortes de galures
Qui donnent une drôle d’allure.
Pour moi, un chapeau est comme un déguisement.
Quand j’en porte un, je change un peu de peau, d’époque, de temps
Je voyage, je suis un autre un peu temporairement,
Mon âme s’allège
L’esprit aussi, et rêve
Je suis heureux, content
Presque euphorique,
Grand merci, chapeau magique !
En fin de promenade, plus tard
Je m’en suis retourné, suivant la rue Mouffetard
Une nouvelle fois. Là, je me suis arrêté
Car il m’arrive souvent d’être dépensier
Pour acheter un petit frère à mon chapeau afghan
Le même que celui de Massoud, le commandant.
C’est une grosse galette
Gris-beige en feutre que j’ai mise sur ma tête
En frissonnant de plaisir ; il est simple, beau, il me plaît
Mon chapeau, et je le porterai.
Mais voilà : où ? Oserai-je chez moi
Dans ma banlieue lointaine m’en coiffer l’occiput ? Ma foi
Je n’en suis pas si sûr ! Tant pis !
S’il faut, dans la grande capitale, Paris
Aller pour le porter, alors content
Heureux, j’irai pour l’avoir sur la tête, souvent.
BOUILLETTE
Je l’appelle « Bouillette »
Je sais, c’est sot et même complètement bête
Mais c’est ainsi, personne n’y changera rien,
C’est désormais le nom de mon chien.
Enfin plutôt de ma chienne
Qui maintenant depuis 10 ans est mienne
Adoptée sur coup de cœur
Pour le pire comme le meilleur.
Du pire, mon chien est complètement idiot
Je dirais même complètement barjot.
Il ne comprend strictement rien
A s’en désespérer, rien de rien.
C’est tellement crispant
Qu’à la longue je deviendrais méchant
Parfois je tape je l’avoue sur ma bête
Pour lui faire entrer quelque chose dans la tête.
Mais non vraiment il n’y a rien à faire
A dire vrai j’en désespère.
Je l’appelle aussi mon « whou »
Pourquoi, me direz-vous ?
Eh bien, je n’en sais fichtre rien
Pourquoi j’appelle mon « whou » mon chien.
Là aussi c’est idiot
Et de l’avoir nommé ainsi, c’est moi qui suis barjot.
Elle aboie tout le temps
Pour un oui, pour un non, chaque instant
Elle m’agace, met mes nerfs en pelote
Ah vraiment elle n’est pas rigolote.
Oua, oua, oua
Voilà ce qu’elle raconte : Oua, oua, oua
Et le répète hélas mille fois
C’est ça le son de sa voix.
Oh que c’est énervant !
Vraiment !
Quelle patience il me faut
Pour ne pas lui taper davantage sur le dos !
Du meilleur, heureusement
Elle est bien gentille autrement
Et même très souvent
En fait la plus grande part du temps.
Elle est fine, a l’œil de velours
Le poil doux, un véritable amour.
Mon chien, je l’aime vraiment bien
Et il me le rend bien.
Quand je m’assoie pour lire
Ou encore pour écrire,
Elle se colle contre moi
Ou se met à mes pieds et parfois
Me lèche les orteils.
Ah, mes amis, quel plaisir à nul autre pareil !
Essayez, vous verrez
Vous en demanderez !
Elle nage comme un poisson
Et plonge à déraison
Pour chercher des cailloux.
Quel dommage qu’ils ne soient des bijoux !
A dire vrai, elle aime l’eau
Comme moi j’apprécie le Bordeaux !
Mais quand elle sort, se secouant, attention,
Elle mouille toute la population !
Elle court et cavale comme une chèvre
Qu’à la suivre on a la mousse aux lèvres,
Infatigable
Et même increvable !
Bien sûr quand il fait chaud
Il lui faut beaucoup d’eau :
Une corvée ! Et si on n’en a pas,
Elle ne se gêne pas,
Elle se jette dans les flaques, les ruisseaux
Elle patauge dans la gadoue ou l’eau
S’il en reste ! Ah, le soir
Pour rentrer, quel plaisir, bonsoir !
Pour la laver, la décrotter
Puis la coiffer et lui faire sa beauté !
Pour manger, elle est très délicate
Surtout pas de boulettes, Canigou, Kit et Kat,
Mais bien plutôt du steak, avec évidemment du riz
Voilà qui ouvre son appétit !
Vous l’avez il me semble compris
Mon chien n’est pas n’importe qui.
En plus, il s’appelle « Belle »
C’est son nom, car elle est demoiselle.
Ma « Bouillette », mon « whou » m’énerve bien souvent
Mais finalement il est très attachant.
Comme on dit, il faut « se le farcir »
Mais c’est tout de même plaisir.
Ah, j’oubliais, les jours de pleine lune, attention !
Mon chien a ses problèmes de digestion.
Tout ce qu’il a mangé midi
Se retrouve sur le tapis !
Et puis lorsque « Bouillette » a ses chaleurs
Je vous assure, il n’y a pas bonheur !
Une ribambelle de chiens
Amoureux courent après le mien !
Si je vais au marché, c’est la procession,
Alors je rentre dare dare à la maison !
Si vous le voulez bien, j’en terminerai là
De vous parler de « Belle »
Car autrement je n’en finirais pas
Sur cette demoiselle.
J’espère qu’un jour vous la rencontrerez
Vous verrez, vous la reconnaîtrez,
Elle est unique : vous ne pourrez vous tromper.
Alors, aussitôt, comme moi vous vous y attacherez.
SOPHIE
Hier, Sophie très gentiment m’a dit :
« Marc, à partir d’aujourd’hui
« Sophie » s’écrit
Avec un « f » ; désormais, c’est « Sofie »
Et plus jamais « Sophie »
Avec un « ph », voilà, c’est comme ci
C’est comme ça, et c’est ainsi
« Sophie », maintenant c’est fini ».
Puis elle m’a regardé, ravie,
De ses beaux yeux noisette et m’a souri.
Vlan ! Voilà ce qu’elle m’a dit
Hier, ma chère Sophie !
Tout de go, sans ménagement : « Sofie »
Et plus jamais « Sophie » !
Oh ! Quel changement ! Quel chamboulement ! Imaginez
Comme j’ai été bouleversé !
Et même à juste titre traumatisé !
Car enfin
Une personne amie, même davantage, quelqu’un
Que vous connaissez bien
Depuis longtemps et qui soudain
Change de nom de tout au tout
Ou presque, sans crier gare, d’un coup
Ca fait un choc ! Si seulement Sophie
Pardon : « Sofie »
S’était fait modeler
Le nez
Les seins, ou même les genoux
Sophie a des problèmes de genoux
A cause du foot- j’aurais facilement accepté
De la voir avec un nez
Plus grand, des genoux d’acier
Pour moi, elle n’aurait pas changé
Elle serait toujours la même Sophie
Avec un « ph » : « Sophie »
Quoi ! Mais « Sofie »
Avec un « f », vous pensez !
Dans l’instant, j’ai été tant démoralisé
Oui, je peux le dire, tant déprimé
Que j’ai vraiment pensé
Sauter du pont, du haut
Dans l’eau
Ou m’accrocher une corde au cou
Pour en finir, d’un coup.
Heureusement, Sophie a vu
Que chez moi ça n’allait plus
Alors tranquillement
Sophie m’a expliqué doucement
Le pourquoi du changement
Qu’elle souhaitait changer seulement
Un peu ; que ça lui plaisait davantage « f »
Que « ph »
Davantage « « fie »
Que « phie »
Et mieux « Sofie »
Que « Sophie ».
Aujourd’hui, c’est heureux, j’ai compris
Et accepté : j’aime « Sofie »
Avec un « f »
Plus que « Sophie » avec un « ph »
C’est plus joli, c’est plus fin
Et même plus féminin.
« Sofie »
C’est mieux que « Sophie ».
Mais désormais je m’inquiète : Sofie
Que voudras-tu demain ? Te faire appeler « Soffie »
« Sofy » ou simplement « Sofi » ?
Ou même encore « Seaufie » ?
Je n’en dors plus. Enfin tant pis
Je verrai bien.
De toute façon, ça se passera bien
Et puis quand j’embrasserai Sofie
J’embrasserai toujours Sophie
Et c’est ce qui compte : « Bisou, Sofie ».
NOUVELLES
Que devient-elle ?
Je voudrais tant recevoir d’elle
Des nouvelles,
Qu’elle m’appelle
Et me dise : « Sans toi
Je suis triste et m’ennuie
Oh ! Tu me manques tant !
J’aimerais te donner mille baisers et caresses, t’offrir mille plaisirs
Jouir ensemble souvent, longtemps, tout le temps
Puis enfin contre toi me blottir et dormir.
Oh, dis-moi, ce soir, est-ce possible ? Oui ?
On fait comme d’habitude, comme avant ? »
Alors je lui dirai, fou de joie
« Viens vite, je t’attends ».
ADIEU VIEILLE CARCASSE
Ma voiture est à la casse.
Elle va mourir ce matin. 250000 kms au compteur !
Je ne peux plus rien pour elle, quoique je fasse,
C’est trop tard, c’est l’heure !
Pourtant, comme une personne âgée
Délicate et fragile, je l’ai jusqu’au bout ménagée
Soignée, et même bichonnée, chouchoutée
Toujours délicatement menée pour ne pas la brusquer
La pédale douce et l’oreille au moteur. Pneus neufs
Amortisseurs neufs….
Les dépenses, je ne les compte plus !
Et mon porte-monnaie non plus !
Mais c’est le carburateur
Qui a porté le coup de grâce. Malheur !
Le mécano m’a dit : « Monsieur, c’est le cœur
Et vu son âge, il n’y a rien à faire
Ou alors, ça va coûter très cher !
Voyez-vous, si j’étais vous
Je laisserais tomber, elle n’en vaut pas le coût ».
Pourtant, ma vieille voiture m’a emmené partout :
Plaines et montagnes : les Alpes…  le Mont Ventoux
Je m’en souviens très bien
Son chaud soleil, la terre brûlée, Bedoin
Et plus souvent en bords de mer
Pour des virées de grands bols d’air
En villages de vacances, campings
Sous tente ou en caravaning
Parfois le vélo accroché à l’arrière
Pour jouer les Jacques Anquetil ou les Roger Rivière.
Ah ! Les belles vacances passées ! La Côte d’Azur, Menton
Cannes ! Combien de fois elle m’y a emmené
Sans jamais fatiguer ni jamais se lasser !
D’autres années, tout à l’Ouest, cap à 180° : la Bretagne, Quiberon
Les landes sauvages couvertes de bruyères et d’ajoncs
Les tempêtes et la mer en furie ; en face Belle Ile
Comme elle est belle cette île
Elle porte si bien son nom ! Plus haut Concarneau, Douarnenez
Crozon. Je n’en finirais pas de tout nous raconter
Pour dire ce qu’on a fait ensemble ; j’en passe, j’en passe
Oui, j’en ai vu, avec cette vieille carcasse.
Je l’ai presque dépouillée
Vidée, oui presque tout enlevé
Avant de la laisser. Les luminaires
D’abord, difficilement, avant arrière
Puis le ventilateur,
La tête de delco, le démarreur
Ensuite la batterie, les essuie-glaces….Je suis parti
En la laissant sur le parking ainsi,
Nue, sans état d’âme, sans honte ni remord, sans tristesse, sans rien.
Pourtant, il y a quelques jours encore j’avais un mal de chien
D’imaginer qu’il faudrait nous quitter.
Eh bien non ! Il n’en a rien été !
J’ai aujourd’hui une voiture nouvelle
Ancienne certes mais oh combien plus belle
Pas cabossée
Pas rayée
Pas rouillée
Dont le moteur ronronne doucement.
Je lui ai transféré mon attachement
Et l’autre n’a plus compté en un instant.
J’ai regardé la belle avec des yeux très doux
L’ancienne, la vieille n’a plus compté du tout.
C’est bien triste quand j’y songe d’abandonner ainsi
Comme chaussette usagée une compagne fidèle
Qui pendant une tranche de vie
A donné de la joie et puis si bien servi,
Pour une autre plus jeune et belle
Qui n’a que ça pour elle.
Saura-t-elle celle-ci
Faire bien autant et tout donner aussi ?
Ma voiture est ce matin à la casse.
Adieu.. Adieu, vieille carcasse !
MOURIR UN JOUR
Ce serait bien, mourir un jour
Tranquille
Bercé par l’herbe douce et le parfum des fleurs, à l’ombre, plein jour.
Se dire : « Ce que j’ai vu, ce que j’ai fait suffit
Voir, faire plus, vivre davantage n’est pas utile ».
Alors la paix au cœur comme à l’esprit
Dans la tiédeur ombreuse quitter ce monde sans regret
Comme on éteint la lampe le soir,
Sans peur. Spectacle de la vie qu’on quitte satisfait
Sans histoire.
Oui, ce serait bien ainsi : sourire
Fermer les yeux, et puis mourir.
ROUGE
Elle m’aime ! Tant et tant ! Tellement
Qu’elle ferait tout pour me faire plaisir
Et satisfaire mes rouges désirs.
Oui, pour moi, pour moi seulement
Elle a teint sa chevelure en rouge
Ses cils aussi en rouge
Très rouge.
Aux joues ensuite elle a glissé du rouge
Des ronds tout rouges
Et ceint son front d’une couronne rouge.
Ses lèvres, elle les a peintes en rouge
Plus rouge que rouge
Et tout l’entour en rouge.
Après, elle m’a souri. Oh, ce rouge !
Elle m’aime ! Tant et tant ! Tellement !
Oui, pour moi, pour moi seulement
A son cou elle a glissé des perles rouges
Rouge
Ainsi qu’à ses oreilles des boucles rouges
Très rouge.
A ses seins très lentement devant mes yeux elle y a mis du rouge
La pointe d’abord et les deux aréoles rouge
Puis entièrement ses seins de cercles rouges.
Alors, heureuse, elle m’a donné un doux baiser. Oh, j’ai vu si rouge !
Elle m’aime ! Tant et tant ! Tellement !
Oui, pour moi, pour moi seulement
Elle a serti à son nombril un cœur rouge
Très rouge
Tout autour aussi du rouge
Et sur son joli corps des grandes tracées de rouge.
Elle a peint la face cachée et douce de ses cuisses en rouge
Plus rouge que rouge
Avec des grandes dégoulinures de rouge
A ses poignets, des colliers fins tout rouges
Oh ! Comme elle était belle et désirable, si rouge !
Elle m’aime ! Tant et tant ! Tellement !
Oui, pour moi, pour moi seulement
Par amour, très tendrement, elle a peint son sexe en rouge
Délicatement, les bords et l’intérieur en rouge
Plus rouge que rouge
Sa toison noire en rouge
Rouge
Sur le devant des cuisses des grandes striées de rouge
Jusques aux pieds et doigts de pied en rouge.
Finalement, elle s’est toute peinte en rouge
Complètement, des pieds jusqu’à la tête en rouge
Le dos et le devant en rouge.
Oh ! Ce rouge !
J’ai vu si rouge !
Comme elle était belle et désirable, rouge !
Je l’aime ! Tant et tant ! Tellement !
Oui, pour elle, pour elle seulement
J’ai teint mon sexe en rouge
Ma toison noire en rouge
Très rouge
Puis tout mon corps, des pieds jusqu’à la tête, en rouge
Plus rouge que rouge.
Oh ! Ce rouge !
Nous deux enfin nous étions rouges
Tout deux complètement rouge.
Alors follement
Nous nous sommes serrés l’un contre l’autre, rouges
Alors follement
Nous nous sommes enlacés, l’un contre l’autre, rouges
Alors follement
Nous nous sommes aimés, l’un contre l’autre, rouges
Nos baisers furent rouges
Nos amours rouges
Plus rouge que rouge.
Oh ! Quel feu d’artifice nous eûmes, rouges !
Oh ! Que nos amours furent belles, rouges !
SUR L’ILE DE HOUAT
Sur l’ile de Houat, tout près du port
J’ai désiré une femme au joli corps.
Elle avait des seins bien lourds
Une large poitrine gainée d’un soutien-gorge très court ;
A mon regard, ses seins n’ont pas pu échapper
Car ils étaient très dénudés.
Cette femme avait de fortes mamelles
Que j’ai trouvées ma foi bien belles.
Elle était ronde aussi d’un peu partout
Solidement bâtie, jeune, avenante, et tout et tout…
La peau très fine, douce sans doute à caresser
Blanche, à peine hâlée.
Elle semblait être d’une âme tranquille
Paisible, certainement à vivre facile
Et devoir prendre au bel amour plaisir
Et en avoir souvent désir.
Immédiatement, je l’ai trouvée bien à mon goût, et me suis dit :
« Cette personne très attirante
Sans hésiter, je la prendrais bien comme amante ;
Allez, vas-y ! »
Hélas, quand juste je décidai de l’aborder
Pour lui parler
Sur le bateau elle est montée
Ne me laissant le temps de rien lui dire ni rien tenter.
Alors, quittant le port, elle est partie
Voilà ! Ce fut raté ! Tant pis !
Adieu la Belle
Aux belles mamelles
Bonne route ! Bon vent
De vous je me rappellerai longtemps !
RIEN FAIRE
J’ai envie de rien faire
Seulement regarder couler l’eau
De la rivière
Et écouter le chant des oiseaux.
Envie de jouir des fleurs
Qui dansent dans les champs
Rouges, blanches, de leurs couleurs
Tranquillement jouir du printemps.
J’ai envie de m’allonger
Dans l’herbe les bras croisés
Et lentement suivre du regard
Les nuages jouer des figures bizarres.
Envie de ne pas bouger, ni me lever
Ni remuer le petit doigt de pied :
La mouche qui s’agite sur mon nez
Ne sera pas chassée.
J’ai envie de fermer les yeux
De rêver
Laisser mon esprit flotter
A la dérive des cieux.
Envie de me laisser porter par l’instant
Dans le moment présent
Tomber dans les bras de Morphée
Et me laisser tout doucement aller.
J’ai envie…
J’ai envie…
Il fait beau
Il fait chaud
Je ne fais rien
Et suis si bien.
TROP TARD
Comment me voit-elle
De ses beaux yeux, la Belle ?
Vieux,
Sûrement. Trop vieux, si vieux !
Sympathique au mieux,
Supportable
Peut-être. Mais certes pas « aimable »,
Objet possible d’amour,
De désir. Non. Pas au point un jour
De se jeter à mon cou
Et m’enlacer, me serrer fort dans ses bras, m’embrasser, me couvrir de bisous
De calins : m’aimer d’amour fou.
Non, non, non
Non !
Je le sais, c’est un jeune, un beau
Un de son âge, un damoiseau
Auquel elle pense, auquel elle rêve le jour, la nuit, un « vingt ans »
Conquérant
Fort, muscles et ventre plat, regard qui brille, fier
Et qui croit que la Terre
Demain sera sienne ; beau sourire
Joyeux, aimant rire.
S’il est puceau, elle sera la première
S’il ne l’est, elle sera la dernière
Mais qu’importe s’il l’aime
S’ils s’aiment.
Je vois bien dans ses yeux
Quand elle me regarde, oh combien je suis vieux
Et je sais hélas que quoique je fasse ou dise
Pour la faire rire- des bêtises
Qu’il n’y a rien à faire
Rien à espérer, rien à tenter pour plaire.
C’est trop tard
Définitivement, j’ai un train de retard.
YOUP LA HOUP
Youp la Houp, Youp la Houp
Je suis content
Ce soir, j’ai trente ans.
Youp la houp, Youp la Houp
Je suis content
Ce soir, j’ai rajeuni de 25 ans.
Je suis content,
Youp la Houp, Youp la Houp.
MOURIR HIER
J’ai failli mourir hier
Balancé par un scooter
Par derrière
Et me retrouver en terre
Plus vite que prévu avec les vers.
J’ai failli faire le grand saut
De mon vélo
Jusqu’à Celui qu’on dit Très Haut
Et retrouver illico
Bien trop tôt
Les angelots.
A mon enterrement, il y aurait eu des pleurs
La fille, le fils, la sœur
Les frères, le père, la mère, les belles sœurs
Et toute la parenté, mes amis randonneurs
Coureurs
Joueurs
Acteurs
Et nombre de travailleurs
Municipaux, qui pour adieux m’auraient offert des fleurs.
Sur ma pierre tombale
Aurait été inscrite une épitaphe originale :
« Il nous a quittés sur une route départementale
A une heure matinale
D’un coup de pédale ».
Mourir hier j’ai bien failli
Aujourd’hui je vis
J’en suis content. Finalement tout bien pesé
Je ne suis pas pressé
D’aller rejoindre les Trépassés.
LA BOUGRESSE
Je regarde vers le bas
Non, je ne me suis pas trompé : elle pointe vers le haut !
Encore ! Me dis-je. Elle ne s’arrêtera donc pas !
Ah, non ! Trop, c’est trop !
Enfin, que lui arrive-t-il ?
Quand me laissera-t-elle tranquille ?
« Tout doux » lui dis-je, « coucher »
« A la niche, papates en rond, au panier ! »
Sachez que je lui parle souvent
Comme on parle aux enfants
Car on se connaît bien, il y a si longtemps
Depuis que je suis petit, bébé
Et même un peu avant
En fait, depuis que je suis né.
Notre vie commune est faite de hauts et bas
Ca va, ça vient, cahin caha
Parfois nous restons solitaires
Mais souvent j’invite une partenaire
A trois, c’est mieux
Qu’à deux.
Regardez-la ! Voyez comme elle se dresse !
Elle rêve d’une caresse
La bougresse !
Alors tant qu’elle ne l’aura pas
Elle sera toujours là
A pointer vers le haut
Aussi longtemps qu’il faut
A m’énerver
Et à m’asticoter.
Madame
Comme moi vous la voyez
Tendue, nerveuse, très excitée.
Alors, je vous demande, que faut-il que je fasse ?
Dois-je de guerre lasse
Lui prêter une main secourable, ou pouvez-vous m’aider
Madame
A la calmer ?
Vous préférez de loin
Dites-vous, la deuxième solution.
Voilà une décision
Qui me convient très bien et correspond
Ma foi à mes aspirations. Allons
Cherchons ensemble un petit coin
Dépêchons-nous, ne perdons pas de temps !
Il est grand temps !
Ouf ! Enfin calmée ! Et moi aussi
Ca va mieux ! Madame, merci !
Vous m’avez bien aidé !
La tension est tombée.
Je vous dis au revoir, à bientôt
Et même j’espère à très bientôt
Car la connaissant bien, elle va se réveiller
Sans doute sans tarder
Elle est infatigable- et pointer vers le haut
A nouveau son doux museau.
Alors ensemble il faudra lui montrer encore notre tendresse
Etre gentils et toujours davantage la combler de caresses
La bougresse !
POURRAI-JE UN JOUR ?
Pourrai-je un jour être amoureux
Une nouvelle fois heureux
A deux ?
Rien n’est moins sûr !
Pourrai-je un jour
Encore une fois demain
Donner la main
A un amour ?
Rien n’est moins sûr !
Tout est obscur !
Pourrai-je un jour une nouvelle fois donner
Un doux baiser
A l’être aimé ?
Rien n’est moins sûr !
Tout est obscur !
Que me réserve le futur ?
NON, JE NE VOUS DIRAI PAS SON NOM
Non, je ne vous dirai pas son nom
De celle qui obsède mon esprit
Peut-être juste son prénom
Allez, parce que c’est vous, c’est dit.
Elle a d’ailleurs le plus joli des noms
De ceux qui fleurent bon la province
Parfum d’océan et d’ajoncs
Pour son nom aussi j’en pince.
Mais pas plus certainement
Je ne vous en dirai, tant je crains en parlant
Que vous me l’enleviez, tellement !
Et que cela arrive, non vraiment !
Elle s’appelle Anne
Anne
Tout simplement.
Ecoutez son nom comme il sonne doucement
C’est une note de musique, c’est un sol, c’est un fa
Un son à mon oreille unique en tous cas.
Il n’y a rien
Qui sonne si bien.
J’ai tant de chose à vous dire sur elle
Sa beauté tout d’abord, car elle est vraiment belle
Avec ses cheveux blonds, couleur de blé mûr
Et ses yeux qui sont bleus, comme azur
Son nez légèrement aquilin
Fin
Comme d’un aigle royal
Qui lui donne un grand air seigneurial
Ses lèvres si fines qui appellent un baiser
Très léger
Pur
Le mien serait de cette sorte, j’en suis sûr.
Mais déjà je vous en ai trop dit
Désormais je me tais, c’est fini
J’ai trop peur qu’à la fin vous sachiez
Qui elle est et que vous me la voliez.
Non
Je ne vous dirai pas son nom
Seulement son prénom
Elle s’appelle Anne
Anne
Tout simplement
Ecoutez comme il sonne doucement.
PLOUF
Tout à l’heure, je suis tombé dans la rivière
Sans m’y attendre. Plouf !
J’ai glissé sur la pierre
Et me suis trouvé
En un instant tout mouillé.
L’eau par chance n’était guère profonde : ouf !
Et presque tiède. Surpris
J’ai ri.
J’ai tout enlevé
Pour faire sécher
Et j’ai offert mon corps nu
Au vent léger, aux rayons drus
Du chaud soleil. Ce fut bien agréable. Finalement
De ma mésaventure je suis content.
Demain glisserai-je à nouveau de la pierre
Dans la rivière ?
J’espère.
L’ECOUTE S’IL PLEUT
J’ai traversé hier un village au nom extraordinaire.
Jugez-en : « L’Ecoute s’il pleut » !
Voilà, c’est son nom ! Alors, qu’en pensez-vous ?
Allez, parlez franchement et dites-moi tout !
A-t-il eu l’heur de vous surprendre et de vous plaire
Ce joli nom, comme il m’a plu ?
Beaucoup ? Eh bien, j’en suis heureux, il le mérite ! Peu
Dites-vous ? Vraiment ? Vous dites être insensible à sa poésie
A son mystère, à sa magie. J’en suis fort triste ! Tant pis !
« Plu » de plaire, bien entendu
Vous l’aviez bien compris, et non pas de pleuvoir
Bien que… ! Je me suis demandé quelle est l’histoire
Du nom charmant de ce village. J’ai cherché
Mais je n’ai rien trouvé.
A mon esprit rebelle et sec, rien n’est venu,
Aucune idée qui vaille la peine d’en parler, même saugrenue.
C’est sûr, je chercherai un jour dans les archives communales
Une réponse auprès des sages, des vieux, dans les annales
Auprès de ceux qui savent les temps anciens.
En attendant, ce mystère m’irrite. J’aimerais que l’un deux, celui qui se souvient
Sachant ce que je cherche, un soir auprès de la cheminée
M’invite en sa maison ; je l’imagine déjà, ancienne comme lui, sombre et peu chauffée,
Emplie d’odeurs fortes ; dans l’âtre des saucisses et jambons
Pendant au suspensoir au bout d’une cordelette
Brunis par la fumée, qui sècheront
Au chaud jusqu’aux jours sans ou jusqu’aux jours de fête
Pour être décrochés. Peut-être poussera-t-il, l’Ancien, au feu quelques marrons ?
Sa main noueuse d’un gros pain de campagne coupera un quignon
Armée d’un couteau court patiemment affuté
Manche de corne ou d’os à la lame effilée.
Il aura mis sur la table de bois
Deux verres et une bouteille : l’Ancien sait recevoir
Bouteille sombre et fraîche, à peine sortie de cave, emplie ma foi
Sans doute d’un rouge léger, frôlant l’acide, qu’on a du mal à boire
Qu’il aura fait lui-même avec amour et soin
De sa vigne à côté, mais d’un pauvre raisin
Trop peu chargé en sucre même s’il est juteux :
Ici le soleil se fait rare, les nuages si nombreux.
L’homme portera une chemise épaisse sous une veste de laine : la maison est frisquette
On y attrape vite froid si on n’y prend pas garde ; sur la tête
Un bonnet ; le pantalon sera d’un gros velours brun :
Tenue rustique, solide, à l’épreuve du temps ; ça tient chaud, c’est sain.
Nous boirons la piquette en silence, parcimonieusement
Et mastiquerons le pain de la même façon, lentement.
Dehors, il versera à seaux, la pluie ruisselant sur le toit.
Me voyant frissonner, il dira un moment : « Mets ceci, Petit, pour ne pas prendre froid ».
Nous nous rapprocherons du feu
Et puis plein de mystère, jusqu’au lever du jour il me dira pourquoi
Son village a pour nom : « L’Ecoute s’il pleut ».
Voilà, j’aimerais tant que tout se passe ainsi !
Mais d’apprendre dans les livres ou de vous serait très bien aussi.
D’ailleurs, peut-être le savez-vous maintenant
Vous qui lisez ces lignes, depuis le commencement ?
Alors, pourquoi « L’Ecoute s’il pleut » porte un si joli nom ?
Dites-moi vite, j’ai hâte, surtout ne me dites pas non !
CUPIDON CE GRAND CON
Cupidon
Ce grand con
Cupidon l’imbécile
Vous voyez certainement de qui je parle
L’angelot emplumé, un peu marle
Débile
Aux ailes déployées
Comme s’il allait à l’instant s’envoler
La bobine d’un bébé bien nourri
Rebondi
Et un air au visage narquois
Avec sur les épaules son carquois
M’a envoyé en plein cœur une flèche
Allumé une mèche
Aujourd’hui enflammée
Que je voudrais éteindre et tellement arrachée.
Car Cupidon cet infâme
M’a rendu amoureux d’une jeune femme
Et sans doute pour toujours
M’a rendu malheureux tous les jours.
Car j’ai, où que j’aille, dans les yeux
Regard nulle part ou regard dans les cieux
L’image de cette belle Ninon
Qui porte un autre nom.
Quoique je fasse ou tente
Cette fille me tourmente
Sans qu’elle n’y puisse rien.
Et je suis malheureux comme un chien
Qui serait sans son maître, hors sa niche
Sans os, sans amour ou chiche,
Perdu, seul et mouillé sous la pluie
Voilà ce que je suis.
Sa beauté est si grande
Avec ses yeux d’amande
Son sourire charmant
Et son rire éclatant
Son nez fin
Aquilin
Sa chevelure blonde
Flottant au vent comme onde
Elégante toujours
Comme reine en ses atours
Fille racée
Qu’il m’est impossible d’oublier.
J’ai déjà rencontré des filles belles, des canons
Qui auraient pu me rendre chèvre ou mouton
Mais cette fille, c’est pire
J’en suis obsédé, tourmenté, en délire.
Bien sûr, elle ne m’aime pas, ce serait bien trop beau
Cupidon n’a tiré qu’une fois
Une flèche de son carquois ;
Son cœur ainsi reste de pierre quand elle me voit.
Heureux mais surtout malheureux
D’être tant amoureux
Voilà de moi ce qu’a fait Cupidon
Ce grand con
Dieu d’amour imbécile
Totalement débile
Qui ne sait pas compter
Et fait son travail à moitié
Au point que quoiqu’il puisse demain advenir
Jamais dans l’avenir
Ne pourrai oublier cette belle Ninon
Qui a Anne pour nom.
NU COMME UN VER
Juché sur mon vélo, je suis parti d’Etel
Vagabonder sur les routes bretonnes par Larmor jusqu’à Guidel.
Longeant les plages, vers les midis, je suis passé devant l’une d’elles,
A Kaolin, belle plage très pentue
Où beaucoup d’humains s’y trouvaient nus.
Le soleil brillait, il faisait beau
Aucun vent, et chaud.
Alors de me baigner l’envie
Brusquement m’a pris
Sur cette plage et dans cette eau très claire
Nu comme un ver.
J’ai lié ma bicyclette à la barrière
Et me suis rapproché de la mer.
A droite, à gauche, devant, derrière
C’étaient zizis et seins à l’air :
Des gros, des petits, des longs
Des plats, des ronds !
J’ai enlevé toutes mes affaires
Et me suis trouvé alors sans rien :
Ma foi, je me suis senti très bien.
J’étais bronzé partout, mais pas les fesses et le devant
Tout blanc !
« Eh bien », je me suis dit
« Tant pis ! »
« Certains riront sans doute beaucoup
Ca n’a pas d’importance, je m’en fous ! »
Sur le sable, j’ai parcouru les derniers mètres
Puis j’ai glissé un pied dans l’eau
Le reste j’ai eu du mal à mettre ;
L’eau était fraîche : c’est plus facile le bas que le haut !
Pour les gens de la plage, toutes les tapettes
Pour les montreurs de zézettes
Les voyeuristes
Comme les exhibitionnistes
Ou ceux les plus nombreux équilibrés
Tout simplement heureux de vivre en nudité
J’ai fait un super crawl, nagé
Et puis ensuite un dos crawlé
Quelques canards, deux-trois apnées.
Quand peu après je suis sorti
Bien frais, ragaillardi
J’ai vu que ma zézette était toute racornie.
Je n’en ai pas été surpris
Souvent l’eau froide a des effets bizarres sur le zizi !
Sans honte j’ai remonté la pente pour me sécher
Et puis ensuite me rhabiller.
Cela faisant, j’ai encore vu quelques seins ronds
Quelques zonzons et patiflons.
Je vous l’avoue, j’ai eu plaisir ce jour à être nu
Sur cette plage, dans l’eau, sans rien
Je me suis senti étrangement bien
Et découvrir aussi des gens tout nu.
Quittant la plage de Kaolin
Bien par hasard trouvée sur mon chemin,
Fier, joyeux
Sur mon vélo je suis parti heureux.
JAMAIS
Elle me dit jamais
« Merci ». Elle me dit jamais
« Bravo ». Elle est muet.
Jamais elle me dit
« Marc, merci »
Jamais elle me dit
« J’aime quand tu m’écris ».
C’est toujours « jamais »
Amour : jamais
Douceur : jamais
Tendresse : jamais.
Elle me sourit
Parfois. Parfois elle me dit
« Marc, bonjour »
Mais jamais « Mon amour ».
« Avec toi, toujours »
Jamais
Mon ami, mon amour »
Jamais
Hélas, ce sera toujours « jamais ».
VALERIE
Elle s’appelle Valérie.
C’est une grande fille brune
Au visage long et fin, très Modigliani,
Belle, comme une gravure de mode à la Une.
Un jour, touché par sa beauté, osant je le lui dis
Mais au nez aussitôt elle m’a ri :
« Qui c’est-y ?
Celui-ci ? »
Elle me répondit.
Alors doucement
Je lui expliquai que c’était un peintre d’antan
Environ des années dix neuf cents
Italien
Je crois bien
Qui peignait des visages très fins
Un peu comme le sien
Quelque peu séraphins.
Mais la belle très nerveuse
A bien peu écouté et hargneuse
M’a lancé aussitôt très menteuse :
« Bien sûr, je le connais, lui »
J’ai bien ri
Forcément, car son nez
A bougé
Au moment qu’elle l’a dit.
Oh ! Alors, croyez-moi, pas contente, la charmante demoiselle
De me voir si joyeux
Car pour elle, à ses yeux
Certainement, je me moquais bien d’elle !
Depuis, chaque fois que je parle ou j’écris
Quoique lui dise ou je fasse
Quoiqu’il se passe
A chaque fois c’est ainsi
Elle me montre les dents
Et je sens
Qu’il lui plairait de me mordre jusqu’au sang.
Mais elle n’ose, et me lance simplement
Une pique bien saignant.
A la longue c’est lassant
Mais voilà, malgré çà, Valérie je l’aime bien
Sauf son caractère plus que chien
Qui me plaît beaucoup moins ;
C’est peu dire
Qu’il faut vraiment se le farcir !
Heureusement elle est belle, beau visage italien
Qui me plaît oh combien.
Voilà, Valérie
Est comme ci
C’est ainsi
C’est la vie
Mais pour moi c’est toujours grand plaisir de la voir
Le matin ou le soir.
A dire vrai, je préfère même la voir
Le matin et le soir.
FLEUR DU BONHEUR
Ce matin tôt me promenant
J’ai trouvé sur mon chemin une fleur des champs
Si fraîche et si jolie
Qu’aussitôt je l’ai cueillie.
J’ai continué ma promenade jusqu’à chez moi
La tenant tout doucement du bout des doigts
De peur de la briser
Ou seulement de l’abimer.
Là dans un vase je l’ai glissée délicatement
En évidence afin qu’à chaque moment
A chaque instant du jour
La jolie fleur me dise bonjour
Avec son grand sourire blanc
Et son cœur d’or-argent.
Depuis je ne peux me lasser
De l’admirer, la regarder.
Vraiment, cette fleur des champs dans ma maison
C’est le soleil, c’est une chanson
Qui me réchauffe le cœur
C’est du bonheur.
Hélas, demain, plus tard, avec le temps passé
Malgré mes soins la jolie fleur va se faner
Et perdre sa beauté.
Alors à contre cœur, le cœur serré
Avec tristesse du vase l’enlèverai
Et m’en séparerai
Mais si délicatement
Avec tant d’attention, d’amour perdu, si doucement.
Désormais je le sais
Chaque jour pendant longtemps
Toujours, jamais me lasserai
D’aller courir les champs
Cueillir leurs jolies fleurs.
J’ai tant besoin qu’en ma maison, mon cœur
Fleurisse la fleur du bonheur.
360°
D’abord elle s’est offerte le dos cambré verso ;
Alors comme en son pré taureau
En mes états galants
Je l’ai montée très ardemment ;
J’ai fait ce qu’il fallait
Ce que j’aimais
Surtout ce qu’elle voulait.
Et puis elle s’est tournée, cuisses données, recto,
Et moi, sans qu’elle m’en prie, bon bonobo
Me suis conduit amoureusement
A sa convenance, gaillardement.
Elle a fait ce qu’il fallait
Ce que je voulais
Surtout ce qu’elle aimait.
Ensuite, gourmande, elle a viré d’un quart
Puis peu après trois quart,
Et moi frais comme gardon, corsaire à l’abordage, Jean Bart
Toutes voiles dehors, bien ardillé
Ensemble, tous deux coordonnés
Nous avons fait quoi nous aimions
Quoi nous voulions.
Alors ma cavalière énamourée
En amazone sans plus attendre a enfourché
Son étalon,
Et sans cravache ni éperons
Hop hop au trot
Hop hop galop.
Oh, camarades!
Vous auriez vu: quelle cavalcade!
Enfin comme des enfants joyeux en amusement pour terminer
Nous avons joué à se balancer, califourchés :
Pousse-moi, pousse-toi
Plus vite, moins vite, à toi, à moi ;
Puis, glace citron ou à l’orgeat,
Glace framboise ou chocolat
On s’est bisé
Frotté, tant bécoté !
Oh, douce amie
Que n’a-t-on fait en cette nuit ?
MISERE
Anne loge à côté de chez moi
Depuis peu, quelques jours seulement. Maintenant je la vois
De derrière ma fenêtre, et ma foi
Je l’avoue, c’est pour moi une joie
Singulière.
Anne est une fille si jolie
Que sa vue à chaque fois me ravit.
Mais je la vois trop rarement
Quand j’aimerais la voir tout le temps
Car j’en suis amoureux. Hélas elle me fuit
Toute la semaine, le dimanche y compris.
C’est misère.

DITES-MOI MONSIEUR

Dites-moi, Monsieur, comment font les oiseaux

Pour voler tout là haut

Au ciel ? Comment font-ils pour planer dans les airs

Très loin au-dessus de la mer

Sans même bouger une aile, juste la queue, un peu ?

Souvent, j’ai essayé de faire comme eux

Remuant les bras comme çà

Mais çà ne marche pas, je n’y arrive pas.

Dites-moi, Monsieur, comment font-ils les goélands

Les hirondelles, les mouettes, les cormorans ?

Ils glissent comme des bouchons sur l’eau

Suivant tranquilles des vagues les bas et hauts

Ils craignent ni les grands vents ni les tempêtes

Rien du temps ne les inquiètent

Mais moi j’ai peur de l’eau, je sais très peu nager

Toujours j’ai besoin de ma bouée pour m’empêcher de couler.

Pour eux, flotter c’est si facile !

Dites-moi, Monsieur, comment font-ils ?

J’ai vu des cormorans plonger

A la recherche des poissons, sous l’eau nager

Et revenir chaque fois avec

Un dans le bec.

J’ai tant de mal, moi, à pêcher

Du bord du quai, sur les rochers

Et accrocher un p’tit poisson

A mon hameçon

Vraiment c’est difficile !

Dites-moi, Monsieur, comment font-ils ?

Dans les galets ils font leur nid

Un trou, dans les falaises, pour leurs petits

Avec des riens, des mousses et des herbiers

Brindilles mêlées à de la boue séchée.

Moi, mes pâtés, mes châteaux de sable

Les faire solides, je n’en suis pas capable

Toujours la mer, le vent les cassent ou les dessèchent; j’ai ajouté pourtant

Des algues et des cailloux pour qu’ils résistent longtemps

Mais à la fin, quoique j’essaye, c’est inutile.

Dites-moi, Monsieur, comment font-ils ?

Oh, j’aimerais tant être un oiseau

Et m’envoler aussi là-haut

Au ciel ! Dites-moi, Monsieur

Dites-moi ! Pourrai-je un jour être comme eux ?

C’EST FINI

 

Mon amour est parti

C’est fini.

 

Elle est partie un jour

Aux bras d’un autre, pour toujours

Quelqu’un dont j’ignore tout

Un moins que rien

Un rien du tout

Après m’avoir trompé

Des mois et une année

Sans que j’en susse rien

Me laissant là, tremblant

Anéanti, abandonné

Seul, avec mon amour perdu

Nu

Le cœur saignant, désespéré.

 

Oh ! La haine qui gonfle alors le cœur

Le désir de faire mal

Autant que l’on a mal

De plonger avec soi l’autre dans son malheur

De rendre coup pour coup, pas pour rire

Et plutôt dix pour un, et détruire

D’entraîner avec soi dans le néant

Et son amour perdu et l’amant

Surtout lui

L’ordure

La pourriture

L’ennemi

A qui on veut soudain

Une haine féroce, implacable, sans fin

Oh ! Le châtrer

L’émasculer

L’empaler

L’estropier

Lui briser les jambes et les bras

Et non content de çà

Le rendre impuissant, incapable de rien

Réduit à rien

Le crucifier

L’éventrer

Plonger la tête dans ses entrailles et tout dégoulinant de sang

Lui dévorer le foie et le cœur tout fumant

Brûler sa maison, réduire en cendre

Tout ce qu’il est, ce qu’il aime, et le pendre.

 

Dans mon cœur gronde depuis ce jour

Un orage si noir et un feu si violent

Qu’il faudra tant d’amour

Pour qu’il batte à nouveau calmement.

Oh mon âme en supplice

Souffrante

Rongée de désirs noirs, de mort et de violence

Libère-toi des chaînes qui te rendent impuissante

A prendre vengeance

Passe à l’acte, fais-toi justice

Education

Morale, Religion

Dont tu es encombrée

Jette-les aux orties, brûle-les, fais en cendre et fumée

Retrouve ta nature première

Et barbare, ressors ta hache de pierre

Et ta massue de bois

Revêts ta peau de bête, et alors sans émoi

Du fond de tes entrailles pousse ton cri de guerre

Et de mort

Va tuer

Et de meurtres te goinfrer

Sans remords.

 

Mon amour est parti

C’est fini.

 

Depuis mon cœur saigne et souffre tellement

Du coup qu’il a reçu, si grand!

Quel mal font ces choses là

Lorsqu’elles arrivent quand on ne lesattend pas !

Et cette certitude affreuse et ces regrets

Sans fin d’avoir perdu pour toujours

A jamais

Un bien irremplaçable, merveilleux

Et combien précieux

Qui s’appelle « amour ».

 

Mon amour est parti

C’est fini.

ANNE LA BELLE

 

Elle plait à tout le monde

Tant que je hais tout le monde.

 

Je suis jaloux de tout

De lui, d’eux, de vous,

En définitive malheureux

D’être tant amoureux

D’elle

Si belle.

 

Anne la belle est trop belle

Que mon cœur chancelle

Et n’est plus raisonnable,

Incapable

De penser autre chose

Qu’à elle, et je n’ose

Plus rien, même la voir

Ni l’apercevoir

Ni même lui parler

Ni lui faire simplement quelque signe d’amitié

Paralysé

Que je suis devant elle

Si belle.

 

Anne la belle est trop belle.

EST-IL TROIS HEURES?

Est-il trois heures ?

Est-il quatre heures ?

Je l’entends : elle entre

Comme une amie de la maison pour me surprendre

Un peu dans mon sommeil au lit

A moitié ou au tiers endormi.

Bruits furtifs, lumière : vision en contre-jour

De ma belle deshabillée, tenue d’amour.

Son corps délice de satin chaud

Vient se coller contre ma peau.

Oh, main gourmande qui sur moi glisse

Si douce, mon dos, mes bras, mes cuisses !

Réveillé, mon désir fort l’enserre.

Comme elle aime et se laisse faire !

Avide ma bouche

A sa bouche

Se joint : oh, ce baiser !

Est-il trois heures ?

Est-il quatre heures ?

Belle nuit d’amour ensommeillée.

Je la vois en contre-jour se rhabiller,

Elle si peu habillée

Puis me quitter : baiser.

Adieu, bonheur

Jusqu’à demain ? Même heure ?

Est-il trois heures ?

Est-il quatre heures ?

ELLE ET LUI

Elle

Se penche vers lui avec tendresse

Avec un geste de la main très doux pour une caresse.

On devine son cœur qui palpite

Submergée par l’amour qui l’habite.

Mais elle se retient, par pudeur sans doute et crainte de gêner

Alors qu’elle voudrait tant

Se jeter dans les bras de son amant,

Lui montrer son amour, l’embrasser, contre lui se serrer

Et là s’abandonner et se fondre, ne faire qu’un avec celui

Qu’elle chérit.

Lui

Est froid comme glace.

Mains serrées, il ne bouge d’un pouce de sa place

Indifférent, du moins en apparence,

Presque hostile aux appels qu’elle lui lance.

Parfois de temps en temps

Comme on lance une pièce à celle qui mendie, parcimonieusement,

Il glisse une main à son genou,

Mais c’est tout

Ca dure peu

C’est si peu amoureux.

Elle et Lui

Pourquoi sont-ils ensemble tous deux ?

Elle follement amoureux

Et lui si peu ?

On voudrait tant pourtant

Qu’ils s’aiment follement

Oubliant alentour

Tout, pour vivre leur amour.

Mais non ! Il y a quelque chose entre eux

Déjà qui les rend malheureux.

Oh ! C’est triste et imparfait !

Oh ! Comme le monde est mal fait !

DIMANCHE

Je craignais qu’elle soit devenue indifférente,

Qu’elle ne m’aime plus : tout ce temps sans un appel,

Un mot, un signe, comme quoi ma douce amante

Pensait toujours à moi autant que moi à elle.

Alors, triste, je m’étais dit : Eh bien voilà, tout est fini !

Et puis, dimanche, Je l’ai vue, passant non loin, vêtue d’une robe blanche

Ou bleue peut-être, légère, que le vent

Polisson soulevait par moment,

D’un grand chapeau coiffée.

Qu’elle était belle ainsi dans la lumière d’été !

Sachant que je la regardais, s’est retournée

Et discrète, m’a fait un signe, un sourire ébauché.

Oh, bonheur ! Instant si doux !

Message si tendre échangé entre nous !

Oh, belle maîtresse, retourne-toi vers moi

Encore. Recommençons : ouvre ma porte comme autrefois !

Le Net
Quand y’a eu au travail l’Intranet
J’ai pensé dans ma tête : « C’est pas net
J’entrav’ goutte ! » Alors j’me suis dit : « Dans’cas là, y’a qu’Ginette
Qui faut voir qui sait tout ». « Allons », lui ai-je dit « Mignonette
Expliqu’moi la nouvelle chansonnette
D’Intranet ».
« Quoi qui n’y’a ? Quec ceq çà Intranet
C’te bête là ? »lança-t-elle, pomponnette blondinette
Toute charmante, retroussant ses lunettes.
Puis ayant éclairci d’un sourire sa binette
Elle me dit tout de go : « Moi itou, mon minou, c’est binette
Viens, Marco, mon bichon, tirons voir la sonnette
D’nos poteaux, d’Jean Michou, d’Hélènette
Qui z’espliquent pour nous la planète
Intranet ».
Toc, toc, toc. « Quoi z’encore ? C’est quoi-t-est-ce, nom de d’Net ? »
Crachouillotte d’l’intérieur une voix mâle pas très nette
« Eh, mon chou, ne t’inquiète, c’est Marco, c’est Ginette »
Lance, perfide, finement la nénette
« Comprends-tu, ç’t’à propos d’Intranet
J’y vois rien, c’est opaque, c’est pas net ! »
« Bof ! » rétorquent bien ensemble nos manettes
« Bien plutôt qu’une explique d’Intranet
Z’aurions préféré de beaucoup une histoire d’zigounette
Ou encore une histoire d’coucougnettes
Bidonnette ! »
« Ca alors, mon Michou, moi aussi ! » dit tout net
Mon amour d’copinette
Qui commence aussitôt: « Bien voilà, c’est l’histoire d’une jolie foufounette.. »
« Non, non, non ! » lancent en cœur nos manettes
« C’est plus l’heure » et d’un coup d’clarinette
D’une pich’nette
I z’espliquent rapid’ l’Intranet
Et du coup en même temps l’Internet.
« J’suis au ciel ! » s’exclame aussitôt not’ jolie bretonnette
Ses deux mains sur ses belles doudounettes
« J’ai tout compris d’la comprenette ! »
Et une larme de joie coule de ses yeux d’midinette.
Profitant d’son émoi, je lui dis : « Ma minette
Pour fêter tous les deux l’Intranet
L’Internet
Au resto si tu veux allons faire une dinette
Buvons-y trois ou quatre canettes
Egalement une finette
Puis après bien au chaud dans ma p’tite camionnette
Nous nous f’rons des gentilles câlinettes
Friponnettes »
« Mon chéri, j’te dis oui ! » elle s’écrit ma Ginette
Enthousiaste, elle m’enlace, amoureuse, la jeunette
Et m’embrasse, un big mac sur mes lips, mignonette
Lipounette.
Depuis c’jour, nous surfons, patinons, patinette
Tous les deux, très z’heureux, trottinons, trottinette
Sur le Net.

Monsieur le maire,

Après vous, je suis le plus ancien d’cette assemblée.
Je n’en suis pas plus fier,
Car je l’avoue avoir quelques années
De moins me plairait bien. Ayant donc l’ancienneté
Et le privilège de l’âge, permettez-moi de vous adresser,
Monsieur le maire,
Après ces quelques phrases liminaires,
Au nom de toutes et de tous ici,
Cette marine poésie.

* * * * *

Capitaine,

J’ai embarqué, il y a maintenant deux dizaines
Sur vot’bateau baptisé « la Giffoise » : un voilier bien membré,
Solide et bien toilé,
Une jolie goélette, fine et très racée,
Qu’on disait pouvoir tenir la mer
Tout autour de la terre,
Et dont je suis tombé amoureux fou rien qu’à la voir.

Avant de monter à bord un soir
Avec mon sac, quelques marins du quai m’ont averti :
« Tu sais mon p’tit,
Y’a l’capitaine, c’est pas un pisse-petit,
C’est un patron, c’est un vrai boss ;
On ne peut pas dire qu’ce soit une rosse,
Mais y’a des fois, c’en est pas loin ;
Il faut qu’ça roule à la manœuvre, sinon il fait du foin ».

Moi, j’ai été vraiment impressionné
Et, sur le coup, je vous l’avoue, j’ai hésité.
Mais d’autres après m’ont dit :
« N’les écoute pas, ne t’en fait pas, mon p’tit,
Le capitaine, c’est un marin, il connaît tout ;
Un vrai de vrai, y’a pas d’meilleur, crois-nous ;
Vas-y, y’a pas d’méfiance.
Sur la « Giffoise », tu peux voguer en toute confiance ».

Eh bien, Capitaine, comme vous le voyez,
Finalement, j’ai embarqué.
Mes compagnons de bord, tous ici réunis,
Comme moi pareillement avertis,
N’ont guère plus hésité
Et le bastingage l’ont enjambé..

* * * * *

Aie, Aie, Aie, Capitaine,
L’apprentissage fut rude avec beaucoup de peine,
Car certes nous étions matelots,
Mais seulement de quelques milles sous le calot.
Alors, nous apprîmes sous vos ordres le gros temps,
Réduire la toile par mauvais temps,
Prendre un ris pour éviter qu’elle se déchire,
Même deux, même trois, pour éviter le pire,
Que la « Giffoise » ne gîte de trop,
Et qu’au final, se couche sur l’eau.
Mettre à la cape sous l’ouragan,
Ou même sans honte se mettre en fuite à temps
Car la mer est parfois bien mauvaise ;
On n’y est pas toujours à l’aise.
Par gros temps, il faut savoir s’y prendre ;
La mer, il faut vraiment savoir la prendre.
Nous avons admiré vot’maîtrise à la barre
Pour éviter qu’sans crier gare,
La mer nous jette à l’eau ;
Pour mettre bout à la lame l’bateau
Et qu’il ne rende l’âme trop tôt.
« Quartier maître RUGANI, à la manœuvre !…
Tout le monde sur l’pont ! c’est pas l’heure
D’s’endormir ! encore un Corse, un Italien,
Qui connaît mieux les vins que les coups de chien ! ».

* * * * *

Aie, Aie, Aie, Capitaine,
L’apprentissage fut rude avec beaucoup de peine ;
Nous apprîmes sous vos ordres les courants,
Ceux dangereux, bien méchants,
Qui vous poussent à la côte, aux rochers,
Ou vous rejettent au large sans pouvoir aborder.
Nous apprîmes les écueils, les récifs cachés,
Qui font un grand trou dans la coque blessée,
Vous obligent longuement d’écoper,
Jusqu’à parfois tristement vous couler.
Nous apprîmes le p’tit temps,
Quand hélas sur la mer y’a plus d’vent,
Aucun souffle et qu’il faut rechercher
La risée pour pouvoir avancer.
« Quartier-maître GIQUEL ! Quartier-maître LE QUELLEC !
D’Banalec, d’Carantec,
Je n’sais plus ! z’êtes bretons ou bourguignons ?
Laissez donc filer, nom de nom !
Choquer l’écoute, très léger !
Que les voiles soient bien gonflées ! »
Même un jour, à vot’demande, le premier maître ANDRE
A fait tout l’équipage ramer,
Pour n’pas culer…

* * * * *

Aie, Aie, Aie, Capitaine
L’apprentissage fut rude avec beaucoup de peine ;
Tant et tant qu’à plusieurs nous avons espéré
Vous voir passer pas dessus bord, dans la mer agitée,
Rejoindre les requins pour qu’avec leurs quenottes
Aigues et bien coupantes, ils vous boulottent ….
Vous voir attaché
Au grand mat tout ficelé,
Entouré des oiseaux tout hurlants,
Goélands et cormorans criant.
Mais, jamais, il n’y eut de mutinerie,
En votre compagnie,
Car la mer loin d’être toujours cruelle,
Le plus souvent fut belle
Et son capitaine bienveillant,
De temps en temps.
Certes, la navigation à bord de la « Giffoise »,
Autour des océans comme sur la mer d’Iroise,
Ne fut jamais sous vos ordres une promenade de santé,
Mais nous avons bien voyagé,
Passé des caps, accostés en des ports connus,
Découvert des îles, mouillés près de plages inconnues.
Un jour, plein de curiosité,
Voulant savoir où nous étions passés,
Quels courants et tempêtes nous avions rencontrés,
J’ai sur vot’livre de bord et les cartes marines regardé.
A vrai dire, des noms peu marins j’y ai lus,
Mais de vous comme de nous désormais bien connus :

–         l’ouragan « AQUAGIF » », la terrible tempête
qui souffle encore aujourd’hui sur nos têtes,
–         les récifs « pétition » « opposition » autour desquels il fallut louvoyer,
–         les écueils « budget » « déficit », oh combien difficiles à passer,
–         les caps « Abbaye » « Chevry » « Moulon » « ZAC de Courcelle »,

Toute une suite de noms, toute une ribambelle,
Chargés de souvenirs,
D’effort, mais aussi de plaisir.

* * * * *

Capitaine,

Non sans joie, non sans peine,
Nous avons fait avec vous un grand et beau voyage.
Il a pris une bonne part de votre âge …
Et du notre. Vous posez aujourd’hui votre sac ; un jour,
Tôt ou tard, ce sera notre tour.
Nous continuons la route maritime et vous vous arrêtez.
Mais, soyez rassuré,
Nous suivrons les leçons bien apprises
Et nous garderons l’cap, sans surprise.

Aujourd’hui, la « Giffoise » est plus belle que jamais elle ne fut
Plus pleine de toutes ses traversées,
Plus ronde, davantage ventrue,
Mais toujours aussi fine et racée.
Nous essaierons de lui garder sa ligne bien élancée..

Capitaine,

Autour de vous, tous ici réunis,
Officiers, sous-officiers, équipage,
Très sincèrement, nous vous rendons hommage
Et, ensemble, nous vous disons « merci ».

Quartier maître RUGANI
De la « Giffoise »

26 février 2001

ST VALENTIN

J’l’ai embrassée sur l’quai du RER

Et puis dedans le RER

Dans les couloirs du RER

A la sortie du RER

Finalement

J’l’ai embrassée tout l’temps

J’en avais envie tellement

Aussi souvent

Que j’ai voulu

Qu’elle a voulu

Dès q’nous avions un p’tit moment

Pour bien nous dire

Quoiq’sans le dire

« J’suis bien avec toi »

« C’est bon d’être toi et moi »

J’l’ai embrassée Jardin du Luxembourg

Devant l’expo photos

J’me souviens plus du nom d’l’expo

Mais j’me souviens de not’ baiser

Baiser d’amour

Si doux baiser

J’l’ai embrassée longtemps

Et puis encore, encore, tant !

J’l’ai embrassée d’vant Picasso

Devant Matisse, Braque, c’était l’expo

D’son nom j’me souviens plus

Non plus

Des gens nous ont r’gardés

Sans doute enviés

Pas d’importance : à Paris le monde

Regarde tout le monde

J’l’ai embrassée rue Servandoni

Devant le peintre qui peignait là, et puis aussi

Place St Sulpice, sur les trottoirs, dans les ruelles

Dans les boutiques- j’étais si bien près d’elle

Tenant son bras- rue d’la Huchette, sous la photo

D’Doisneau

Oh, ce baiser !

Des ouvriers voulant passer

Ont attendu bien gentiment

Qu’on ait fini, souriants

J’l’ai embrassée au restaurant

A l’entrée, au fromage, avant, pendant

Au dessert, sans lui laisser le temps

Dehors encore, sur le parvis de Notre Dame

Plein d’monde, d’vant Charlemagne

Ses Leudes en armes

Oh, combien de fois l’ai-je embrassée

Au cours de cette journée ?

Oh !Comme j’aimerais encore une fois

Aujourd’hui, demain, chaque jour

Toujours

L’embrasser d’amour

Mille fois

J’aime la poésie.

J’éprouve un vif plaisir à lire des poèmes, ceux des grands auteurs bien sûr mais aussi ceux des poètes moins reconnus d’aujourd’hui, et j’éprouve un plaisir semblable à en écrire, lorsque la « Muse » m’inspire.

J’aime relire mes poésies de temps en temps- il m’arrive parfois de les corriger encore- et j’espère que vous aussi trouverez de l’agrément à les parcourir.

Si vous-même êtes auteur(e), n’hésitez pas à me proposer vos poèmes pour une publication sur mon site, sachant que :

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